Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 30 juin 2014

La chronique du blédard : Mais qui veut la peau du vilain petit Qatar… ?

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 26 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
« Vous devriez écrire sur le Qatar. Il y a tellement de choses à dénoncer. Si vous le souhaitez, on peut se rencontrer. J’ai quelques informations qui peuvent intéresser vos lecteurs ». Voilà, vite résumée, la teneur d’un appel téléphonique adressé au présent chroniqueur. Disons-le tout de suite, dans le métier de journaliste, ce genre de sollicitation est fréquent. Des gens vous contactent car ils ont des choses à dire, à révéler ou à dénoncer mais, trop souvent, la matière qu’ils offrent est inexploitable car les preuves manquent ou sont impossibles à recouper quand ce n’est pas le solliciteur lui-même qui fait machine arrière.

Mais quand une ex-consœur, officiellement reconvertie dans la communication, incite ses anciens confrères à dire du mal du Qatar, on dresse l’oreille. Bien sûr, on ne l’a pas attendue pour savoir que beaucoup de choses sont à critiquer dans cet émirat dont personne ne parlait il y quinze ans encore et qui, depuis, ne cesse de faire la une (et de manière de plus en plus négative). Qu’il s’agisse des conditions troubles dans lesquelles il a obtenu l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022 ou de la manière dont y sont traités les travailleurs migrants en provenance du continent asiatique, les dossiers de mise en cause ne manquent pas. A cela, on peut aussi ajouter le rôle controversé dans le « soutien » aux révoltes arabes notamment en Syrie où de nombreux observateurs estiment que l’argent en provenance de Doha a beaucoup aidé les groupuscules islamistes radicaux à prendre le dessus sur l’opposition dite laïque.

Mais, le journalisme, c’est aussi se poser des questions sur les motivations des sources. Quand une attachée de presse vous appelle pour vous demander de vanter telle ou telle destination, avec la possibilité d’un voyage sur place tous frais payés, c’est une chose habituelle. C’est la (mauvaise) règle du jeu et on est libre d’accepter ou de refuser. Ouvrons ici une parenthèse pour relever que la presse française, notamment écrite, est dans un tel état critique sur le plan financier, qu’un reportage sur quatre est désormais financé par celui sur qui on est censé écrire, le lecteur n’étant pas toujours averti de la chose contrairement à ce qui se passe, par exemple, dans la presse québécoise. Fin de la parenthèse.

Revenons aux sollicitations. Quand une communicante bien introduite sur la place parisienne, mais aussi très active sur la scène du monde arabe, vous appelle pour vous inciter à « enquêter » sur le Qatar, l’enquête se résumant, dans le cas présent, à recevoir des informations déjà emballées par ses soins, alors on se dit qu’il y a baleine sous le gravier. Surtout quand on sait que la même partition se joue à Londres ou à New York.  Il faut bien se comprendre. Il n’est pas question ici de défendre le « petit Qatar » mais juste de relever un point majeur que toute personne qui s’intéresse à la région doit avoir en tête : actuellement, beaucoup d’argent est dépensé pour nuire à cet émirat. La multiplication d’articles négatifs à son encontre ne relève donc pas du hasard.

On le sait, la monarchie de Doha est en froid avec tous ses voisins à commencer par l’Arabie saoudite et, surtout, les Emirats arabes unis (EAU) qui l’accusent d’avoir encouragé l’activisme de Frères musulmans sur son sol. Ces tensions ont débouché sur plusieurs couacs diplomatiques avec rappels d’ambassadeurs et menaces militaires à peine voilées. Mais, dans le même temps, une guerre d’influence est en cours. Exemple : à Beyrouth, des maisons d’édition sont encouragées – avec force arguments financiers – à traduire en arabe la flopée d’ouvrages très virulents à l’égard du Qatar qui ont été publiés récemment en Occident. A Genève comme à Washington ou Londres, des publications viennent soudainement de voir le jour pour nous expliquer à quel point le Qatar est peu respectueux des droits de l’homme (ce qui, bien sûr, n’est certainement pas le cas de certains de ses voisins où on continue de décapiter les condamnés à mort…).

C’est en ayant en tête cette bataille de l’ombre qu’il faut d’ailleurs décrypter la récente condamnation en Egypte de trois journalistes d’Al Jazeera à de lourdes de peine de prison. Dans cette scandaleuse affaire, le maréchal-président al-Sissi ne fait que complaire à ses riches soutiens du Golfe dont l’un des objectifs est de faire définitivement taire la chaîne qatarie tout comme ils souhaitent que les centres de recherche (think tank) installés à Doha ferment leurs portes et cessent de publier des études plus ou moins dérangeantes sur les pays de la région.

Vu de loin, on peut être tenté de dire que le Qatar n’a que ce qu’il mérite. A force de se voir trop vite trop haut, on finit toujours par se prendre des coups de bâtons. Il fut un temps où c’était l’émirat de Dubaï qui tenait ce rôle. Au milieu des années 2000, il était de bon ton de s’y déplacer pour y enquêter sur le revers sombre de sa vertigineuse émergence. Aujourd’hui, on n’en parle plus ou presque alors que, peu ou prou, les mêmes problèmes structuraux y perdurent à commencer par un statut des travailleurs asiatiques qui n’a guère évolué cela sans compter les questions liées à l’afflux de capitaux plus ou moins suspects dans une place financière qui a récupéré nombre d’activités « grises » impossibles aujourd’hui à mener à la City de Londres ou à New York.

Quand on me parle du Qatar, en bien ou en mal, je pense immédiatement à Robert Ménard élu récemment maire de Béziers grâce aux voix du Front national. Pourquoi lui ? Tout simplement parce qu’il y a quelques années, il a été choisi par les plus hautes autorités du Qatar pour prendre la tête à Doha d’un centre de défense de la liberté de la presse… (« il fallait un Occidental et un nom prestigieux. Ces gens sont des complexés » m’a expliqué un confrère, candidat malheureux au poste). Bien entendu, l’idylle entre l’ancienne figure de Reporters sans frontières et les chouyoukhs s’est mal terminée. Remercié, Ménard a pondu un livre – fort intéressant au demeurant – où il dit tout le mal qu’il pense de ses ex-employeurs et où il raconte comment une bonne partie de la classe politique française se déplace à Doha la sébile à la main. A bien des égards, l’affaire Ménard résume bien ce qu’a été le Qatar au cours des années 2000. Il reste désormais à savoir si ses difficultés du moment vont le faire rentrer ou non dans le rang.
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One two three

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Ce que parler veut dire

"On parle du problème palestinien alors qu'il s'agit du problème de la colonisation israélienne ou du problème noir aux Etats-Unis alors qu'il était d'abord le problème blanc, du problème du statut de la femme dans les pays musulmans alors qu'il s'agit bien évidemment du problème de l'attitude des hommes".
Pierre Conesa, in La Fabrication de l'ennemi, Robert Laffont
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dimanche 29 juin 2014

Participation à l'émission Kiosque sur TV5 (29 juin 2014)

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Emission Kiosque sur TV5 (cliquer sur le lien)

LES THÈMES DE L'ACTUALITÉ

Les cas de V. Lambert et du Dr Bonnemaison ont secoué la France, l'occasion de comparer les façons d'envisager la fin de la vie ici ou là ;
Après l'échec de B. De Wever à former un gouvernement en Belgique, c'est à nouveau Louis Michel qui est nommé informateur du Roi ;
La justice égyptienne condamne 3 journalistes de la chaîne Al Jazeera à la prison ;
Un référendum non reconnu par les autorités chinoises se tient à Hong Kong
pour demander l'instauration du suffrage universel sur l'île ;
Enfin, sur la toile comme ailleurs, la coupe du monde de foot déchaîne les passions

 
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samedi 28 juin 2014

L'Algérie réussit un exploit historique

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HuffPost Algérie  |  Par Akram Belkaïd Publication:
Impossible alors de ne pas penser à la mésaventure des Ivoiriens, éliminés à la dernière seconde. Impossible de penser à tous ces matchs aux résultats cruels. Bref, nous avons eu chaud même si le scénario a peut-être été ce que les Verts pouvaient espérer de mieux. Je m’explique.
Dans un billet précédent, j’ai relevé que cette équipe avait pour marque de fabrique de s’en sortir de manière laborieuse, stressante pour les nerfs de ses supporters. Ce qui s’est passé contre la Russie n’a pas changé la donne. Mais, paradoxalement, ce but encaissé dans les premières minutes a rendu service à l’équipe nationale. Il l’a obligée à mener une course poursuite durant une bonne partie de la rencontre.
LIRE AUSSI: Jeu à l'algérienne et stress
De quoi lui éviter de se retrouver dans la même situation que contre la Belgique et, à un degré moindre, contre la Corée du sud. C’est-à-dire deux matchs où on a senti à plusieurs reprises que les Verts ont du mal à conserver un résultat et à ne pas éprouver cette fameuse peur de gagner qui a mené tant d’équipes à leur perte. C’est cela le foot, des situations qui peuvent paraître négatives et qui, en réalité, préparent un dénouement positif.

