Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 29 février 2012

SlateAfrique : Guerre d'Algérie: quand la France fait son travail de mémoire

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Les accords d'Evian ont été signés le 18 mars 1962. La France se repenche enfin sur son passé.

Les présidents français Sarkozy et algérien Bouteflika, Nice, 31 mai 2010. REUTERS/Eric Gaillard REUTERS/Eric Gaillard
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Production éditoriale impressionnante, documentaires et reportages dans la presse écrite et les télévisions, colloques, salons du livre, débats aux quatre coins de l’Hexagone en attendant les commémorations et autres cérémonies officielles.
Le moins que l’on puisse dire c’est que la France n’ignore pas le cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie ou, si l’on se place du côté algérien, le cinquantième anniversaire de l’indépendance. Chaque jour ou presque, le passé algérien de la France est présent à travers l’actualité culturelle, littéraire, universitaire ou même artistique. Pour l’heure, la classe politique française reste un peu en retrait de ce mouvement mais gageons que l’Algérie va bientôt faire son entrée dans la campagne électorale.

La classe politique française rattrapée par l'Algérie

Il suffira d’une phrase, d’une déclaration outrancière de l’une des candidates à l’élection présidentielle (suivez mon regard…), d’une référence appuyée à un camp ou à l’autre et l’on se retrouvera avec l’une de ces polémiques mémorielles dont la France a le secret. Souvenons-nous de 2005 et de cette tristement célèbre loi sur les aspects positifs de la colonisation (abrogée depuis). A l’époque ce ne fut que diatribes et prises de positions tranchées comme si les blessures du passé n’attendaient qu’une occasion pour se rouvrir.
On peut donc s’attendre à ce que des dérapages interviennent le 19 mars prochain, date anniversaire de l’entrée en vigueur des Accords d’Evian et du cessez-le-feu entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). Ce sera peut-être le moment pour les uns de vanter feu l’Algérie française, de dénoncer les «crimes du FLN», de verser des larmes de crocodiles sur les harkis, de pleurer les populations européennes «massacrées après l’indépendance» notamment à Oran et d’en rajouter une couche sur l’immigration algérienne en France. Ce sera aussi l’occasion, pour d’autres, de rappeler la monstruosité de l’ordre colonial, la torture, les corvées de bois, les zones interdites et, bien sûr, les violences suicidaires de l’OAS.

Un transfert mémoriel

Mais, pour l’heure, nous en sommes peut-être au meilleur moment des commémorations du cinquantième anniversaire. Les politiques se tenant encore à distance de ce sujet, c’est toute la richesse d’une production intellectuelle diverse qui nous est offerte.
Que de livres, que de sujets d’interrogations, que d’écrits destinés à revisiter une période charnière, celle de la fin du processus de décolonisation et de la naissance d’une nation. Cette profusion de manifestations démontre l’importance de la mémoire algérienne en France.
Une importance souvent minimisée par la classe politique française qui tend à vouloir banaliser ses rapports avec l’Algérie. Une banalisation qui, finalement, ne tient guère compte de la réalité. Même si elle n’est guère citée, l’Algérie est un fantôme qui hante les couloirs du Palais de l’Elysée ou du Palais-Bourbon où siègent les députés français. Ainsi, quand ces derniers décident que la loi punira désormais les insultes à l’encontre des harkis et autres supplétifs de l’armée française durant la Guerre d’Algérie, ils ne font que faire resurgir un passé qui refuse de disparaître.
 
Et il ne faut pas croire que les jeunes générations sont moins concernées par cette période. Comme l’explique souvent l’historien Benjamin Stora, il y a bel et bien eu un transfert mémoriel.
Des jeunes originaires de familles pieds-noirs veulent comprendre, décoder, saisir une réalité coloniale que leurs parents leur ont parfois décrite de manière sommaire ou fantasmée.
Cela ne signifie pas que les jeunes générations reprennent à leur compte les engagements passés de leurs aînés. Ce n’est pas parce que le père était «Algérie française» que le fils ou la fille adoptent aujourd’hui une position hostile à l’Algérie indépendante ou à l’égard des Algériens qui résident en France.
Ils veulent tout simplement comprendre, analyser et, souvent, être au plus près de leurs racines. Cela vaut aussi pour d’autres acteurs de ce que fut la Guerre d’Algérie. Enfants et petits-enfants respectifs de harkis, de militants du Mouvement national algérien (MNA), de porteurs de valises, de déserteurs de l’armée française, d’objecteurs de conscience: Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui veulent comprendre et en savoir plus.

Désintérêt des Algériens

L’omniprésence du cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie tranche de manière paradoxale avec le relatif désintérêt des Algériens pour la commémoration du cinquantième anniversaire de l’indépendance de leur pays. Certes, quelques manifestations sont bien prévues ça et là. Bien sûr, le sujet est abordé par la presse, notamment par le biais d’articles mémoriels ou de biographies de militants disparus. Mais l’on ne sent pas la même frénésie, le même appétit à la fois culturel et artistique pour ce moment clé de l’histoire des Algériens.
A cela, on peut trouver plusieurs explications. Il y a d’abord le fait que les Algériens ont d’autres chats à fouetter dans une conjoncture marquée par d’importantes tensions sociales et des difficultés économiques qui assaillent la majorité de la population. Il y a aussi le fait que cette Guerre d’indépendance ne parle guère aux jeunes générations même si le pouvoir en place, émanation comme il le dit lui-même de la «famille révolutionnaire», dira toujours le contraire. Il serait d’ailleurs intéressant de pouvoir procéder à un sondage-test en interrogeant les moins de trente ans en Algérie. Les questions posées pourraient être les suivantes: combien de temps a duré la guerre d’indépendance? Quelle est la date exacte de l’indépendance? Dans quelles circonstances est né le FLN? Qui a signé les accords d’Evian? Les résultats risqueraient d’être très surprenants…

