Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 31 octobre 2020

Référendum en Algérie Une insulte, une faute et un crime

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Le référendum qui se tient ce 1er novembre en Algérie (et dans les consulats à l’étranger) pour entériner une énième révision de la Constitution est à la fois une insulte, une faute et un crime.

 

C’est une insulte à ce que représente pour toute Algérienne et pour tout Algérien, la date du 1er novembre. Il est des symboles avec lesquels on ne s’amuse pas. Celui que constitue la date du déclenchement de la guerre d’indépendance, en est un. Il n’y a qu’un seul 1er novembre et il ne doit y en avoir qu’un seul ! C’est celui de 1954. Lui accoler de force une consultation électorale mal ficelée pour essayer d’en récupérer la légitimité, c’est insulter le passé et la mémoire des martyrs. Honte à ceux qui ont imaginé ce fardage en cachant un produit moisi sous de beaux fruits.

 

C’est une faute politique parce que ce texte n’a jamais été sérieusement discuté et que sa conception fait fi de tout le contexte politique engendré par le Hirak. Depuis février 2019, une partie de la population réclame une remise en cause profonde de la nature du régime et de l’exercice du pouvoir. Cette révision de la Constitution n’est qu’un bricolage à la va-vite qu’on ose présenter comme un grand pas vers le changement. Dans un contexte de répression inadmissible contre celles et ceux qui protestent contre cette mascarade, nous savons tous que ce texte, même voté, ne changera rien à rien.

 

C’est un crime, parce que l’on n’organise pas un scrutin dans un contexte de pandémie mondiale où de nombreux pays ont de nouveau recours au confinement. Quelle est donc cette logique qui consiste à interdire les marches – et on ne saluera jamais assez la maturité du peuple qui a accepté cette suspension – mais à exhorter les gens à aller voter ? Des vies sont en jeu et la moindre des mesures intelligentes aurait été le report de ce vote.

 

L’Histoire jugera avec sévérité les responsables de cette énième manœuvre dilatoire pour empêcher l’essentiel : le changement. Le vrai.

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vendredi 30 octobre 2020

Musulmans de France : nul besoin d'une "aide" étrangère...

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Un confrère du Golfe m’appelle pour me demander ce que je pense de la situation des musulmans en France. Je sais vers où il veut m’emmener alors, je réponds d’emblée ceci. Les musulmans de France n’ont pas besoin du président turc Recep Tayyip Erdoğan pour leur dire quoi faire et encore moins pour les « protéger ». Ils n’ont besoin ni de l’ancien premier ministre malaisien ni des oulémas d’Al-Azhar, ni des présidents tunisien ou algérien, ni du roi du Maroc, ni d’une quelconque céleste seigneurie du Golfe. Et si les choses devaient se compliquer pour ces musulmans qui sont d’abord des citoyens français, ai-je ajouté, ils se tourneront vers les lois de la République et compteront sur le soutien d’une France, tolérante, fraternelle et progressiste. Une France qui a toujours existé, y compris dans ses heures les plus noires et qui existera toujours même si certains quittent ses rangs aujourd’hui, par peur, par opportunisme politique ou par convictions idéologiques enfin assumées.

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jeudi 22 octobre 2020

La chronique du blédard : Musulmans de France, tous coupables ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 22 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

L’horrible décapitation de Samuel Paty, un enseignant en France par un jeune de dix-huit ans d’origine tchétchène, qui lui reprochait d’avoir montré des caricatures du Prophète à ses élèves dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, a provoqué une grave crise aux conséquences incertaines. Il ne s’agit pas ici uniquement de l’immense, et légitime, émotion qu’un tel acte barbare a provoqué au sein de la société française. Il ne s’agit pas non plus de l’agitation suspecte d’un gouvernement, et notamment du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, déjà préoccupé par la campagne électorale de la présidentielle de 2022 et soucieux de faire oublier ses responsabilités dans cette triste affaire. Une frénésie de propos destinés à masquer aussi le délabrement d’un secteur éducatif où il n’est pas rare que des parents d’élèvent cognent un enseignant surmené pour une mauvaise note ou un téléphone portable confisqué durant les heures de cours.

 

Il est évident que ce drame révèle des lignes de fractures qui se sont aggravées depuis le début des années 2010. De manière régulière, des attentats ou des actes isolés de violence se revendiquant de l’islam reposent de manière brutale le rapport entre la société française et les communautés de cultures musulmanes. Cette fois-ci, l’onde de choc est plus forte, ne serait-ce que parce que c’est l’école qui est concernée mais aussi parce que le crime a aggravé un climat déjà délétère en raison, notamment, de la crise sanitaire.

 

Il n’y a rien d’étonnant à voir l’extrême-droite et ses relais médiatiques s’engouffrer dans la récupération de cette sordide atteinte à la vie. Tout y passe. L’immigration, les politiques d’accueil et d’asile, certains droits individuels, les mécanismes de lutte contre le racisme et les discriminations, la gauche populaire, tout cela est visé. Marine Le Pen le dit clairement quand elle évoque « une guerre qui exige une législation de guerre ». Dans tout ce vacarme amplifié par les politiques et les chaînes d’information en continu, l’islam en France est de nouveau mis en accusation comme si toutes les personnes concernées de près ou de loin par cette religion étaient complices du tueur.

