Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 31 mars 2014

Le long de l'Arve

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La chronique économique : Les œillères de la troïka européenne

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 26 mars 2014
Akram Belkaïd, Paris

C’est une information qui est presque passée inaperçue en raison de la focalisation générale à propos de la tension provoquée par la crise ukrainienne. Jeudi 13 mars, le Parlement européen a adopté à une large majorité (448 voix pour, 140 contre et 27 abstentions) un rapport critiquant avec sévérité l’action de la troïka face à la crise financière qui a affecté l’Europe en 2009 et durant les années qui ont suivi. Pour mémoire, la troïka est composée du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Union européenne (UE). Et les pays où elle a été obligée d’intervenir sont Chypre, la Grèce, l’Irlande et le Portugal.

Manque de légitimité démocratique

Que dit ce rapport ? Il insiste d’abord sur un fait qui, de manière générale, empoisonne le fonctionnement des institutions européennes mais qu’aucun gouvernement du vieux continent ne semble vouloir ou pouvoir résoudre. Il s’agit du manque de transparence dans le fonctionnement de la troïka. En effet, cette dernière ne répondait devant personne de son action et de ses décisions, dont certaines sont à ce jour très contestées à l’image des mesures d’austérité imposées à la Grèce. Dans le même ordre d’idée, le document met en exergue, en la déplorant, le manque de légitimité démocratique du trio BCE-UE-FMI. « La plupart des décisions furent prises sans contrôle parlementaire, à l’Eurogroupe, instance formelle où la voix de l’Allemagne prime » a commenté Liêm Hoang-Ngoc, député socialiste et rapporteur de la commission d’enquête mise en place par le Parlement européen pour juger du travail de la troïka (rappelons que l’Eurogroupe est la réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro). Pour résumer, la troïka a agit seule tout en étant sous influence de l’Allemagne (opposée à toute indulgence à l’égard de la Grèce) et sans rendre compte de ses décisions auprès du Parlement.

Mais c’est surtout à propos du fond que les conclusions du Parlement méritent d’être connues. En effet, le rapport reproche à la troïka sa persistance à ne vouloir imposer qu’un seul point de vue dans les remèdes qu’elle a imposé aux pays concernés. Sans tenir compte des disparités entre chacun, elle a systématiquement privilégié l’approche orthodoxe qui passe par des cures d’austérité et des diminutions drastiques de dépenses publiques. Cette thérapie de choc a eu, on le sait aujourd’hui, des conséquences sociales dramatiques en Grèce et, à ce jour, seul le Fonds monétaire international a fait son mea-culpa, reconnaissant que l’austérité n’était pas la solution unique pour faire face à la crise. A l’inverse, ni la Commission européenne ni la BCE n’ont esquissé la moindre autocritique. Rien d’étonnant à cela pour qui connaît un tant soit peu la morgue idéologique qui caractérise le personnel de ces institutions…

Un fonds monétaire européen : oui mais pour quoi faire ?

Tirant les conclusions de l’action de la troïka, le rapport suggère donc que la BCE n’en soit plus un membre actif et qu’elle se contente d’un rôle de consultant. Les parlementaires estiment aussi que l’idéal serait que l’Europe dispose demain de son propre fonds monétaire. Une option qui réduirait l’influence du FMI mais aussi de la BCE. Mais rien ne dit que cela changera les choses quant au fond. On le sait, dans toutes ces organisations, le personnel est formaté selon la pensée unique de l’orthodoxie monétaire et l’on voit mal un Fonds monétaire européen se comportant différemment de la troïka. Malgré ce qui se passe aujourd’hui encore en Grèce, nombre de fonctionnaires et d’experts internationaux continuent d’ailleurs de défendre les mesures d’austérité et de réduction des dépenses publiques. En Europe, comme dans le reste du globe, le renouvellement des idées et approches économiques n’est toujours pas à l’ordre du jour.
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dimanche 30 mars 2014

La chronique du blédard : Monologue de l’abstentionniste

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 27 mars 2014
Akram Belkaïd, Paris

J’ai toujours voté à gauche, pour le parti socialiste, même en 1983, en 1993 ou en 2002 quand j’étais très en colère contre le bilan social du gouvernement. J’ai toujours fait preuve de discipline électorale. Pas question « d’envoyer un message » comme disaient certains de mes potes en 2002 et qui se reprochent, aujourd’hui encore, de ne pas avoir voté Jospin au premier tour. A chaque fois, je tenais le même raisonnement : je suis en pétard mais je ne peux pas laisser la droite, ou l’extrême-droite, passer. Ah oui, j’ai voté une fois pour la droite, c’était pour le deuxième tour de la présidentielle. Oui, c’est vrai, j’ai donné une voix à Chirac pour faire barrage à Le Pen. Ça m’est longtemps resté en travers de la gorge…