Le spectre de la décennie noire et la perspective des élections

La tiédeur des Algériens vis-à-vis de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance vient aussi du poids de la décennie noire (1992-2002). C’est cette dernière qui est encore dans tous les esprits puisque l’Algérie n’en finit pas de panser les plaies de ce qui fut une guerre civile qui n’a jamais voulu dire son nom. Et le fait que le pays soit encore confronté aux mêmes problèmes politiques qu’au début des années 1990 n’arrange pas les choses.
La perspective d’élections législatives controversées (une partie de l’opposition a décidé d’opter pour le boycottage) le 10 mai prochain, les interrogations à propos de la succession du président Abdelaziz Bouteflika, tout cela fait passer le souvenir de l’indépendance au second plan. Reste enfin une autre explication majeure qui relève du non-dit. En effet, fêter l’indépendance, c’est être obligé de faire le bilan de ces cinquante dernières années. «Qu’avons-nous fait de notre indépendance?» est une question que les dirigeants algériens n’ont guère envie de voir posée par leur peuple et, surtout, à laquelle ils n’ont guère envie de répondre…

vendredi 24 février 2012

La chronique du blédard : Z et le peuple grec

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Il faut relire - ou lire - Z de l'écrivain Vassilis Vassilikos. Publié en 1966, traduit en langue française en 1967, adapté par la suite au cinéma par Costa Gavras (1969), ce livre parlera à celles et ceux qu'interpelle la situation actuelle de la Grèce. Dans le roman, il est question de l'assassinat, le 22 mai 1963 à Thessalonique, du député pacifiste Grigoris Lambrakis par des nervis d'extrême-droite appointés par la police locale. Renversé volontairement par un triporteur, Lambrakis, médecin et ancien marathonien, décédera de ses blessures. Ses funérailles seront suivies par une foule silencieuse de près de 500.000 personnes tandis que les murs d'Athènes se couvraient de lettres Z peintes dans toutes les couleurs. Z pour zei : il vit. Ce n'est qu'une simple coïncidence mais comment ne pas penser à Z en apprenant la mort du grand réalisateur Théodoros Angelopoulos, renversé par un motard de police en janvier dernier alors qu'il tournait son troisième film consacré à la crise ? 

Dans le roman de Vassilikos, l'occupation nazie de la Grèce est souvent mentionnée. Elle détermine le passé de nombre de personnages, leurs engagements, leurs divisions et leurs accointances. Au détour de quelques phrases, on réalise à quel point cette occupation a été féroce et violente. Et l'on comprend alors la colère des Grecs quand ils ont appris que la chancelière allemande Angela Merkel entendait mettre leur pays sous tutelle, son idée étant de placer en permanence un Commissaire européen à Athènes. Le rôle de cet envoyé très spécial aurait été de s'assurer que le gouvernement grec respecte ses engagements en matière d'économies et de réformes structurelles, c'est-à-dire, pour dire les choses telles qu'elles devraient être précisées, qu'il obéisse sans ciller aux injonctions européennes en matière d'appauvrissement de sa propre population.

Merkel voulait donc imposer un Commissaire ou un proconsul pour s'assurer que les créanciers puissent être servis avant la santé et l'éducation des enfants grecs. Ein Kommissar pour veiller au grain et pour exercer un diktat comme au temps de la présence nazie. Impossible alors de ne pas comprendre la colère d'un Manolis Glazos, héros de la résistance grecque – il est celui qui a décroché le drapeau nazi de l'Acropole en 1941. Impossible aussi de ne pas s'indigner quand on apprend que cet homme de 89 ans a été violenté par la police grecque chargée de réprimer les manifestations contre les plans d'austérité imposés par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international).

Depuis le début de la crise en 2009, les Grecs ne cessent de subir l'humiliation de leurs pairs européens. Ils ont beau s'immoler par le feu, faire la queue aux soupes populaires, avoir perdu la moitié de leur pouvoir d'achat en un an (du jamais vu en Occident depuis la Grande Dépression de 1929), avoir perdu leurs logements, être accablés par les banques et se lever chaque matin la peur au ventre, c'est toujours un index méprisant et menaçant qui est pointé sur eux. Il faut se pincer après avoir entendu Jean-Claude Junker, président de l'eurogroupe, exiger des Grecs qu'ils privatisent en affirmant qu'il existe des éléments de corruption à toutes les échelles de leur administration. Il est vrai que ce Luxembourgeois peut donner de telles leçons puisque son pays n'est certainement pas cette blanchisseuse pour argent sale en provenance des quatre coins de la planète y compris de Grèce... D'ailleurs, pourquoi l'Union européenne ne lève-t-elle pas le secret bancaire de certains de ses membres pour permettre à Athènes de récupérer une partie des 200 milliards d'euros ayant échappé au fisc ? Que veulent donc les Européens ? Un coup d'Etat ? Le retour des colonels, ces officiers de triste mémoire qui avaient pris le pouvoir en 1967 et dont on sent bien la menace pointer à la lecture de Z ?

Dans le livre de Vassilikos apparaît une autre réalité de la Grèce. On prend immédiatement conscience du népotisme qui affecte ce pays. Il y est question du couple infernal de pauvreté et de clientélisme. Il y est question de passe-droits et de piston. A la lecture des noms d'hommes politiques de l'époque, on réalise que ce sont leurs enfants ou neveux qui sont en poste aujourd'hui et que la Grèce, est finalement comparable au Liban ou à d'autres pays arabes avec un despotisme népotique ruineux. C'est indéniable, le peuple grec est victime de sa classe politique, de droite comme de gauche. Et le plus terrible c'est que cette dernière refuse qu'on lui impose des sacrifices (les députés grecs ne veulent guère baisser leurs salaires…) tandis que la population, elle, descend aux enfers, le pistolet sur la tempe.

Dans Z, la guerre civile qui a opposé les Grecs au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale est toujours présente en arrière-fond. Nationalistes contre communistes, droite contre gauche. On peut penser que cette ligne de fracture a disparu. Pourtant, on sent que désormais tout est possible dans ce pays, y compris le pire. Jamais un peuple européen n'a été aussi maltraité par le néolibéralisme. Même la presse allemande le reconnaît : après la chute du mur de Berlin, les Allemands de l'Est ont subi moins d'avanies que celles que les Talibans néolibéraux, pour reprendre une expression de Daniel Cohn-Bendit, infligent aujourd'hui aux Grecs sous prétexte qu'ils ont vécu au-dessus de leurs moyens. En réalité, ce qui se joue en Grèce concerne le monde entier. Ce qu'endurent les Grecs aujourd'hui, d'autres risquent tôt ou tard de le subir car la machine néolibérale ne rencontre que peu de résistance. C'est pourquoi il faut être solidaire avec ce peuple car, malgré tout, il existe, il se bat, il veut vivre. Il vit encore. Zei…... 

Le Quotidien d'Oran, jeudi 23 février 2012
Akram Belkaïd, Paris
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jeudi 23 février 2012

Slate Afrique : Pourquoi Tahar Ben Jelloun n'écrit rien sur le Maroc?

