Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 17 août 2012

La chronique du blédard : JO de Londres : Des grands et des gagne-petit

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 16 août 2012
Akram Belkaïd, Paris
 
La lecture du tableau des médailles final des Jeux Olympiques est toujours riche d’enseignements et c’est encore le cas pour celui des JO de Londres qui viennent de s’achever. Il y a d’abord la première place des Etats-Unis qui, avec 104 médailles dont 46 d’or (110 médailles dont 36 d’or en 2008 à Pékin), reprennent le leadership du sport mondial face à leur rival chinois (87 médailles dont 38 d’or contre 100 médailles dont 51 d’or en 2008). Ce n’est pas une surprise. En 2008, les Etasuniens n’avaient guère apprécié le fait d’avoir été dépassés par les Chinois. A l’époque, nombre de commentateurs y avaient vu un symbole d’ordre géopolitique. La Chine obtenant plus de médailles d’or que les Etats-Unis, n’était-ce pas là un signe parmi tant d’autres d’un rééquilibrage entre les deux puissances ?
 
Il faudra donc chercher ailleurs les signes du déclin américain. Certes, les Etats-Unis ont été moins dominateurs qu’avant en athlétisme – on pense notamment aux épreuves de sprint où la Jamaïque (12 médailles dont 4 d’or contre 11 médailles dont 6 d’or en 2008) et Usain Bolt ont été royaux – mais ils ont été présents dans toutes les grandes disciplines notamment en natation et en basket-ball. On notera, au passage, la médaille d’or de leur équipe féminine de football. Cette victoire est loin d’être anecdotique car le « soccer » (dénomination du foot aux Etats-Unis) est l’un des sports parmi les plus pratiqués par les jeunes étasuniennes dans les écoles primaires et les lycées. Cette dynamique, et les intérêts financiers qui commencent à s’agréger autour, va certainement contribuer à donner un surcroît d’audience mondiale à un football féminin de plus en plus spectaculaire (et souvent bien plus intéressant que son homologue masculin…).

De son côté, la Chine a confirmé que ses performances de 2008 n’étaient pas simplement dues au fait que ce pays était l’organisateur des JO. Bien sûr, le bilan chinois des Jeux de Londres est moins impressionnant que celui de Pékin. Il n’empêche. La Chine occupe désormais le rang prestigieux de premier challenger des Etats-Unis, rôle hier dévolu à l’ex-URSS ou à feu la RDA. En sport, comme ailleurs, le duel sino-américain ne fait que commencer. La Chine a pour elle la démographie, l’ambition débordante de la puissance émergente et des moyens financiers considérables. Face à cela, les Etats-Unis ont encore des atouts et des arguments. Ils disposent d’un extraordinaire réseau d’infrastructures sportives ainsi que d’une qualité exceptionnelle en matière d’encadrement technique et humain des sportifs. Ce n’est pas un hasard si nombre d’athlètes européens et africains préfèrent désormais s’entraîner aux Etats-Unis : coachs, psychologues, préparateurs sportifs, diététiciens : autant de domaines où l’Amérique a encore de l’avance sur ses poursuivants.

Le haut du classement montre aussi que quatre pays (Grande-Bretagne, Russie, Allemagne et France) se disputent le leadership européen. Les performances de la Grande-Bretagne (65 médailles dont 29 d’or contre 47 médailles dont 19 d’or à Pékin) s’expliquent bien sûr par le fait qu’il s’agissait de JO à domicile mais ce n’est pas tout. Outre des budgets en hausse grâce à l’arrivée de sponsors privés (notamment en cyclisme), ce pays est celui, où, avec les Etats-Unis, le sport a le plus droit de cité dans le système éducatif. C’est le cas aussi de l’Allemagne (44 médailles dont 11 d’or contre 41 médailles dont 16 d’or en 2008) où la pratique du sport pour écoliers et lycéens est non seulement obligatoire mais encouragée en dehors des cursus scolaires. 