 

A l’inverse, ce qui est inquiétant, c’est la proportion sans cesse croissante de la société française qui se dit convaincue par tout ou partie de ce discours accusateur. L’idée que « les musulmans » n’en font pas assez pour lutter contre le terrorisme intégriste est en train de s’installer de manière définitive et celles et ceux qui la combattent en dénonçant les amalgames sont mis à l’index. « Islamo-gauchistes » ou naïfs, ils seraient les complices, ou, pourquoi pas, les instigateurs de cette violence. Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, il est de plus en plus difficile de faire entendre la nuance. Et de poser les termes du problème.

 

Il y a six ans, voici ce que je répondais au journaliste Gille Heuré de Télérama lorsqu’il m’interrogeait à propos des suites de l’assassinat d’Hervé Gourdel en Algérie (1). Les appels demandant à la communauté musulmane de réagir, disais-je, « traduisent une contradiction fondamentale : d'un côté, on met en garde les musulmans contre toute forme de communautarisme ; de l'autre, on les intime, en tant que musulmans, à condamner officiellement cet acte ignoble. C'est une manière d'affirmer que les musulmans restent une exception dans le modèle républicain. N'importe quel être humain réprouve ces crimes épouvantables. On n'a pas besoin de demander aux gens de s'en désolidariser ou d'exprimer leur dégoût : ça coule de source (…) Pour certains milieux en France, les musulmans, s'ils ne sont pas coupables par nature, peuvent faire preuve de duplicité. Ils doivent fournir la preuve de leur normalité et de leur insertion dans la société française. »

 

En réalité, ajoutai-je, « ces appels laissent entendre que l'islam pratique un double discours : les musulmans intégrés participeraient à la vie de la société française, payeraient bien leurs impôts, etc., mais seraient susceptibles à tout moment de commettre des meurtres à l'encontre de citoyens français, musulmans et non musulmans. C'est une peur palpable et entretenue. »

 

Rien de tout cela n’a changé. C’est même devenu pire. Cela pose de vrais problèmes pour l’avenir. Apeurée, affolée par les vitupérations d’éditorialistes connus, sans cesse conditionnée par les outrances des réseaux sociaux, la société française semble exiger aujourd’hui des preuves de loyauté de la part des musulmans. C’est cela qui se dessine tranquillement, sans que le personnel politique ne prenne la mesure de l’enjeu. En réalité, dans un pays où l’on rejette, à juste titre le communautarisme, les questions « mais où sont les musulmans ? » ou « mais que font les musulmans ? » sont des assignations à résidence qui ne veulent pas disparaître. Elles logent dans l’inconscient collectif et il sera difficile de les extirper. Mr Omar ou Mme Latifa, quelles que soient leurs opinions et leurs croyances, sont ainsi sommés de s’exprimer en tant que musulmans. Il ne vient à l’idée de personne qu’ils n’ont pas envie d’être définis de la sorte. Il ne vient à l’idée de personne que leur seule manière de lutter contre l’intégrisme et les actes de violence, est juste d’être eux-mêmes, des citoyens sans histoires qui ont les mêmes préoccupations et attentes que leurs compatriotes français. Mieux, des citoyens qui haussent les épaules ou se détournent quand un collectif intégriste tente de les convaincre ou de les enrôler.

 

La grande mosquée de Paris, de nombreux imams, ont clairement condamné le crime. Ils sont dans leur rôle et parlent au nom de nombreux croyants. D’autres, « musulmans de culture » ont, quant à eux, exprimé leur révulsion via les réseaux sociaux. Que leur faut-il faire d’autre ? Qu’ils singent l’imam Chalghoumi en baragouinant, en pleurnichant, un pardon pour des actes qu’ils condamnent et avec lesquels, faut-il le répéter, ils n’ont rien à voir ? Veut-on qu’il fassent le coup de poing contre les extrémistes ? Qu’ils se substituent à la police et qu’ils s’en prennent directement à des associations d’incendiaires que les autorités ont tolérées, voire encouragées, parce qu’elles imposaient la paix dans des quartiers populaires gangrénés par le trafic de drogue ? Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Veut-on organiser une guerre civile chez les cinq millions de musulmans vivant en France afin qu’un camp (celui qui incarne la majorité respectueuse de la République) puisse enfin gagner ses galons de citoyenneté reconnue ? Faute de réponse politique clairvoyante, c’est la paix civile qui est désormais menacée.

 

(1) « Les musulmans français victimes d’amalgames », Télérama, 12 octobre 2014.

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La chronique économique : Consolidation dans le gaz de schiste

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 21 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Dans le vocabulaire boursier et financier, certains mots ont parfois une double signification. Il y a leur sens premier mais aussi ce qu’ils impliquent comme mécanismes ou conséquences. Celui de « consolidation » en est un exemple. Dans le langage courant, il fait émerger l’image d’un renforcement d’une structure, d’une amélioration d’une assise ou d’une situation. En Bourse, si l’on prend un secteur donné, cela signifie simplement que certains de ses acteurs disparaissent ou sont avalés par plus gros qu’eux. Ainsi, la « consolidation » équivaudrait à une élimination ; une sélection naturelle où seuls les plus forts survivraient.