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Pourquoi Tahar Ben Jelloun n'écrit rien sur le Maroc?

L'écrivain a récemment écrit une tribune dans le Monde sur Bachar al Assad. Mais pourquoi est-il aussi peu prolixe sur son pays d'origine?


Manifestation à Rabat le 19 février 2012. AFP/ABDELHAK SENNA
L'AUTEUR
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Voilà qu’il recommence! Voilà qu’il inflige encore aux lecteurs du quotidien Le Monde une soupe inodore et tiède à propos des méfaits d’un dictateur arabe (Bachar Al-Assad, intime, 19 février 2012).
«A l’heure où le régime syrien réprime dans le sang les révoltes de son peuple, un écrivain s’immisce dans le cerveau du dictateur pour tenter de comprendre sa logique implacable», est-il écrit en préambule de ce texte qui fera certainement date... Assad, tremble, Tahar Ben Jelloun a scanné ton cerveau d’assassin.
Commençons par préciser une chose: l’auteur de cette chronique n’a aucune sympathie pour le régime syrien et se déclare ouvertement solidaire de celles et ceux qui manifestent contre le dictateur et son clan de mafieux sanguinaires. Mieux, il n’a aucune empathie pour les tenants de la thèse du complot qui veulent nous faire croire que la Syrie d’Assad serait la victime de je ne sais quelle tentative de déstabilisation de puissances occidentales voire d’Israël. Refermons la parenthèse et revenons-en à l’écrivain marocain.

 

Rien sur le Maroc?

Ben Jelloun est un multi-récidiviste et un spécialiste de la manoeuvre dilatoire. Il ne cesse de se mêler des affaires du monde arabe. Ben AliKadhafiMoubarak et aujourd’hui Assad. Il les a tous auscultés et jugés. On dira que c’est normal, que c’est le rôle de tout écrivain de prendre la parole et de dénoncer les folies des dictateurs. Problème: Ben Jelloun ne parle jamais ou presque duMaroc de Mohamed VI. Comment alors le prendre au sérieux? Comment lui concéder la moindre légitimité? En janvier 2011, alors que le régime tunisien de Zine el-Abidine Ben Ali vient de tomber, il publie un texte dans Le Monde où il passe en revue les «sociétés dans le monde arabe où tous les ingrédients sont réunis pour que tout explose» et où trois Etats entrent, selon lui, dans cette configuration: La Libye, l’Algérie et l’Egypte (Un printemps en hiver, 23 janvier 2011).
Rien sur le Maroc. Rien sur les monarchies du Golfe (lesquelles ont proposé au Maroc de faire partie de leur Conseil de coopération). Rien non plus sur les premières manifestations qui conduiront à l’émergence du mouvement du 20 février. Rien sur un climat social extrêmement tendu, rien sur l’aggravation des inégalités dans le royaume chérifien, rien sur l’affairisme au plus haut-niveau qui gangrène le pays, rien sur le comportements des néo-colons européens qui se comportent au Maroc comme si sa population et sa dignité n’existaient pas.

Le Maroc n'est pas une exception dans le printemps arabe

Au fil de l’actualité du Printemps arabe, Ben Jelloun va toujours appliquer la même règle de conduite propre aux intellectuels du Makhzen. Parler des autres pays arabes, à commencer parl’Algérie sur laquelle il est effectivement très facile et très justifié de cogner, mais silence à propos du Maroc. On pourrait penser que la situation actuelle dans le Royaume devrait lui inspirer une saine colère. Des jeunes qui s’immolent par le feu, des manifestants qui se font violemment tabasser par les forces de l’ordre, des protestataires embastillés pour un oui ou un non comme au bon vieux temps des lettres de cachet. Mais chut… Ben Jelloun a d’autres combats à mener. Les violents affrontements entre la population de Taza et les forces de l’ordre début février? Il n’est peut-être pas au courant…
D’ailleurs, comment lui en vouloir puisque la presse française ne parle guère de ce qui se passe au Maroc. De même, Ben Jelloun n’a-t-il peut-être jamais entendu parler de Walid Bahomane, ce jeune homme de 18 ans qui vient de comparaître devant le tribunal de Rabat, au Maroc, pour avoir publié sur Facebook des photos et vidéos satiriques du roi Mohamed VI. Peut-être aussi n’a-t-il jamais entendu parler de l’ex-champion du monde de boxe thaïe Zakaria Moumni, séquestré et torturé par les services marocains de sécurité pour avoir voulu tenter de s’approcher du roi? Peut-être aussi, n’a-t-il jamais entendu parler de ces désespérés qui se sont immolés par le feu au cours des dernières semaines en divers points du Royaume?
Tahar Ben Jelloun a tout à fait le droit d’être un défenseur de la monarchie marocaine. Mais, de grâce et par décence, qu’il ne se pare pas de l’habit de l’écrivain arabe engagé. Qu’il continue donc à servir son onctuosité ampoulée au tout Saint-Germain des près et qu’il cesse de faire croire à ses lecteurs que le Maroc est une exception dans un monde arabe qui n’en finit pas de se battre pour ses droits et sa dignité.

Akram Belkaïd
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mardi 21 février 2012

La chronique du blédard : Monologue d'un Français du dix-septième arrondissement parisien et d'origine chinoise

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Non, je n'habite ni le Treizième ni Belleville ! Je vis dans le dix-septième depuis ma naissance. Comme tu peux l'entendre, je parle le français sans accent mais on me posera toujours les mêmes questions débiles ! Oui, je parle chinois, non je n'ai pas la nationalité chinoise, oui j'ai des parents en Chine, non je ne suis pas marié à une chinoise ou à une française d'origine chinoise. Ma femme est alsacienne, hé oui... Je suis français… comme Guéant ou Sarkozy. Je suis français et j'aime la Bretagne, la tête de veau et le PSG mais à chaque fois que je le dis, je vois, je devine des sourires entendus. Même toi tu souris. Si, ne le nie pas ! Tu te dis, le pauvre, il y croit vraiment. C'est vrai que j'y crois. Je me sens français même quand on me fait sentir que je ne le suis pas. Même quand on veut me prouver que je ne le suis pas vraiment. Qui ça ? Les Français de souche bien sûr, mais aussi des parents, des amis, des gens comme toi qui viennent d'ailleurs… 

Ces histoires de Chinois qui s'intègreraient mieux que les Arabes ou les Africains, c'est de la foutaise. Ce n'est pas parce que l'on se tait et que l'on ne dit rien que tout va bien. Deux ou trois fois par semaine, j'entends des choses, j'en vois d'autres, qui me mettent en colère ou qui me blessent mais on m'a appris à ne pas faire d'histoire. Gamin, on m'a dit, c'est ton pays, il faut que tu fasses des efforts. On m'a répété que cela ne servait à rien de hausser le ton. Alors oui, je préfère le silence mais je n'en pense pas moins. Comment te dire ? C'est un peu bizarre mais il m'arrive souvent de me sentir plus Français que celui qui cherche à me convaincre du contraire. Oui, c'est bien ça. Je suis plus français qu'un raciste du Front national. Ce n'est pas juste une manière de me préserver ou de me raconter des histoires. Tiens, écris-le comme ça : je suis plus français que Guéant, Hortefeux ou Le Pen.