L’objectif essentiel a été atteint. Maintenant, ce ne sera que du bonus. L’Algérie a vaincu le signe indien du premier tour. Cette équipe a fait mieux que son illustre devancière de 1982 – vous savez celle qui a battu la RFA par deux buts à un - en se qualifiant pour les huitièmes de finale. Il lui reste maintenant à enfoncer le clou et à réaliser un nouvel exploit pour reléguer nos vieux souvenirs aux oubliettes. Pour cela, il lui reste désormais à réaliser un exploit en battant cette même Allemagne ; Ce ne sera pas une partie de plaisir mais on a hâte d’y être.
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Petite passe d'armes :

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- La cliente : Quand même, ces voyous qui cassent tout. Vous les avez mal éduqués. Il faut faire quelque chose !
- Le commerçant, algérien établi en France depuis 2000 : Madame, c'est la France qui les a mal éduqués. Pas l'Algérie. C'est à vous de faire quelque chose...
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jeudi 26 juin 2014

A propos de la victoire allemande lors de la Coupe du monde de football de 1954

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"La victoire de l'équipe allemande en finale [de la Coupe du monde de football de 1954] contre la Hongrie 3-2 dépassa, à Berne, le simple exploit sportif. Elle fut vécue comme une renaissance. Le "Miracle de Berne" (Das wunder von Berne) donna au peuple allemand, écrasé de culpabilité et contraint de vivre dans un pays détruit, le sentiment d'être à nouveau quelqu'un (Wir sind wieder wer, selon l'expression de l'époque). (...) Joachim Fest, le grand historien du nazisme, va même jusqu'à qualifier cet événement de "vraie date de naissance" de la République fédérale allemande (Geburtsstunde der Bundessrepublik Deutschland)".

Christophe Bourdoiseau in, Allemagne : la mémoire libérée, collection L'âme des peuples, Editions NEVICATA
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mercredi 25 juin 2014

Chrissie Hynde et les animaux

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Le Monde : Le monde est déséquilibré ?
Chrissie Hynde, chanteuse de The Pretenders, auteure d'un album solo, "Stockholm" : "Oui, c'est un désastre, un cauchemar [elle le dit en français]. Je suis végétarienne depuis les années 1970. C'est peut-être mon seul message, c'est inadmissible de tuer des animaux. Les animaux vivent selon leur instinct, ils ne prennent pas de décision, ne détruisent pas l'environnement. Dans la hiérarchie de la nature, nous prenons plus que nous n'avons besoin. Nous détruisons et nous tuons. Le déséquilibre est immense. Vivons avec les animaux, regardons-les vivre.
in Le Monde, 19 juin 2014

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mardi 24 juin 2014

​​La chronique économique : Bruxelles et l’optimisation fiscale en Europe

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 18 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Beaucoup s’exclameront « il était temps ! ». Après de nombreuses tergiversations, la Commission européenne vient de décider d’ouvrir une enquête formelle sur les régimes fiscaux dont bénéficient certaines multinationales implantées dans trois pays membres de l’Union européenne (UE) : L’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas. C’est Joaquin Almunia, le Commissaire européen chargé de la concurrence qui en a fait l’annonce en personne. Une initiative que l’on peut considérer comme un événement majeur même si les résultats de l’enquête ne sont pas attendus pour tout de suite.
 
Concurrence déloyale ?
 
De quoi s’agit-il ? On le sait, il n’y a pas d’harmonie fiscale au sein de l’Union européenne, chaque pays déterminant ses propres barèmes d’imposition sans concertation avec les autres membres. Dans le lot, les trois pays visés par l’enquête se distinguent depuis plusieurs années en attirant de grandes multinationales grâce à des législations fiscales particulièrement attractives. C’est ainsi que de grands groupes comme Google, Apple ou Starbucks, ont localisé leurs sièges sociaux en Irlande tandis que d’autres entreprises vont au Luxembourg ou aux Pays-Bas. Le résultat est connu et il ne cesse d’être dénoncé par de nombreux politiciens : les multinationales réalisent de grands bénéfices en Europe mais y paient très peu d’impôts. Une situation qui engendre de nombreuses tensions à l’heure où les gouvernements européens se sont engagés dans des politiques d’austérité et de réduction drastiques des dépenses publiques.
 
Il faut rappeler que la Commission européenne n’a aucun mandat pour harmoniser les législations fiscales. Par contre, et comme l’a bien précisé Joaquin Almunia, Bruxelles peut vérifier si les dispositions fiscales particulières offertes aux multinationales sont en réalité des aides indirectes faussant la libre-concurrence. A ce jour, le Luxembourg et l’Irlande ont réfuté avec plus ou moins de virulence ces accusations mais la pression monte pour que ces pays fassent un geste. Il sera aussi intéressant de voir si l’enquête établit ou non l’existence de dispositions particulières négociées de gré à gré entre les mis en cause et les multinationales. Jusqu’à présent, Dublin nie, par exemple, avoir contracté des accords à la carte avec de grandes entreprises internationales américaines mais aussi européennes. Or, de nombreuses enquêtes publiées dans la presse tendent à prouver le contraire. En clair, l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas ont mis en place des systèmes destinés à tirer la couverture à eux malgré l’irritation croissante de leurs voisins.
 
Jean-Claude Junker en difficulté
 
Par ailleurs, cette enquête n’est pas une bonne nouvelle pour Jean-Claude Junker, ancien Premier ministre du Luxembourg et aujourd’hui candidat à la présidence de la Commission. Ce dernier s’est toujours opposé aux demandes d’enquêtes sur le sujet de l’optimisation fiscale dans son pays. Or, il est évident que ce sujet fait partie des thèmes qui minent aujourd’hui la cohésion de l’UE et qui, plus grave encore, freinent la construction européenne. Faut-il interpréter l’ouverture de l’enquête de la Commission comme un nouveau signal de désaveu à l’égard de sa candidature (on sait que la Grande-Bretagne est ouvertement hostile à sa nomination) ? En tout état de cause, il sera intéressant de voir si Jean-Claude Junker a changé d’avis sur la question ou s’il maintient qu’un membre de l’UE a le droit de « piquer » ses multinationales à ses partenaires.
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dimanche 22 juin 2014

Jeu à l'algérienne et stress

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HuffPost Maghreb  |  Par Akram Belkaïd Publication:   |  Mis à jour: 22/06/2014 23h52 CEST
Il y a des matchs qui vous en rappellent d’autres et font soudain remonter à la surface des souvenirs mitigés. En suivant la rencontre entre l’Algérie et la Corée du Sud, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir à un certain Algérie-Chili (3-2) lors de la Coupe du monde en Espagne (24 juin 1982).
Que s’était-il passé ? A la mi-temps, les Verts menaient par trois buts à zéro, tout comme en ce dimanche 22 juin 2014. Joie intense donc mais petite inquiétude avec cette question insidieuse : vont-ils tenir le résultat ou, plutôt, vont-ils savoir tenir le résultat.
En Espagne, le Chili a failli arracher le nul en marquant deux buts à l’EN. Deux buts qui, au final, ont pesé lourd dans le goal-average et ont ouvert la voie à ce fameux match arrangé entre l’Allemagne et l’Autriche qui a éliminé l’Algérie.
On comprendra donc l’inquiétude éprouvée quand la Corée est revenue à 3 buts à 1 puis à 4 buts à 2. Je voyais poindre le scénario catastrophe. Un nul ou même pire, une défaite sur le fil avec son lot de regrets, de soupirs et de mises en causes.