Sans sport à l’école, il ne peut y avoir de grande nation sportive même si le cas français fait figure de contre-exemple étonnant. Avec 34 médailles dont 11 d’or (contre 41 médailles dont 7 d’or à Pékin), on peut dire que la France a réalisé une grande performance pour un pays dont les installations sportives se dégradent d’année en année, où l’école n’accorde guère de considération à la pratique sportive (ne parlons même pas du sport universitaire qui est d’une totale indigence) et où la classe politique ne s’intéresse (ou ne fait mine de s’intéresser) qu’aux sports susceptibles de leur rapporter des voix (football, rugby et, parfois, hand-ball).

De fait, sans l’existence d’un réseau associatif important et dynamique, le sport français occuperait un rang bien moins important sur l’échiquier olympique. Enfin, on relèvera que la Russie (82 médailles dont 24 d’or contre 72 médailles dont 23 d’or en 2008) continue à tenir son rang et que la dissolution de l’ex-URSS semble être définitivement digérée. Plus important encore, dans ce pays aussi de l’argent commence à se déverser au profit de certaines disciplines et, on peut d’ores et déjà parier que, dans quelques années, la Russie fera partie du trio de pointe mondial avec les Etats-Unis et la Chine.

On terminera ce bilan express en plongeant dans les profondeurs du classement où figurent 85 pays médaillés. L’Algérie (une médaille d’or contre une d’argent et une de bronze en 2008) termine à la 50ième place, derrière la Tunisie, premier pays arabe (45ième avec 3 médailles dont une d’or contre une seule médaille d’or à Pékin). Ce n’est guère satisfaisant mais, hélas, cela n’a rien d’anormal. Combien de stades l’Algérie a-t-elle bâti depuis trente ans ? Combien de piscines ? Combien de salles omnisports ? Combien de vélodromes ? Zéro ou presque… Et qui peut affirmer qu’il existe une politique des sports dans un pays qui, pourtant, disposera bientôt de 200 milliards de dollars de réserves de change ? Il fut un temps, dans les années 1970, où la réforme sportive et l’instauration du « sport de masse » préparait l’avènement de grandes équipes (de football comme de handball)  et de grands athlètes (Morceli, Boulmerka). 

Bien sûr, la médaille d’or de Makhloufi au 1500 mètres a fait vibrer tout un peuple (passons un voile pudique sur le couac de son 800m…). Mais, avec une telle jeunesse, un tel potentiel, notamment en athlétisme (fond et demi-fond), il est impossible d’ignorer ou de relativiser le gâchis. Finalement, en sport, comme ailleurs, l’Algérie est à un rang de gagne-petit qui ne lui fait guère honneur (et qui devrait obliger à mettre en sourdine les discours d’autoglorification…).
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jeudi 16 août 2012

Michèle Obama veut la fitra de l'aïd...

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Akram --

Four years ago, Barack stood on a stage at the Democratic National Convention in Denver. He accepted our party's nomination, and then told our country what he intended to do as President.

Let's think for a second about what's happened since then.

Our businesses have added 4.5 million jobs in the last 29 months. The typical middle-class family has saved $3,600 in tax cuts over his first term. We passed historic health care reform. The war in Iraq has ended. It's now easier for women to fight for equal pay for equal work. And gay and lesbian service members can no longer be denied a place in our nation's military because of who they are or who they love.

But we've got to finish what we started. Soon we're gathering for our convention in Charlotte -- and Barack and I would like to meet a few of you there.

Pitch in $3 or whatever you can to help build this campaign in these last 82 days -- and you'll be automatically entered to be our personal guest in Charlotte.

This is a pretty amazing opportunity. The campaign will fly you and a guest to Charlotte and cover your hotel for the three nights you're there. And each night, you'll get some of the best seats in the house to watch the big speeches.

You'll meet Barack, and during his speech on Thursday night, I'd like you to sit with me.

This is going to be an amazing event for our campaign. There is truly only one like it.

So enter for your chance to join us now -- and I hope we'll see you in Charlotte in a few weeks:

https://donate.barackobama.com/Charlotte

Are you as fired up as I am?