Dans ma boîte, il y a souvent des rumeurs de délocalisation en Asie y compris pour le service recherche et développement où je travaille. La dernière fois, une collègue m'a regardé avec des éclairs dans les yeux, comme si c'était de ma faute ! Et puis, elle a fini par lâcher le morceau. Toi, tu n'as rien à craindre, tu pourras toujours aller travailler en Chine, m'a-t-elle lancé. Je ne suis allé qu'une seule fois en Chine. C'était il y a deux ans. Je devais y rester trois semaines, je suis rentré à Paris au bout de quatre jours. Là-bas, ce n'est pas mon pays. J'y suis étranger, je m'y sens étranger. Les gens… Les gens n'ont pas les mêmes codes que nous.

Il y a aussi les plaisanteries débiles sur les chats. Où que j'aille, il y en a toujours un qui va faire le malin en se demandant à voix haute pourquoi les chats ont disparu dans le treizième arrondissement. Une fois, j'ai perdu mon calme. C'était au boulot, au moment d'aller manger. Tu sais comment ça se passe. On est cinq ou six, on décide d'aller déjeuner ensemble et il faut choisir le restau. Une collègue a dit on va au chinois d'en face et un autre lui a répondu qu'il ne voulait pas manger du chat. Là, j'ai pété un câble. J'ai failli tout casser. Depuis, il n'y a plus de plaisanteries sur ce sujet mais je suis sûr qu'ils en font derrière mon dos.

 Je n'ai jamais mangé de chat, je ne pourrai jamais en manger. Ni de chien d'ailleurs et encore moins de lapin ou de grenouilles. Mais je n'arriverai jamais à convaincre mes collègues même si j'écris un livre du style je suis chinois mais je ne mange pas de chat. Tu vois, ils sont persuadés que j'ai deux personnalités. Que ce qu'ils voient de moi n'a rien à voir avec ce que je suis à la maison. C'était vrai pour mes parents. Eux étaient chinois même s'ils n'ont jamais voulu revenir au pays. Mais c'est différent pour moi. Je me sens comme les autres, les Français de souche. Et j'élève mes enfants comme ça.

Oui, ils parlent chinois. C'est plus grâce ou à cause de mes parents qui les ont gardés quand ils étaient petits. Moi, je leur parle dans les deux langues. Ça dépend. Quand je suis en colère, je crie en français. Non, pas en chinois, en français. Par contre, quand je veux avoir des discussions moins sérieuses avec eux, je passe par le chinois. Ça énerve ma femme qui n'a jamais réussi à le parler. Elle croit qu'on se moque d'elle… Maintenant, il y a de plus en plus de collègues qui me demandent si je connais un prof de chinois pour leurs enfants. Avant, c'était l'anglais ou l'allemand. Là, maintenant, c'est le chinois. Je ne suis pas sûr que cela serve à quelque chose y compris pour trouver du boulot en Asie. Va savoir ce que sera la Chine dans dix ans…

Là-bas, c'est de plus en plus dur y compris pour les Français d'origine chinoise. J'ai des amis, des cousins qui ont tenté l'expérience. Ils sont tous revenus en France. Le choc a été trop dur. Il y en a d'autres, qui passent par un sas d'adaptation. Ils vont à Toronto ou alors à Vancouver au Canada. Tu vois le tableau. Ils se retrouvent minoritaires dans une minorité. Mais en même temps, ça leur permet de comprendre beaucoup de choses de la Chine et quand ils essaient de s'y installer, c'est moins difficile qu'un choc frontal. De toutes les façons, c'est juste une histoire de gagner de l'argent même si je commence à noter que le nationalisme fait son chemin chez les jeunes. C'est normal, non ? Quand on parle à tort et à travers de choc des civilisations, ça fait naître des sentiments ambigus chez les gens. Les appels au boycott des Jeux Olympiques de Pékin a énervé beaucoup de monde…

Je ne m'entends pas très bien avec beaucoup d'Arabes et de Noirs. Je sais, c'est moche de le dire de manière aussi brutale mais c'est comme ça. On pourrait être unis, solidaires, parce qu'on vit la même galère, les mêmes problèmes. C'est tout le contraire. Il y a des quartiers où c'est vraiment tendu comme par exemple à Belleville. Les Chinois heu… les Français d'origine chinoise en ont assez de se faire taper dessus, de se faire racketter. Ils se rebellent, ils se regroupent en bandes et ont décidé de rendre coup pour coup. C'est un phénomène dont personne ne parle mais tôt ou tard il va y avoir une grosse histoire. Ce jour-là, les médias vont découvrir la situation et l'amplifier comme ils savent le faire. Je te parie qu'un jour ça deviendra un débat national. C'est juste une question de temps...

Le Quotidien d'Oran, jeudi 16 février 2012
Akram Belkaïd, Paris
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jeudi 16 février 2012

La chronique économique : L'impasse grecque

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 15 février 2012

La Grèce sera-t-elle sauvée ? C’est la question que se posent nombre d’observateurs alors que sa rue continue de s’embraser et que la classe politique locale paraît de plus en plus désemparée.
Dimanche dernier, l’adoption par le Parlement grec de mesures d’austérité - dont une réduction d’un milliard d’euros des dépenses de médicament (contre à peine 270 millions de dollars de coupe dans le budget de la défense) - a mis le feu aux poudres. A Athènes, une vingtaine d’immeubles ont brûlé tandis que manifestants et policiers s’affrontaient de manière violente. Des élections législatives anticipées auront bien lieu en avril prochain mais rien ne dit que le calme sera revenu d’ici là, les Grecs refusant de subir la cure d’austérité réclamée (dictée ?) à leur pays par les bailleurs de fonds.