Dimanche dernier, je ne suis pas allé voter et ce sera la même chose au deuxième tour. J’en ai assez. Trop c’est trop ! En 2012, j’ai fait confiance à un gars qui a juré qu’il allait mettre la finance à genou. Deux ans plus tard, c’est lui qui rampe à ses pieds. Il va donner des milliards d’euros aux patrons sans rien exiger d’eux, sans même leur interdire de distribuer cet argent sous forme de dividendes. C’est une gigantesque escroquerie sociale qui se prépare et je n’ai pas envie d’être complice. Cette fois, c’est moi qui envoie un message. C’est un avertissement. Et je referai la même chose aux élections européennes si Hollande ne change pas de cap. Je veux une politique de gauche, une vraie, pas cette eau tiède qu’on appelle sociale-démocrate parce qu’on a du mal à assumer le terme socialiste ou parce qu’on veut cacher qu’on penche de plus en plus vers la droite.

J’en ai rien à faire ! Le Front national, c’est eux qui l’ont créé. Qu’ils se débrouillent avec lui. J’en ai assez du chantage où on nous dit qu'il faut voter pour faire barrage au FN. Non, je ne vote pas et qu’il arrive ce qui doit arriver. L’autre là, la porte-parole du gouvernement qui veut nous faire peur et nous donner mauvaise conscience parce qu’on a n’a pas voté... Mais je l’emmerde ! Je fais ce que je veux ! C’est pas moi qui préfère obéir aux banques plutôt que d’avoir le courage de faire une politique de gauche ! C’est pas moi qui dit que je vais séparer les banques d’affaires et les banques de détail et qui ne fait rien. C’est pas moi qui nomme Moscovici ministre des finances ! Ces gens-là ne sont plus de gauche. Ils ont oublié d’où ils viennent ou alors ils ont toujours été comme ça et on ne s’en est pas rendu compte…

C’est eux qui font monter le Front national. C’est pas à cause des immigrés ou des voyous de banlieue. C’est le chômage. La peur de perdre son boulot. La peur de ne jamais pouvoir prendre sa retraite ou de ne pas avoir les moyens de vivre avec sa pension. C’est ces boîtes qui se disent françaises et qui ne paient pas d’impôts grâce à leurs filiales dans les paradis fiscaux. Des boîtes à qui on n’ose rien dire alors qu’elles détruisent de l’emploi en France. C’est normal ça, qu’on autorise une entreprise à licencier alors qu’elle gagne de l’argent ? Comment peut-on accepter ça ? Comment peut-on trahir comme ça les gens qui travaillent toute une vie et qu’on renvoie du jour au lendemain par sms avec une poignée d’euros pour essayer de les faire taire ?

Je m’en fous ! Si le FN arrive au pouvoir, ça aura le mérite de décanter la situation. C’est peut-être le seul moyen pour que la gauche soit débarrassée de ses parasites. Ils iront ailleurs, avec Bayrou et les centristes. Les choses seront plus claires. On sera peut-être minoritaires au début mais c’est peut-être comme ça qu’on pourra rebâtir une espérance. J’ai failli voter pour les Verts mais ils sont au gouvernement donc ils sont complices de ce qui se passe. Et c’est même plus grave parce qu’on a l’impression qu’ils aiment avaler les couleuvres que les socialistes leur font avaler. Moi, je ne veux plus être le dindon de la farce. Hollande s’est bien moqué de nous, tiens. « Moi, président… » Tu parles !

Oui, d’accord, il va remanier. Et alors ? Je vais vous dire ce qui va se passer. Ils vont nous pondre une nouvelle réforme de société pour nous dire : « vous voyez, on a saisi le message. On donne un coup de barre à gauche ». Sauf que cette fois, je ne me ferrai pas avoir. La vraie bagarre, elle concerne l’économie, les services publics, l’emploi. La boucherie va continuer et ils vont persister à nous dire que c’est comme ça, qu’il n’y a rien d’autre à faire et que c’est la faute à la mondialisation et à l’Europe. Non, la seule manière de punir ces gens, c’est qu’ils n’aient plus de poste. Ils ne savent rien faire d’autre que de grenouiller dans la politique. Qu’ils se retrouvent dans la vie réelle, ça ne pourra leur faire que du bien. Ça leur ouvrira les yeux sur les vraies urgences.

