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Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 mai 2016
Akram Belkaïd, Paris
Panorama général. Un pays encore sous le choc des tueries de
novembre, miné par les inégalités et le chômage, abreuvé de débats inutiles, futiles,
sommé de se passionner pour le festival de Cannes ou l’Euro de football. Litanie
médiatique : un académicien au rabais qui vomit son fiel habituel, des
affaires d’harcèlement sexuel ou de conduites inconvenantes révélées avec la
régularité d’un métronome. Une jeunesse dans la rue, de jour comme de nuit, des
cohortes de policiers qui chargent, des casseurs qui veulent en découdre et
s’en donnent à cœur joie. Une loi contestée, destinée à être retoquée par le
parlement, dépositaire du vote populaire et que le gouvernement adopte malgré tout
grâce à une disposition d’exception. Constitutionnelle certes, mais d’exception
tout de même.
Caractérisation du panorama général : une
déliquescence. On objectera, avec raison, que c’est un état commun à nombre de
pays à commencer par le DZ-land où se poursuivent d’irréelles manœuvres en vue
d’une succession sans cesse annoncée par radio-trottoir. Mais, l’objet de cette
chronique étant de raconter, parfois, de temps à autre, la France, revenons au
champ hexagonal. Déliquescence donc. Regardons ce qu’en dit le wiktionary.org.
Première définition ayant trait à la chimie : « propriété qu’ont
certains corps solides d’absorber l’humidité de l’air et de passer ensuite à
l’état liquide ou semi-liquide. État d’un corps ainsi pénétré par l’humidité. »
Seconde définition indiquant le sens figuré (que l’on pense ainsi
trop souvent être le sens principal) : « État de corruption, de
décomposition d’une société, d’une littérature caractérisée à la fois par
l’excès de la recherche et du mauvais goût et par la mollesse et la tendance à
l’immoralité. » Dans ce qui précède, « décomposition d’une
société » est certainement trop fort et ne correspond pas (encore ?)
vraiment à la réalité. Par contre, décomposition voire pré-état putride d’une
classe politique en dessous de tout paraît plus approprié.
Bien sûr, « il ne faut pas généraliser », il faut
garder en tête qu’il y a des « femmes et des hommes politiques qui aiment
ce qu’ils font et qui n’ont de cesse d’œuvrer au bien être général. » La
moindre réserve à l’égard de ces rappels déclenche des haussements de sourcils
et des accusations de populisme (politique et non littéraire) voire de
démagogie. En réalité, c’est la première parade du système politique quand il
est mis en cause. Les uns trichent, ont des comptes en Suisse, ne paient pas
leurs impôts, cumulent mandats, salaires et avantages matériels et ne mouftent
guère quand leurs boss imposent des lois à l’Assemblée en oubliant qu’ils ont
condamné ces pratiques il y a moins de dix ans. Les autres, parfois les mêmes,
harcèlent, manigancent, font claquer l’élastique du slip d’une journaliste, se
vautrent dans l’inqualifiable persuadés du caractère sacré et intouchable de
leur personne. Pour autant, l’expression du moindre ras-le-bol, de la moindre
colère, revient à « faire le jeu des extrêmes et des ennemis de la
république ». Bon dos, elle a cette pauvre république qui sert à
entretenir une légion de parasites qui, de leur vie, n’ont jamais travaillé et
entendent bien continuer ainsi.
Tranquillement, à vitesse de plus en plus conséquente, le train
se dirige donc vers le mur. Dans un an, au printemps 2017, une élection
présidentielle déclenchera de nouvelles passions. Tout le monde ou presque
assure que la représentante du Front national sera au deuxième tour. Alors,
chaque impétrant potentiel rêve d’être celui qui l’affrontera, gage, a priori d’une
victoire électorale car, comme en 2002, après le fameux « 21 avril »,
on entendra des discours impérieux sur la nécessité de « faire
barrage », de « défendre la république » (oui, toujours elle) ou
encore « d’éviter le pire ». A l’époque, le présent chroniqueur avait
déjà affirmé que le meilleur choix était de ne pas choisir au second tour et de
laisser la crise éclater. Cris d’orfraies, postures scandalisées :
« mais comment ? Le monde nous regarde ! Il y va de l’honneur de
la France ! ». Réponse qui n’arrangea pas les choses :
l’honneur, mon pauvre gars, il est déjà bien atteint avec la présence de
Jean-Marie au second tour…
Aujourd’hui, dans les chaumières de gauche, ou de ce qu’il
en reste, le débat est le même. Que faudra-t-il faire au second tour dans
l’hypothèse, encore une fois, où Marine Le Pen est qualifiée ? Avaler un
boa et voter Hollande, Valls ou Macron, en imaginant que l’un des trois sera
candidat et qu’il arrivera à se qualifier ? Voter Sarkozy dont rien, mais
absolument rien, ne dit qu’il est hors course ? Voter Juppé ? Lui qui
a la faveur des « réalistes » mais dont la présentation récente du
programme économique vient de rappeler que l’homme est bel et bien de droite,
ce que les bobos pas encore nés ou encore gamins ou ados en 1995 semblent
ignorer.
L’idée qui plane, encore incertaine, pas toujours assumée en
public est qu’il est temps que vienne la crise des institutions. Qu’il s’agisse
d’une refondation, d’une sixième république, d’une remise en cause profonde du
mode de fonctionnement des dites élites politiques, qu’importe la forme que
cela prendra mais la mue devient urgente. Bien sûr, la peur du changement, le
conservatisme réflexe et le crédit de trente ans pris pour payer le deux-pièces
et loggia risquent de freiner les ardeurs. Cela fera peut-être reculer
l’échéance mais cette dernière est inéluctable. Tôt ou tard, grave crise il y
aura.
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