Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 27 février 2018

La chronique du blédard : Dans la neige

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 22 février 2018
Akram Belkaïd, Paris




La pente est raide, l’ascension est lente et la procession est longue. Après quelques heures de solitude dans la forêt de sapins, c’est le soudain retour au réel. Une cohorte de randonneurs plus ou moins bruyants, couleurs fluos et bâtons divers à la main, progresse à grande peine. Certains s’étant passés de raquettes, s’enfoncent jusqu’aux genoux dans la neige. Ici, un vieux monsieur demande qu’on l’aide à se dégager tandis que son épouse décide de rebrousser chemin, pestant et jurant qu’on ne l’y reprendra plus. Là, un sportif du dimanche s’accorde une longue pause, cigarette au bec, affectant d’être insensible au froid.

La magie s’envole. Traverser une forêt est une expérience à part. On en sort apaisé comme lavé de ses idées noires. Certains, hélas pour eux, ne s’en rendent pas compte. Ils ne retiennent que l’obscurité, l’odeur de la neige mêlée à la tourbe, le spectacle des troncs d’arbres enchevêtrés ou couchés dans les hautes fougères. La littérature, elle, a bien compris l’importance de ce passage. Symboliquement, c’est un rite initiatique. Une transformation de l’être. Le petit poucet ou le petit chaperon rouge ne nous disent pas autre chose. Dans une forêt, l’arbre parle à l’âme et au corps et les transforme. Il faut, en y pénétrant, saluer les esprits, bons ou mauvais, qui y vivent. Il faut écouter et se taire. Certes, il est des occasions où le bruit est nécessaire comme au bas des Rocheuses canadiennes où ne pas avertir un ours que l’on approche peut valoir de sacrés désagréments.

La forêt, donc. Le silence, l’atmosphère de quiétude et d’étrangeté. Avancer à pas réguliers. Entendre la neige crisser, admirer les branches blanches qui ploient. Quand l’hiver est là, il faut respecter la faune, épuisée, affamée. La moindre peur, la moindre nécessité de devoir détaler, peut lui être fatale. Marcher et penser à la rencontre. Une biche, un sanglier, un renard ou même un loup. Ou alors, le face à face improbable. Un jour, dans ce même endroit, à l’heure du crépuscule au terme d’une longue randonnée d’été, le présent chroniqueur est tombé nez à nez avec une sorcière. Non, ne souriez pas. C’en était bien une. Petite, rabougrie, des lunettes à écailles couvrant une partie de son visage, un petit panier à la main, m’examinant d’un air ironique, un peu inquiétant, et me conseillant de me dépêcher. Loin de toute maison, qui peut bien cueillir des baies à l’heure où la nuit s’installe ? Une sorcière, vous dis-je.

Mais retournons à la pente. En été, l’endroit est un pâturage rocailleux. En hiver, il faut avancer avec prudence. A un kilomètre de là, c’est-à-dire à une infinité de pas et de soufflements courts, il y a une cabane qui sert des pizzas cuites au feu de bois. La récompense suprême même si certains se contentent de rêver au verre de vin chaud qui leur donnera des ailes pour redescendre. Au gamin qui ne veut plus avancer, qui est mal équipé, qui se plaint que ses chaussettes sont mouillées, un père promet une napolitaine géante, avec anchois et champignons, suivie d’une crêpe à la célèbre pâte à tartiner. L’argument fait mouche. Le petiot reprend la marche en reniflant.

Sur la droite, dans le sens de l’ascension, un massif hérissé d’aiguilles grises se détache dans la brume. Territoire interdit en hiver. Ou du moins, réservé aux intrépides et aux inconscients. Quelques jours plus tard, dans un col étroit, des randonneurs perdront la vie dans une avalanche. Cet été, les centaines de marcheurs qui passeront par là pour se rendre vers un lac d’altitude jetteront un bref regard à la croix en bois qui se dressera à l’endroit où les corps des infortunés auront été retrouvés.