 

Un « deal » à 9,7 milliards de dollars

 

Un exemple concret vient d’être fourni par la plus grosse opération d’acquisition de l’année dans le secteur des hydrocarbures. Le géant ConocoPhillips vient d’avaler le producteur de gaz de schiste Concho pour un montant de 9,7 milliards de dollars (8,24 milliards d’euros). Ce « méga-deal » se fera uniquement via un paiement d’actions, les détenteurs de capital de Concho recevant des titres de ConocoPhillips. Un type d’opération qui permet de se passer de cash mais qui présente l’inconvénient de provoquer parfois une dilution du capital voire une baisse en Bourse. Il faudra voir comment le titre Conoco se comporte dans les prochaines semaines.

 

En attendant, c’est donc à une consolidation que l’on assiste. Cela fait désormais trois ans que le secteur des producteurs d’hydrocarbures de schiste est dans le rouge en raison de la chute des cours du pétrole. Avec des coûts d’exploitation supérieurs à leurs recettes, ils accumulent les pertes et doivent s’endetter pour poursuivre leur activité. Concho affiche ainsi une dette de près de 4 milliards de dollars et n’a pas réalisé de bénéfice depuis 2018. Au deuxième trimestre 2020, sa perte atteint 435 millions de dollars contre 97 millions de dollars pour la même période en 2019. Autrement dit, c’est un navire à la dérive que ConocoPhillips a acheté. Pourquoi donc une telle acquisition ?

 

Secteur à risque

 

La réponse est simple. Il s’agit ici d’une opération de croissance extérieure. Dans un contexte où les cours du brut sont anémiés et où la découverte de grands champs est de plus en plus difficile, la « major » trouve ici le moyen d’augmenter ses réserves de pétrole. Ces dernières atteignent désormais 23 milliards de barils (23 Giga-barils) en se basant sur un baril à 30 dollars. Pour mémoire, les compagnies pétrolières cotées en Bourse sont le plus souvent évaluées en fonction de leurs réserves prouvées, lesquelles pèsent autant que le niveau de production ou l’évolution du compte de résultat. Avec l’acquisition de Concho qui lui fournit des gisements dans le Texas et le Nouveau-Mexique, ConocoPhillips améliore ainsi son niveau de réserves et donc sa valorisation boursière. Du moins, en théorie.

 

En effet, nombre d’analystes considèrent désormais que le secteur des hydrocarbures de schiste est risqué. A moins d’un spectaculaire et inattendu renversement de conjoncture, les cours du pétrole ne grimperont pas de sitôt ce qui rendra difficile, voire impossible, l’exploitation rentable de gisements tels que ceux de Concho. Mais l’un des adages de la Bourse est qu’elle permet d’acheter des paris sur l’avenir. C’est ce que vient de faire ConocoPhillips.

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La chronique du blédard : Des dattes, du vrac, de la mondialisation et de la politique économique

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 15 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

« Ce qui est bon pour la General Motors est bon pour l’Amérique ». Cette phrase fut prononcée en 1953 par Charles Wilson lors de son audition par des élus américains qui devaient valider sa nomination au poste de secrétaire à la défense des États-Unis. Le problème, c’est que le candidat était aussi un actionnaire important du fabricant automobile General Motors (GM), ce qui faisait craindre des conflits d’intérêt. La réponse de Wilson est entrée dans l’histoire car elle entérinait l’idée que les stratégies d’une multinationale comme GM ne pouvait que servir l’Amérique. Depuis, les choses ont beaucoup évolué et il est établi aujourd’hui que les entreprises transnationales et les pays où se trouvent leur berceau peuvent avoir des intérêts totalement divergents.

 

En clair, et sans entrer dans une longue démonstration, la mondialisation et l’évolution du commerce international ont créé une situation où les États sont le plus souvent sur la défensive et où la notion de « patriotisme économique » est très souvent incompatible avec le libre-échange, l’ouverture des frontières, la libre circulation des capitaux, les opérations boursières (comme les offres publiques d’achat – OPA- hostiles ou amicales) et, bien entendu, les délocalisations. Certes, il arrive parfois que les gouvernements s’emparent d’un dossier brûlant, comme par exemple le rachat d’une entreprise par un concurrent étranger – comme c’est le cas aux États-Unis avec les sociétés chinoises qui y font leur marché – mais, de façon générale, l’idée qu’il pourrait exister en permanence un nationalisme économique n’est guère plus pertinente.

 

Dans cet ordre d’idée, l’Algérie semble constituer un cas à part. Il y a quelques jours, Kamel Rezig, ministre du commerce, s’en est pris aux exportateurs algériens de dattes en vrac. Au-delà de l’aspect comique de sa déclaration – emploi du terme « frac » au lieu de celui de vrac et référence au jeu de dominos pour insister sur la fermeté de sa stratégie (on appréciera ce genre de propos à sa juste mesure) – cette sortie en dit long sur les impasses du pays en matière de politique économique. De mémoire, je ne crois pas encore avoir entendu un dirigeant s’adresser aux Algériens pour leur expliquer quelle était clairement l’orientation de l’Algérie en la matière. Avons-nous entendu une phrase du type « le socialisme, c’est fini » ? Je ne le crois pas. Avons-nous entendu une phrase du type « notre choix, c’est l’économie sociale de marché et voilà ce que ça veut dire » ? Je ne le crois pas non plus.