Non, ce n’est pas mettre un but contre son camp en décidant de ne pas aller voter. Il n’y a plus de camp, c’est ça le problème ! Hollande, c’est plus ma famille ! Qu’il aille ailleurs. Mélenchon, je ne sais pas. J’attends de voir. Peut-être. C’est un ancien du parti lui aussi. J’attends de voir jusqu’où il ira dans sa rupture avec le PS. Pas envie de lui donner ma voix pour qu’il puisse négocier sa part du gâteau avec Hollande. Non. Là, je suis en colère et j’ai pas envie de me calmer.
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mercredi 26 mars 2014

"Retours en Algérie" récompensé par le prix Adelf 2013

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"Retours en Algérie", a reçu le mardi 25 mars 2014, le Prix littéraire de l'Afrique méditerranéenne/Maghreb décerné par l'Association des Écrivains de Langue Française : A.D.E.L.F
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mardi 25 mars 2014

La chronique économique : Un monde de dette et d’austérité

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 19 mars 2014
Akram Belkaïd, Paris

C’est un chiffre qui donne le tournis et dont il est difficile d’apprécier l’ordre de grandeur. 100.000 milliards de dollars, c’est, en effet, le montant total de la dette mondiale et cela d’après les calculs de la Banque des règlements internationaux (BRI), une institution basée à Bâle en Suisse et qui sert, entre autre, d’instance de concertation entre les Banques centrales. 100.000 milliards de dollars donc : c’est bien plus que le Produit intérieur brut (PIB) mondial annuel - autrement dit toute la richesse créée en un an dans toute la planète - qui est estimé quant à lui à 75.000 milliards de dollars. Dans le détail, ce chiffre de la dette mondiale comprend les dettes d’Etats mais aussi celles des entreprises et des sociétés financières. Par contre, la BRI n’a pas inclus les dettes des ménages dans ses calculs ce qui aurait rendu le montant en question encore plus astronomique.

L’impact de la baisse des recettes fiscales

Un point important concernant cet endettement est qu’il a vraiment explosé au cours des quinze dernières années. En 2000, il n’était « que » de 40.000 milliards de dollars – et cela ne posait guère de problèmes aux institutions financières internationales - avant de passer à 70.000 milliards de dollars en 2007 et d’atteindre récemment le seuil des 100.000 milliards de dollars. Comment expliquer une telle dérive qui pèse sur le développement et la croissance (plus la dette augmente plus les intérêts à payer sont élevés ce qui prive Etats et entreprises de ressources) ? La majorité des économistes s’accordent à dire que c’est la faute à la crise, notamment celle de 2008. Pour eux, le mécanisme est simple : la crise provoque un ralentissement économique lequel engendre des baisses de recettes, fiscales pour les États, financières pour les entreprises. Résultat, il leur faut s’endetter. Une explication certes fondée mais qui ne l’est qu’en partie, du moins en ce qui concerne les États.

En effet, le point de départ de l’endettement de ces derniers n’est pas la baisse de l’activité (en 2000, la croissance mondiale tournait à plein régime) mais bien l’impact des politiques fiscales accommodantes à l’égard des entreprises et qui ont été mises en place depuis au moins trois décennie. En se privant de recettes fiscales, les Etats ont été obligés de chercher d’autres moyens de financer leurs dépenses et c’est en toute logique qu’ils se sont tournés vers la dette. Certains objecteront que ces mêmes Etats n’ont pas été capables de réduire leurs dépenses mais c’est là un argument fallacieux et idéologique dans la mesure où, pour la majorité des pays industrialisés, le ratio des dépenses publiques rapportées au Pib est stable depuis plus de vingt ans.


Encore plus d’austérité ou l’effacement ?

Une chose est sûre, ce niveau de dette est, à moyen terme, insoutenable et des crises sont plus que probables en raison du risque de faillite de certains Etats sans oublier les dégâts sociaux qu’une telle situation peut générer. Or, dans leurs recommandations, de nombreux experts continuent de préconiser des solutions qui ont montré leurs limites à l’image des politiques d’austérité que même le Fonds monétaire international (FMI) a tendance à critiquer aujourd’hui. Cela signifie que la question de l’effacement de cette dette se posera un jour ou l’autre cela d’autant que de nombreux Etats ne cessent de payer (les intérêts) pour une dette qu’ils ont déjà remboursée plusieurs fois. Il ne faut pas s’y tromper, la question de l’endettement global sera un thème majeur de ce début de siècle.
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lundi 24 mars 2014

Algérie : les promesses de Sellal...