On reprend sa progression en se disant que si l’on va plus vite, on arrivera avant tout le monde à la cabane et l’on bénéficiera ainsi d’un peu de calme et de silence. C’est parti. Séance cardio. Veiller à ne pas trop emballer le toquant. Rester concentré. Ne pas écouter le cerveau qui dicte de ralentir voire d’arrêter. On dépasse du monde. On est Eddy Merckx dans le Tour 1969 ou 1970, déjà porteur du maillot jaune, déjà assuré de la victoire finale mais attaquant pour le panache et la gloire, humiliant ses adversaires directs, pourtant résignés, imprimant son empreinte de « cannibale » pour les années à venir. Et on arrive au plateau avec un peu d’avance. La cabane est bien là. Vite, s’installer à l’intérieur et commander. Mais… Enfer et damnation, complot et mauvais œil, embouteillage et absence de réseau ! L’endroit est fermé comme ne l’indiquait pas le panneau publicitaire à plusieurs dizaines d’hectomètres en contrebas. Il va falloir se contenter de la clémentine et de la compote qu’on a dans la poche…

Les autres arrivent plus vite que prévu et avec eux la famille et son gamin. Le morveux ne met pas longtemps à réaliser qu’il n’y aura ni pizza ni crêpe. Une, deux, plusieurs larmes jaillissent. Il accuse père et mère d’avoir menti, jure qu’il ne leur fera plus confiance. Crise de nerfs et roulade dans la neige. Emue par tant de détresse, une dame lui offre un paquet de biscuits. Le gamin n’en veut pas. Rien ne le calme. Il est la colère incarnée, la confiance trahie. La mère supplie, le père menace. Il est temps de s’éloigner de tout ce vacarme. En redescendant avant tout le monde, on retraversera la forêt seul et peut-être que la sorcière apparaîtra de nouveau avec une part de pizza dans son panier.
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La chronique de l’économie : Le pétrole, toujours et encore

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 21 février 2018
Akram Belkaïd, Paris

En septembre dernier, le groupe pétrolier Total présentait aux investisseurs un rapport sur l’évolution de la demande mondiale en hydrocarbures. Ce document vient d’être consulté par l’Agence France presse (AFP) et il contient des enseignements intéressants même si la société insiste sur le fait qu’il s’agit surtout d’ébaucher des pistes de réflexion plutôt que d’asséner des projections définitives. Le point le plus important est que, selon les experts de Total, la demande mondiale de pétrole en 2040 devrait être proche de 103 millions de barils par jour (mb/j) soit 10,8% de plus qu’en 2015 (92,5 mb/j).

Le transport toujours « pétrophage »

Cette projection signifie, entre autres, que les efforts de réduction de la demande pétrolière risquent d’être vains. Pour mémoire, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les efforts pour maintenir la hausse de la température du globe à 2 degrés centigrades d’ici la fin du siècle signifient que la demande mondiale en pétrole doit baisser de manière substantielle et atteindre 75 mb/j en 2035. En clair, ce que dit Total, c’est que l’on risque fort de ne pas atteindre les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique en raison d’une forte addiction de l’économie mondiale à l’or noir.

Certes, la compagnie note que certains secteurs vont réussir à inverser la tendance. Le bâtiment (-2 mb/j), l’énergie (-3 mb/j) et les usages non énergétiques (-1 mb/j) payeront leur dû à la nécessité de réduire la consommation de brut. Des baisses qui seront obtenues notamment par les innovations technologiques et les progrès réalisés en matière d’isolation (pour le bâtiment). A l’inverse, le domaine des transports devrait persister dans sa nature « pétrophage ». En 2015, 56% de la consommation mondiale de brut venait des transports. Cette part va se maintenir voire augmenter. Pour Total, le nombre de kilomètres parcourus augmentera et rien ne pourra atténuer cette hausse, ni l’amélioration des moteurs à explosion ni l’usage d’autres source d’énergie (électrique, biogaz ou solaire).

Dans le détail, Total prévoit que la demande pour le transport individuel augmentera de 2 mb/j d’ici 2040. Le transport routier (+ 6mb/j), le maritime (+1 mb/j) et l’aérien (+4 mb/j) ne sont pas en reste. Là aussi, la compagnie insiste pour que ces chiffres soient maniés avec précaution. Mais ils posent tout de même des questions que l’on connaît depuis longtemps et qui reviennent dans tous les débats concernant la lutte contre le réchauffement climatique. D’abord, on voit bien que la route va demeurer un enjeu essentiel. A cela, les optimistes affirment que la solution réside dans l’usage de moteurs électriques. Or les projections de Total incluent l’hypothèse que 50 % des moteurs vendus en 2040 seront électriques. Et rien ne dit que l’on atteindra cette part, surtout dans les pays émergents.