 

Nos dirigeants, y compris ce gouvernement béni qui promet une « Algérie nouvelle » n’ont de cesse de dire que le pays est apte à entrer dans la mondialisation, à y jouer un rôle majeur, etc. En réalité, la navigation se fait à vue depuis la mise en parenthèse des réformes lancées à la fin des années 1980. Un jour, c’est vive la mondialisation, on signe avec une légèreté coupable un accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE, 2005), on annonce urbi et orbi que l’on est candidat à l’admission à l’Organisation mondial du commerce (OMC), qu’on veut être un « hub » financier et qu’on veut être une « start-up nation ». Un autre, c’est le coup de volant dans l’autre sens. On vote des lois pour limiter à 49% la part des compagnies étrangères dans le capital des entreprises algériennes, on laisse la Bourse d’Alger s’étioler au fil des ans, on ne fait rien pour réformer l’administration tout en continuant à revendiquer une place – toujours pas accordée – au sein du G20. Nous sommes en 2020, l’Algérie ne fait pas partie non plus des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ou d’autres clubs de pays émergents mais, trouvaille du présent chroniqueur, elle est membre à part entière des VILAIN (Venezuela, Irak, Libye, Algérie, Indonésie, Nigeria), autrement dit ces pays qui peinent à diversifier leurs économies et à sortir du tout pétrole.

 

Ce qui est intéressant avec la sortie de Kamel Rezig, c’est qu’il s’en prend aux exportateurs de vrac sans même comprendre que s’ils optent pour cette option, c’est uniquement parce qu’ils y trouvent leur compte. La question qui importe, c’est bien de savoir pourquoi une exportation après conditionnement, c’est-à-dire avec une plus forte valeur ajoutée, leur semble impossible alors qu’ils auraient plus à y gagner, du moins en théorie. Et là, on en revient à la politique économique et aux réformes. Le constat est évident : pour l’heure, l’environnement légal, fiscal et douanier fait obstacle à des exportations à valeur ajoutée. 

 

Les producteurs algériens de dattes trouvent tout simplement leur meilleur intérêt en exportant du frac, pardon, du vrac. Peu leur importe que ce vrac soit conditionné ailleurs, notamment en Tunisie, pour être réexpédié sous label tunisien. Ce type de circuit à plusieurs étapes existe dans le monde entier. Du miel est produit en Bulgarie, mis en pot en Slovénie et vendu sous label européen. Les autorités bulgares ne sonnent pas le tocsin parce que l’honneur de leur pays est bafoué. La réexportation fait, par exemple, la fortune de ports comme celui de Dubaï. En somme, c’est la règle du jeu imposée par la mondialisation. Les agents économiques sont rarement chauvins dans la conduite de leur activité, ce qui prime pour eux, c’est le compte de résultat. Point de wanetoutrisme en matière de commerce.

 

Le cours du baril ne repartira pas de sitôt à la hausse. Cela signifie que la diversification de l’économie est une urgence. L’Algérie n’est pas obligée de se plier totalement aux règles de l’ultralibéralisme. Elle peut, et doit, résister aux sirènes du libre-échange. Mais elle a surtout besoin d’une doctrine économique claire et d’un vrai débat sur les options stratégiques qui s’offrent à elles. La facilitation des exportations hors-hydrocarbures en fait partie et, si on y est favorable, il n’y a pas lieu de saupoudrer cela de considérations nationalistes qui ne font que compliquer la donne.

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La chronique économique : SUV honnis

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 14 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Ils sont les vedettes des ventes d’automobile mais le cauchemar des écologistes, des piétons et des cyclistes. Alors que la question de la lutte contre le réchauffement climatique est au centre de la majorité des discours politiques, les SUV (« Sport Utility Vehicles » ou « véhicules utilitaires sport ») figurent en tête des ventes d’automobiles en Europe et en Amérique du nord. En France, rappelle le Fonds mondial pour la nature (WWF), ils ne représentaient que 5% des ventes de voitures neuves en 2008. Désormais, ils atteignent près de 40% du marché et la tendance demeure haussière au point que, en se basant sur les chiffres actuels, WWF estime qu’ils pourraient concentrer les deux tiers des ventes à court terme. Ce faisant, l’ONG dénonce, dans une étude publiée début octobre, « l’impact écrasant des SUV sur le climat »

 

Dangereux pollueurs

 

Car le problème principal, c’est que ces véhicules sont plus polluants que les berlines classiques. A mi-chemin entre la voiture standard et les véhicules tous terrains (4x4), les SUV consomment plus et émettent donc 20% de gaz à effet de serre (ges) en plus. « Les 4,3 millions de SUV vendus en France en une décennie ont une empreinte carbone équivalente à 25 millions de citadines électriques », précise WWF qui rappelle que ces véhicules sont la deuxième cause de réchauffement climatique derrière le transport aérien. Pour l’ONG, il est donc urgent que les pouvoirs publics prennent des mesures pour inciter les consommateurs à acheter autre chose, notamment un véhicule électrique. A condition, toutefois qu’il ne s’agisse pas d’un SUV électrique, le bilan carbone dans la fabrication de ce dernier posant des problèmes sans compter le fait qu’il a besoin de plus de batteries, et donc plus d’électricité, pour rouler.

 

L’une des pistes qu’avancent les détracteurs des SUV serait de les taxer plus fortement et de les exclure des dispositifs d’aide à l’acquisition d’un nouveau véhicule (prime à la casse, prêt bonifié, etc.). Le débat commence à peine mais des élus écologistes envisagent même d’interdire ces voitures dans le centre-ville, là où leur présence pose souvent des problèmes d’encombrement mais aussi de sécurité pour les piétons, les cyclistes et les utilisateurs de trottinettes électriques. Un choc avec un SUV a deux fois de chances de déboucher sur des conséquences dramatiques qu’un véhicule standard.