Michelle
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Au hasard des rayonnages : Made in Tawaïn (1)

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Comment vit-on à Taiwan et dans sa capitale Taipei ? Quelle est l’histoire de la Republic of China – à ne pas confondre avec la Chine populaire (la grande, celle de Mao et du grand bond en avant…) ? Invité dans ce pays en 2000, le dessinateur Golo restitue ses impressions et livre quelques clés à propos d’un pays méconnu. Ses planches rendent compte de la vie quotidienne à Taipei, relèvent le contraste entre le rythme trépidant de la circulation et la décontraction dans les parcs ou les temples. Le livre rend aussi compte du charme de la capitale taïwanaise, « mélange de neuf et de déglingue (…) qui rend cette ville humaine ».

Passion pour le karaoké, nourriture, investissements en Bourse, travail et encore travail, Golo raconte bien la manière de vivre des Taïwanais sans oublier de fournir un historique de cette île où Chiang Kai Shek avait trouvé refuge après avoir été battu par les troupes communistes. Et de s’interroger sur le statut paradoxale d’une démocratie toujours sous la menace d’une « réintégration » avec la grande Chine : « La situation évoluant que deviendra le statu quo entre l’île et le continent ? Où mène la logique électorale d’une jeune démocratie qui doit répondre aux défis de la mondialisation sans être reconnue par la communauté internationale ? ».

Ces questions restent encore d’actualité même si l’attention de la communauté internationale se porte ailleurs. Taïwan reste un dossier chaud, susceptible de provoquer à tout moment une crise internationale entre la Chine populaire et les Etats-Unis qui sont encore, malgré tout, les protecteurs de l’indépendance de l’île.

Made In Taiwan, Septembre 2001, Dessinateur Golo, Scénario Golo, Editeur Le Pigeonnier, 130 pages, 9 euros.


 Made In Taiwan Golo 1 1 Made in Taiwan


Autre avis : Made in Taïwan
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mercredi 15 août 2012

Réponse du Hadj Oumar Tall (1794-1864), fondateur de l’Empire Toucouleur, à l’offense d’un érudit égyptien d'Al-Azhar

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Source : Article d’Aoua Bocar Ly-Tall, Lettre du Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne (GAIC), n°37, juin 2012 (www.legaic.org)

Contexte : Après un séjour de plusieurs années au Machrek, le souverain Oumar Tall fait halte au Caire où il triomphe des plus célèbres érudits égyptiens lors d’une joute théologique. C’est alors qu’un érudit égyptien lui adresse ces mots insultants : « Ô science, toute splendide que tu sois, mon âme se dégoûtera de toi quand tu t’envelopperas de noir ; tu pues quand c’est un abyssin qui t’enseigne ».

Voici quelle fut la réponse d’Oumar Tall :

« L’enveloppe n’a jamais amoindri la valeur du trésor qui s’y trouve enfermée. Ô poète inconséquent n’attend pas, ne tourne donc plus autour de la Kaaba, maison sacrée d’Allah, car elle est enveloppée de noir. Ô poète inattentif, ne lis donc plus le Coran car ses versets sont écrits en noir. Ne réponds donc plus à l’appel de la prière, car le premier ton fut donné, et sur l’ordre de Mohammed notre modèle, par l’abyssin Bilal. Hâte-toi de renoncer à ta tête couverte de cheveux noirs. Ô poète qui attend chaque jour de la nuit noire le repos réparateur de tes jours épuisés par la blancheur du jour, que les hommes blancs de bon sens m’excusent, je ne m’adresse qu’à toi. (…) Chez moi, dans le Tékrour, tous noirs que nous soyons, l’art de la grossièreté n’est cultivé que par les esclaves et les bouffons ».
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mardi 14 août 2012

La chronique du blédard : Pour Mahmoud Darwich

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Une ancienne chronique publiée en août 2008, quelques jours après la disparition du grand poète palestinien Mahmoud Darwich.


Le Quotidien d'Oran, jeudi 28 août 2008
Akram Belkaïd, Paris
 
Ils ont dit : il est temps que tu traces tes lignes pour pleurer le Poète. Ignores-tu qu'il sommeille désormais dans le ventre d'une colline de Ramallah ? J'ai répondu, de l'art de l'élégie, je n'ai jamais rien appris. Priez pour la résurrection de Toumâdir, fille d'Amr. Elle, saura dire d'une traite les paroles qui captureront notre peine. Ils ont dit : nous insistons, ton silence n'est pas convenable. J'ai répondu, Ramadan approche. Ils sont nombreux à peupler mes pensées. Ali de Ténès, les anonymes aux ailes brisées des Issers et de Bouira, Isaac de Memphis. Ils ont dit : nous compatissons mais la mort du Poète est un grand malheur qui élargit la blessure purulente de son peuple.