Transports en commun

Ensuite, il y a la question du transport aérien. Toujours en croissance, ce dernier ne peut se passer de pétrole (kérosène) même si des recherches sont menées pour faire voler des avions de ligne avec d’autres types de carburant. Les motoristes (United Technologies, General Electric, Rolls Royce,…) multiplient les efforts pour améliorer l’efficacité énergétique de leurs réacteurs. Mais, dans le même temps, l’augmentation attendue du trafic aérien va gommer une grande partie des gains réalisés. Tout cela démontre que diminuer la consommation mondiale de pétrole dans les prochaines décennies sera loin d’être aisé. Cela passera certainement par d’importants investissements dans les transports en commun, notamment dans les mégapoles, mais l’inversion de la courbe de la consommation de brut attendra certainement la fin du siècle.
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dimanche 25 février 2018

Pakistan ? No, PaLLLestine !

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- Palestine
- Pakistan ?
- No, PaLLLestine !
- Ah, Pakistan !
Samir Harb est né en 1981 à Ramallah. Il entend "associer bande dessinée et recherche architecturale afin d'explorer et critiquer les processus de transformation dans les territoires occupés".
Dans ces deux planches publiées par le Manière de Voir (février-mars 2018), il illustre cette vérité que les Palestiniens ne connaissent que trop bien : "Etre un Palestinien, c'est une négociation permanente pour être reconnu dans un système conçu pour exclure..."


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mardi 20 février 2018

La chronique du blédard : Ta place !

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 15 février 2018
Akram Belkaïd, Paris

Commençons par la bonne nouvelle. Il existe une France qui s’accepte telle qu’elle est. Autrement dit métissée, tolérante et pluriculturelle. Une jeune fille voilée, ou plutôt portant un bandeau, a pu tenter sa chance dans l’une des émissions phare d’une télévision privée pour qui, pourtant, rien ne doit mettre en péril son audience et ses commandes publicitaires. Mieux, l’artiste en herbe a été retenue pour poursuivre l’aventure après avoir interprété, à une heure de grande écoute, une partie de sa chanson en langue arabe. En découvrant Mennel devant mon petit écran, j’ai brièvement pensé à Fayrouz, invitée par Mireille Mathieu lors d’une émission sur la même chaîne – alors publique – au milieu des années 1970. Une autre époque où ce genre d’apparition, très rare, relevait plus de la curiosité exotique.

Mais j’ai aussi pris les paris avec mon entourage. J’étais persuadé que cela « chaufferait pour elle » en raison de son bandeau. Pari gagné… On connaît la suite. D’abord, la polémique à cause du voile, cette obsession, pardon, cette névrose typiquement hexagonale. Ensuite, seconde polémique, encore plus violente et passionnée, en raison d’anciens tweets, notamment complotistes, de l’intéressée. La partition était jouée, et la seule issue pour Mennel était d’abandonner l’aventure de The Voice. L’affaire, devenue nationale car chacun y étant allé de son couplet, permet de tirer plusieurs enseignements.

Le premier concerne tous ceux qui ont une relation de près ou de loin avec l’islam ou le monde arabo-musulman. Le moindre moment de célébrité se paiera désormais par un processus inquisitoire immédiat. Quelqu’un, quelque part, fait un tabac. On ira vérifier ses dires et ses posts sur les réseaux sociaux. Attention aux « like » compromettants, aux « retweets » déshonorants, aux amitiés virtuelles embarrassantes, aux commentaires jugés complices.  Avec les réseaux sociaux, la notoriété signifie l’enclenchement d’un processus tatillon comparable à la confirmation d’un juge à la Cour suprême par le Congrès des Etats Unis. Quelqu’un ayant du temps à perdre pourrait s’amuser à passer en détail le profil de chaque candidat sélectionné par The Voice depuis la création de cette émission. Et là on aussi on peut prendre les paris. Il ferait de belles trouvailles. Mais tous ces candidats ne portent pas de turban…

Le second enseignement concerne ce qu’il convient d’appeler la fachosphère. Cette affaire a prouvé son efficacité. Sa capacité à créer l’agitation (ou le « buzz ») est telle que tout le monde ou presque est impressionné. De nombreux médias classiques y trouvent matière à rabâchage au rabais. Se faire l’écho de ce que charrie internet comme clameurs et caquetages est devenu un passage obligé. Ce n’est plus simplement la « séquence internet » cela devient des sujets récurrents pour débats en tout genre. La question qui se pose alors est la suivante : est-il trop tard pour établir un périmètre de sécurité pour isoler la planète troll ?