 

Représailles

 

L’engouement des consommateurs pour les SUV est emblématique d’une certaine schizophrénie de notre monde. Hauts, puissants, ces véhicules fournissent une impression de sécurité et de puissance qui rassurent le conducteur et lui procurent un sentiment d’accomplissement. Qu’importent donc le climat et la sécurité des autres usagers. Contre ce type d’égoïsme, les arguments écologiques ne servent à rien et mieux vaut s’en remettre à une fiscalité punitive voire à une interdiction pure et simple. Cela avant que les choses ne dégénèrent un jour. En France, un collectif nommé La Ronce appelle déjà, mode d’emploi à l’appui, à dégonfler les pneus des SUV…

 

La chronique du blédard : La musique défaitiste et le vide

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

La chose n’est pas nouvelle : depuis des décennies, toute contestation du régime et toute revendication en faveur du changement, fut-elle graduelle, provoquent en réaction une répression de plus ou moins grande ampleur. C’est un fait évident : le pouvoir algérien ne sait pas dialoguer ou, plutôt, il ne veut pour dialogue que celui qu’il aura organisé selon ses habituelles méthodes, c’est à dire un théâtre de marionnettes avec quelques opportunistes trop heureux de l’occasion qui leur est offerte de se faire (enfin) une situation. Qu’on vienne à lui résister, qu’on vienne à persister, qu’on vienne à refuser ce remake de la danse des béni-oui-oui avec l’administration coloniale, et c’est le qallouz qui parle (1).

 

Mais il n’y a pas que cela. Quel que soit le cercle pensant – ou essayant de le faire -, surgit très vite une injonction à l’abandon et au renoncement au prétexte que le système serait trop fort, trop omniscient, pour tenter quoi que ce soit. Les personnes ayant vu dans le Hirak une formidable chance pour sortir le pays de l’ornière peuvent certainement toutes en témoigner. Le « à quoi bon ? » ou le « fort 3alikoum » (plus fort que vous) composent cette petite musique perverse qui vise à préserver un statu quo somme toute bien confortable pour qui a peur pour sa voiture ou sa maison construite en zone sécurisée.

 

Il y a des variantes à ce discours. Quelle que soit l’évolution de la situation, on peut souvent entendre que les « services » sont derrière tout ça et qu’ils demeurent les maîtres du jeu. A les entendre, le Hirak serait une manipulation d’un clan pour en chasser un autre, etc. Si une objection rationnelle vient à être formulée, elle est alors immédiatement balayée par une nouvelle explication hypothétique – souvent biscornue, mais qu’importe. L’essentiel, c’est que l’Algérienne et l’Algérien demeurent convaincus que quoi qu’ils fassent, ils n’y arriveront pas.

 

Ajoutons à cela la récurrence de divagations à propos du « jusqu’au-boutisme » du Hirak, transformé ainsi en coupable ayant refusé la main tendue par le gentil pouvoir, et l’on aura une image plus ou moins complète de la machine à alimenter le défaitisme. Car tout cela n’est pas sans effet. Les luttes collectives sont impressionnantes quand elles s’expriment mais nous savons tous qu’elles constituent des mécanismes bien fragiles dont la longévité dépend de nombre de facteurs, la volonté et la persévérance individuelles n’étant pas les moindres. Personne ne niera que l’interruption des manifestations doublées d’une répression vicieuse – comment la qualifier autrement ? – est à l’origine d’un réel abattement. « Digouttage » total, surtout quand s’égrène la liste des personnes arrêtées, poursuivies ou convoquées par les services de sécurité.

 

Mais il en est ainsi des combats qui méritent d’être menés. Les transformations – évitons de parler de révolution – sont faites de boucles, de détours et de régressions. Et dans ces processus, il est certain que les manifestations produisent leur effet revigorant. On se serre, on se compte, on s’encourage même si l’on n’est que trois pékins Pour ceux qui vivent à Paris, il suffit de voir l’effet qu’a sur eux la reprise des rassemblements place de la République. Oui, certes, cela est lointain des rues d’Alger, Oran, Constantine ou Ténès. Mais cela compte dans un monde où les réseaux sociaux donnent souvent l’illusion qu’il n’existe plus de frontières physiques. La flamme est encore là. Il y a encore des gens qui ne veulent pas se taire.

 

Il n’y a rien de honteux à être dans le camp des soi-disant perdants quand on ne lâche rien sur ses convictions et que l’on continue de revendiquer ne serait-ce qu’un vrai État de droit en Algérie. Le pire serait de renoncer par découragement ou, plus grave encore, par intérêt, en se mentant à soi-même et en se trouvant toutes les bonnes excuses possibles pour tourner casaque et servir ceux-là même qu’on conspuait la veille.

 

Un autre argument en faveur du renoncement est que l’actuel gouvernement aurait un vrai projet pour le pays et qu’il serait raisonnable et responsable de le laisser travailler en paix. Un vrai projet ? Sérieusement ? Où est-il ? Qu’on nous le donne ! Qu’on nous le détaille ! Je ne parle pas ici du processus électoral qui est planifié pour les prochains mois : organiser des élections en prétendant que c’est la bonne solution pour sortir de la crise est une astuce de république bananière ou d’entité, vaguement indépendante, de la françafrique.