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Lu dans El-Watan du jour, ces propos tenus par Abdelmalek Sellal, directeur de campagne du candidat Abdelaziz Bouteflika :

"Il y aura en 2014 une révision de la Constitution qui instaurera une véritable démocratie participative, où tous les Algériens auront à prendre part à la gestion du pays. Il y aura aussi un élargissement des prérogatives des élus et les droits de l'opposition seront consacrés."

En clair, autant de mesures qu'il n'a pas été possible de mettre en place entre 1999 et 2014. Pauvre Constitution qui ne cesse d'être molestée au gré des circonstances et des manoeuvres électorales. Pauvres naïfs qui vont croire à ces promesses. Et bien pauvres d'esprit ceux qui ont conçu pareil discours en pensant tromper leur monde. Questions : Sellal croit-il vraiment à ce qu'il dit ? S'amuse-t-il en son for intérieur en prononçant ce genre d'inepties ?
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samedi 22 mars 2014

La chronique du blédard : L’Algérie ou la démocratie ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 mars 2014
Akram Belkaïd, Paris

On le sait ni la bêtise, ni la veulerie ni même l’obséquiosité n’ont de limites. Chaque jour qui passe en Algérie le prouve avec la masse de domestiques et de sycophantes qui s’agitent dans tous les sens pour décrédibiliser la revendication démocratique et l’appel au changement. On a ainsi pu entendre un âne expliquer le plus sérieusement du monde à la télévision que c’est Allah qui a donné 15 ans de règne à Bouteflika et non le peuple algérien. Sans blasphémer on aurait répondre que ce n’est effectivement pas le choix du peuple mais que le Créateur aussi n’a rien à voir avec cette affaire puisque le concerné s’est servi tout seul avec l’aval de ceux que l’on appelle les (mauvais) décideurs…

Mais il y a mieux. Une journaliste « vedette » de la télévision publique algérienne, vous savez cette chaîne unique à bien des égards, a posé la question suivante en guise de conclusion à un débat entre quatre intervenants à propos de l’élection présidentielle et du quatrième mandat possible de kivoussavé : « Préférez-vous l’Algérie ou la démocratie ? » a donc interrogé la star des bas plateaux. Réponse unanime des participants, et cela n’étonnera personne : « L’Algérie, bien sûr ! ».

Attardons-nous un instant sur cette interrogation qui m’a rappelé un jeu d’adolescents qui consiste à poser des questions idiotes ou sans réponse possible. Un jeu que l’animateur français Thierry Ardisson a repris à son compte en demandant à ses invités, plus ou moins consternés ou complices, c’est selon, s’ils préféraient leur mère ou leur père, Staline ou Hitler, perdre un œil ou un bras, etc… Bref, dans l’émission de « l’unique » et, comme me l’a fait remarquer un éminent linguiste de Ténès, il aurait été encourageant d’entendre l’un des invités faire une réponse de ce genre : « Vous posez des questions vraiment étranges mais je vais vous répondre : Je préfère l’Algérie ‘et’ la démocratie. Pas l’une sans l’autre ».

Il fut un temps où la démocratie en Algérie était une perspective plus ou moins lointaine mais souhaitable ou, du moins, reconnue comme un but à atteindre. En attendant, et pour justifier un régime autoritaire pour ne pas dire dictatorial, il fallait, nous expliquait-on, bâtir des institutions pérennes, former des cadres, éduquer le peuple et équiper le pays. Cinquante ans après l’indépendance, certains dirigeants et leurs courtisans tiennent encore ce discours. Trop tôt, pas assez prêts les Algériens, immatures même... En clair, il leur faudrait reprendre cinq décennies supplémentaires de bâton, de qallouze et d’entraves au droit aux droits.

Mais il y a un autre propos qui émerge. La démocratie, c’est le chaos, nous explique-t-on. Regardez la Syrie, la Libye et même la Tunisie : est-ce cela que vous souhaitez ? nous crie-t-on dans les oreilles pour mieux discréditer le changement. Car c’est bien cela qui sous-tend la question de la nunuche de la télévision publique. Démarche habile car elle actionne le levier du patriotisme pour ne pas dire du nationalisme le plus chauvin. Cet incroyable attachement au pays, ou pour être plus précis, à l’idée que l’on s’en fait puisqu’il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, empêche trop souvent de se poser les bonnes questions et d’entendre certaines vérités.