Certains de mes amis confrères s’indignent tous les jours. Ils repèrent âneries, provocations ou dérapages de la part de trollnards hyperactifs et cela crée, après partages, d’infinies chaînes de commentaires et d’expressions de colère. Cela se comprend. La bêtise réactionnaire est une matière très répandue. Elle incite à la réaction, elle exige des réponses, elle impose des prises de position qui, le plus souvent, se perdent dans le vide, vite oubliées, vite remplacées. Il y a quelques jours, je suis tombé sur un article qui conseillait d’ignorer ce genre de piège et cela m’a beaucoup intéressé. Un journaliste médiocre et atrabilaire vous prend à partie sur twitter ? On l’ignore. On le met dans le lourd, pour reprendre une expression bien de chez nous. Un inconnu, réfugié derrière son pseudonyme, se déchaîne ? On le bloque. Car la règle est simple : les réseaux sociaux ne servent pas à convaincre ni à raisonner et encore moins à éduquer ou à donner une conscience aux gens. Mais dans le cas de Mennel, il est évident que ce genre de stratégie ne sert à rien. Les vagues étaient trop puissantes.

Ce qui vient de lui arriver illustre un troisième enseignement. La propension de certains à signifier aux « racisés », Maghrébins, Noirs, ou autres personnes du Sud, qu’il est un enclos qu’ils n’ont pas le droit de quitter sans présentation de solides garanties. C’est un peu le « ta place ! » que tout dresseur de chien lance à l’animal quand il veut lui ordonner de rester immobile ou de s’en revenir au panier. Tous ces gens ne sont pas racistes, loin de là. Ils admettent que la diversité s’incarne au quotidien. Mais ils veulent que cette incarnation se fasse comme ils l’exigent. Pas de voile, bien sûr, pas de revendication en matière d’alimentation, pas de prénom trop connoté, pas d’engagement politique trop marqué vis-à-vis de ce qui se passe au Proche-Orient. On a le droit d’être différent mais à la condition d’être rassurant…

Et pour bien le comprendre, on offre aux récalcitrants des exemples à suivre. Le bon « racisé » ? C’est celui qui pense comme nous, qui dit comme nous et que l’on peut agiter à foison pour rappeler les siens à l’ordre. Une autre Mennel fera bientôt son apparition. Elle n’aura pas de turban ou de bandeau, et ses posts et tweets sur les réseaux sociaux seront d’une docilité et d’une fadeur à calmer le plus enragé des trolls.
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La chronique économique : Bourses, la grande menace

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 14 février 2018
Akram Belkaïd, Paris

2018, année du grand krach boursier ? Dix ans après la crise financière provoquée par la débâcle des subprimes, l’idée est dans toutes les têtes. C’est d’autant plus vrai que les marchés ont connu de grosses turbulences la semaine dernière et que la hausse modeste qui a suivi la purge ne rassure personne. Quand, comme ce fut le cas le 5 février dernier, le Dow Jones, indice principal du New York Stock Exchange (Nyse) perd plus de 1600 points en séance (un record historique), cela frappe les esprits même si l’index s’est (un peu) repris avant la clôture.

Peur de l’inflation

Les analystes qui veulent garder leur calme rappellent, à raison, que les arbres ne montent jamais au ciel. Cela fait maintenant neuf ans que les Bourses sont globalement orientées à la hausse. Alors que l’économie réelle a mis du temps à digérer la crise de 2008, les marchés d’actions, eux, se sont vite nourris de projections optimistes et ont enregistré records sur records à l’image de l’indice S&P 500 (cinq cent principales capitalisations boursières aux Etats Unis) qui a pratiquement quadruplé de valeur. Il était donc inévitable que les marchés corrigent d’eux-mêmes cette hausse continue. Une correction, estiment les analystes, nécessaire avant que la marche en avant ne reprenne…

La chute du bitcoin, évoquée dans ces colonnes, a aussi sa part de responsabilité. Le phénomène a peu été commenté mais les particuliers américains ont bel et bien repris le chemin de la Bourse depuis quelques années. Echaudés par les crises de 2001 et de 2008, ils avaient pris le large mais la croissance des Bourses et les facilités offertes pour opérer à son compte (désormais un simple ordinateur suffit…) les ont convaincus de retenter leur chance sur les marchés d’actions. En perdant de l’argent à cause de la chute du bitcoin, certains d’entre eux ont été obligés de se défaire d’une partie de leur portefeuille de valeurs mobilières ce qui a accentué les pertes des Bourses.