Pour éloigner leur vacarme, j'ai récité : « Quand les martyrs vont dormir, je me réveille et je monte la garde pour éloigner d'eux les amateurs d'éloges funèbres. » Puis, j'ai lancé : Est-ce cela que vous manigancez ? Que je profite de son absence pour trahir le Poète ? Ils ont souri et se sont exclamés : voilà un bien bel emprunt. C'est un bon début. Continue ! Comme je ne pouvais fuir, je suis allé aux Roses.

Poète, le dernier adieu t'est un jour apparu. Tes yeux ont alors saisis le dernier instant et ton calame a écrit : « Je serai mis dans une rime de bois (...) / On me pardonnera en une heure tous mes péchés, puis les poètes m'insulteront (...) / Mais je ne vois pas encore la tombe. N'ai-je pas droit à une tombe après toute cette peine ? ».
 
Poète, tu as vu juste. On t'a absout mais déjà, oui déjà, des va-nu-pieds à peine chaussés t'insultent, souillent ta mémoire, moquent ton engagement, nient tes sacrifices. Les uns disent que tu as tenu, jadis, des propos interdits. Les autres pensent te célébrer en affirmant que tu avais fini par oublier le chemin des luttes. N'aie crainte, poète, ceux-là ne sont pas des nôtres, ils ne peuvent comprendre.

Poète, tu as eu droit à une tombe mais était-ce celle que tu espérais ? Ils ont rasé Al-Birwah et même mort, ils ont continué à t'interdire la Galilée. C'est toujours ainsi qu'ils se grandissent, pourquoi en serions-nous surpris ? Poète, ils ont banni tes poèmes et on peut les entendre rire et vociférer qu'au bout de la route, c'est bien toi qui es mort n'importe où mais pas chez toi ; n'importe où mais pas chez eux.
 
Poète, il nous faut relire tes vers : « Nous sommes ce que produit la terre qui ne nous appartient pas / Nous sommes ce que nous produisons dans la terre qui fut nôtre / Nous sommes les traces que nous laissons en exil et en nous / Nous sommes les plantes du pot brisé / Nous sommes ce que nous sommes et qui nous sommes, alors, qu'importe le lieu ? / Nous devons tourner maintenant autour de la planète grosse de ce qui lui ressemble / Et qui le déposera de son haut trône / Pour que nous soyons enterrés n'importe où. »

Poète, ton peuple te pleure. Pour lui, rien ne change, tout empire. Son voyage continue et il s'en ira, répétant, encore et encore : « Sur le chemin, il y aura encore du chemin. Il y a de quoi voyager encore dans le chemin (...) / Et sur le chemin, il y a encore du chemin à parcourir et parcourir. Vers où m'emportent les questions ? / Je suis d'ici et je suis de là-bas, et je ne suis ni ici ni là-bas. Je jetterai tant de roses avant d'atteindre une rose en Galilée. » Poète, tu es parti avant l'arrivée de l'automne. Que t'a dit la vie à ton départ ? T'a-t-elle proposé de revoir ton village ? T'a-t-elle donné quelques nouvelles de l'enfant de Tâlibîya ? Lui as-tu dit que lui aussi nous manque ? Qui donc va vous remplacer ?

Poète, en étais-tu sûr ? La poésie n'a-t-elle vraiment rien gagné ? Qui trouvera les mots pour décrire le mur de béton qui fend le tronc des oliviers ? Qui consolera la vieille qui ploie sous la fournaise et les insultes de brutes venues de Moscovie et de bien au-delà ? Qui écrira la poésie de la pluie, de la boue, de l'attente et du checkpoint ? Poète, en sommes-nous réduits à espérer que les gagnants seront les perdants ? Et qu'un jour, « bonnes dames, braves messieurs, la terre des hommes sera pour tous les hommes » ?