L’une d’elle est simple à énoncer. Aucune dictature ne dure éternellement. Tôt ou tard, le système en place tombe et c’est l’absence de démocratie qui aboutit à la violence. Et, plus le temps passe et plus la facture qu’il faudra payer s’alourdit. Si Bachar al-Assad était allé au bout du « Printemps de Damas » esquissé au début des années 2000, son pays ne serait pas déchiré aujourd’hui par cette atroce guerre civile dont on se demande comment et quand elle va se terminer. Si Mouammar Kadhafi avait écouté les quelques recommandations, certes timides, d’ouverture conseillées par des personnalités comme Nelson Mandela, il n’aurait pas fini de la manière que l’on sait.

L’opposition algérienne ainsi que celles et ceux qui ne veulent pas d’un quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika doivent défendre l’idéal démocratique y compris si cela va à l’encontre de leurs réticences et appréhensions nationalistes. « L’Algérie avant tout » est un très beau slogan mais il est trop souvent exploité par les tenants de l’immobilisme. Opposons-leur l’affirmation que l’Algérie que nous fantasmons, celle que nous espérons, ne peut exister sans démocratie. Que, finalement, ce n’est pas « l’Algérie avant tout » qui doit primer mais « la démocratie avant tout ». Et c’est cette dernière affirmation qui n’est pas acceptée par tout le monde y compris dans le cas de celles et ceux qui abhorrent le régime. La raison en est simple : le souvenir de décembre 1991 et de la victoire électorale de l’ex-Front islamique du salut (FIS) est encore dans les souvenirs. C’est le gros éléphant dans cette pièce obscure que constitue la vie politique algérienne. Entre démocrates, on parle, on parle, et on finit toujours par revenir à cette question fondamentale : la démocratie d’accord, mais on fait quoi si c’est les barbus qui gagnent de nouveau ? De cela, le régime est conscient et il ne cessera d’exploiter cette ligne de fracture.
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vendredi 21 mars 2014

"Retours en Algérie" primé

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Le récit de voyage d'Akram Belkaïd (carnetsnord, 2013) vient de recevoir le Prix littéraire de l'Afrique méditerranéenne/Maghreb décerné par l'Association des Écrivains de Langue Française : A.D.E.L.F

http://adelf.info/les-prix-litteraires/prix-litteraire-afrique-mediterranee-maghreb/
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jeudi 20 mars 2014

"Ya Kho, Brizitni"

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Message d'un lecteur, 20 mars 2014

Monsieur Belkaid,

C'est avec émotion et grande tristesse que j'ai fini ce matin, dans un couloir de RER parisien, la lecture de votre ouvrage: "Retours en Algérie".
Vous me permettrez l'expression suivante: "Ya Kho, Brizitni", car aucune autre expression ne me vient à l'esprit pour évoquer ce que j'ai pu ressentir en lisant votre récit de l'Algérie.
Depuis 13 ans en France, exilé tout comme vous (à une période différente), je n'ai jamais lu un ouvrage aussi émouvant de l'Algérie !
La première page et la description de ce que vous ressentez à la vue d'Alger et sa baie me parlent ! Le récit qui la suit, trouve alors un plus profond écho en moi.
Merci encore une fois pour ce livre. J'entame ce soir: "Un regard calme sur l'Algérie"...
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lundi 17 mars 2014

La chronique du blédard : Quelques réflexions sur la crise ukrainienne

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 13 mars 2014
Akram Belkaïd, Paris

Les médias occidentaux tiennent enfin leur méchant global, celui qui empêche la planète de bien tourner. Il s’agit, bien entendu, de Vladimir Poutine, le président de la Russie. Entendons-nous bien, il n’est pas question de défendre celui qui, dans un monde normal et juste, devrait être jugé pour ce qui s’est passé en Tchétchénie dans les années 1990 cela sans compter la manière, pour le moins expéditive, dont il est s’est débarrassé de nombre de ses opposants. C’est évident, Poutine est un autocrate qui entend faire le maximum de mandats présidentiels et qui empêchera la Russie d’évoluer vers un système plus démocratique et ouvert. Mais, le problème, c’est que sa position quant à la crise ukrainienne est trop souvent analysée selon le prisme simplificateur du bien contre le mal. On aurait, d’un côté, des Ukrainiens pro-européens, démocrates et modernistes et, de l’autre, un camp réactionnaire, liberticide et même impérialiste puisque Poutine est accusé de vouloir restaurer la grande Russie des tsars voire l’Union soviétique. Or, l’affaire est bien plus compliquée que cela.