UNE ECONOMIE TROP FAIBLE

De fait, on est en droit de se demander si tous ces sacrifices imposés à une population déjà éprouvée par plusieurs mois de crise seront payants au final. On connaît les grandes lignes du «deal» entre, d’un côté, la Grèce, et de l’autre, la «troïka» composée du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Commission européenne. En 2012, Athènes doit rembourser 50 milliards d’euros. Une somme que le pays ne possède pas, d’où l’importance du prêt de 130 milliards d’euros que la troïka ne débloquera qu’en contrepartie des mesures d’austérité adoptées dimanche (dont des baisses de salaires généralisées sans oublier la suppression de plusieurs milliers d’emplois publics et une réduction des minima sociaux). Sur un plan comptable, l’aide européenne devrait permettre à la Grèce de se sortir d’affaire et d’éviter la faillite, du moins au premier semestre 2012.


A l’inverse, les problèmes structurels de ce pays resteront inchangés. En effet, l’économie grecque est trop faible et pas assez compétitive. Surtout que l’industrie de ce pays n’est guère développée (elle contribue à 8% du Produit intérieur brut contre 20% en Italie) et ne peut constituer un levier efficace pour un retour à la croissance. La Grèce aura donc encore besoin de s’endetter y compris après l’assainissement de ses comptes et la réduction drastique de ses dépenses publiques. Du coup, il est évident que d’autres crises de la dette grecque sont à attendre dans les prochaines années. Une perspective qui fait que l’on est en droit de se demander si les sacrifices imposés actuellement à la population sont nécessaires ou s’il ne faut pas que les Grecs aient le droit de choisir la solution la moins douloureuse pour eux, fût-elle une sortie de la zone euro.


Cette option, qui équivaut, entre autres, à une grosse dévaluation, est combattue par plusieurs capitales européennes qui craignent l’effet contagion (les marchés de la dette parieraient immédiatement sur une possible sortie de l’Espagne ou du Portugal). Elle aurait pourtant pour avantage de réduire le niveau des sacrifices imposés à la population. Cela effacerait de manière mécanique une partie de la dette tout en relançant les exportations même si ces dernières ne seront jamais suffisantes pour contribuer à la réduction des déséquilibres budgétaires. Pour autant, la sortie de la zone euro aura pour conséquence vraisemblable l’augmentation des taux d’intérêts imposés à la Grèce, et ce pays risquerait fort de retomber dans la spirale infernale de l’endettement.

LA SOLIDARITE FEDERALE, UNE SOLUTION

On le voit, la situation de la Grèce n’est guère reluisante. Faute de solidarité plus importante de la part de ses partenaires européens, ce pays risque de glisser vers des désordres de plus en plus graves. La solution se trouve peut-être au niveau d’une action plus forte de l’Europe avec la mise en place institutionnalisée de transferts financiers entre pays riches et moins riches - un peu à l’image de ce qui existe entre l’Italie du Nord et celle du Sud. Outre l’impact budgétaire, ce transfert financier permettrait aussi de reconstruire l’industrie grecque et d’augmenter à terme ses exportations. Mais cette ébauche de solution implique que l’Union européenne (UE) évolue vers plus de fédéralisme, ce qui semble être exclu pour l’instant. A moins qu’une aggravation du cas grec n’oblige les Européens à se décider à bâtir enfin leur union politique.

Akram Belkaïd, Paris
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Oui, j'ch'uis candidat à l'élection présidentielle

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Dix sept minutes de bla-bla habituel et creux. Nicolas Sarkozy est donc candidat à l'élection présidentielle. Journaliste, éditorialistes, politologues, spécialistes de la parole, de la communication et de l'illusion se penchent déjà sur le programme de celui qui veut faire oublier le bilan catastrophique de son mandat. Feindre de vouloir donner le pouvoir au peuple (par le biais du référendum), quelle vieille méthode éculée mais passons...
Dans le propos du président-candidat devenu donc hier soir le candidat-président (ou l'inverse, selon les situations à venir), il y a quelque chose qui en dit long sur lui, sur sa présidence, sur sa personnalité et sur la France d'aujourd'hui :
- Oui, j'ch'uis candidat à l'élection présidentielle, a-t-il dit à la "journaliste" de TF1.
Mais quelle vulgarité!
Quel manque de respect pour la langue française, quelle incapacité à se rendre compte de la grandeur de la charge occupée. Dieu merci, nous n'avons pas eu droit à un Ouais, ça m'intéresse trop ce job...
A l'heure où l'on parle beaucoup - surtout à droite - de la nécessité de défendre la culture française, n'y a-t-il personne à l'UMP pour offrir quelques cours de diction et de grammaire au président sortant ? Le monde des lettres ne pourrait-il pas s'emparer de l'affaire ? Que fait donc Richard Millet, pourfendeur d'Arabes, de Noirs et de Musulmans ?
Enfin... Peut-être est-ce ainsi que l'on parle désormais à Neuilly...
Je vous laisse, j'ch'uis occupé à pondre un autre papier....
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mercredi 15 février 2012

Aujourd'hui, le grand jour J

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Le suspense est insoutenable. Je n'en peux plus. C'est insupportable. Toute cette attente. Comment faire ? Que faire d'ici le Vingt-heures de TF1 ? Va-t-il se déclarer ? Enfin ? Nous l'attendons, nous vivons dans l'espérance d'une nouvelle candidature. Et s'il disait non ? Comment ça, tant mieux ? Vous êtes fou ou quoi ? Qui va sauver le monde, l'économie planétaire, la Grèce, le PSG ? Qui va trouver une solution pour tous les problèmes de pauvreté ?
Aaah, vite, vite. Une déclaration, une candidature et le froid va disparaître, la bonne humeur revenir aux quatre coins de l'Hexagone et d'ailleurs.
Terrible suspense. Mes nerfs vont craquer. Vivement vingt-heures.
Viiiiiiiiiiiiiiiiiiite !
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mardi 14 février 2012

La chronique économique : L'Allemagne sur le banc des accusés

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Et si la réunification allemande était l’une des raisons de la crise dans la zone euro ? Le lien de cause à effet peut ne pas paraître évident, mais il est de plus en plus évoqué par les économistes, y compris allemands. Pour bien le comprendre, il faut revenir au début des années 2000, à l’époque où l’Allemagne avait encore du mal à digérer la réunification, ou, pour être plus précis, l’absorption de la RDA par la République fédérale d’Allemagne (RFA). C’est à ce moment-là que Gerhard Shröder et son gouvernement ont mis en place de nombreuses réformes destinées à préserver la compétitivité des exportateurs allemands, notamment par le biais d’un frein sur les augmentations de salaires.