Poète, qui va défendre l'humanité de ton peuple ? Qui fera taire ceux qui affirment que les tiens n'ont ni âme ni mère ? Ils devront être nombreux à clamer : « Je suis de là-bas. Et j'ai des souvenirs. Je suis né comme naissent les gens. J'ai une mère (...) / Je suis de là-bas. Je restitue le ciel à sa mère quand il pleure sa mère. / Et je pleure pour que me reconnaisse le nuage à son retour (...) J'ai appris tout le langage et je l'ai défait pour composer un seul mot : Patrie... » Il leur faudra hurler car, ici et là, sycophantes et imprécateurs veillent, eux qui n'ont de cesse de nier les pleurs de leurs victimes. Le monde que tu quittes n'est pas près de changer, peut-être même va-t-il empirer. Petit à petit, se prépare une autre tragédie que l'on nous obligera à appeler « transfert », « rééquilibrage des populations » ou que sais-je encore... Alors, les tiens soupireront : « Et nous, nous aimons la vie autant que possible / Nous dansons entre deux martyrs (...) / Nous aimons la vie autant que possible / Là où nous résidons, nous semons des plantes luxuriantes et nous récoltons des tués. »

Poète, tu avais raison. « C'est mort qu'ils m'aiment » avais-tu prédit. « C'est mort qu'ils m'aiment afin de pouvoir dire : il était des nôtres, il était nôtre. » Tous ont dit que tu étais des leurs. Les tiens, comme leurs ennemis qui se sont toujours prétendus ennemis de vos ennemis. Tu les connaissais bien poète, ceux qui du Tigre au Jourdain en enjambant l'Oronte et le Barada vous ont enlacés pour mieux vous égorger. « Il étreint son meurtrier pour gagner sa clémence (...) / Frère, ô mon frère ! Qu'ai-je fait pour que tu m'assassines ? (...) / Tu me tueras pour que l'ennemi s'en retourne à sa maison-notre maison et que tu retournes au jeu de la grotte ? »

Mais... Poète. Rien n'est perdu, rien n'est assouvi. Nous irons un jour sur une colline de Galilée et nous la couvrirons d'un lit de roses écarlates.
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samedi 11 août 2012

La chronique du blédard : Du Printemps arabe et des intérêts de l’Occident

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 9 août 2012
Akram Belkaïd, Paris

L’Occident est-il en train de tirer les fils de la tragédie syrienne et, de façon plus générale, ceux des révolutions et révoltes arabes ? On le sait, cette question divise car, de sa réponse, dépend la position adoptée vis-à-vis d’un processus qui a débuté en décembre 2010 – avec les premières émeutes en Tunisie – et dont personne n’est capable à ce jour d’en prédire l’aboutissement. En tout état de cause, une idée revient en force y compris en Algérie : ce que l’on appelle « Printemps arabe » ne serait qu’un complot euro-américain. 

Autrement dit, la chute du régime de Ben Ali, la démission forcée de Moubarak, les victoires électorales des islamistes en Egypte et en Tunisie, la mort de Kadhafi ainsi que la dislocation actuelle de la Syrie, tout cela est donc vu comme ayant été programmé par quelques cabinets occultes occidentaux voire israéliens. On le sait, c’est l’intervention de l’Otan en Libye qui, la première, a modifié la perception générale et donné crédit à l’hypothèse d’un grand plan mis en œuvre pour redessiner les contours du Maghreb et du Machrek (en attendant, peut-être, le Golfe). Aujourd’hui, le drame syrien et le soutien accordé par les Etats-Unis et l’Europe à la rébellion – notamment via leurs auxiliaires et supplétifs des monarchies pétrolières – confortent cette idée. Mais faut-il pour autant crier au complot ?

