Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 29 septembre 2015

La chronique économique : La Fed joue la montre

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 23 septembre 2015
Akram Belkaïd, Paris

Est-ce reculer pour mieux sauter ? Ou est-ce encore un refus d’obstacle ? Le moins que l’on puisse dire c’est que les analystes sont partagés quant aux raisons qui ont conduit la Réserve fédérale (Fed) à ne pas augmenter son taux directeur lors de la dernière réunion de son Comité monétaire (FOMC). On le sait, cette augmentation est attendue depuis plusieurs mois et a été annoncée de manière plus ou moins explicite par Janet Yellen, la présidente de la Banque centrale américaine.

Des marchés déroutés

Le statu quo décidé par la Fed la semaine dernière a donc surpris et dérouté. La preuve, les marchés boursiers n’ont guère salué cette temporisation alors qu’on pourrait penser que le maintien d’un taux bas leur profite (le faible coût du crédit assure la liquidité). Sur les grandes places financières de nombreux opérateurs ont reproché à la Fed de naviguer à vue, de privilégier le court terme et d’avoir reporté une échéance que tout le monde sait incontournable et cela sans donner d’indications précises quant au calendrier. Pour résumer, la situation est comparable à celle d’élèves fâchés, au lieu d’être soulagés, que leur professeur reporte une nouvelle fois une interrogation écrite à laquelle, de toutes les façons, ils savent qu’ils ne pourront pas échapper.

La question est donc de savoir pourquoi la Fed a préféré gagner du temps. La réponse n’est certainement pas liée à l’état de l’économie américaine. Cette dernière continue de progresser et de créer des emplois dans un contexte où l’inflation reste maîtrisée. Bien sûr, le salarié américain aimerait moins de précarité et de vraies augmentations de salaires mais ceci est une autre affaire. En réalité, l’Institution de Washington est surtout préoccupée par l’impact qu’une telle décision pourrait avoir sur l’économie mondiale.

La Chine inquiète

Cela fait deux ans que l’on sait que les pays émergents craignent un retour d’une politique monétaire moins laxiste aux Etats Unis. Ils n’ignorent pas que, gavés de liquidités, les investisseurs se dépêcheront alors d’investir sur le marché américain, notamment en achetant de la dette souveraine (les taux ayant augmenté, ils obtiendront une meilleure rémunération). Pénaliser le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie ou même la Corée du Sud ne posait pas de gros problèmes à la Fed. Par contre, ses réticences sont plus nombreuses aujourd’hui car, désormais, la Chine est concernée elle aussi.

Confrontée à une baisse de ses marchés boursiers, fragilisée par une activité locale et des exportations qui ralentissent et, enfin, en proie à la multiplication de revendications sociales, la Chine risque d’être frappée de plein fouet par l’inévitable fuite de capitaux qui se fera au bénéfice des Etats Unis. On sait ce que cela veut dire. Une économie chinoise qui éternue, et c’est la planète entière, Europe comprise, qui va tomber malade. En décidant de ne pas augmenter les taux, la Fed préfère donc attendre que la Chine aille mieux. Pour combien de temps ? Les avis divergent mais il n’est pas exclu que ce resserrement monétaire intervienne avant la fin de cette année.
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mercredi 23 septembre 2015

Comment faire barrage à Donald Trump ?

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Fort de l'expérience des Italiens avec Silvio Berlusconi, le chroniqueur Beppe Severgnini, adresse ses conseils aux électeurs américains qui voient se profiler avec horreur une victoire de l'homme à la toupe aux primaires républicaines voire à l'élection présidentielle de novembre 2016 (on n'en est pas encore là mais sait-on jamais...)

1- Surtout, se garder de ne pas prendre au sérieux le milliardaire.
2- Recourir à l'humour pour encaisser ses provocations et ses propos outranciers.
3- Ne pas faire de lui une obsession qui le placerait, in fine, au centre du jeu politico-médiatique.
4- L'obliger à préciser son propos. Au besoin, poser la question encore et encore afin de l'empêcher d'être vague et imprécis.
5- Ne pas oublier ses méprises et ses fausses déclarations. Les rappeler aussi souvent que possible.
6- Refuser de penser qu'il est - comme il le prétend - le seul candidat valable. Se convaincre que les alternatives existent.