A l’Algérienne
Finalement, l’Algérie a gagné malgré le fait qu’elle a reculé en deuxième mi-temps. Mais, regardons les choses en face. C’est un peu la marque de fabrique de cette équipe algérienne que de gagner dans la douleur et le stress. Cela fait au moins quatre ans que ça dure et il va peut-être falloir s’y habituer.
En tous les cas, l’auteur de ces lignes fait partie de ceux qui préfèrent gagner par 4-2 que par un terne 1-0 mais chacun sa philosophie…
Mais le plus important est que ce match a démontré que le " jeu à l’algérienne " existe. Nous l’avons vu se déployer en première mi-temps et en quelques occasions lors de la seconde. Passes courtes, déviations, jeu en avant, positionnement entre les lignes avec un extraordinaire trio Feghouli – Slimani – Brahimi. On attend désormais la suite contre la Russie. Avec impatience.
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samedi 21 juin 2014

La chronique du blédard : Ce monde qui se redécoupe

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Nous n’avons pas encore pris la mesure des conséquences de la chute du mur de Berlin et de la dissolution de l’ex-URSS. A l’époque, cet événement majeur n’a peut-être pas été suffisamment analysé sous l’angle prospectif, quelques provocateurs allant même jusqu’à nous annoncer « la fin de l’Histoire » pour reprendre le titre du célèbre ouvrage du politologue américain Francis Fukuyama. Alors que les décombres de l’empire soviétique étaient encore fumantes, un mécanisme de dérèglement général s’est donc enclenché qui se poursuit encore sans que l’on sache jusqu’où ce réajustement du monde va aller.
 
La tragédie yougoslave a été analysée, à juste titre, comme le terrible suicide d’une nation. On y a vu aussi la conséquence directe, mais isolée, de la disparition du dogme communiste et de la résurgence des passions nationalistes. Mais ce drame a rarement été analysé comme étant la confirmation que, contrairement à une conviction largement répandue, les Etats et leurs frontières sont tout sauf inamovibles. On ne le dira jamais assez, des pays peuvent mourir, disparaître et, pourquoi pas renaître. La République fédérative socialiste de Yougoslavie a été démantelée en 1992 et a définitivement disparu en 2003 après la séparation entre la Serbie et le Monténégro. A la même époque, la Tchécoslovaquie s’est scindée en deux entre République tchèque et Slovaquie. De même, à quelques dizaines de milliers de kilomètres de l’Europe, la Somalie, longtemps dirigée par un régime dictatorial « marxiste » plongeait dans un chaos total qui perdure encore et qui fait que ce pays de la corne de l’Afrique est divisé aujourd’hui en une demi-douzaine d’Etats autoproclamés dont le plus connu est le Somaliland.
 
De fait, c’est le précédent somalien, même s’il n’a pas (encore) été officiellement acté par la communauté international (qui refuse de reconnaître la partition de fait de ce pays), qui s’est révélé être l’annonciateur de la remise en cause à venir du principe de l’intangibilité des frontières africaines héritées du colonialisme. Le Soudan, ex-plus grand pays d’Afrique, a connu la partition (laquelle ne semble avoir rien réglé puisque le jeune Sud-Soudan est plongé dans une effroyable guerre civile génocidaire). Et la perspective d’une division voire d’un démembrement d’autres pays du continent alimente de nombreux scénarios que l’organisation de l’Union africaine (ex-organisation de l’unité africaine ou OUA) prend très au sérieux. C’est le cas de la République démocratique du Congo (RD Congo) dont le territoire est occupé par ses voisins et dont de nombreuses provinces continuent de rêver de sécession. Une sécession qui guette aussi le Nigeria, un géant aux pieds d’argile où l’Etat fédéral a du mal à imposer son autorité notamment dans les provinces du nord où les crimes de la secte Boko Haram ne sont qu’une manifestation de la déliquescence du pouvoir central. On peut aussi évoquer la Libye où la chute du régime de feu Mouammar Kadhafi a finalement ouvert la voie à toutes les possibilités comme en témoigne la volonté de nombre d’habitants de la Cyrénaïque d’obtenir une large autonomie de leur région ou même son indépendance.
 
C’est évident. Une recomposition globale est en cours. Elle touche aussi l’Europe où les velléités indépendantistes s’exacerbent en Ecosse, en Catalogne ou même au Pays basque quand, dans le même temps, rien ne permet d’affirmer qu’un pays comme la Belgique est assuré d’échapper à la division définitive entre Flamands et Wallons. Que dire aussi de l’Italie du nord ou de la Corse et même de certains Länders allemands ? L’idée que ces forces centrifuges ne sont destinées à ne durer que le temps d’une transition entre l’ordre ancien, celui qui prévalait durant la Guerre froide, et celui du triomphe définitif de la démocratie dans le monde, s’avère aujourd’hui totalement dépassée. La chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS ont plongé le monde dans l’incertain durable. Dans la remise en cause de ce qui paraissait acquis au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale. En clair, rien n’assure que les frontières d’aujourd’hui seront celles de demain.
 
Et cela vaut bien sûr pour le Proche-Orient où la Syrie, l’Irak et la Jordanie sont dans l’œil du cyclone. En Syrie, c’est la guerre civile qui, de fait, a divisé le pays en plusieurs zones où l’Etat central n’a plus aucun pouvoir. En Irak, c’est l’émergence de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui menace directement le pouvoir de Bagdad et qui pourrait constituer le catalyseur d’une partition dont rêvaient déjà les néoconservateurs américains à l’origine de l’invasion de 2003. Un pays sunnite à cheval entre l’Irak occidental et la Syrie, un pays chiite et un Kurdistan définitivement indépendant sont peut-être en train de naître dans le fracas des obus et des nettoyages ethnico-religieux. Certains pointeront du doigt le Printemps arabe, affirmant que ce qui se passe en Irak est la conséquence directe des révoltes et bouleversements de 2011. Ce n’est vrai qu’en partie. Cette nouvelle géographie politique qui se dessine peu à peu – et qui attend certainement d’autres crises majeures pour évoluer – a des racines bien plus anciennes. Près d’un siècle après leur conclusion en 1916, les accords Sykes-Picot de partage des dépouilles de l’empire ottoman et leurs conséquences concrètes sont en train de s’effacer. Cela concerne aussi la Jordanie, pays fragile et vulnérable que d’aucuns en Occident verraient bien un jour se transformer en Palestine de rechange. Cela concerne enfin Israël dont les dirigeants semblent persuadés que cette tempête qui lève ne les concerne pas. A moins qu’ils n’espèrent qu’elle leur permettra d’effacer tout héritage du partage de 1948.
 
Ce monde d’incertitudes peut donner des arguments aux partisans d’un pouvoir fort en Algérie avec, comme devise (à l’égyptienne), « au diable la démocratie, vive la stabilité ». Ce serait un très mauvais calcul car, on ne le répétera jamais assez, le meilleur vaccin contre le morcellement progressif – ou insidieux - d’un pays est justement la démocratie et le respect du droit aux droits.
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jeudi 19 juin 2014

(archive) La chronique du blédard : Connaissez-vous Henri Nanot ?

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 22 mai 2008
Akram Belkaïd, Paris
 
En France, il n'est pas besoin de longues démonstrations pour affirmer que beaucoup de choses restent à dire et à écrire à propos de la Guerre d'Algérie. Pourtant, au cours de ces dernières années, la parole s'est un peu plus libérée, pour le bien comme pour le pire. Des témoignages remontent à la surface et des récits amènent leurs lots de révélations ou de confirmations. Par exemple, plus personne n'ose contester l'emploi massif de la torture par l'armée française pour casser le mouvement nationaliste. Cela étant, des personnages répugnants comme le général Aussares ont beau occuper le devant de la scène, ils ne disent ou n'avouent rien de ce que les Algériens savaient déjà. Mais il arrive parfois, au détour d'une rencontre, que l'on découvre une nouvelle page, fut-elle anecdotique, de cette histoire franco-algérienne et cela grâce au travail d'un artiste. Il y a quelques jours, je me suis ainsi retrouvé dans un théâtre du vingtième arrondissement de Paris où était donnée une représentation d'une pièce intitulée « La nuit des feux » (*). Rassurez-vous, n'étant pas critique de métier et n'ayant pas vocation à le devenir, je ne vais pas vous infliger l'une de ces notes fastidieuses où, sous prétexte de juger une pièce, le journaliste impose sa propre grille de jugement esthétique.
 
Je me contenterai donc de vous dire que tout dans le spectacle m'a bouleversé, mise en scène comprise. Et l'essentiel que je tiens à vous faire partager est que cette pièce a pour fil conducteur le destin d'un homme qui a payé de sa vie le fait d'avoir désobéi. Il s'agit d'Henri Nanot, poète paysan limousin qui fut, à l'âge de 17 ans, membre de la résistance et du maquis de sa région. Plus tard, quand vint l'heure des guerres coloniales, l'homme fidèle à ses engagements a refusé d'aller se battre en Indochine ou en Algérie. Emprisonné pour un prétexte fallacieux, persécuté, puis interné en hôpital psychiatrique, il est mort dans des conditions mystérieuses en 1962 sans avoir jamais renié ses engagements.
 