Dans un récent éditorial du Quotidien d’Oran, M. Saadoune a remis les choses en perspective (*). Faisant référence à un article d’Abdelbari Atwan dans Al-Quds Al-Arabi, il rappelle qu’à la base il y a bel et bien une volonté populaire – et surtout légitime - de se défaire de dictatures implacables cela indépendamment du fait que, par la suite, les Occidentaux ont tout fait pour récupérer et orienter les révoltes. Ni Ben Ali, Ni Moubarak, Ni Kadhafi et encore moins Assad ne peuvent être défendus. Quitte à se répéter, il faut rappeler que ces dirigeants ont été ou sont encore la principale raison de la ruine de leurs pays. En divisant et en maltraitant leur peuple, en leur niant le droit aux droits, ils ont créé les germes de la division et ouvert la voie aux ingérences extérieures. Les gens qui ont pris les armes contre Kadhafi ou Assad l’ont d’abord fait pour eux-mêmes. Pour résumer les choses, ce n’est pas la CIA qui a poussé Bouazizi à s’asperger d’essence même si cette agence, comme ses partenaires européennes, savait que tôt ou tard que ce type d’événement déboucherait sur une révolte générale (et les plans pour agir en conséquence existaient certainement dans ses cartons).

Dans cette affaire, deux naïvetés s’opposent. La première consiste à croire que l’Occident n’a aucune idée derrière la tête vis-à-vis du monde arabe. La seconde pousse quant à elle à s’indigner du fait que, justement, il cherche à tirer profit de la situation. La vérité c’est qu’un Etat digne de ce nom fera toujours tout pour défendre ses intérêts qu’ils soient économiques, militaires ou politiques. A long terme, il déploiera de nombreuses stratégies basées notamment sur la prospective – via notamment l’étude de tous les scénarios possibles - et l’anticipation. A court terme, il cherchera toujours à profiter des circonstances pour, justement, être au plus près de ses objectifs de long terme. Pour autant, aucun Etat n’est infaillible. 

A lire les ouvrages spécialisés et les biographies des grands de ce monde, on voit bien que cela ne se passe pas toujours de manière idéale. L’idée que des mécaniques d’une grande précision sont à l’œuvre est très répandue chez les Arabes. Elle est pourtant exagérée, car l’Occident, c’est aussi de l’improvisation (on dira ce que l’on voudra mais ce fut le cas de l’intervention en Libye), des politiques à court terme qui débouchent sur des catastrophes, des intérêts internes divergents qui s’opposent et, pour finir, de grosses erreurs (cas de l’Iran en 1980, de l’Irak en 2003).

Cela étant précisé, personne ne peut nier que pour l’Occident, Etats-Unis en tête, ce qui se passe actuellement est une grosse opportunité. Passé un premier temps de flottement - ce fut le cas avec les révoltes tunisienne et égyptienne - de nombreux mécanismes de prise en charge des mouvements contestataires ont vu le jour. Qu’il s’agisse de « l’encadrement » de l’opposition syrienne en exil à la prise en charge plus ou moins directe de la période de transition post-Kadhafi en passant par la mise à disposition de « l’expertise démocratique et électorale » à la Tunisie d’après-Ben Ali, les Occidentaux sont très présents. Mais pourquoi faire ? Pour prendre le contrôle du monde arabe ? Pour l’asservir ? Pour garantir la sécurité et la domination régionale d’Israël ? Nombre d’Arabes sont persuadés que c’est cela qui est en jeu : plus d’un demi-siècle après les indépendances, les révolutions et révoltes en cours mèneraient ainsi à une nouvelle mise sous tutelle de leurs pays par l’Occident. Et c’est là où – conséquence des propagandes sur le thème de la souveraineté - intervient un incroyable déni de réalité. Car, dans les faits, le monde arabe est déjà sous contrôle depuis des décennies.

D’abord, les tyrans qui sont tombés étaient des tigres de papiers ayant tous fait allégeance à l’Occident d’une manière ou d’une autre. Même Assad, qui finira par perdre le pouvoir, a longtemps été le « meilleur ennemi » d’Israël, comprendre un adversaire qui sait regarder ailleurs quand l’aviation israélienne bombarde le Liban ou Gaza. Ensuite, il suffit de se reporter à l’économie. En 2012, le monde arabe importe 80% de ses besoins en ingénierie et produits industriels et 60% de ses besoins alimentaires. Vue de l’intérieur, cette dépendance et cette insécurité ne font même pas débat. 