(source, New York Times, 19 septembre 2015)
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mardi 22 septembre 2015

La chronique économique : Le patient brésilien

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 16 septembre 2015
Akram Belkaïd, Paris

« Couper dans la chair… » C’est l’expression employée par les responsables brésiliens pour décrire le plan d’austérité qu’ils viennent de mettre en place afin d’amortir la récession qui frappe la septième économie mondiale. En effet, Brasilia a annoncé des coupes dans les dépenses publiques – mais aussi des hausses d’impôts – pour éviter que le budget 2016 ne soit déficitaire. Une perspective qui, si elle se concrétise, aggraverait la défiance des prêteurs, ces derniers ayant déjà été alerté par le fait que l’agence Standard & Poor’s place désormais la dette souveraine brésilienne dans la catégorie « spéculative » (autrement dit à fort risque de non-remboursement ou de défaut).

Coupes dans les dépenses

Dans le détail, le ministre de la planification, Nelson Barbosa, a indiqué lundi 14 septembre, que le plan d’austérité se montera à 64,9 milliards de reals (15 milliards d’euros) et qu’il se traduira par un gel des hausses de salaires et des embauches dans le secteur public. Dix ministères sur trente-neuf seront tout simplement supprimés et le gouvernement envisage aussi des coupes dans les dépenses sociales comme le logement et la santé. De quoi aggraver l’impopularité grandissante de la présidente Dilma Roussef dont la formation politique, le Parti des Travailleurs, a toujours bâti ses succès électoraux depuis douze ans sur la justice sociale ainsi que la lutte contre les inégalités et la pauvreté. Déjà éclaboussée par une affaire de corruption au sein de la compagnie pétrolière Petrobras et qui concerne plusieurs membres de sa majorité, l’ancienne militante révolutionnaire tourne ainsi le dos à sa base électorale.

C’est devenu un lieu commun mais cette crise économique qu’endure le Brésil confirme que la phase d’ascendance des pays émergents est terminée. Aujourd’hui, Brasilia en est réduite à appliquer un plan digne des préconisations les plus sévères du Fonds monétaire international (FMI). Cela dans un contexte où la prochaine hausse des taux aux Etats-Unis risque de provoquer une fuite des capitaux des principales places émergentes, dont le Brésil, vers les marchés américains. Autrement dit, le Brésil fait partie de cette liste – de plus en plus longue - de maillons faibles qui pourraient être à l’origine de la prochaine grande crise financière que nombre de spécialistes annoncent comme imminente.

Des JO pour rien ?

Un autre point qui mérite d’être rappelé est que la Coupe du monde de football de 2014 n’aura finalement guère réussi au Brésil. Eliminé sportivement après avoir été humilié par l’Allemagne (7 buts à 1 en demi-finale), le géant sud-américain n’a guère pu compter sur un effet positif en matière de croissance. Bien au contraire, le pays s’enfonce dans la récession et l’inflation reprend des forces. Dans cette optique, on est en droit de se demander si les Jeux Olympiques de Rio l’été prochain ne vont pas engendrer la même déception. Une chose est certaine, le patient brésilien est surveillé de près par les agences de notation, une nouvelle dégradation de sa note souveraine n’étant pas exclue à moyen terme.
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Ethique politique, maturité des masses et progrès technique

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« Depuis l’invention de la machine à vapeur (...) le monde est en permanence dans un état anormal ; les guerres et les révolutions ne sont que l’expression de cet état (…) Le principe selon lequel la fin justifie les moyens est et demeure la seule règle de l’éthique politique ; tout le reste n’est que vagues bavardages et vous fond entre les doigts…
(...)
"La quantité de liberté individuelle qu’un peuple peut conquérir et conserver dépend de son degré de maturité politique (…) la marche des masses vers la maturité ne suit pas une courbe régulièrement ascendante ; comme fait la croissance d’un individu, mais qu’elle est gouvernée par des lois plus complexes.
(...)
«  La maturité des masses consiste en leur capacité de reconnaître leurs propres intérêts. Mais cela présuppose une certaine compréhension du processus de production et de distribution des biens. La capacité d’un peuple de se gouverner démocratiquement est donc proportionnelle à son degré de compréhension de la structure et du fonctionnement de l’ensemble du corps social. Or, tout progrès technique crée de nouvelles complications dans la machine économique, fait apparaître de nouveaux facteurs et de nouveaux procédés, que les masses mettent un certain temps à pénétrer. Chaque bond en avant du progrès technique laisse le développement intellectuel des masses d’un pas en arrière, et cause donc une chute du thermomètre de la maturité politique. »

 In, Le zéro et l'infini d'Arthur Koestler.
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lundi 21 septembre 2015