LA LUTTE DE TOUS CONTRE TOUS
On le sait aujourd’hui, cette modération salariale a beaucoup contribué au dynamisme des exportations et de la bonne santé du «made in Germany». Depuis plusieurs années, l’Allemagne tient ainsi la dragée haute aux pays émergents avec un solde commercial de près de 146 milliards d’euros en 2011 (contre un déficit de 70 milliards d’euros pour la France). Une performance qui, ajoutée à d’autres indicateurs positifs (taux de chômage à 6,8%, au plus bas depuis la réunification, croissance de 3% du Produit intérieur brut en 2011 et baisse du déficit public à 1% pour la même année), fait de l’Allemagne une référence constante si ce n’est un exemple à suivre en Europe. 

Mais un récent rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) vient de pointer du doigt les dégâts collatéraux de la stratégie de ce pays (1). «La compétitivité accrue des exportateurs allemands apparaît de plus en plus comme la cause structurelle sous-jacente aux récentes difficultés de la zone euro», relève ainsi l’organisme basé à Genève. 

Selon l’OIT, l’Allemagne a donc obligé ses partenaires mais néanmoins concurrents européens à la suivre sur le terrain de la baisse des salaires et des prix afin qu’ils puissent préserver leur compétitivité. En clair, la réussite commerciale de l’Allemagne a eu pour conséquence de «tuer» nombre d’industries européennes incapables de suivre la cadence imposée par un «made in Germany» bénéficiant certes d’une excellente réputation sur le plan mondial, mais aussi, il faut désormais l’avoir en tête, une modération salariale qui s’est avérée déterminante. Déjà en 2006, l’économiste français Patrick Artus mettait en garde sur le fait que l’expansion commerciale de l’Allemagne se faisait au détriment des pays européens, notamment ceux du Sud, car elle avait tendance à rogner sur leurs parts de marché, y compris à l’intérieur même de l’espace européen.

Interrogé récemment par le quotidien Le Monde, l’économiste Michel Aglietta résume bien les effets dévastateurs de cette stratégie (1) : «Lorsqu’elle est vue exclusivement par la lunette des salaires, étant donné la fixité du change (la monnaie étant unique, ndlr), la recherche de la compétitivité est la lutte de tous contre tous qui aboutit à la déflation (baisse des prix et des salaires)». Dans de telles conditions, il n’est guère possible d’espérer une croissance partagée et c’est bien ce qui se passe actuellement dans la zone euro. Du coup, l’Allemagne fait autant figure de modèle à suivre que d’accusée.

LE CULTE DE L’AUSTERITE
Pour nombre d’économistes, ce pays doit désormais consentir des sacrifices pour le bien de la zone euro avec une augmentation des salaires et une baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afin de relancer sa consommation et donc ses importations (notamment en provenance des pays européens). Une perspective qui n’a pas tout à fait les faveurs du gouvernement Merkel, lequel estime que la solution aux maux de l’Europe passe d’abord par l’adoption générale du modèle allemand actuel, c’est-à-dire par une baisse du coût du travail, qui se ferait à la fois par une modération salariale accrue et par une baisse des prélèvements sociaux. Cela sans oublier l’incontournable respect de la discipline budgétaire, comme le stipule le nouveau traité européen adopté à la fin du mois de janvier dernier. Bref, l’Allemagne, du haut de sa force économique, veut que ses partenaires s’engagent avec elle dans encore plus d’austérité et de compétition salariale. Il n’est pas sûr que cette démarche aboutisse à faire sortir la zone euro de l’ornière.

1) Lundi 30 janvier 2012

Le Quotidien d'Oran, mercredi 8 février 2012
Akram Belkaïd, Paris
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lundi 13 février 2012

La chronique du blédard : Une peine syrienne

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Il y a quelques semaines, j'ai publié une chronique pour tenter de décrire le sentiment d'impuissance éprouvé vis-à-vis du drame du peuple syrien (1). Ce sentiment est loin d'avoir disparu. Bien au contraire, il s'est aggravé et j'en suis réduis à reconnaître mon incapacité à formuler la moindre once d'optimisme quant à cette guerre civile et confessionnelle qui commence à peine à dire son nom. Il faut aussi relever qu'il est très difficile de s'exprimer à propos de la Syrie. Alors que chaque jour, des civils meurent par dizaines, on en est encore, du moins dans le monde arabo-berbère, à subir les habituels mais ô combien fréquents délires conspirationnistes. Jour après jour, via internet, via des blogs, des Syriens racontent leur terrible sort mais cela ne semble pas suffire à convaincre celles et ceux qui parlent de complot et qui nous expliquent que les tueries de civils sont des machinations ourdies par des agents provocateurs à la solde de l'Occident et de l'entité sioniste (une phrase digne des années 1970 et qui retrouve actuellement une nouvelle jeunesse). 

Voilà donc Bachar al-Assad et son régime parés de toutes les vertus. Ils seraient le dernier rempart, la dernière digue face aux appétits d'un Occident décidé à prendre, ou à reprendre, le contrôle de tout le monde arabe. Etrange renversement de situation où l'anti-impérialisme pousse à une indulgence coupable vis-à-vis d'une dictature sanguinaire qui n'a jamais épargné ses opposants et dont on se demande de quoi elle peut bien se prévaloir en matière de résistance et de victoires face aux « ennemis » de la nation arabo-musulmane. De quoi Assad père et fils sont-ils le nom ? Hors propagande, de quels combats réels, de quels succès leur régime - cette djoumloukiya ou république monarchique - peut-il se prévaloir ? Bachar al-Assad, héros du monde arabe ? Si c'est le cas, alors peut-être vaut-il mieux faire partie du camp des traîtres… 

Au-delà de l'horreur et de l'indignation que peut susciter ce qui se passe à Homs, Hama ou ailleurs, il est évident que la thèse du complot en dit long sur l'état de désarroi actuel du monde arabe. Certes oui, les révolutions se grippent ou tournent mal. Certes, les urnes ont offert le pouvoir à des islamistes qui commencent à montrer les crocs. Mais est-ce une raison pour sombrer dans le complotisme ? Il faut reconnaître que l'une des questions que nous pose la situation syrienne n'est pas simple. Est-ce parce qu'elle est défendue par des acteurs peu recommandables ou qui ont prouvé par le passé que l'on ne pouvait leur faire confiance qu'une victime a moins de droits ? Pour être plus précis, le fait que le Qatar soit à la pointe de l'action diplomatique contre le régime d'Assad (n'oublions pas l'Arabie Saoudite) justifie-t-il que l'on puisse se détourner de la souffrance des Syriens ou, plus grave encore, que l'on puisse en douter ? Il est évident que l'émirat a son propre agenda et que la subite affection de son souverain et maître pour la démocratie (à condition que cela ne soit pas chez lui ou dans le Golfe) doit beaucoup aux conseils amicaux et calculs de ses parrains étasuniens. Mais il n'empêche : dans cette affaire, le camp occidental et ses alliés (arabes et turc) sont, qu'on le veuille ou non, du côté des victimes. Faut-il donc se jeter dans les bras d'Assad parce que la France et les Etats-Unis tentent d'obtenir son départ ? 