C’est que les Arabes vivent dans l’illusion d’une résistance à l’impérialisme occidental et à la mondialisation libérale telle qu’elle a été conçue par les Chicago Boys et Wall Street. Or, exception faite des Palestiniens (quoique…) et, dans une autre mesure, du Hezbollah libanais, cela fait plus de vingt ans que leurs gouvernements – et leurs élites - ont abdiqué. De Casablanca à Dubaï, le monde arabe n’est plus qu’un immense bazar aux fondations fragiles et incapables de vivre de manière autonome. Au-delà des habituels gargarismes nationalistes, il est temps de reconnaître que les pays arabes sont tenus. Et que les efforts de l’Occident vis-à-vis des processus de changement en cours visent simplement à ce que cette domination perdure voire à ce qu’elle se renforce. 

Quant aux plans à long terme de l’Europe et des Etats-Unis vis-à-vis d’une région qui détient plus du tiers des réserves pétrolières et gazières de la planète, c’est là une question qui mériterait une véritable analyse stratégique des principaux concernés, autrement dit les gouvernements arabes eux-mêmes. Et il n’est même pas sûr que cette réflexion soit menée…

(*) Un constat testamentaire, dimanche 5 août 2012.
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vendredi 3 août 2012

La chronique du blédard : Steaks de dinde, boureks, sabayon et pastèque grillée

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 2 août 2012
Akram Belkaïd, Paris

Il faudrait, dit en préambule le premier larron, imaginer un système pas trop compliqué avec des contributions sans signatures de manière à éviter tous les problèmes habituels d’égos et de rivalités puériles. Les idées seraient mises en ligne sans que l’on sache qui en est l’auteur. Ce serait une bonne manière d’obliger les uns et les autres à faire preuve d’altruisme. Du coup, ça éloignerait tous les petits malins qui ont toujours une petite idée derrière la tête. Ceux du genre à provoquer une scission pour créer leur propre cercle avec le travail et le carnet d’adresse des autres.

C’est une bonne idée, dit le second. Mais, je ne suis pas sûr que l’on puisse convaincre beaucoup de rédacteurs avec ce genre de système. Ce n’est pas facile de renoncer à la paternité d’une idée ou d’un écrit. N’est pas The Economist qui veut. Si on ne valorise pas le travail des gens, ils préféreront le publier ailleurs. Faudrait réfléchir, intervint le troisième. Les idées, ça va, ça vient et elles finissent par n’appartenir à personne. Sinon, à quelle heure on termine ? Il faut que j’y aille bientôt.

Regard en biais des deux autres. On vient à peine de commencer, proteste le premier. Quoi, tu as un rencart ? interroge le second. Faut toujours que tu sois pressé, ajoute le quatrième qui jusque-là s’est tenu coi. C’est que je dois aller à Blida, se justifie le sermonné. On m’a dit qu’il y a un éleveur qui vend d’incroyables steaks de dinde. Une chair tendre, idéale pour une grillade ou pour les brochettes du soir. Un aller-retour sur la plaque ou le barbecue et le tour est joué. Tu rajoutes de la moutarde italienne, tu sais, celle qui est un peu sucrée, une noisette de beurre salé, tu accompagnes ça avec de la galette et c’est un festin. Le mieux, c’est de rajouter de la tomate passée à la poêle. Ça atténue la sécheresse de la viande.

Je peux venir avec toi ? demande le quatrième en avalant sa salive. On prendra de la zlabia[1] de Boufarik en passant. La dinde, ça me changera un peu des boureks[2]. Ça se cuisine aussi en ragoût, non ? Si je me souviens bien, j’en ai déjà mangé avec des pommes de terre en sauce, un peu de menthe sauvage et des pois-chiche. C’est possible, acquiesce le numéro trois. Mais, pour mon ventre, ce sera boureks et steak de dinde. Avec moi, faut pas jouer avec le bourek, surtout l’algérois. Impossible de manger la chorba[3] sans ça. Ah oui ? s’étonne le numéro deux qui a posé son stylo et refermé son moleskine. Moi, il me faut surtout le brik[4] à l’œuf. Qu’il soit nature ou avec du thon et de la purée de pomme de terre. Remarque, j’ai une belle-sœur qui fait de superbes boureks à la cervelle et aux épinards.