D'Henri Nanot, voici ce que dit l'auteur de la pièce, Eugène Durif : cette histoire, est « celle d'un homme révolté par les guerres coloniales, parti en rébellion contre la guerre d'Algérie comme il avait pu entrer en résistance dans les années 40. Un homme à rebours de son époque, et à travers cette fiction, je me suis posé la question : qu'est-ce que l'esprit de résistance quand celui qui s'oppose à la loi est considéré comme un marginal (voire un 'terroriste') ? Qu'est-ce qui sépare la Résistance de la Révolte ? ». Vastes questions qui nous interpellent aujourd'hui encore et sous nombre de latitudes...

Ce qui est saisissant dans la personne d'Henri Nanot, c'est que son existence rappelait à certains vivants leurs lâchetés passées. Ne s'était-il pas engagé dans la résistance alors que des foules entières, classe politique et gauche comprises, faisaient allégeance au Maréchal ? Il est vrai que ceux qui ont souillé leur propre honneur ne pardonnent jamais à ceux qui représentent leur mauvaise conscience. Et contrairement à d'autres résistants qui se fourvoyèrent par la suite dans la guerre sale contre les nationalistes algériens, le paysan-poète a su rester dans la voie de rectitude. A-t-on jamais parlé d'Henri Nanot en Algérie ? Et d'ailleurs, combien ont-ils été comme lui qui, aux noms de leurs convictions et de leurs idéaux, ont refusé d'aller se battre de l'autre côté de la Méditerranée ? En Algérie, nous savons qu'il y a eu des déserteurs de l'armée française qui ont rejoint le FLN. Nous savons qu'il y a eu des réseaux de soutien en France, les fameux « porteurs de valises » mais combien d'entre nous savent que des hommes et des femmes se sont allongés sur les voies ferrées pour empêcher les trains transportant les conscrits de partir ? Que savons-nous de ceux qui, sans aucun engagement politique, refusaient tout simplement d'aller à la guerre ? Car elle avait beau ne pas être officiellement nommée ainsi, tout le monde en France savait qu'il s'agissait d'une guerre et qu'elle était particulièrement sanglante.

> Voir cette pièce, découvrir ce que fut l'engagement d'Henri Nanot m'a procuré aussi un apaisement. Depuis plusieurs années, et les attentats du 11 septembre 2001 ont aggravé le phénomène, on sent bien qu'il y a une volonté manifeste de réécrire l'histoire, la tentation étant grande de réexaminer la Guerre d'Algérie à l'aune des drames actuels. Il y a quelques semaines, j'ai regardé un téléfilm consacré à la vie du général De Gaulle. Ce fut un excellent moment car la qualité était vraiment au rendez-vous. Seule ombre au tableau, la scène qui illustrait le 1er Novembre 1954 était celle de l'attaque du bus où se trouvait le couple Monnerot, premières victimes civiles européennes du FLN. On sait que la mort de l'instituteur Guy Monnerot a longtemps été utilisée, elle l'est encore, pour disqualifier le FLN. Mais ce n'est pas cela qui me pose problème car je ne vois pas pourquoi il faudrait éluder cet épisode. En vérité, le vrai souci réside dans la manière dont ont été représentés dans le film les maquisards algériens : tous, et surtout leur chef, avaient une tête contemporaine de talibans !
 
D'ailleurs, soyez attentifs aux films récents qui parlent de la Guerre d'Algérie. Le plus souvent tournés au Maroc-avec des figurants qui parlent le marocain ce qui n'est pas toujours d'un bon effet pour la crédibilité du récit -, tous ou presque ont tendance à donner le look Al-Qaeda aux moudjahidine algériens. Et je ne sais vraiment pas s'il s'agit d'une simple bêtise ou de quelque chose de bien plus pernicieux. Ce que je sais par contre, c'est qu'il y a un « air du temps » qui veut faire entrer dans la tête des gens que, finalement, les Algériens ne voulaient pas l'indépendance et que le FLN la leur a imposée par la terreur. D'autres vont encore plus loin puisqu'ils cherchent à prouver que les nationalistes algériens n'ont été qu'une version nord-africaine du fascisme voire du nazisme. Mais désormais, quand séviront ces délires révisionnistes, j'aurai un autre moyen d'y échapper. Il me suffira de relire « les feux de la nuit » en pensant à la poésie d'un poète limousin nommé Henri Nanot.
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mercredi 18 juin 2014

Coupe du monde, la malédiction du champion

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- 2002 : La France, championne du monde en 1998 ne passe pas le 1er tour
- 2006 : Le Brésil, champion du monde en 2002 passe le 1er tour
- 2010 : L'Italie, championne du monde en 2006 ne passe pas le 1er tour
- 2014 : L'Espagne, championne du monde en 2010 ne passe par le 1er tour
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mardi 17 juin 2014

Belgique 2 Algérie 1 : Une tactique pitoyable

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Quand une équipe joue contre nature et qu’elle gagne, les observateurs critiques ne peuvent que se taire même s’ils n’en pensent pas moins. Par contre, quand une équipe renie sa philosophie offensive, qu’elle entre sur le terrain avec un double verrou défensif et, qu’au final, elle perd, alors elle mérite amplement la volée de bois vert qui ne manquera pas de s’abattre sur elle. C’est ce qui s’est passé pour l’Algérie face à la Belgique. Qu’avons-nous vu durant quatre-vingt dix minutes ? Une équipe ultra-défensive, incapable de jouer le moindre contre de manière correcte et qui doit remercier à la fois la providence pour le penalty obtenu (et transformé) en début de partie mais aussi son excellent gardien M’bolhi qui a longtemps retardé ce que l’on pressentait à savoir une égalisation belge puis un autre but des « diables rouges ». Quitte à perdre, l’Algérie aurait pu au moins jouer « à l’algérienne », en essayant de construire ou, du moins, en s’appliquant lors des rares phases offensives dont elle a disposé. Pitoyable spectacle que celui d’une équipe rentrée sur le terrain uniquement pour défendre et qui, la plupart du temps, a été incapable d’aligner plus de trois bonnes passes successives. Il y a une règle que le « coach » Halilhodzic devrait pourtant connaître. On ne joue le catenacio (verrou défensif) que lorsqu’on a la capacité à tenir un résultat…
Un match à oublier, et vite…
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samedi 14 juin 2014

La chronique du blédard : Comment peut-on (encore) aimer le football ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 juin 2014
Akram Belkaïd

Comment peut-on aimer le football ? C’est un sport injuste. Un sport où la meilleure équipe, la plus belle à regarder jouer, la plus offensive, la plus généreuse, n’est presque jamais assurée de l’emporter pendant la Coupe du monde ou d’autres compétitions majeures. La Hongrie en 1954, le Brésil en 1982 et 1986, la France, aussi, en 1982 et en 2006 sans oublier les Pays-Bas en 1974 et 1978 en sont les meilleurs exemples. Injuste oui, et souvent irrationnel, sans aucune logique apparente si ce n’est celle du « réalisme » et du jeu dur. Mais c’est cela qu’on aime… C’est cela, aussi, qui rend ce sport attachant. Jamais aucun écrivain, jamais aucun compositeur, jamais aucun artiste ne pourra générer une émotion collective comparable à celle qui s’est dégagée de Séville en juin 1982 à la fin du match France - Allemagne. Ce soir-là, ce fut la défaite du monde entier, Algériens compris, contre les Allemands. Une défaite planétaire comme celle, la même année, du Brésil contre l’Italie. Injuste, oui, mais c’est un peu cela que l’on recherche. Une injustice initiatique qui fait écho à celle du monde, à celle de la vraie vie. De Bill Shankly, le mythique entraîneur de Liverpool on cite souvent cette déclaration : « Le football, ce n’est quand même pas une question de vie ou de mort : c’est bien plus grave que ça ! ». Des propos excessifs où pointe, peut-être, une certaine forme d’autodérision. En réalité, le football est à la fois une autre vie et la vie.