Bien entendu, il est impossible de ne pas tenir compte de l'histoire récente. L'Irak depuis 2003, la Libye depuis l'automne dernier nous montrent à quel point la chute d'une dictature peut générer le chaos et une régression dramatique qui remet en cause les fondements même du pays concerné. C'est ce qui rend la situation actuelle compliquée cela d'autant que nous semblons revivre une résurgence de guerre froide, la Russie et la Chine ayant décidé de ne pas abandonner le régime syrien ne serait-ce que parce qu'il est l'un de leur meilleur client en matière d'armement. Et là aussi, comme pour la chronique mentionnée précédemment, il ne faut pas oublier de dire que les pays occidentaux qui ont tordu le coup à la résolution 1973 de l'ONU (protection des civils libyens) en la transformant en blanc-seing pour organiser la chute de Kadhafi, portent aujourd'hui une énorme responsabilité dans ce qui arrive au peuple syrien. Car c'est bel et bien le souvenir de ce tripatouillage peu glorieux qui incite Moscou et Pékin à opposer leur veto à toute résolution condamnant le régime de Damas. 

On peut reconnaître sa propre impuissance. On peut déplorer l'incapacité de la communauté internationale à obliger Damas à respecter l'intégrité physique de son peuple. On peut même critiquer l'opposition syrienne pour ses divisions et certaines de ses accointances. Mais on n'a pas le droit de renvoyer dos-à-dos la victime et le bourreau. On n'a pas le droit de trouver des excuses au régime de Bachar al-Assad et encore moins de le disculper. C'est bien pour cela qu'il faut abandonner la théorie du complot à celles et ceux qui n'ont ni les moyens ni l'envie de réfléchir autrement… 
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(1)   Les enseignements du drame syrien, jeudi 1er décembre 2011.  

Le Quotidien d'Oran, jeudi 9 février 2012
Akram Belkaïd, Paris

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mardi 7 février 2012

Populisme ?

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Jean-Luc Mélenchon dans Libé ce matin : "Il faut frapper, frapper, frapper". Ce soir, dans la une du Monde, Mélenchon est qualifié, en même temps que Le Pen (fille), de populiste. Le quotidien dit de référence a encore frappé...
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Chronique économique : De la réforme

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Dans le vocabulaire politico-économique dominant en Europe - et ailleurs dans le monde –, le terme réforme est omniprésent. Pas un seul discours, pas un seul programme qui n’en fasse pas mention. Mais, que veut dire ce mot ? Quelle est sa signification et, plus encore, quelle est sa portée ? Dans le dictionnaire Petit Larousse, réforme signifie « un changement important, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, en vue de l’améliorer » comme c’est par exemple le cas d’une « Réforme de la Constitution ». Quant au verbe réformer, sa définition est « changer en mieux ; corriger (réformer les lois) ». A noter que réforme peut aussi avoir une signification religieuse avec « le retour à une observance stricte de la règle primitive dans un ordre religieux », mais ce n’est pas de cela qu’il est question dans cette chronique.


UNE REMISE EN CAUSE DES ACQUIS SOCIAUX
En matière économique, la réforme est donc un changement important et radical. C’est à cela que font référence nombre de dirigeants européens quand ils évoquent les chantiers qu’ils souhaitent mener à bien. Cela concerne tous les domaines, à commencer par le social. Dans tous les cas, la notion d’amélioration est implicite. La réforme se veut donc un saut quantitatif et qualitatif au bénéfice de la société, de l’économie et, de façon générale, du pays. Mais est-ce aussi vrai que cela ? Prenons par exemple la notion de réformes structurelles qu’ont connues (subis ?) de nombreux pays africains. Souvent, la finalité de ces réformes ne concernait que le seul désengagement de l’Etat, le transfert de ses prérogatives au secteur privé sans oublier une diminution de ses moyens. Dès lors, réforme a signifié, et signifie encore, l’érosion continue de l’Etat-providence avec des conséquences humaines parfois catastrophiques.

En Europe, les réformes sociales accomplies en Allemagne au début des années 2000, ces mêmes réformes que le pas-encore candidat Nicolas Sarkozy souhaite mener en un temps record avant le scrutin d’avril, ont contribué à démanteler un système qui garantissait les droits des travailleurs et à précipiter une bonne partie de ces derniers dans la précarité et les affres du travail à temps partiel. Du coup, le mot réforme prend une nouvelle signification. Il s’agit, avant tout, de remettre en cause des dispositifs désormais jugés trop contraignants par la vulgate libérale. C’est ainsi que réformer veut dire s’affranchir de certains droits et protections jugés comme autant d’entraves pour le bon fonctionnement de l’économie et pour la rentabilité à deux chiffres de l’entreprise. 

Problème, ces droits et protections sont le résultat de plusieurs décennies de luttes sociales et d’engagement. C’est le cas, par exemple, du droit de grève, lequel a rarement été obtenu sans que le sang coule. Cela vaut aussi pour les droits sociaux de salariés : retraites, hygiène et sécurité sur les lieux de travail, prohibition du travail des mineurs, encadrement du travail de nuit, protection contre les licenciements abusifs, droit au repos et aux vacances, liberté de se syndiquer, salaire minimum… Tous ces acquis sociaux sont remis en cause de manière de plus en plus ouverte et assumée. Question : où est l’amélioration ? Ou bien encore : qui est concerné par cette amélioration ? Qui en profite ?

UNE NOTION DEVENUE NEGATIVE
Travailler sans filet, cotiser pendant plus longtemps pour sa retraite, être jetable à tout moment, évoluer dans un environnement bruyant et stressant, être soumis à des horaires fluctuants, accepter des diminutions de salaire et renoncer à une partie de ses congés : voilà ce qui est proposé au salarié par les adeptes de la réforme. Il n’est donc pas étonnant que cette dernière soit de plus en plus perçue de manière négative. 