Hybridation, design, arts et âge hypermoderne

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Extrait de « L’Esthétisation du monde », de Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, Gallimard, 2013.
« On ne compte plus les objets qui se présentent comme des hybrides (…) Avec le design de Xavier Moulin et Aldo Cibic, meubles de maison et appareils sportifs peuvent s’échanger (…) Même l’automobile n’échappe plus à cette logique : la Smart présente un look de BD, elle est une voiture-jouet, tout à la fois pratique, ludique et écologique. (…) au principe des nouvelles hybridations se trouvent avant tout la volonté et l’exigence de surprendre le consommateur ‘blasé’. (…)
« Cette dynamique n’est pas propre au design. Partout s’affirment les esthétiques de l’hybridation, le mixage des catégories et des genres, des pratiques, des matières et des cultures. (…) Les métissages musicaux prolifèrent ; la cuisine fusion mixe tous les aliments et toutes les saveurs. Les architectures de Frank Gehry ressemblent à de fantastiques sculptures poétiques. Les croisements entre le théâtre et la danse (Pina Bausch), théâtre, peinture et cinéma (Bob Wilson) s’intensifient. Les émissions à la télévision se multiplient qui mélangent les genres, qui mêlent culture et divertissement, politique et mode, écrivains et top-modèles, philosophes et chanteurs de variétés, sérieux et trivialité, haute culture et culture populaire. L’âge hypermoderne est contemporain des créations croisées, répondant au vœu de John Cage d’« une interpénétration sans obstruction ». Comme l’a dit Andrea  Branzi, l’hybridation est le maître mot de notre seconde modernité.
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dimanche 20 septembre 2015

La chronique du blédard : Monologue du musulman d’apparence qui en a assez

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 septembre
Akram Belkaïd, Paris

Tu vois, c’est une mesure prophylactique efficace et je la conseille à tout le monde : je n’écoute pas les informations pendant le week-end. Je fais tout pour éviter d’être contrarié ou d’être entraîné dans ce délire permanent. Pas de journaux, pas de réseaux sociaux où les gens partagent tout et n’importe quoi, pas de télévision aux heures où je risque de tomber sur un talk-show débile avec toujours les mêmes questions et toujours les mêmes figures enfarinées. Non, c’est le black-out organisé. Je coupe tout. Je me ballade, je regarde des dvd, je fais mes courses mais je refuse de me laisser intoxiquer par les médias. Au début, c’était difficile, surtout quand il faut résister à l’envie de lire ses courriels ou ses messages privés sur Facebook.
 
Le week-end dernier, j’ai fait un sans-faute. Aucune information, même pas sportive, n’est venue m’ennuyer. Tu imagines ma contrariété lundi matin quand je suis arrivé au bureau. En règle générale, ça se passe toujours autour de la machine à café. Le moment où tu cherches à te donner du courage en te disant qu’il reste cinq jours avant le prochain week-end… Tu penses… C’est là qu’un collègue m’a dit ceci : « c’est quand même pas bien ce que vous avez fait aux Femen. Pourquoi est-ce que personne de chez vous ne proteste contre cette brutalité ».
 
Dans ce genre de circonstances, j’ai aussi appris à gérer. Avant, je cherchais à comprendre. Je posais des questions et puis, bien sûr, j’argumentais, je me disais que c’était important d’essayer de rassurer les gens. Maintenant, je fuis. Je refuse la bagarre, parce que c’est une bagarre. Je prétexte un truc urgent à terminer et je m’éclipse. Bon, c’est certain que l’évitement est moins simple sur le plateau, surtout quand tu es entouré par dix collègues qui te regardent tous en attendant la réponse à la vingtième question du genre « mais toi, tu penses quoi du voile ? ». Mais, là aussi, j’ai ma technique. C’est le moment où, comme par hasard, je m’affaire sur mon téléphone portable, comme les joueurs de foot quand ils descendent du bus et qu’ils ne veulent pas répondre aux questions des médias…
 
Impossible d’avoir la paix. Il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’on soit confronté à une polémique. La situation au Proche-Orient, les tentatives d’attentat, les repas à la cantine, les réfugiés… A chaque fois, même si tu ne sais rien, même si tu estimes que ça ne te regarde pas, tu te retrouves à devoir te justifier. A essayer d’expliquer des choses à des gens plein de certitudes qui, de toutes les façons, te reposeront la même question la semaine d’après. L’islam, le djihad, le ramadan, le voile, le porc, les décapitations, ça tourne en boucle. Est-ce que c’est de la peur, est-ce que c’est de l’obsession, est-ce que ça leur donne le sentiment d’être supérieur ? Franchement, je n’en sais rien mais ce qui est certain, c’est que khlass, c’est fini, je n’en peux plus.
 