Comment peut-on aimer le football ? C’est un sport immoral où le méchant s’en sort presque toujours indemne. Le casseur de cheville de Maradona, de Pelé ou de Belloumi. Celui qui tire le maillot, qui griffe par derrière, qui murmure les pires insultes à l’oreille de son adversaire direct. Un sport où l’arbitre n’a pas vu ce que des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs ont vu. Un hors-jeu, une main dans la surface de réparation, un pénalty flagrant… Pas vu… Parce ce que c’était vraiment le cas, parce qu’il était fatigué, parce qu’il regardait ailleurs, parce qu’on lui a demandé de faire semblant de ne rien voir, parce qu’on lui a donné des consignes pour que l’équipe jouant avec tel équipementier l’emporte contre celle liée à tel autre concurrent, parce que, politiquement, il ne fallait pas que l’URSS l’emporte contre la Belgique en 1986, parce que des valises de billets ont été déposées sous le lit de sa chambre d’hôtel… Immoral oui, ce sport. Certainement truqué, arrangé, manipulé, mais, naïfs et masochistes que nous sommes, nous continuons à y croire. Une Argentine qui l’emporte sur le Pérou par six buts à zéro en 1978 – ce score hautement improbable étant la condition pour sa qualification – et l’affaire, des plus douteuses, passe comme une lettre à la poste (on a appris, plus de trente ans plus tard qu’un « deal » avait été conclu entre la soldatesque de Buenos Aires et le pouvoir de Lima avec, entre autres clauses, l’assassinat d’opposants péruviens). Immoral, oui, comme en 1982 avec ce non-match entre la RFA (encore elle…) et l’Autriche qui s’est terminé par une qualification commune aux dépends de l’Algérie. Ni sanctions, ni blâmes.

Comment peut-on aimer le football ? C’est un sport entre les mains d’une grande mafia, la plus puissante sur terre. Elle n’a pas besoin de tuer ou de faire disparaître ses adversaires. Elle se contente d’acheter tout le monde. Les télévisions, la presse écrite, les gouvernements obligés de concocter des lois pour lui complaire. Des millions de dollars ici, des millions de dollars là, les consciences cèdent face aux ventripotents adipeux de Zurich qui osent parler de valeurs et de respect. Comment peut-on aimer le même sport qu’eux ? Car, elles aussi, les fripouilles dirigeantes, nationales, continentales, mondiales, aiment le foot. L’explication est simple, en regardant un match, en écoutant ou en lisant les commentaires d’avant et après, on oublie souvent ce qu’il y a autour comme purin et eaux fangeuses. On arrive même à se convaincre que ce sport nous appartient bien plus qu’à ses instances internationales, comme on les appelle souvent pour bien faire comprendre qu’elles ont rang de grande organisation multilatérale. On aime le foot comme on aime un pays entre les mains d’une dictature. On se dit qu’un jour ou l’autre viendra l’heure de la libération, du grand lessivage. En attendant, on ronge son frein, on compose, on se tait, on louvoie.

Comment peut-on (encore) aimer le football ? C’est un sport où la majorité des rencontres sont devenues emmerdantes, des rencontres où la victoire vient de l’erreur de l’autre, où l’on cherche avant tout à défendre, à « être bien en place » et à profiter des quelques coups-francs ou corners pour marquer. Triste spectacle, oui. Mais on attend. On espère. On se dit qu’un coup de folie peut certainement advenir. Une feinte, un drible, une hadda, un nouveau geste comme le coup du crapaud du mexicain Cuauhtémoc Blanco ou encore un but d’anthologie. Alors on attend. On repense aux grands matchs, on rêvasse. Si on est chez soi, on grignote, on lit, on discute, on se dispute entre partisans du Barça et ceux du Real, entre ceux du Mouloudia d’Alger et ceux de l’USMA mais toujours en gardant un œil sur l’écran. Si l’on est au stade, on regarde autour de soi, on lève la tête pour voir passer un avion au loin. On se dit que le temps est suspendu. On attend. On espère. C’est cela aussi le football. Une attente, une espérance. Un temps qui passe.
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vendredi 13 juin 2014

Pédagogie

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"Si je veux espérer leur pleine présence mentale, il me faut les aider à s'installer dans mon cours. Les moyens d'y arriver ? Cela s'apprend, surtout sur le terrain, à la longue. Une seule certitude, la présence de mes élèves dépend étroitement de la mienne : de ma présence à la classe entière et à chaque individu en particulier, de ma présence à ma matière aussi, de ma présence physique, intellectuelle et mentale, pendant les cinquante-cinq minutes que durera mon cours."

Daniel Pennac, in Chagrin d'école, Gallimard.

jeudi 12 juin 2014

La chronique économique : De l’impact économique d’une Coupe du monde de football

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 11 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Organiser une Coupe du monde de football est-il rentable sur le plan économique ? Pour la majorité des experts, la réponse à cette question, que l’on peut d’ailleurs aussi poser à propos des Jeux olympiques d’été ou d’hiver, est négative. Non, contrairement à ce que l’on pourrait penser, accueillir le Mondial du ballon rond ne signifie pas forcément que la croissance sera dopée. A ce sujet, le cas du Brésil, qui va accueillir la compétition à partir de ce 12 juin, est des plus édifiants. Certes, le gouvernement brésilien estime que les revenus générés seront de l’ordre de 3 milliards d’euros grâce aux 600.000 touristes étrangers qui vont s’y déplacer et au fait que 3,3 millions de Brésiliens bénéficieront directement (toujours sur le plan économique) des retombées financières de la compétition.

SURCOUT ET « SYNDROME DE MONTREAL »

Mais il ne faut pas oublier que le coût estimé de la Coupe du monde est de 9 milliards d’euros, un montant impressionnant qui, de plus, risque fort d’être révisé à la hausse. A cela s’ajoute le fait que l’économie brésilienne risque de pâtir de la contestation sociale alimentée par la colère de nombreux Brésiliens contre les dépenses consenties pour les stades quand, dans le même temps, nombre d’entre eux n’ont pas de travail ou peinent à s’alimenter, se loger ou éduquer leurs enfants. Dans quelques mois, voire dans un an ou plus, on finira par avoir une estimation plus précise de ce qu’aura coûté le Mondial 2014, mais la compétition sera alors terminée depuis longtemps et cela n’empêchera pas d’autres pays à se porter candidats pour les épreuves à venir.

En termes de hausse du produit intérieur brut (PIB), Brasilia estime aussi que la Coupe du monde aura un impact positif sur la croissance de 0,4% par an jusqu’en 2019. Au regard des dépenses consenties, c’est peu. Bien sûr, une victoire de la « Seleçao brasileira » aura certainement un impact sur les dépenses de consommation au cours des premiers mois qui suivront la finale du 13 juillet. Mais, comme l’a prouvé l’exemple de la France en 1998 ou même celui de l’Italie en 2006, ce coup de pouce bienvenu ne dure jamais longtemps. On pourrait aussi citer l’Espagne qui, bien que victorieuse en 2010, n’a guère connu d’effet « mundial », cela d’autant que le pays était confronté à une grave crise économique et financière.

Par ailleurs, on a aussi du mal à quantifier la contribution future des infrastructures bâties pour l’occasion. Mis en services pour quelques semaines, de nombreux stades risquent d’être peu utilisés par la suite, devenant ainsi une charge pour les finances publiques. C’est ce que l’on pourrait appeler le « syndrome de Montréal », en référence aux Jeux olympiques d’été de 1976 dont l’une des conséquences a été que les habitants de la ville du Québec ont payé pendant trente ans (1976-2006) la construction d’un stade qui ne sert plus à grand-chose aujourd’hui…

GAIN POLITIQUE ET PRESTIGE

Pourquoi le Brésil a-t-il donc organisé la Coupe du monde, sachant que les retombées économiques sont si aléatoires ? La réponse coule de source. C’est la recherche de gains politiques et géopolitiques qui prime. Une victoire en Coupe du monde fait taire (durant un temps) les divisions internes, ressoude un pays et permet de faire diffuser un peu de bonheur (même s’il est artificiel) dans la société, ce qui est toujours bon pour soutenir la consommation. De même, et bien qu’on ne le dise jamais ainsi, un pays qui organise la Coupe du monde de football fait son entrée dans un club très fermé, presque aussi prestigieux que celui des vainqueurs du trophée. En réussissant « son » Mondial de foot, l’Afrique du Sud a ainsi gagné de précieux galons et montré à la face du monde que c’était un pays « capable de... ». Et pour convaincre un investisseur étranger, cela fait partie des arguments qui comptent… Au Brésil maintenant de convaincre qu’il est bien l’une des grandes puissances du XXIème siècle.
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Rappel sur l'Irak

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"Dès ses débuts, le nationalisme arabe en Irak a principalement servi à légitimer la domination confessionnelle des sunnites sur les chiites et celle, ethnique, des Arabes sur les Kurdes, bien plus qu'à réaliser une mythique union des Arabes (...) Ni les partis nationalistes arabes ni l'armée n'ont jamais vraiment œuvré en Irak pour l'unité arabe."