Mais la vraie raison de cette instabilité boursière est liée aux intentions de la Réserve fédérale (Fed). Cela fait des années que les marchés s’enivrent, d’autres diraient se goinfrent, grâce à la politique monétaire accommodante de la Banque centrale américaine. Taux d’intérêts peu élevés et rachats sur le marché d’obligations, ce sont des milliards de dollars de liquidités qui se sont déversées sur les marchés, créant, ici et là d’importantes bulles spéculatives. Tout le monde sait que la fête ne peut pas éternellement durer et que, tôt ou tard, l’orchestre s’arrêtera de jouer. Alors, à chaque fois qu’un événement est susceptible d’accélérer le mouvement de hausse de taux, les marchés anticipent et paniquent.

Le bal continue


L’annonce d’une augmentation de salaires de 2,9% aux Etats Unis a fait partie de ces catalyseurs. Pour les marchés boursiers, un salaire qui augmente ce n’est pas une bonne nouvelle même si ce genre d’augmentation est susceptible de doper la consommation (deux tiers de l’économie américaine). C’est surtout vu comme un risque de résurgence de l’inflation. Et qui dit inflation dit hausse des taux d’intérêts. On en est là. L’image habituelle déjà évoquée dans ce qui précède demeure pertinente. Le bal se poursuit mais l’orchestre commence à donner de sérieux signes de fatigues.
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vendredi 16 février 2018

Jésus ski, Jésus in

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Jésus mentionné à deux reprises dans la presse française en ce début de carême :

Jésus ski

- "J'ai toujours été sûre de gagner [le géant, ski alpin, jeux olympiques, 1964]. Je le savais. J'ai la foi et je suis Marie et Jésus. Je parlais toujours avec Jésus avant les courses. Comme je sais que les journalistes sont tous de gauche et athées, ça les gavait que je dise ça. Je faisais exprès de le répéter."

Marielle Goitschet, double championne olympique (1964-1968), in L'Equipe, 16 février 2018.
Grande admiratrice du général de Gaulle, la skieuse fut reçue pour un déjeuner à l'Elysée durant lequel elle reprocha au chef de l'Etat le sort des harkis. "Ça serait trop long à vous expliquer", lui a alors répondu de Gaulle.

Jésus in

- "Si Jésus vivait parmi nous aujourd'hui, il se servirait de WhatssApp pour rencontrer les gens".

Abbé Simon d'Artigue, in La Dépêche du midi, 16 février 2018. 
Le religieux propose aux fidèles "de s'inscrire à un programme qui leur permettra de recevoir des mails, sms ou WhatsApp chaque jour, tout au long du  Carême."
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mardi 13 février 2018

La chronique du blédard : Du bijoutier, des banques et de la monnaie

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 février 2018
Akram Belkaïd, Paris

Grand bruit pour cette affaire et moult commentaires salaces… Selon le site internet en langue anglaise du quotidien turc Hurriyet Daily News, S. M., un bijoutier algérien de 67 ans a été hospitalisé puis arrêté par la police d’Istanbul pour avoir tenté de faire passer, sans la déclarer, la somme de 144.200 euros dans son canal anal (*). Le magot consistait en des billets roulés de 500 euros et de 100 euros. Dans l’incapacité de se libérer de ces liasses, l’infortuné fortuné a atterri aux urgences d’un hôpital privé où les chirurgiens qui l’ont opéré ont signalé son cas à la police. La justice turque a décidé la confiscation de l’argent et le bijoutier a pu rentrer en Algérie.

Selon Hurriyet, ce dernier a expliqué aux policiers que l’importance de la somme serait due à la nécessité pour lui d’effectuer de gros achats d’or et de textile pour ses affaires en Algérie. Au-delà des plaisanteries sans fin que l’on peut faire sur sa déconvenue, on peut d’ores et déjà relever que la méthode employée rappelle surtout celle de trafiquants de drogue ou de pierres précieuses. C’est peut-être dû au fait que le procédé de la « veste marocaine », comprendre une veste dont la doublure intérieure est entièrement tapissée de billets de banques (méthode des trafiquants de kif désireux de blanchir leurs euros au Maroc), est désormais facilement détectable dans la majorité des aéroports.