Bon, tu te doutes bien que je me suis précipité sur Google news pour en savoir plus. Quelle histoire… Je n’ai aucune sympathie pour les Femen. Elles m’insupportent avec leur côté radical et donneur de leçons. Je n’aime pas la manière avec laquelle elles manipulent les faits pour avoir absolument raison. Et je me demande à quoi sert leur action. Qu’est-ce qu’elles veulent vraiment ? Qu’est-ce qu’elles croient ? Que les salafistes et tous les intégristes vont changer d’avis et de mentalité parce qu’ils auront vu une paire de seins ? C’est quoi leurs happenings si ce n’est une manière de chercher la castagne ? Une manière d’opposer un radicalisme à un autre radicalisme ? J’ai regardé la vidéo. Au début, ça m’a fait rire. L’expression des deux imams quand les Femen se découvrent vaut le détour… Mais ensuite, je ne peux ni excuser ni cautionner. On voit des excités leur mettre des coups de pieds. Ça ne se fait pas. C’est indigne et minable. Et ça donne raison aux Femen et à tous les islamophobes qui pullulent en France et ailleurs. Tu vois, normalement, si ces gens-là étaient un tant soit peu intelligents, ils auraient laissé les filles faire le show avant de leur demander gentiment, et sans violence, de quitter la tribune.
 
Je te jure que je n’avais jamais entendu parler de ces deux imams pas plus que je savais qu’un salon de la femme musulmane existait. Au boulot ou avec des amis, je me retrouve à expliquer que, non, je ne vais pas à ce genre de manifestation. Que non, je n’écoute pas en boucle ce zozo qui t’explique que les anges maudissent toute la nuit la femme qui se refuse à son mari.  Savant à deux sous… Entre eux et Chalghoumi, on n’est pas sorti d’affaire. Je n’ai rien à voir avec ce genre de délire mais il faut tout le temps le répéter. C’est tellement évident que je me sens insulté quand on m’interpelle là-dessus.
 
Ça ne va pas s’arranger, c’est certain. Des polémiques, il va y en avoir d’autres. Les médias, les politiques soufflent sur les braises et ensuite ils jurent qu’il ne faut pas faire d’amalgame et que les musulmans « modérés » ne sont pas visés. Musulman modéré, c’est quoi ? J’aimerais qu’on m’explique. Non, en fait, j’aimerais surtout qu’on me laisse tranquille. Si je le pouvais, je m’appellerais Marcel Dupont. Comme ça, tranquille. Pas de débat sur le voile et les Femen. Mais bon… Mon visage dit bien que je ne peux pas m’appeler comme ça, que je suis un musulman d’apparence… Tu sais quoi, je vais vivre avec la cire dans les oreilles. Ou mieux, je vais me balader en permanence avec une pancarte vissée dans le crâne. Elle dira ceci : « je suis un gentil musulman et je suis d’accord avec vous tous ». Comme ça, yakhtiwni, ils me laisseront en paix.
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mardi 15 septembre 2015

La chronique économique : De l’économie positive

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 9 septembre 2015
Akram Belkaïd,Paris

Il règne aujourd’hui dans le monde des économistes une insatisfaction qui témoigne de l’incertitude de notre époque. On le sait, le Produit intérieur brut (PIB) est un indicateur de plus en plus contesté même si son évolution (croissance ou récession) demeure incontournable dans toute évaluation. Malgré ses limites, comme le fait qu’il ne traduit pas les dommages écologiques ou que sa valeur peut croître en raison des dépenses engendrées par une catastrophe, le PIB n’a pas été détrôné par l’indicateur du bonheur ou par la « comptabilité verte ». Au-delà des discours, il reste la référence.

Une question d’altruisme

La tendance aujourd’hui est d’élaborer des modèles d’évaluation complémentaire susceptible d’affiner la lecture univoque qu’offrait jusque-là le PIB. Depuis quelques années, Jacques Attali, homme aux activités et parcours multiples – il fut conseiller du président François Mitterrand – cherche ainsi à promouvoir le concept d’« économie positive », un forum annuel étant organisé sur ce thème (il a lieu du 16 au 19 septembre dans la ville du Havre). Qu’est-ce que l’économie positive ? Selon l’économiste et producteur d’idées, c’est « une économie qui prend en compte l’intérêt des générations futures » et sa quantification doit devenir « un instrument de conduite des politiques publiques ».