Pierre-Jean Luizard, in La question irakienne, Fayard, 2002
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mercredi 11 juin 2014

Lula et l'éthique d'un ex-président

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L'Equipe : Pour la finale, vous serez à la maison avec une bière ou bien au Maracaña ?
Luis Inacio LULA DA SILVA : Non, je vais rester à la maison et ce, pour deux raisons. D'abord, parce que je n'ai pas fait les démarches pour acheter un billet et que je ne compte pas me battre sur Internet pour en avoir. Ensuite, parce que je n'ai pas l'habitude d'accepter des invitations pour aller voir des pièces de théâtre ou des spectacles gratuitement... Je n'aime pas ça et je n'ai jamais accepté d'aller en tribune d'honneur... Donc je préfère rester à la maison: c'est là que je serai le plus à l'aise, dans mon bermuda. Et si je veux prendre une bière de plus ou de moins, personne ne me dira rien. Et si le Brésil perd et que j'ai la larme à l'œil, personne ne me verra... Je vais faire comme ça. Mais je compte bien réunir un groupe d'amis pour voir ce match.

propos recueillis par Raimundo Souza Vieira de Oliveira dit Raï, in L'Equipe, 10 juin 2014
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samedi 7 juin 2014

La chronique du blédard : Onfray et les gentils musulmans

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Quelques heures après l’annonce de l’arrestation d’un suspect dans l’affaire de la tuerie du musée juif de Bruxelles, voici ce que Michel Onfray a twitté à l’adresse des musulmans, vraisemblablement ceux qui habitent en Europe et plus particulièrement en France et en Belgique. « Mehdi Nemmouche le tueur antisémite de Bruxelles : à quand la grande manifestation de musulmans pour se désolidariser de cet islam-là ? ». On s’en doute, ce message a beaucoup été commenté sur les réseaux sociaux, le plus souvent de manière critique pour ne pas dire virulente. Venant d’un « philosophe » ouvertement islamophobe, ce gazouillis ne pouvait qu’être mal perçu et ajouté à la longue liste des déclarations plus ou moins tendancieuses visant à établir une culpabilité collective en ce qui concerne ces assassinats.
 
Commençons par insister sur ce point qui pose vraiment problème. Quelle est donc cette habitude qui consiste à désigner des millions de gens venus d’horizons divers, et appartenant à de multiples milieux sociaux, sous le terme générique de musulmans, comme s’ils constituaient une unité à la fois religieuse mais aussi culturelle et politique ? C’est d’ailleurs un étrange paradoxe. De manière régulière quand, ici et là, naissent des revendications pour la construction d’une mosquée ou pour la dénonciation de discriminations, notamment à l’embauche, le message des faiseurs d’opinion – dont Michel Onfray est l’un des parfaits représentants même si sa charge contre Freud et ses disciples lui a donné l’aura d’un rebelle -, le message donc est toujours le même : non au communautarisme. Et pourtant, quand un drame intervient et que des criminels tuent au nom de l’islam, c’est toute une communauté qui est inventée et - c’est le plus important - qui est sommée de prendre position. Ce faisant, les imprécateurs feignent d’ignorer que la communauté musulmane en France – ou ailleurs en Europe – ça n’existe pas.
 
Il y a bien sûr des représentants du culte, dont nombre d’entre-eux ont été soit désignés soit cooptés par les autorités selon un vieux schéma colonial qui veut que « ces gens-là » ont toujours besoin de quelques personnalités pour parler en leur nom ou, dans le sens inverse, pour leur faire passer les messages et ordres officiels. On peut effectivement attendre de ces personnes qu’elles fassent connaître leur indignation - ce qu’elles font mais c’est rarement relayé. Mais de là à exiger que tous les musulmans réagissent… Comment le feraient-ils, eux qui ne reconnaissent (n’acceptent) aucun clergé, aucune instance suprême ? En réalité, les « musulmans » européens sont aussi multiples et divers que le reste des sociétés dans lesquels ils vivent. Certes, il y a souvent une perception commune quant à une stigmatisation récurrente - on pense notamment aux dossiers spéciaux publiés par plusieurs hebdomadaires – mais cela ne signifie pas qu’il y ait unicité de mouvement, d’organisation ou de pensée.
 
Plus important encore, ces musulmans ne veulent pas être ainsi définis. Pour la plupart, ils sont citoyens ou résidents étrangers légaux. Leur manière de dire non à la violence et de se désolidariser de l’extrémisme est la même que pour n’importe quel autre être humain. C’est dans leur vie au quotidien, par leur respect des lois, par la manière avec laquelle ils éduquent leurs enfants, par celle avec laquelle ils se projettent dans l’avenir, qu’ils disent justement non à l’intégrisme et au communautarisme. Appeler à une « grande manifestation de musulmans » comme le fait Onfray, c’est insister sur leur prétendue altérité, c’est continuer à en faire des êtres à part en laissant entendre que leurs valeurs, leur manière de voir le monde, de différencier le bien du mal seraient différentes du reste de l’humanité (pour ne pas écrire différente de l’Occiden)t. Faut-il le rappeler, la violence, les peuples musulmans ne la connaissent que trop. En Irak, en Syrie, dans le Sahel ou en Libye, hier en Algérie, elle s’exerce tous les jours et ses principales victimes sont essentiellement musulmanes. C’est un lourd fardeau qui accable n’importe quelle personne douée d’un minimum de raison. C’est une peine à vivre qui déchire les poitrines et fait vivre dans l’angoisse. Qui parle de cela ?
 
Il se trouve aussi que de nombreux musulmans sont dans la contestation et que cette dernière ne plait pas toujours. En Europe, ils dénoncent les discriminations sociales et politiques dont ils font l’objet. Sans même être pratiquants, nombre d’entre eux regardent avec méfiance les contorsions législatives pour interdire ici ou là le voile (ou la viande hallal) et ils ont fini par être convaincus que les grands discours au nom de la laïcité n’étaient en réalité qu’une manière de pointer un index accusateur contre eux. De même, sont-ils majoritairement convaincus de la nécessité, pour le peuple palestinien, d’obtenir ses droits et d’être rétabli dans sa dignité. Cela ne plaît pas à Onfray et à d’autres. Cela agace. Cela inquiète. Et la meilleure manière de discréditer ces revendications et de pratiquer l’amalgame, c’est de recourir à l’injonction de désolidarisation comme si cette dernière ne se réalisait pas en permanence au quotidien. Ainsi, les « musulmans » d’Europe seraient tous des Merrah ou des Nemmouche en puissance ou, du moins, leurs complices. La preuve, ils ne manifesteraient pas contre leurs agissements. La ficelle est grosse mais elle est efficace.
 
Du coup, et de manière fort opportune, naissent des vocations de « gentils musulmans » ou de « gentils arabes ». Des béni-oui-oui qui diront tout ce qu’Onfray veut entendre et qui se garderont bien de ruer dans les brancards. Au lieu de ramener le débat sur les questions sociales, politiques et géopolitiques, ils préfèreront expliquer que l’islam est aussi sexe et plaisir. Au lieu de parler de la Palestine, ils préféreront insister sur l’antisémitisme de leurs coreligionnaires. Et, peut-être même, finiront-ils un jour par organiser une manifestation de « gentils musulmans »…

vendredi 6 juin 2014

Pour So Foot, l'équipe d'Algérie a le niveau d'une bonne équipe de L1

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Dans un supplément intitulé "Le très beau guide du mondial 2014", le mensuel français So Foot passe en revue les 32 équipes qualifiées pour la Coupe du monde de football qui va bientôt débuter au Brésil. Pour chacune d'elles, le magazine décline au moins 4 rubriques :

a- Le tableau noir qui est une analyse rapide du principal schéma technique
b- Pourquoi le pays x est le pays du football
c- Le maillon faible
d- Le coefficient de brasilianité

Voici donc ce que So Foot écrit à propos de l'équipe algérienne :

a- Tableau noir :

"Coach Vahid est un pragmatique. Le Bosnien va donc faire ce qu'il fait de mieux: demander à son équipe de défendre et de répondre à l'impact. D'où ce 4-3-3 des familles et cette charnière Medjani-Bougherra placée derrière une sentinelle priée de ne pas s'aventurer trop loin de sa surface, Mostefa. Un trio censé couvrir les agissements des latéraux Ghoulam et Khoualed, et de Lacen et Taïder à l'animation. Devant, le trio de chic: le grand Slimani, coincé entre les remuants Soudani à gauche et le Valencian Feghouli, la star des Fennecs. Bref, un bon bloc qui peut se révéler mobile et créatif. 'Algérrrrie difficile à bouger. Algérrrrie veut déjouer prrrronostics!' (Signé Vahid)."