Ça vous gênerait de vous concentrer un peu ? proteste le premier. Allez, on oublie un peu la bouffe. L’adhane[5], c’est dans huit heures. Vous avez le temps d’y penser. Parce que toi tu n’y penses pas, s’amuse le troisième ? C’est pas toi qui m’as appelé hier pour me demander où trouver de la glace au sabayon ? C’est quoi ça ? demande avec gourmandise le quatrième. Un entremet que j’ai mangé il y a longtemps en Italie, explique le premier un peu à contrecœur. De la crème glacée, de la mousse de citron et une petite génoise en dessous. Un délice. De quoi bien terminer le repas. Tu vois, on passe trop vite du salé au sucré. L’entremet, c’est la bonne transition entre les plats en sauce et les pâtisseries du soir.

Moi, dit le numéro trois, j’ai demandé à madame de me préparer des gratins de fruit. Y’a rien de mieux. Chorbabourek, grand plat en sauce, un peu de salade, verte ou de poivrons, et ensuite le gratin sucré. Avec ça, tu es prêt pour la deuxième étape. Un gratin de fruit ? Quels fruits ? s’enquiert le numéro quatre. Jamais entendu parler de ça ! C’est comme elham-lehlou[6] ? Pas vraiment, répond l’autre. Là, t’es pas obligé d’utiliser des pruneaux et des abricots séchés. Tu peux à la rigueur garder les raisins secs et la cannelle mais le meilleur gratin de fruit, c’est avec des poires, des pêches et, quand c’est la saison, des nèfles.

Je note l’idée, dit le premier. Au fait, je vous ai raconté que j’ai mangé un jour de la pastèque grillée ? Si, si, je vous jure. Des tranches fines, passées sur le grill avec de la lavande. Ça se mange en entrée ou en dessert. Ça peut aussi se préparer en brochette avec du melon, de la figue et des fraises. Un délice. Moi, dit le numéro deux, ça fait des jours que je rêve de sardines en boulettes, avec de la coriandre, du paprika et juste ce qu’il faut de panure pour que ça crisse un peu sous la dent. Dire que je détestais ça quand j’étais gamin…

J’adore ça aussi, dit le quatrième. Et les beignets de dorade ou de merlan ? Tu y as déjà goûté ? Bien frits, presque croquants, avec une purée de piments à l’huile d’olive. Je ferai des kilomètres à pied pour ça et pour une bonne galette kabyle. C’est pas tout, l’interrompt le troisième mais faut vraiment que j’y aille. Si vous voulez, je vous prends deux kilos de steaks chacun. Vas-y, de toutes les façons je ne vois pas ce qu’on pourrait dire de plus, dit le numéro deux. 

Allez, on lève la séance ! décide le premier. Mais il faut tout de même qu’on se revoie. On fera la prochaine réunion après le ftour[7]. Si on n’est pas trop assommés, objecte le troisième. Moi, ça va être difficile dit le quatrième, y’a pas mal de concerts en vue. Ça, avec les soirées familiales, je risque d’être très pris. Attendons alors la fin du ramadan, propose le numéro deux. Oui, c’est plus sage conclut le premier larron. Attendons la fin du ramadan…


[1] Pâtisserie au miel d’origine andalouse, très prisée au Maghreb pendant le ramadan, notamment en Tunisie et en Algérie.
[2] Plat d’origine turque constitué d’une pâte fine (dioul ou malsouka) entourant de la viande, des œufs ou des épinards ou parfois même du fromage ou de la cervelle, le tout étant frit.
[3] Soupe traditionnelle à la tomate, à la viande ovine (mouton ou agneau), au blé concassé (frik)  - parfois remplacé par des vermicelles – et parfumée à la coriandre et à la menthe. La chorba est le plus souvent servie au début du repas de rupture du jeûne. La chorba est très
[4] Entrée constituée d’une pâte fine (dioul ou malsouka) frite. Plat très populaire en Tunisie et dans l’est algérien.
[5] L’adhane signifie l’appel à la prière. Dans le cas présent, cet appel correspond aussi au moment de la rupture du jeûne (adhane al-maghrib, ou appel à la prière du coucher de soleil).
[6] Plat en sauce à la viande, aux oignons, aux pruneaux et aux abricots secs.
[7] Repas. Désigne ici le repas de rupture du jeûne.
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Soifitude

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