En réalité, c’est d’abord et surtout pour contrevenir à la législation algérienne que le bijoutier a usé de ce subterfuge. En effet, cette dernière interdit sans aucune ambiguïté l’exportation d’une telle somme en cash. On se souvient d’ailleurs que c’est à cause de l’interpellation de certains de ses cadres porteurs de valises de liquide que l’empire Khalifa a commencé à se craqueler. S’il était arrivé à Istanbul avec ses 144 200 euros dans les poches, notre bijoutier aurait certainement attiré l’attention mais une simple déclaration lui aurait permis d’être en règle avec la législation turque. A titre de comparaison, et pour celles et ceux que cela intéresse, un Algérien qui arrive sur le territoire français n’est obligé de déclarer les devises qu’il a sur lui que si le montant est supérieur ou égal à 10 000 euros.

Cette histoire est un fait divers emblématique car il dit beaucoup de choses de la réalité algérienne. Dans d’autres pays du monde, un commerçant, possédant des euros, ne se serait jamais déplacé avec autant de liquide pour des achats destinés à alimenter un commerce légal (de l’or pour sa bijouterie et du textile pour ses magasins, dans le cas présent). La Turquie est un pays développé sur le plan des infrastructures bancaires et financières. Que l’on soit sur la côte ou dans l’Anatolie profonde, on peut tout payer par carte bancaire. Tourisme oblige, il existe partout des distributeurs et des points de retrait automatique. Mais quelle banque algérienne permet aujourd’hui à un commerçant de faire ses affaires dans le monde grâce à une simple carte de crédit ?

On peut estimer que l’importance des montants, la fréquence de ses achats (évoqués par l’intéressé devant la police turque) peut aussi justifier l’ouverture d’un crédit documentaire ou d’un simple transfert interbancaire. Autre question, quelle banque algérienne propose aujourd’hui à ses clients d’avoir réellement accès (oublions la pub) à un réseau mondial ou, soyons moins exigeant, régional ? On va s’empresser de dire que c’est la faute à une législation qui n’a toujours pas été remaniée. Que la réforme bancaire est un serpent de mer parmi tant d’autres qui hantent le cimetière des projets de changements structurels du pays. Et c’est vrai. Le wanetoutrisme triomphant peut bien dire ce qu’il veut, l’Algérie n’est pas un « hub » financier.

On pourra faire tous les discours que l’on souhaite sur la diversification économique et la nécessité de sortir de la dépendance aux hydrocarbures, rien ne sera possible sans que banques et législation financières ne soient sérieusement toilettées. Il ne s’agit pas de décréter le grand soir néolibéral avec la suppression de toutes les règlementations. Il ne s’agit pas non plus de plaider pour une convertibilité totale du pauvre dinar. Mais on peut, par exemple, libéraliser de manière graduelle le marché des changes à l’intérieur du pays. On peut aussi faire en sorte que les transactions avec l’étranger, mêmes si elles sont limitées par des seuils, ne soient pas synonymes de complications permanentes et de nécessité de recourir à des procédés illégaux.

Beaucoup d’argent en liquide circule en Algérie. Une part non-négligeable de ces flux est libellée en euros. Dans la majorité des transactions, l’Etat n’a guère sa part. La régularisation d’un marché gris, que tout le monde utilise, améliorera les recettes fiscales du pays. Bien sûr, il est certain que des questions délicates se posent à commencer par celle de l’origine des fonds et de leur blanchiment. C’est d’ailleurs un mystère. D’où viennent ces millions d’euros qui circulent dans le marché parallèle ? De la diaspora ? En partie, oui. Mais le reste ? Clarifier les règles du jeu pour ce qui est de la monnaie, c’est ouvrir la voie pour assainir l’économie. C’est ce qu’a fait la (presque) défunte loi sur la monnaie et le crédit d’il y a déjà trente ans. Il est temps que l’Algérie se dote d’un texte d’un calibre comparable.

(*) « Algerian jeweler hospitalized in Istanbul after smuggling 290 banknotes in anal canal », 6 février 2018.
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La chronique économique : Tempête sur le bitcoin

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 7 février 2018
Akram Belkaïd, Paris

Près de 20 000 dollars en décembre, moins de 7 400 dollars en début de semaine… Le moins que l’on puisse dire c’est que la chute du bitcoin s’accélère. Pour nombre d’observateurs, on est dans la phase classique de l’éclatement d’une bulle spéculative. Après les sommets, l’abîme. Reste à savoir jusqu’où la crypto-monnaie vedette va tomber. Et, surtout, quelles seront les conséquences financières et économiques de cet effondrement.