b- Pourquoi l'Algérie est le pays du football :

"Le football algérien n'est pas un projet, il est une identité: excessif, passionné, individuel et collectif à la fois, sans que l'on sache vraiment si ce sont les individualités fortes qui portent l'équipe ou la cause collective qui transcende ses joueurs. Où il n'est pas question de schéma, de coach, de discours. Interroger le football algérien, c'est interroger la nature même du football."

c- Le maillon faible :

"Il a envoyé les Fennecs au Brésil avec un but de raccroc en barrages contre le Burkina Faso. Il aurait pu aussi faire couler les siens quelques minutes plus tôt avec un tacle d'une violence inouïe sur Charles Kabore. Tout est dit: captain courage un peu bourrin, binational formé en France, passé par l'Angleterre moyenne (Sheffield Wednesday, Charlton) et les Rangers, Madjid Bougherra porte en lui tous les maux du football algérien: déraciné, volontaire, prêt à combattre mais limité... Joueur symbole, il marquera de la tête sur un coup de pied arrêté. Puis il coûtera un penalty et prendra un rouge. Et l'Algérie ne passera pas le premier tour..."

d- 30% de coefficient de brasilianité

"Une étude au carbone 14 revoie au Mundial espagnol, en 1982. On l'appelait l'âge d'or... Les Dahleb, Belloumi, Assad et Madjer avaient hissé l'algerian touch au niveau de la Seleçao et Carré magique. Brésil, France, Algérie: tel était le trio de tête des vraies nations stylistes. Même les déboulés du latéral droit Merzekane révélaient un ADN carioca ou paulista... En 2014, l'Algérie est devenue une bonne équipe de L1.
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jeudi 5 juin 2014

Michel Platini, la Coupe du monde de football et le Qatar :

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Michel Platini, la Coupe du monde de football et le Qatar :
in L'Equipe, jeudi 5 juin 2014

" Pourquoi aurais-je arrangé les intérêts du Qatar ? Donnez-moi une bonne raison. Moi, j'ai voté pour le Qatar afin de répondre positivement à des demandes anciennes du monde arabe. Le Golfe est un bel endroit pour faire la Coupe du monde et cela favorisait le développement du football. Les Etats-Unis, on y était déjà allés, la Corée aussi, le Japon aussi... C'était une nouvelle approche. Point final. C'est la seule raison. Personne ne m'a dit pour qui je devais voter. Jamais le Qatar ne m'a demandé de voter pour lui. Ni (Nicolas) Sarkozy ni personne".
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Supporters ou fauteurs de trouble ?

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Al Huffington post - Algérie    
Publication: 05/06/2014 17h10
                                             
Mercredi 4 juin au soir. Le match de football entre l'Algérie et la Roumanie qui a eu lieu en Suisse au stade de Genève vient de s'achever par une victoire algérienne (2-1). À la télévision, les envoyés spéciaux de BeinSports se dépêchent de rendre l'antenne alors que les images montrent un envahissement de terrain par les supporters des Verts et Blancs.

Des "supporters" venus pour la plupart de France, notamment de la région lyonnaise. Comment alors, ne pas repenser au tristement célèbre match France-Algérie du 6 octobre 2001? Marseillaise sifflée puis rencontre interrompue après l'envahissement de la pelouse du Stade de France.
Cela se passait quelques semaines après les attentats du 11 septembre aux États-Unis et, c'est une
certitude personnelle, cela devait peser de tout son poids quelques mois plus tard lors du premier tour de l'élection présidentielle qui vit Jean-Marie Le Pen, le leader du Front National, se qualifier pour le second tour aux dépens de Lionel Jospin.

Le 6 octobre 2001, j'étais présent au stade et j'en étais revenu ulcéré par le comportement de ces "3rayas" ces va-nu-pieds et autres "sauvageons" qui avaient causé du tort à l'image de l'Algérie.
Aujourd'hui encore, je garde en souvenir la fureur des joueurs de l'Équipe nationale (EN), les insultes de Rabah Madjer à l'égard des fauteurs de trouble, la déception et la colère rentrée de Zidane.
Ce devait être une fête symbolisant des retrouvailles. Ce fut un fiasco dont l'extrême-droite se sert
aujourd'hui encore pour diffuser son venin raciste, xénophobe et islamophobe. À l'époque, j'ai rédigé un texte plutôt virulent qui fut publié par le quotidien français Libération.

Cela m'a valu des réactions indignées de la part des inévitables défenseurs des droits des minorités
visibles, toujours prompts à faire preuve d'indulgence à l'égard de ces voyous. Mais aujourd'hui, je
réalise que le problème reste posé.

L'Algérie -déjà très mal lotie en termes d'image en raison de ses dirigeants- souffre régulièrement du comportement de ceux qui prétendent l'aimer et qui sèment le chaos à chaque fois que son équipe nationale joue.

Il n'y a aucun mal à adorer une équipe. Dans le monde du football, les "ultras" ne sont pas une rareté même si la tendance consiste actuellement à les chasser du stade pour attirer plus de spectateurs et de familles. Le problème, concernant l'Algérie, demeure dans le comportement à l'intérieur et à l'extérieur du stade.

Pourquoi ce hooliganisme? Pourquoi ces débordements systématiques? Pourquoi jeter des objets sur la pelouse et risquer l'interruption du jeu alors que l'équipe que l'on est censé supporter a besoin de terminer ce match amical? À quoi riment ces attitudes belliqueuses dans les rues (Genève, c'est une certitude, se souviendra de ce match... ), ces provocations gratuites? Cette agressivité? Cette envie d'effrayer le pauvre monsieur Dupont? Du pain béni pour l'extrême-droite et pour tous ceux qui pensent qu'un Algérien, ça se comporte toujours mal et quelles que soient les circonstances...

Du coup, l'on pense aux prochains jours et à cette inquiétude qui monte. Que se passera-t-il en France le jour où l'Algérie jouera ses matchs au Brésil? Déjà, en 2010, lors du mondial sud-africain, il y avait eu quelques dérapages -comme par exemple des drapeaux algériens plantés au fronton de mairies du sud de la France- mais ces derniers avaient été masqués par le psychodrame engendré par l'affaire Anelka et la fameuse grève de Knysna... Cette fois, l'extrême-droite entend bien profiter de la situation. Le mouvement Bloc identitaire a d'ailleurs appelé le gouvernement Valls à interdire l'usage des drapeaux algériens sur la voie publique le jour de ces matchs et exigé "des mesures préventives contre les supporters" de l'EN.

Croisons donc les doigts et espérons que la raison primera.
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Archive (2001) : Ces voyous font honte à l'Algérie

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Akram Belkaïd
Libération, 9 octobre 2001

Contexte : Cette opinion aux conclusions prémonitoires (quelques mois plus tard, Jean-Marie Le Pen arrivait au second tour de l'élection présidentielle française) a été publiée en octobre 2001 dans les pages Rebonds du quotidien Libération. Dans un contexte encore marqué par les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, cela faisait suite au désormais tristement célèbre match entre la France et l'Algérie (4-1) qui fut interrompu après l'envahissement du terrain par des "supporters" de l'équipe d'Algérie. A l'époque, ce texte m'avait valu quelques soucis parmi les représentants des associations contre le racisme et pour la promotion des minorités visibles. Treize ans plus tard, je conviens aisément de sa dureté mais le problème reste posé. Ce qui s'est passé hier au stade de Genève l'a montré : l'Algérie est souvent l'otage de personnes qui prétendent l'aimer mais qui lui font du tort.


Il est regrettable qu'aucune personnalité algérienne, ou d'origine algérienne, présente samedi soir à la tribune officielle, n'ait pris le micro pour dire aux voyous, qui envahissaient alors le gazon du Stade de France, à quel point leur attitude depuis le début de la soirée a fait honte à l'Algérie et aux Algériens. On aurait tort en effet de ne retenir de ce rendez-vous manqué que le déferlement sur la pelouse de «sauvageons» qui a conduit à l'interruption de la partie. De fait, le plus grave dans l'affaire, c'est que la Marseillaise ait été copieusement sifflée par ces jeunes, au nom de leur soi-disant attachement à leur pays d'origine, une attitude que les rares supporteurs venus d'Algérie n'ont pas adoptée, mieux, qu'ils ont déplorée.