Qu’il s’agisse de la Syrie, de l’Iran, de la Géorgie et, aujourd’hui, de l’Ukraine, la position et les décisions concrètes de Poutine sont trop souvent assimilées à de l’irrationalité et à de l’imprévisibilité sur le thème du « c’est connu, les dictateurs sont tous des fous… ». Or, dans cette crise ukrainienne, la Russie a sa propre logique. Elle défend d’abord sa sphère d’influence et il est ahurissant de voir les Occidentaux s’étonner que Moscou leur dise « pas touche à mon voisinage direct ». A quoi s’attendait donc l’Union européenne (UE) en proposant un accord d’association à Kiev si ce n’est de provoquer la colère de Moscou ? Petite parenthèse, on relèvera au passage que l’enjeu n’en valait guère la chandelle. En effet, ce qui a été proposé à l’Ukraine, ce n’est pas une adhésion à l’UE. Ce n’est pas la possibilité de profiter des fonds structurels ou de bénéficier d’aides pour l’acquis communautaire. Non, ce que Bruxelles a « offert » aux Ukrainiens, c’est plus de libre-échange (car c’est à ça que servent principalement les accords d’association), des crédits à des taux à peine bonifiés et plus d’implication dans la lutte contre les flux d’immigration clandestine. Toute cette crise pour ça… Fin de la parenthèse.

Sur le plan économique, la Russie a des intérêts énormes en Ukraine, pays, il faut tout de même le rappeler, qui est considéré comme étant le berceau du monde russophone. A Moscou, qu’ils soient ou non proches du Kremlin, les grands patrons se sont inquiétés de se voir peu à peu déloger de ce qu’ils considèrent être comme une chasse gardée. Pour simplifier, c’est un peu à l’image du patronat français qui ne cesse de se plaindre auprès du président François Hollande de l’offensive générale de la Chine au Maghreb et en Afrique subsaharienne. La crise actuelle ne peut donc se résumer à une belle bataille entre la démocratie du monde libre et les forces totalitaires. Ce qui se passe en Ukraine, est une guerre économique pour le contrôle d’un pays, certes en banqueroute, mais dont le potentiel industriel et agraire intéresse au plus haut point les grandes multinationales occidentales qui aimeraient bien réduire l’influence des oligarques russes et ukrainiens.

Mais restons sur cette thématique économique et posons une question qui, a priori, va sembler hors de propos. Quel est le rapport entre la crise ukrainienne et le football européen ? Aucun, diront celles et ceux qui ne s’intéressent guère à la balle ronde et ils auront tort. Car, au moment même où chancelleries et médias occidentaux s’inquiètent et s’indignent de ce qui se passe en Crimée, les amateurs du sport-roi apprennent à chaque diffusion d’un match de la Ligue des champions que le généreux sponsor de cette compétition – la plus prestigieuse en Europe occidentale et même dans le monde – n’est autre que le géant russe Gazprom et cela depuis 2012. De même, on relèvera – chose qui a été très peu commentée – que le patronat allemand est absolument contre la moindre sanction contre la Russie ne serait-ce que parce que 31% du gaz naturel consommé en Allemagne est livré par Gazprom. Cette réticence existe aussi chez de nombreux patrons français pour qui le pays de Vladimir Poutine est un marché en croissance qu’ils ne peuvent abandonner à d’autres concurrents. Cela signifie que l’on n’est pas en présence de deux blocs hermétiques l’un à l’autre et donc susceptibles d’entrer en collision. Bien au contraire, les milieux d’affaires sont de plus en plus imbriqués. Du coup, il ne faut pas s’étonner d’entendre Gerhard Schröder critiquer avec virulence la position de la France et de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie puisque le prédécesseur d’Angela Merkel est aujourd’hui président du conseil de NordStream, société contrôlée par Gazprom…

Terminons enfin par la question de la Crimée en rappelant d’abord que cette péninsule n’a été séparée de la Russie et rattachée à l’Ukraine qu’en 1954 dans le cadre d’un redécoupage interne (et arbitraire) à l’Union soviétique. Au-delà de la légalité de l’annexion que semble vouloir imposer Moscou, on est aussi obligé d’examiner la question du sort et de la sécurité de la population russophone de Crimée ou alors cela signifierait que pour l’Occident il y a des minorités qui comptent et qu’il faut protéger et d’autres pas. De même, qui peut vraiment croire que Moscou acceptera qu’une Ukraine pro-européenne puisse contrôler d’une manière ou d’une autre la base navale de Sébastopol, lieu de mouillage de la flotte russe de la mer Noire ? Là aussi, c’est donc la réalité géopolitique qui prime.