 

Non, comme disent les Américains, « where is the beef ? » Où est le moufid ? Quelle politique économique et financière pour les deux prochaines années ? Austérité ou réendettement ? Et l’école ? La santé ? Les choix en matière de politique énergétique ? Un grand plan solaire ou bien le gaz de schiste ? Et que dire de ces deux sujets dont nos députés, plus occupés à faire des affaires pour rembourser leur pas de porte, ne parlent ainsi dire jamais : la dégradation de l’environnement et les conséquences du réchauffement climatique ? On attend… Cogner sur les opposants et embobiner quelques faux naïfs pour mieux les enrôler, demande certainement quelques compétences et efforts d’imagination. Mais ce n’est rien en comparaison de ce qu’exige le relèvement de l’Algérie.

 

(1) « Algérie, les louanges et la matraque », Horizons arabes, 30 septembre 2020.

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La chronique économique : Le cobalt, emblème d’une civilisation qui dérape

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 7 octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

C’est un métal dont on ne parle pas assez mais qui est en passe de devenir le pétrole du vingt-et-unième siècle. Le cobalt, ou « métal bleu » est désormais indispensable à l’industrie de voitures électriques – il est le composant incontournable et irremplaçable des batteries – mais aussi des vélos et des trottinettes électriques sans oublier, bien entendu, les téléphones portables intelligents dont les besoins en autonomie et en énergie ne cessent d’augmenter. Selon les prévisions, il faudra produire 220 000 tonnes de cobalt en 2030 contre 136 000 tonnes en 2019 (1).

 

La RDC au cœur des enjeux

 

Mais ces projections risquent fort d’être incomplètes. En effet, le développement annoncé de la téléphonie mobile de cinquième génération, la « 5G » va certainement consommer encore plus de cobalt. En effet, les batteries des antennes-relais, auront besoin de plus d’énergie stockée. De même, les « smartphones » auront, eux aussi, de batteries plus puissantes pour accueillir les applications développées pour la 5G. La conséquence, selon l’agence Reuters qui a interrogé plusieurs analystes, est que ce secteur va absorber 73 000 tonnes de métal bleu d’ici 2025 contre 45 000 tonnes actuellement. La question est simple, dans un marché fonctionnant à plein régime où l’offre peine à répondre à la demande, où trouver ces 28 000 tonnes supplémentaires ?

 

Il est évident que tous les regards se tourneront vers la République démocratique du Congo (RDC), premier producteur mondial avec près de 100 000 tonnes. Ce pays, l’un des plus pauvres au monde, fait déjà l’objet de polémiques récurrentes sur la corruption qui y sévit et sur le détournement manifeste des revenus tirés des différentes exploitations minières. Il est à craindre que la nécessité d’augmenter la production ne débouche en RDC sur des troubles politiques et sécuritaires dans un pays à l’instabilité récurrente depuis ces trois dernières décennies.

 

A cela s’ajoute un autre fait que n’importe quel utilisateur de smartphone doit avoir en tête : une partie du cobalt en provenance de RDC et contenu dans les diverses batteries (véhicules, téléphones, etc.) est extrait par des « creuseurs » illégaux dont des enfants. De manière régulière, des drames avec mort de mineurs viennent le rappeler. Cela explique pourquoi des associations de consommateurs ainsi que des avocats entendent poursuivre les entreprises technologiques qui affirment ignorer dans quelles conditions le cobalt est extrait.

 

Introuvable substitut

 

Dans ce contexte, le seul élément susceptible de réduire les tensions serait la découverte d’un substitut efficace au cobalt. Nombre de constructeurs et d’équipementiers prétendent y travailler mais la « cobalt-free » batterie ressemble fort à l’Arlésienne. De même, les efforts déployés pour recycler les accumulateurs usagés demeurent insuffisants. En clair, le cobalt est emblématique d’une civilisation de la surconsommation qui détruit la planète mais aussi qui atteint ses limites.

 

 

(1) Lire mon article « La face honteuse du ‘‘métal bleu’’ », Le Monde diplomatique, juillet 2020.

La chronique du blédard : Harragas

Le Quotidien d’Oran, jeudi 1er octobre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Dans les rues de Paris, on les reconnaît aisément. Ils ont le visage hâlé, le corps sec, les cheveux coupés courts et les joues creusées. Tous ont un petit sac à dos et portent des vêtements estivaux qui trahissent leur arrivée récente sur le sol européen. Pour se donner une contenance, pour essayer de ne pas attirer l’attention, ils surjouent leur détachement, se meuvent en ignorant le regard des autres, essayent de dégager une dureté qui n’est rien d’autre qu’une tentative de protection contre tout ce qui les entoure et peut leur paraître hostile. Ils n’ont pas l’aisance tranquille des clandestins arrivés depuis plus longtemps et qui ont fini par « comprendre » la capitale française.

 

Cet été, j’en ai rencontré quelques-uns Place d’Italie, dormant de jour dans les petits espaces verts non loin de la mairie. La plupart venaient de l’ouest de l’Algérie. Difficile de parler avec eux, d’avoir des informations. A peine ont-ils concédé être passés par l’Espagne puis être remonté vers le nord (1). Certains de leurs compagnons de galère se sont arrêtés à Barcelone, d’autres ont poursuivi leur chemin. Paris, destination finale ? Pas sûr. L’un d’eux consent à me parler de la Suède où vivrait un parent parti dans les années 1980 et jamais revenu au pays.