On ne manque pas ainsi de respect à un pays, la France, et à son peuple qui, quoique l'on dise, offrent, malgré tous les extrémismes, hospitalité et tolérance. Et dans le cas du match de samedi, jamais équipe étrangère n'aura été reçue en France avec autant de chaleur, d'émotion et de gentillesse. Jouer contre les champions du monde et d'Europe est un honneur et une chance qui méritaient à eux seuls une attitude exemplaire. Bien entendu, il serait aisé de ne pas dramatiser l'incident et de l'oublier rapidement. Mais il est peut-être temps de réagir et de s'impliquer.

Durant des années, au nom de la solidarité avec des «cousins» déboussolés et surtout en vertu du politiquement correct, les intellectuels maghrébins se sont le plus souvent abstenus de dire publiquement leurs inquiétudes quant au devenir des jeunes des banlieues. Se taire n'est peut-être plus opportun. Les voitures que l'on brûle, les compartiments de trains que l'on saccage, Zinedine Zidane que l'on siffle parce qu'il assume sereinement son choix d'être français, les injures racistes que l'on profère à l'égard de Marcel Dessailly ou de Lilian Thuram au nom d'une supposée supériorité des Arabes vis-à-vis des Noirs, rien de tout cela ne peut se justifier.

Il est temps que des membres de la communauté disent à ces jeunes qu'ils sont d'abord français et qu'ils ont des devoirs même si leur pays n'est guère tendre à leur égard. Et puis, de quelle dureté parle-t-on? En observant certains d'entre eux slalomer entre les CRS et les stadiers, je n'ai pas pu m'empêcher de noter qu'ils portaient sur eux l'équivalent, en vêtements de marque, d'un mois de salaire d'un ingénieur en Algérie...

Mais cette soirée du 6 octobre devrait aussi interpeller les politiques. Que veut-on faire de cette jeunesse? A-t-on vraiment envie de l'intégrer ou faudra-t-il toujours compter sur des stadiers et des emplois- jeunes pour lui faire barrage. La question est d'importance. En 1986, c'est en assistant à un déferlement de violence dans une salle de sport algéroise, que plusieurs journalistes algériens ont entrevu les drames qui attendaient leur pays. Faudra-t-il que l'on cite un jour la soirée du 6 octobre comme ayant été elle aussi un signe avant-coureur?

Peut-être enfin, que ces jeunes ne veulent pas être français. C'est leur droit. En étant alors algériens, ils ont le choix. Rentrer dans leur pays d'origine, et comprendre ce que le mot souffrance veut vraiment dire, ou alors rester en France, et c'est aussi leur droit, mais en faisant honneur au drapeau vert, blanc et rouge qu'ils ont traîné dans la boue en ce triste samedi 6 octobre.
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Extrait : Le petit bleu de la côte ouest

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" Liétard portait une chemise rouge et un pantalon noir usagé. Il fait partie des gens qui se sont trouvés au mauvais moment dans la bouche du métro Charonne et qui en sont sortis vivants. L'année suivante, six mois après sa sortie de l'hôpital, Liétard a attaqué un sergent de ville isolé, de nuit, rue Brancion, il l'a assommé à coups de bâton et il l'a abandonné tout nu, avec deux côtes et la mâchoire cassées, menotté aux grilles des abattoirs de Vaugirard."

Jean-Patrick Manchette, in " Le petit bleu de la côte ouest. "
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mercredi 4 juin 2014

La chronique économique : Le mal algérien

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 4 juin 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Le gouvernement algérien vient donc de prendre l’irresponsable décision d’exploiter les hydrocarbures de schistes qui seraient contenus dans le sous-sol du pays. On notera au passage que l’Algérie va donc permettre à des opérateurs pétroliers étrangers de recourir à des procédés d’extraction – autrement dit la fracturation rocheuse – qui leur sont interdits dans leur propre pays. C’est le cas par exemple du groupe français Total dont le patron expliquait il y a quelques mois au quotidien Le Monde qu’il n’y a pas, pour le moment, d’autres méthodes pour récupérer ce type de pétrole ou de gaz. Or, il est prouvé que cette technique est polluante et qu’elle met en danger les réserves aquifères – pour bien le comprendre, il suffit de se reporter à l’actualité du Québec ou des Etats-Unis. Pour résumer, permettre à autrui de réaliser ce qu’il ne peut se permettre chez lui est peut-être la définition que donne le gouvernement algérien au terme de souveraineté ou à celui de patriotisme. Mais passons.
 
Une addiction
 
Quand on évoque l’économie algérienne, un fait s’impose. C’est sa totale dépendance aux hydrocarbures qui représentent entre 95 et 98% des recettes extérieures. Plus de cinquante ans après l’indépendance, ce taux dit à lui seul l’échec des politiques économiques menées depuis 1962. La diversification, qu’il s’agisse de l’industrie ou des services, reste un vœu pieu et c’est peu dire que le peuple algérien mange du pétrole et boit du gaz puisque, sans les hydrocarbures, l’Algérie serait incapable d’honorer sa facture alimentaire. En théorie cela devrait provoquer un sentiment d’angoisse et d’urgence. Il n’en est rien et le système fonctionne comme si les réserves d’or noir et de gaz étaient éternelles.
 
En termes imagés, on parle ainsi d’addiction au pétrole. Ce n’est pas exagéré. L’Algérie se conduit comme un camé au pétrole qui promet sans cesse de sortir de sa dépendance mais qui ne fait rien pour. Bien au contraire, l’accoutumance mais aussi la perspective d’un manque prochain pousse le toxicomane à se chercher d’autres substances jugées plus fortes. Dans le cas présent, il s’agit des hydrocarbures de schiste. Des ressources dont l’exploitation, catastrophique sur le plan environnemental – on ne le dira jamais assez -, va prolonger cette addiction et maintenir l’Algérie dans son mal, c’est-à-dire son incapacité à diversifier son économie et donc, à créer suffisamment d’emplois (si le pétrole offre de la richesse, il a peu d’impact direct sur le chômage).
 
Dans l’arsenal d’expressions convenues à propos de cette situation, on évoque souvent le « mal hollandais », en faisant référence aux conséquences négatives provoquées par l’exploitation des gisements pétro-gaziers de la Mer du nord sur l’économie des Pays-Bas (hausse de l’inflation, appréciation du florin, baisse des exportations hors hydrocarbures, perte de compétitivité…). Concernant l’Algérie, le parallèle n’est pas faux mais il ne suffit pas à décrire la situation. Le « mal hollandais » des années 1960 et 1970 a touché un pays qui était déjà industrialisé et qui, très vite, a pu se sortir de cette nasse.
 
Pas de fonds souverain
 
L’Algérie, contrairement aux Pays-Bas, veut aller encore plus loin dans sa dépendance à l’or noir quitte à ne pas régler ses problèmes structuraux à commencer par une corruption endémique et une incapacité à rentabiliser ses excédents financiers avant que ces derniers ne commencent à fondre. On relèvera à ce sujet que la Norvège a su minimiser son « mal hollandais » en créant un fonds souverain destiné à préparer l’après-pétrole. Une perspective qui n’est toujours pas à l’ordre du jour en Algérie ! Après le pétrole ? Le pétrole… En clair, à bien y réfléchir, le mal hollandais paraît bien moins grave que ce qu’il convient désormais d’appeler le mal algérien.
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Parution ouvrage collectif : Les pays du Conseil de coopération du Golfe

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Les pays du Conseil de coopération du Golfe
Nouvelles puissances du monde arabe ?
 
coordonné par Emma SOUBRIER
avec Hasni ABIDI, Akram BELKAID, Roger-Philippe BERTOZZI, Jean-Paul BURDY, Fatiha DEZI-HENI, Laurence LOÜER, Nabil MOULINE, Caroline PIQUET, Karim SADER et Elisabeth VANDENHEEDE
préface d'Hubert VEDRINE
 
 
En dépit d'une actualité qui les place sous les feux des projecteurs médiatiques et fait ainsi croître la nécessité d'une analyse pertinente de leurs problématiques spécifiques, les pays du Conseil de coopération du Golfe font l'objet de nombreux malentendus et incompréhensions. L'éventail des thématiques abordées dans le présent ouvrage, vaste et stimulant, reflète la richesse des sujets d'étude que propose cette région, qu'ils soient déjà en partie documentés par les universitaires et experts ou « en friche ». À la croisée des profils et des disciplines des intervenants, les présentations permettent d'éclairer, sous des angles complémentaires, certaines des questions les plus importantes qui animent tout observateur des pays du CCG.
 
ISBN : 978-2-84924-364-0
14 x 21 cm
142 pages
14,00 €