Comment tout cela va se terminer ? Tout dépend de la manière dont la position américaine va évoluer. Obama va-t-il opter pour plus de fermeté ou pour un pas en retrait dans un contexte où les sirènes de l’isolationnisme se font de plus en plus entendre à Washington. En tous les cas, une chose est sûre : l’Europe, malgré son agitation ne pèse guère dans ce monde en recomposition. Sans diplomatie commune, sans politique unifiée de la défense, et, on ne le répétera jamais assez, sans leadership d’envergure, elle risque de sortir de ce conflit encore plus discréditée qu’elle ne l’est aujourd’hui. De cela, l’Allemagne d’Angela Merkel en a conscience et c’est vraisemblablement ce pays qui détient la clé de sortie de crise.
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dimanche 9 mars 2014

Participation à l'émission Du grain à moudre, France Culture, 4 mars 2014

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L'Algérie veut-elle sortir de sa léthargie?                                               
04.03.2014 - 18:20                         
Les Algériens n’ont plus que quelques heures à attendre pour savoir qui concourra à la présidentielle du 17 avril prochain. Ce soir, à minuit, il sera trop tard pour faire acte de candidature. Voilà bien le seul élément de suspense à propos de ce scrutin puisqu’à moins d’une monumentale surprise, le vainqueur est déjà connu. Ce sera le même qu’en 1999, le même qu’en 2004, le même qu’en 2009 : Abdelaziz Bouteflika.
Le président algérien, 77 ans, avait fait savoir le 22 février dernier qu’il était partant pour briguer un 4e mandat, comme l’y autorise la Constitution. Hier, visiblement pas encore tout à fait remis de son accident vasculaire cérébral d’avril dernier, il est venu en personne déposer sa candidature au Conseil constitutionnel. Comme le raconte le journal Le Monde, « un long cortège de voitures officielles l’avait précédé, chargées de cartons contenant, dit-on, bien davantage que les 60 000 signatures de citoyens nécessaires. »

Mohammed Hachemaoui et Akram Belkaïd JCF © Radio France
 
Face à un tel spectacle, on hésite entre la sidération et l’accablement. Dans une région gagnée depuis 3 ans par les processus révolutionnaires, l’Algérie donne l’image d’un pays figé, incapable d’évoluer, que ce soit politiquement, économiquement ou socialement. Certes, il y a bien eu une manifestation le week-end dernier à Alger, vite réprimée par les forces de l’ordre. Mais celles-ci n’ont pas eu à forcer leur talent puisque les manifestants ne se comptaient que par dizaines.
Comment expliquer que la société algérienne ne réagisse pas davantage ? Le traumatisme de la « décennie noire » et ses 200 000 morts suffit-il à expliquer ce qui s’apparente à de l’immobilisme ?
« L’Algérie va-t-elle et veut-elle sortir de sa léthargie ? »
C’est notre sujet du jour.

pour écouter l'émission : http://www.franceculture.fr/emission-du-grain-a-moudre-l-algerie-veut-elle-sortir-de-sa-lethargie-2014-03-04
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vendredi 7 mars 2014

​La chronique du blédard : Quelques variations autour du thème de la stabilité

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 6 mars 2014
Akram Belkaïd, Paris

 
1. Nouvelles définitions du terme stabilité dans les dictionnaires à paraître en 2014. Stabilité : A : élément de langage utilisé de manière intensive par des régimes autoritaires ou des dictatures en mal de légitimité et de projets dans un contexte de contestation et de colère populaires croissantes. B : excuse ou argument fallacieux mis en avant pour imposer le statu quo, pour refuser tout élan réformateur et pour dénier au peuple son droit aux droits les plus élémentaires. C : motif légal pour interdire toute manifestation sur la voie publique et restreindre la liberté d’expression. D : excuse idéale pour justifier le silence, l’inaction ou l’approbation tacite, voire honteuse, face à une situation inique. Synonymes : immobilisme, régression, chantage, manœuvre dilatoire, diversion, manipulation, fossilisation, glaciation et formol.

2. Extrait d’un poème universel dédié à la stabilité : Sur les murs des prisons, sur les lourdes chaînes d’acier, sur les grands pas de la régression, il est écrit ton nom / Dans l’isoloir inutile, dans l’urne déjà bourrée, pendant les faux-débats et les messes médiatiques stériles, sans cesse sera glissé ton nom / Dans les salons feutrés où les intrigants ourdissent, où les impuissants se taisent et où les courtisans s’affalent, il est suggéré ton nom / Dans les bureaux capitonnés, là où discourent les ombres maléfiques et où les serviles prennent note, ton nom est ordonné / Sur le tissu rêche des baillons et des camisoles, sur les piques des gourdins, sur le fer des matraques, il est écrit ton nom / Dans les images maquillées, dans les sons inventés, dans les éditos commandés, ton nom sera loué.