 

Le Hirak ? La situation politique au pays ? Cela ne les intéresse pas. Cela ne les intéresse plus. Ils ont donné, marché, manifesté mais, insistent-ils, rien n’a changé. On en a marre, est la phrase qui revient souvent, celle qui explique tout, qui dit tout. Quand on les interroge sur la traversée de la Méditerranée, les visages se ferment un peu. Une épreuve, la peur de chavirer pour ceux, nombreux, qui ne savent pas nager, la crainte pour les enfants présents – car il y en avait, car il y en a de plus en plus -, et, bien entendu, la hantise d’être intercepté par la marine algérienne ou par les garde-côtes espagnols.

 

Ces derniers jours, les harragas algériens semblent encore plus nombreux dans les rues de Paris. Ils vont par petits groupes de trois ou quatre, oreille vissée au téléphone portable. Appeler le pays ? Donner des nouvelles ? Ou se rencarder pour un plan permettant de continuer le périple, de trouver un logement ou un travail ? Ils ont quelques pistes mais on se dit que tout cela est bien fragile. Et on réalise surtout qu’ils n’attendent rien de leurs compatriotes déjà installés. Disons les choses telles qu’elles sont : au sein des multiples communautés d’origine algérienne, il n’y a rien ou presque de prévu pour les accueillir ou les aider. A chacun sa peine et son fardeau. Ce que les anciens ont vécu (clandestinité, longues démarches à la préfecture, etc.), les nouveaux doivent le vivre aussi. La règle est implicite et connue de tous.

 

Bien sûr, il y a des associations d’aide aux sans-papiers, des gens qui se mobilisent pour distribuer de la nourriture dans ces campements sordides que l’on voit sous les ponts ou le long du boulevard périphérique, mais force est de constater que l’une des plus importantes communauté d’origine étrangère est incapable de s’organiser pour venir en aide à des enfants qui arrivent dans un état d’épuisement moral et physique évident. Peur d’enfreindre la loi ? Égoïsme ? Refus d’être assimilé à ceux que la voix politico-médiatique dominante assimile à des délinquants ? Il doit y avoir de cela sans compter un quotidien rendu difficile par ces temps de post (et de pré) confinement.

 

Cette semaine, les réseaux sociaux ont diffusé des images d’une patera abordant une plage espagnole avec à son bord de jeunes Algériens. Certains d’entre-eux se prosternaient, rendant grâce au Ciel et embrassant le sable. D’autres aidaient les plus faibles à débarquer tout en gardant un œil inquite sur la bénévole espagnole qui les filmait en leur lançant des « tranquilo ! tranquilo ! » destinés à les rassurer et à les convaincre qu’il ne s’agissait pas de la Guardia civil. N’importe quel être humain qui visionne les images de ces nouveaux damnés de la terre ne peut rester insensible à ce drame. N’importe quel être humain ? Corrigeons cette affirmation.

 

Les dirigeants algériens, passés et actuels, se moquent bien de tout cela. L’Europe leur a demandé de pénaliser les départs clandestins, ils ont obéit et continuent de traduire en justice les harragas interceptés. Il est des rôles de garde-chiourme qui conviennent parfaitement à ceux qui les endossent. Ils sont faits pour ça. Quant à cette jeunesse algérienne qui prend le risque de mourir en mer puis de s’exposer aux réalités interlopes de la vie de clandestin en Europe, elle représente une vraie tragédie. Notre tragédie. Elle devrait figurer dans les discours politiques, elle devrait mobiliser l’effort national. Au lieu de cela, on n’entend et ne voit que mépris et désinvolture.

 

Sur les réseaux sociaux où active la racaille appointée destinée à diffuser la propagande, ces jeunes sont présentés comme des traîtres, des voyous dont l’Algérie devrait être heureuse de se débarrasser. Certains insistent sur le prix fort payé pour la traversée alors même que cela devrait inciter à se rendre compte à quel point la désespérance est immense. Aujourd’hui, les jeunes ne partent plus sans rien dire de leurs projets. Leurs familles sont au courant, elles vendent des biens ou s’endettent pour payer les passeurs. Et l’hémorragie continue. L’Algérie nouvelle…

 

(1) Lire à ce sujet, l’article d’Ignacio Cembrero, « ‘‘Partons tous !’’ Ces Algériens en fuite vers l’Espagne », Orient.XXI, 14 septembre 2020.

La chronique économique : La Chine devient verte

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 30 septembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Simple effet d’annonce destiné à mettre sous pression d’autres pays dont les États-Unis ou véritable engagement annonçant une véritable révolution politique et technologique ? Dans son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, le président chinois Xi Jinping a déclaré que son pays entendait désormais parvenir à la neutralité carbone d’ici 2060 et qu’il s’engagerait pour cela dans une réduction des gaz à effet de serre (ges) à partir de 2030. Pour mémoire, la neutralité carbone signifie qu’un émetteur (pays, entreprise, ville, région, etc.) compense la totalité de ce qu’il laisse s’échapper dans l’atmosphère comme dioxyde de carbone en capturant et en stockant des quantités équivalentes de ges.

 

Vitrine technologique

 

Si une telle annonce traduit une vraie volonté des autorités chinoises, alors cela signifie que la Chine est décidée à jouer le rôle de vitrine technologique et de locomotive dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est ce dernier qu’a d’ailleurs évoqué le président Xi Jinping en affirmant que l’humanité ne pouvait plus ignorer les dérèglements de la nature. Alors que les États-Unis sont aujourd’hui dirigés par un climato-sceptique et que leurs émissions de ges repartent à la hausse, Pékin a d’ores et déjà le beau rôle en reconnaissant l’urgence d’agir pour le climat.