De manière concrète, l’économie positive selon Jacques Attali repose sur trois points : l’altruisme entre générations, l’altruisme entre territoires et l’altruisme entre acteurs. Au fond, c’est une réhabilitation de la générosité mais aussi du don de soi, deux qualités que les sciences économiques minées par leur fascination pour les mathématiques n’ont guère cherché à modéliser.  On relèvera avec intérêt cette notion de prise en compte des générations futures. A-t-elle toujours existé ? On ne peut le nier quel que soit le scepticisme que l’on peut éprouver à l’égard de l’être humain. Au cours des siècles passés, les efforts de ce dernier ont, malgré tout, toujours tendu vers l’amélioration des conditions de vie. Agriculture, défrichage, hygiène, développement des techniques, toutes ces composantes du Progrès ont fait que, de façon générale, toute génération a bénéficié des efforts de celle qui l’a précédée. La révolution industrielle, la pollution et le dérèglement climatique qu’elle a engendrés ont changé la donne de manière dramatique. Aujourd’hui, c’est une évidence. Les économies du XXème siècle, notamment celles des pays industrialisés, ont peut être amélioré les conditions de vie contemporaines mais elles ont créé d’importants déséquilibres qu’ils soient écologiques ou même financiers (poids des dettes publiques que les générations futures devront porter).

La Norvège en tête

Adossés à plusieurs indicateurs statistiques mais aussi à des sondages, le concept d’économie positive permet au groupe Positive Planet (ex PlaNet Finance créé en 1998) d’élaborer un classement des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) selon l’indice de « positivité ». Les bons élèves sont la Norvège, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark, l’Islande et la Suisse. En queue de peloton, on trouve le Japon, le Mexique, la Turquie, la Hongrie et, comme lanterne rouge, la Grèce. La France, l’Espagne ou le Royaume-Uni font partie du ventre mou de ce classement qui coïncide, peu ou prou, avec des études sur la qualité de vie des individus ou leur adhésion au système politique et économique de leur pays. A ce sujet, il serait intéressant d’appliquer l’indice de « positivité » aux pays arabes pour savoir s’il en existe au moins un qui prépare sérieusement l’avenir de ses enfants…
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Ce matin

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Ce matin,
des nuages noirs roulent et sanglent la ville
A la radio,
la haine aboie et agenouille les déférents
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vendredi 11 septembre 2015

La chronique du blédard : Réfugiés du Levant, ingénuité occidentale et égoïstes du Golfe

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 septembre 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Le terrible drame des femmes et des hommes qui fuient le Proche-Orient pour gagner l’Europe au péril de leur vie ne va certainement pas cesser. Le chaos syrien, la décomposition irakienne, les bombardements occidentaux contre l’Organisation de l’Etat islamique (EI) et le retour des affrontements entre l’armée turque et le PKK kurde sont autant de violences qui alimentent le flux de réfugiés. Pour ces derniers, il s’agit tout simplement de sauver leur vie. On peut gloser à l’infini sur d’éventuelles motivations économiques – ce que font d’ailleurs de nombreux politiciens européens– mais le fait est que c’est avant tout une question de survie.
 
La photographie, déchirante, du cadavre d’un petit enfant kurde sur une plage de Méditerranée orientale ; celle, poignante, d’un père qui éclate en sanglots alors qu’il vient de poser le pied sur le rivage grec ; les images de ces longues cohortes de réfugiés essayant de franchir la frontière hongroise ou marchant le long d’une autoroute allemande : tout cela fait naître un sentiment complexe, mélange de compassion, de pitié, de colère et de découragement accablé. Quiconque vit « normalement », avec les hauts et les bas de toute existence banale, ne peut qu’être indigné et ému par cet exode humain.
 
Cela explique les polémiques plus ou moins dilatoires auxquelles nous assistons ces derniers jours. L’une d’entre elles, concerne les pays du Golfe accusés de ne rien faire pour secourir leurs « frères » arabes. Dans un petit texte posté sur les réseaux sociaux, j’ai abordé cette question en expliquant que « ce n'est pas un hasard si un réfugié syrien préfère risquer la mort pour rejoindre l'Europe plutôt que d'aller en Arabie Saoudite. Là-bas, il sait qu'il n'a aucune chance d'être aidé, d'avoir droit à un traitement humain, de bénéficier de lois claires. Il est persuadé que l'Europe, c'est aussi (encore ?) le respect de l'individu et de la loi. On aura beau lui dire que les choses sont plus compliquées, que les temps y sont de plus en plus durs, que l'extrême-droite est partout, dans les discours et les mentalités. Rien n'y fera. »
 
Mais cette question mérite d’être développée. Rappelons d’abord – notamment aux Européens qui s’émeuvent des conséquences pour leur tranquillité de ce flux humain – que les pays qui accueillent le plus de réfugiés sont le Liban (1,2 millions de Syriens soit le quart de la population libanaise), la Jordanie (650.000 réfugiés) et la Turquie (1,8 millions). Autrement dit, il existe des zones « tampons » dont les dirigeants, cela vaut surtout pour le Liban et la Jordanie, l’un des pays parmi les plus pauvres de la planète, se débattent dans d’inextricables problèmes financiers et logistiques. Et c’est aussi parce que la situation de ces réfugiés se dégrade dans les centres d’accueil qu’ils décident de partir en Europe, certains étant désormais convaincus que la guerre chez eux, notamment celle qui concerne l’Etat islamique, est partie pour durer plusieurs décennies.
 