3. Portugal, 1968. Victime d’un accident vasculaire cérébral, le dictateur Antonio de Oliveira Salazar est forcé de passer la main (il décédera deux ans plus tard). Au nom de la « stabilité », son successeur Marcelo Caetano n’entend pas bouleverser l’architecture de l’« estado novo », la doctrine autoritariste propre au régime salazariste. Et même s’il tente de mettre en place quelques réformettes, la Pide, la sinistre police secrète, s’y oppose. Six ans plus tard, et après bien des turbulences, un coup d’Etat militaire renverse un régime qui se croyait le garant éternel des intérêts du Portugal et des Portugais, et ouvre la voie à la démocratie et à l’instauration d’un Etat de droit moderne. La Pide, qui a ouvert le feu sur le peuple est démantelée et les opposants politiques libérés. C’était le 25 avril 1974, date de la fameuse révolution des œillets dont on célèbrera donc bientôt le quarantième anniversaire.

4. Dialogue imaginaire, ou presque, quelque part sur les hauteurs d’une capitale au bord de la crise de nerfs :
- Cette fois, on va peut-être trop loin. Les choses risquent de bouger. Ça va tanguer…
- Non ! Sta-bi-li-té, complot et menaces extérieures. On répète ça en boucle. On déverse des tonnes d’images de Syrie et de Libye. Avec un peu de chance, ça va aussi dégénérer en Ukraine et ce sera du tout bénéf pour nous. Ça suffira à calmer les indécis. Pour les autres, ce sera le qalouze jusqu’à ce qu’ils comprennent.
- Mouais… Pas sûr que ça marche aussi facilement. Chouia bezef, non ?
- Sta-bi-li-té. C’est obligé que ça marche ! Ça fait des mois que ça marche. Pourquoi les choses changeraient ? Ça leur passera. Tout passe ici. Tout… Au besoin, on actionne l’autre zozo à la chemise blanche ou quelqu’un d’autre. Ils diront du mal de nous, ça tournera en boucle sur internet. Ça réveillera le nationalisme. Sta-bi-li-té, complot et menaces extérieures. T’as bien compris ?

5. Extrait, bien réel, d’un article du mensuel Afrique-Asie (numéro de mars 2014) citant le Premier ministre Abdelmalek Sellal : « Le président Bouteflika est en bonne santé. Il a toutes les capacités intellectuelles et la vision nécessaire pour assurer cette responsabilité. Nous avons des frontières avec sept pays, dont certaines sont fermées à cause des menaces qui se profilent dans notre environnement immédiat. Le président de la République a toutes les compétences nécessaires pour garantir la sécurité et la stabilité de notre pays. […] Il est une référence majeure sur les grandes questions planétaires de l’heure. » 
 
Autres extraits, toujours réels, d’un second article, assez irréel, du même magazine : « Le 17 avril prochain, les Algériens sont appelés aux urnes. Le président Bouteflika, qui a confirmé sa candidature, leur propose d'avancer dans la voie de la démocratie et du développement. Il est vrai que le pays, qui peut se targuer d'avoir retrouvé la paix et la sérénité, s'impose comme un modèle dans la région. » […] « Les Algériens sont appelés à renouveler leur confiance à cet homme qui tient solidement la barre depuis quinze ans et qui a beaucoup donné à son pays, avant et après l'indépendance, au sein du maquis et dans le gouvernement. Selon toute vraisemblance, ils ne manqueront pas de le faire par adhésion à une vision et à une politique dont ils vivent tous les jours les bienfaits ». Et rien sur la stabilité ?

6. Stabilité… La situation algérienne oblige à prendre conscience de l’ambivalence de ce terme. Stabilité positive ou stabilité négative ? Un cancre qui n’a que de mauvaises notes tout au long de l’année est dans un état de stabilité mais négative. Un patient dont la maladie invalidante n’évolue pas est lui aussi dans la même impasse. Stabilité … Pourquoi ce mot est-il paré d’autant de vertus en Algérie ? A cause de ce qui s’est passé durant les années 1990, disent les uns. A cause des dérapages provoqués par les soulèvements populaires dans le monde arabe en 2011, ajoutent les autres. Il y a sûrement des deux. Mais il est temps que cela cesse. Il ne faut plus que cette excuse de stabilité masque le fait que l’Algérie est en train de tourner en rond. Non, pire, qu’elle est en train de plonger. Vive le mouvement, vive le changement, vive l’instabilité créatrice !
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