D’ailleurs, cette perception négative vaut aussi pour le terme « compétitivité » qui, de manière concrète, signifie la mise en place de mesures destinées à diminuer le coût du travail en pénalisant les travailleurs, alors que cela pourrait concerner des questions fondamentales comme la formation continue, la réflexion stratégique, la prospective économique sans oublier le soutien de l’Etat à l’innovation. En économie, comme ailleurs, les mots peuvent cacher des réalités et des intentions peu rassurantes…

Akram Belkaïd
Le Quotidien d'Oran, mercredi 1er février
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lundi 6 février 2012

La chronique du blédard : Sarkozy ou la stratégie du faux challenger

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Feindre la faiblesse et le découragement pour mieux surprendre son adversaire et le battre. C'est cette stratégie vieille comme le monde que semble vouloir adopter Nicolas Sarkozy face à son adversaire socialiste François Hollande. Il y a une semaine, tous les médias français ont ainsi rendu compte du coup de blues du président sortant. Conversant avec des journalistes dans l'avion qui le ramenait de Guyane, il aurait laissé paraître un certain découragement en évoquant sa possible défaite. « En cas d'échec, j'arrête la politique. Oui, c'est une certitude » aurait-il même déclaré lors de l'un des ces points « off » - où les propos ne sont pas censés être rapportés au public – qu'affectionnent à la fois le locataire de l'Elysée et la caste bien particulière des journalistes politiques. 

Faut-il prendre au sérieux ces confidences – qui ont visiblement semé la panique au sein de l'UMP - et en conclure que le match de la présidentielle est déjà joué ? Bien évidemment non. Voilà plus de dix ans que Nicolas Sarkozy joue et intrigue avec des médias plus ou moins consentants et, surtout, bien peu vigilants. Voilà plus de dix ans qu'il déroule avec minutie ses plans de communication pour parvenir à ses fins : être un super-ministre sous la présidence de Chirac puis succéder à ce dernier en devenant le maître incontesté de la droite française. Et cette fois encore, ce pseudo aveu de faiblesse n'est rien d'autre que de la com', le but étant, entre autre, d'endormir le candidat Hollande en lui faisant croire qu'il a déjà gagné la partie.

Impopulaire, distancé dans les sondages, incapable de regagner en crédibilité après avoir tant promis aux Françaises et aux Français, « Sarko » a visiblement décidé de parier sur la versatilité et la mémoire courte des foules. Il sait qu'en France, on aime bien le second, le challenger, celui qui au départ a peu de chances de gagner. C'est grâce à cela que Chirac avait réussi à redresser la barre en 1995 face à Balladur. Et c'est cette prouesse que le mari de Carla Bruni veut rééditer cette année. Grand amateur de cyclisme, il se souvient que le champion Bernard Hinault n'a jamais été autant populaire que lorsque, affaibli ou vieillissant, sa suprématie sur le Tour de France lui a été âprement disputée par des concurrents comme Laurent Fignon ou, plus encore, comme Greg Lemond.

En 2007, Nicolas Sarkozy a réussi le tour de passe-passe de se présenter comme le candidat de la rupture, faisant oublier qu'il appartenait au gouvernement sortant dont il avait été ministre de l'intérieur à deux reprises et ministre des finances. Une approche qu'il aura du mal à rééditer car la gauche l'attaque déjà sur le bilan de ses cinq années à la tête de l'Etat français. Du coup, il lui faut écrire une autre histoire, celle du chef donné battu par les sondages mais qui, tel un héros de manga, rétablit la situation de manière spectaculaire amenant ses partisans à lui demander pardon pour avoir douté de lui. Sarkozy ne veut rien d'autre qu'imiter Mohamed-Ali qui, face à Foreman à Kinshasa, est longtemps resté dans les cordes prenant coup sur coup avant de décrocher une passe de trois qui envoya son adversaire au tapis.

Dans cette affaire, le président a besoin de la presse ou, du moins, d'une certaine presse. On dit souvent que les médias français ne font pas de cadeaux à Sarkozy. Ce n'est vrai qu'en partie car tel n'est pas le cas avec la majorité des journalistes politiques, friands de petites phrases et de confidences exclusives destinées à théâtraliser la campagne électorale. Pour la plupart, ces confrères ont déjà fauté en présentant le président en proie à des états d'âmes défaitistes sans même avertir leurs lecteurs que tout cela pourrait relever d'une approche dûment réfléchie avec des mots choisis avec précision par on ne sait quel grand expert en communication politique. En politique, le « off » n'est jamais anodin ni sincère. C'est une instrumentalisation, une manipulation, qui doit obliger le journaliste à remettre le propos recueilli en perspective quitte à lui faire perdre sa valeur « scoopique ». Il est vrai qu'il est plus alléchant d'écrire « voilà ce que Sarkozy a confié sous le sceau du secret » que « voilà ce que Sarkozy a voulu nous faire écrire ». Mais passons…

En endossant l'habit du challenger, du moins tant qu'il ne sera pas officiellement dans la course (c'est un autre élément de sa stratégie que de rester le plus longtemps président et non candidat), Sarkozy tente aussi de piéger son adversaire direct en lui faisant commettre des erreurs. Déjà, lors de son passage à la télévision le jeudi 26 janvier, ce dernier est parfois apparu trop sûr de lui, voire même arrogant. De quoi peut-être hérisser certains électeurs ou de faire fuir les indécis dont le choix électoral relèvera plus de l'affect que d'autres critères (d'où l'importance fondamentale des médias notamment de la télévision). Mais le calcul de Sarkozy pourrait ne pas s'arrêter-là. Peut-être pense-t-il que la perspective de sa défaite va faire naître nombre d'appétits et d'ambitions à gauche. Hollande étant (presque) déjà président, qui va empêcher telle ou telle personnalité socialiste de briguer ouvertement le poste de Premier ministre ou tout autre portefeuille prestigieux comme les Affaires étrangères ou la Justice ? On imagine aisément la zizanie et la tchaqlala qui pourraient embraser la gauche et déclencher la machine à perdre. C'est donc à la gauche de rester vigilante et de prendre garde aux intox en se répétant que la campagne est bien loin d'être terminée et que Sarkozy est loin d'avoir dit son dernier mot…

Le Quotidien d'Oran, jeudi 2 février 2012
Akram Belkaïd, Paris
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