Il faut aussi rappeler aux Européens que tout cela ne serait pas arrivé sans les multiples guerres – récentes, ne remontons pas à la période coloniale - menées dans la région. On parle beaucoup de l’invasion de l’Irak en 2003, guerre pour laquelle George W. Bush et Anthony « Tony » Blair méritent d’être jugés, mais on oublie celle de 1991 et l’embargo qui l’a suivie. On oublie enfin les tergiversations (et les complicités) occidentales face aux crimes commis par le régime d’Assad père et fils. Si le Machrek est une poudrière, c’est certes la faute des régimes en place mais la responsabilité occidentale est pleine et entière notamment dans le processus qui a conduit à la naissance de « Daech ». Il est donc normal que l’Europe mais aussi les Etats-Unis et l’Australie paient leur écot au drame humanitaire en cours. Quand l’Allemagne accueille des réfugiés syriens et irakiens, ce n’est pas juste de la charité et de la générosité. Cela doit être vu comme une réparation, partielle, des dégâts occasionnés par les milliards de dollars d’armements qu’elle a déversés dans la région. Et cela vaut aussi pour la France dont l’ancien président Nicolas Sarkozy nous expliquait en 2008 – c’était lors de la création de feu l’Union pour la Méditerranée à Paris – que Bachar al-Assad était un dirigeant « fréquentable » (qu’il aille le répéter aux habitants d’Alep…).
 
Revenons maintenant aux pays du Golfe, lesquels ont eux aussi leur responsabilité dans la situation puisqu’ils ont financé à fonds perdus les mouvements djihadistes qui embrasent la Syrie et l’Irak. Le discours tenu pour répondre aux critiques en dit long sur les mentalités dans cette région. Ainsi, le « journaliste » koweitien Fahad Alshelaimi, aghioulissime parmi les brels,  a expliqué à la télévision que son pays ne pouvait accueillir des réfugiés en raison de leur… pauvreté, ces derniers étant de plus jugés inaptes à s’intégrer dans l’Emirat en raison de leurs  problèmes psychologiques et nerveux. Plus retors, certains officiels et universitaires de la péninsule arabique ont insisté sur le fait que les monarchies pétrolières financent les actions humanitaires en faveur des réfugiés. Un fait patent mais qui doit être relativisé. Si le Koweït a déboursé 304 millions de dollars pour cette crise, l’Arabie Saoudite n’a dépensé « que » 18 millions de dollars, un montant dérisoire à comparer avec le 1,1 milliard de dollars déjà engagé par les Etats-Unis.
 
Au lendemain du 2 août 1990, le monde arabe dans sa grande majorité s’était réjoui de l’invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein. A l’époque, nombre de ressortissants du Golfe avaient été choqués par ce qu’ils estimaient être de l’ingratitude (notamment celle des Palestiniens mais aussi des Maghrébins). Dans le contexte régional actuel, les monarchies pétrolières seront tôt ou tard confrontées à de sérieuses difficultés ne serait-ce qu’en raison de la guerre asymétrique qu’elles mènent au Yémen (ceci est une autre affaire dont on parle peu…). On leur rappellera alors le comportement égoïste dont elles ont fait preuve à l’égard des réfugiés du Levant.
 
Mais l’on ne terminera pas cette chronique sans quelques lignes à propos des gouvernements maghrébins. La Tunisie porte déjà son fardeau avec un nombre important de ressortissants libyens installés sur son sol. On aimerait donc que l’Algérie et le Maroc fassent entendre leurs voix officielles sur cette question des réfugiés du Machrek et qu’il soit précisé ce que ces pays ont l’intention de faire ou pas.
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Post-scriptum :

Face aux critiques, les Emirats arabes unis ont annoncé avoir délivré 100.000 permis de séjour à des Syriens depuis 2011 ce qui porte à 242.000 leur nombre total dans la Fédération. Cette dernière précise aussi avoir débloqué 530 millions de dollars en réponse à la crise humanitaire qui affecte la Syrie, une grande partie de cette somme finançant les camps de réfugiés en Jordanie. Ces informations sont d’importance mais ne lèveront pas les critiques car 100.000 permis de séjour depuis 2011, c’est 20.000 entrées par an soit moins que ce que la France entend consentir comme effort (et ne parlons pas de l’Allemagne).