 

Il reste à savoir si la Chine y arrivera vraiment. Aujourd’hui, ce pays est le premier émetteur de dioxyde de carbone avec 10 milliards de tonnes en 2018, soit près du double des émissions aux États-Unis (5,4 milliards de tonnes). L’image de villes chinoises plongées dans un brouillard de suie noire due aux industries polluantes et aux centrales à charbon est connue de tous. Et même si la situation semble s’améliorer peu à peu, on se demande comment les autorités vont planifier en si peu de temps le remplacement des énergies carbone par du renouvelable ou du nucléaire.

 

De nombreuses informations incitent toutefois à prendre au sérieux les déclarations de Xi Jinping. Les programmes de constructions sont désormais tenus d’incorporer des solutions technologiques englobant l’énergie solaire ou d’autres sources renouvelables (éoliennes, marées, etc.). Dans certaines provinces, les opérateurs de communication baissent les capacités des réseaux internet la nuit afin de diminuer la facture énergétique. Même la 5G qui compte déjà près de 100 millions d’abonnés est concernée. De nombreuses universités investissent dans des programmes diplômants concernant les énergies vertes et la transition écologique. Bref, il est fort possible qu’il soit nécessaire de suivre de près la Chine pour être à la page en ce qui concerne le développement durable.

 

Complot anti-américain

 

Bien entendu, les sceptiques demeurent nombreux. Pays gigantesque, énergétivore et soucieux de garder une large place au sein du commerce international, la Chine est, selon eux, condamnée à toujours polluer plus. Pour d’autres observateurs, les déclarations de Xi Jinping sont d’abord destinées à rapprocher son pays de l’Europe, qui se veut elle aussi irréprochable en matière d’environnement tout en isolant les États-Unis et d’autres pays émergents dont le Brésil. D’ailleurs, pour les climato-sceptiques américains, la lutte contre le réchauffement climatique n’est rien d’autre qu’un complot chinois pour brider la croissance américaine. Une certitude que les feux récents en Californie n’arrive pas à ébranler.

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La chronique économique : Le pourri a la cote…

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 septembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Une réalité concernant les marchés financiers est qu’il ne faut jamais perdre de vue que le principe suprême est le gain à n’importe quel prix. Quelle que soit la gravité de la crise, il y aura toujours des investisseurs qui garderont ce cap et chercheront à faire de bonnes affaires même si la planète semble tanguer. En 2008, lors de la catastrophe des subprimes, de nombreux établissements ont ainsi profité de l’occasion pour racheter à bon compte des titres ou des entreprises en difficulté. Aujourd’hui, la même partie se joue mais de manière un peu différente.

 

Le « junk » est très recherché

 

Parlons d’abord du contexte. Les taux d’intérêt sont bas et les détenteurs de liquidités - qui sont abondantes - peinent à trouver des placements très rémunérateurs. A cela s’ajoutent les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 avec un nombre important de secteurs confrontés à des pertes importantes. Le résultat de tout cela est une paradoxale combinaison entre la recherche d’un bon retour sur investissement et le besoin de capitaux pour survivre. Depuis le printemps dernier, les obligations d’entreprises dites « pourries » sont ainsi devenues des titres très prisés par les investisseurs. Pourquoi « pourries » ? Parce qu’elles comportent un risque majeur, celui du non-remboursement. Les chiffres sont édifiants. Selon l’Agence France Presse (AFP), près de 274 milliards de dollars de « junk bonds » (obligations pourries) ont été émises durant les premiers mois de l’année. En Europe, entre juin 2019 et juin 2020, le montant de ces émissions particulières atteint le montant impressionnant de 108 milliards d’euros.

 

Deux questions se posent. Qui émet un tel papier et qui l’achète ? Pour répondre à la première interrogation, il s’agit d’entreprises en difficulté, parfois déjà très endettée et donc mal notées par les agences de « rating ». Il peut aussi s’agir de compagnies subissant de plein fouet la crise du Covid-19 (aérien, tourisme, loisirs). Pour attirer l’acheteur, ces émetteurs s’engagent sur des taux de remboursement élevés (« hauts rendements ») ce qui en ces temps de taux bas, attire les investisseurs qui ne craignent pas de prendre des risques et qu’intéressent des rémunérations supérieures à celles proposées par la dette de sociétés bien notées. Entre un taux de remboursement à 1,3% et un autre supérieur à 2,5%, parfois proche de 3%, pour les « junk bonds », il n’y a pas de petits profits…

 

Faillites à venir

 

Reste une question majeure. Un certain nombre d’émetteurs de junk bonds vont faire faillite. Cela s’est toujours passé ainsi et il n’y a pas de raison pour que cela change. En tant que créanciers, les détenteurs de ces obligations passeront avant les actionnaires mais rien ne dit qu’ils pourront récupérer leur mise. Certes, des entreprises en difficulté passagère feront certainement face à leurs échéances de remboursement, mais d’autres, qualifiées de « zombies » ne survivent que grâce à ces injections de fonds et une aggravation de la conjoncture les précipitera dans le ravin au grand détriment des prêteurs lesquels devront encaisser ces pertes. En clair, un nouveau krach obligataire se profile peut-être pour les prochaines années. 

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