samedi 5 septembre 2015

La chronique du blédard : Ce si précieux passeport

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 3 septembre 2015
Akram Belkaïd, Paris

Il n’y a pas longtemps, autour d’une table et de quelques rafraichissements, j’ai écouté avec attention les péripéties bureaucratiques vécues par un ami français au Japon après qu’il a perdu son passeport dans ce pays à la législation plus que tatillonne envers les étrangers quelle que soit leur nationalité. J’ai gardé pour moi mes réflexions en pensant à l’enfer que vivrait un Algérien qui perdrait son passeport en France surtout si son titre de séjour y est apposé… Quelques jours plus tard, c’est une autre amie qui m’a raconté sa mésaventure estivale, celle où elle a réalisé que le passeport de sa fille était périmé à la veille du départ en vacances. On devine la galère : annulation dans l’urgence, démarches pour les divers remboursements, recherche d’un plan « B »… D’après elle, ce genre de déconvenue est plus fréquent qu’on ne le croit, certains la subissant au dernier moment, c’est-à-dire lorsqu’ils se présentent au comptoir d’enregistrement des bagages.
 
Tout cela m’a amené à réfléchir aux rapports que nous entretenons avec ce précieux document. Il est évident qu’ils sont déterminés par la nationalité et l’origine. Je ne sais pas si cela vaut pour d’autres pays du Sud, mais il est clair que les Algériens connaissent sa valeur et il est rare, par exemple, qu’ils découvrent qu’il n’est plus valable au dernier moment. Obtenir un passeport dans notre pays a toujours été un long parcours du combattant. Il y a une trentaine d’année, j’ai déposé un dossier pour en obtenir un. Six mois plus tard, ne voyant rien venir, j’en ai déposé un second, suivant en cela les conseils pressants du fonctionnaire. Au bout d’un an, j’avais deux passeports… « Ce que tu as fait est très très grâââve » (il faut rouler les r) m’a dit alors le même fonctionnaire alors que je souhaitais en restituer un (deux passeports cela voulait dire pouvoir obtenir deux allocations touristiques en devises étrangères : un délit…).
 
Aux Etats-Unis, pays immense où le tourisme des nationaux est essentiellement intérieur, le passeport reste chose rare. Certes, les déplacements au Canada, au Mexique et dans les Antilles sont plus réglementés qu’avant les attentats du 11 septembre 2001, mais la demande du document bleu est souvent effectuée quand se profile le sacro-saint voyage en Europe, notamment pour les retraités. Le reste du temps, et bien plus qu’en Europe occidentale, il dort tranquillement dans un tiroir (ou dans une enveloppe) et ses dates de validité peuvent vite s’oublier. Ce n’est pas le cas chez nous. La date de péremption (« périmation » disait un ami de la vallée de la Soummam) trotte dans la tête… Plus elle se rapproche, plus la préoccupation, voire le stress, monte. On sait qu’il va falloir se colleter avec l’administration, attendre des semaines et parfois même risquer un refus de renouvellement : en un mot, on ne peut ignorer que c’est une affaire de temps et de patience.
 
C’est encore plus vrai depuis que les Etats Unis d’Amérique ont imposé au monde entier l’obligation de voyager avec un passeport biométrique. Il suffit de se rendre sur n’importe quel réseau social pour se rendre compte que l’affaire est en train de tourner au cauchemar pour nombre d’Algériens, surtout ceux qui vivent à l’étranger. Affluence record dans les consulats, liste de documents à faire pâlir d’envie n’importe quel bureaucrate ouzbek ou indien, incidents à répétition et, surtout, toujours et encore cette sensation selon laquelle le temps de l’Algérien n’a aucune valeur. Qu’il travaille ou pas, qu’il soit dans une situation d’urgence ou non, le passeport ne lui sera pas accordé facilement. Dès lors, qu’il vive dans son pays ou ailleurs, on comprendra la quasi-sacralisation dont il entoure ce livret vert aux pages dûment numérotées. Il sait d’ailleurs ce qu’il risque comme désagréments en le perdant ou en le détériorant. Je me souviens ainsi de la crise de nerfs en plein ciel de cet ami avec lequel je voyageais entre Alger et Paris et dont le passeport a été tâché par du café alors qu’il remplissait sa fiche d’entrée sur le territoire français. Ce n’était pas tant la perspective d’être refoulé à Orly que celle d’avoir à le refaire qui le mettait dans tous ses états.
 
J’ai évoqué ce sujet avec ma consœur Mona Chollet et elle m’a transmis cette citation de Bertolt Brecht. « Le passeport est la partie la plus noble de l'homme. D'ailleurs un passeport ne se fabrique pas aussi simplement qu'un homme. On peut faire un homme n'importe où, le plus étourdiment du monde et sans motif raisonnable: Un passeport, jamais. Aussi reconnait-on la valeur d'un bon passeport, tandis que la valeur d'un homme, si grande soit elle, n'est pas forcément reconnue. » Ce passage est extrait de « Dialogues d'exilés » (« Flüchtlingsgespräche » en allemand), texte publié de manière posthume à Berlin en 1961 et qui met en scène la rencontre de deux exilés au buffet d'une gare.
 
Un « bon passeport »… Cette expression veut dire beaucoup. Pour les gens du Sud, elle permet de désigner le passeport qui permet le voyage où bon leur semble, c’est-à-dire sans ce maudit visa. Mais aussi « mauvais » soit-il en ne permettant guère de voyager sans passer par d’humiliantes démarches auprès des chancelleries étrangères, un passeport reste précieux. C’est une sorte de prolongement de soi, une possibilité éventuelle de liberté et de mouvement. On devine alors cette rupture symbolique, cet arrachement, qui consiste à se débarrasser de ce document quand on est un sans-papier, un migrant, un réfugié ou un clandestin et que l’on est prêt à tout pour ne pas être renvoyé chez soi.
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Diadème

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Diadème


Nous émigrerons
avec des diadèmes
dans la voix
...
Augustin Barbara

La honte qui nous habite

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Jean-Claude Guillebaud, TéléObs, 5 septembre 2015
Extraits :

« Avec 12 milliards d’euros de ventes d’armes depuis janvier 2015, la France vole désormais de record en record. Il n’est pas impossible que nous ravissions in fine à la Russie ma deuxième place des exportateurs d’armements. Ce n’est pas tout. Après avoir annulé, dans un beau coup de menton éthique, la vente de deux navires Mistral à la Russie, on laisse entendre qu’ils seront peut-être rachetés par l’Arabie Saoudite et l’Egypte. Ces deux pays sont, comme on le sait, nos nouveaux amis et clients. C’est grâce à leurs achats (notamment des Rafales) que nos affaires prospèrent. »

(…)

« Au total, la question qui nous tourmente est simple : les nouveaux ‘’amis’’ que nos dirigeants se sont choisis sont-ils des anges, comparés à un Vladimir Poutine qui serait un démon ? Poser la question, c’est y répondre. Poutine n’est certainement pas un démocrate, mais il n’a pas encore fait décapiter des gens sur la place Rouge et, en dépit de tout, son régime demeure moins barbare que celui de Ryad. Non seulement la stratégie française n’est pas ‘’gagnante’’ mais, comme dirait Camus, elle ajoute au malheur du monde.
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vendredi 4 septembre 2015

Des réfugiés et des pays du Golfe

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Ce n'est pas un hasard si un réfugié syrien préfère risquer la mort pour rejoindre l'Europe plutôt que d'aller en Arabie Saoudite. Là-bas, il sait qu'il n'a aucune chance d'être aidé, d'avoir droit à un traitement humain, de bénéficier de lois claires. Il est persuadé que l'Europe, c'est aussi (encore ?) le respect de l'individu et de la loi. On aura beau lui dire que les choses sont plus compliquées, que les temps y sont de plus en plus durs, que l'extrême-droite est partout, dans les discours et les mentalités. Rien n'y fera.

Certes, il y a des Syriens, des Egyptiens, des Palestiniens qui vivent dans le Golfe. Ils y travaillent, y gagnent de l'argent, mais savent qu'un faux pas, comme par exemple émettre un jugement politique, peut leur valoir l'expulsion. Et cela vaut pour tous les pays du Golfe, pas uniquement le Qatar dont la critique, notamment en France, sert à masquer le silence indulgent (coupable ? collusif ? ) à l'égard des Emirats et, surtout, de l'Arabie Saoudite.
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mercredi 2 septembre 2015

Un petit corps sur la plage

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Ce petit enfant qui gît au bord de l'eau... Ce corps sans vie au visage recouvert par les vaguelettes. Mort noyé et rejeté sur les rives d'un paradis touristique. Un enfer, plutôt. Mais ce n'est pas la mer qui l'a tué. C'est Assad, c'est Daech, c'est le passeur, c'est l'Europe qui n'en voulait pas, c'est nous tous, notre indifférence, où que l'on soit, quoi que l'on pense de cette guerre désormais annonciatrice de tant de cataclysmes à venir.
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