Offensive groupée

Il faut dire que les mauvaises nouvelles se sont multipliées concernant cette monnaie. Plusieurs grandes banques américaines (Citigroup, Bank of America,…) ont interdit à leurs clients d’acheter des bitcoins avec leurs cartes de crédit. Ils peuvent néanmoins continuer à le faire en utilisant des cartes de débits. Autrement dit, ces établissements financiers refusent qu’un découvert, synonyme d’endettement, ne serve à acheter une monnaie dont la valeur ne cesse de se déprécier. Autre coup dur, la décision du réseau social Facebook d’interdire les publicités et autres « pratiques promotionnelles fallacieuses et trompeuses » en faveur du bitcoin et d’autres cryptomonnaies. La « bitcoinomania » a du plomb dans l’aile…

Il y a aussi la volonté affichée de la Chine de venir à tout prix à bout de ce moyen de paiement qui échappe à toute régulation. Pékin veut en finir avec le bitcoin d’où sa décision d’interdire l’usage ou l’accès aux plateformes d’échange. Les autorités chinoises sont les plus en pointes dans la mise en place de mesures dissuasives ou punitives pour tout utilisateur du bitcoin. Cela est dû au fait qu’elles ne goûtent guère cette monnaie que sa banque centrale ne peut contrôler et qui sert aussi à faire fuir des capitaux de Chine. Autre raison, moins évoquée par les médias, le système bitcoin est un grand consommateur d’énergie car il utilise des chaînes d’ordinateurs de particuliers mobilisés pour leurs capacités de calcul. Pékin ne veut donc plus que ses centrales de production d’électricité soient mobilisés par ces machines.

Enfin, plusieurs pays occidentaux, dont la Grande-Bretagne et la France, estiment qu’il est temps de légiférer pour encadrer les cryptomonnaies. La question sera même abordée lors du prochain G20 en mars. Tout cela ressemble donc fort à une offensive en règle contre le bitcoin et rappelle que les Etats, et les banques, n’aiment guère qu’on empiète sur leurs prérogatives. Depuis des siècles existe l’idée de monnaies gérées par les propres utilisateurs. Des monnaies ou alors des moyens de paiements alternatifs. A chaque fois, les Etats ont fini par reprendre la main, parfois de manière radicale.

Retour au stade initial


Le bitcoin est-il pour autant condamné ? Plusieurs de ses partisans espèrent que cette purge sera salvatrice. Avec ce repli brutal, la monnaie devrait être moins exposée à la spéculation et pourra peut-être retrouver son statut initial de moyen de paiement alternatif. On peut aussi penser que la technicité qui entoure le bitcoin empêchera la Chine et d’autres pays de l’interdire totalement. Mais rien n’est moins sûr. Pour le bitcoin, l’année 2018 est celle de l’épreuve de vérité.
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mardi 6 février 2018

La chronique du blédard : Une affaire de Nutella

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 1er février 2018
Akram Belkaïd, Paris

Au départ, c’est une promotion commerciale. Oh, pas l’une de ces réclames que l’on voit souvent ou dont on subit en permanence la publicité débile sur les radios privées. Celle dont il est question ici est particulièrement attrayante puisqu’elle consiste en un rabais de 70%. En vendant des pots de 950 grammes de Nutella au prix de 1,41 euro au lieu de 4,70 euros, la chaîne Intermarché a provoqué une polémique dont s’est très vite emparée la presse mondiale.

Car ce fut l’émeute, comme le montrent des images filmées à l’aide de smartphone et qui font le tour des réseaux sociaux. Des gens qui se bousculent, s’insultent et en viennent même aux poings pour remplir leurs sacs. Il y a eu des blessés, des vigiles dépassés et même des policiers appelés à la rescousse pour calmer les clients déchaînés. L’émeute donc. Et le rire. Le rire moqueur, méchant, de celles et ceux qui regardent ces scènes du haut de leur écran. Ah, disent-ils, ces gens n’ont aucune dignité. Ils s’écharpent et se roulent sur le carrelage d’un magasin pour une pâte à tartiner dont les nutritionnistes (et les écologistes) disent pourtant le plus grand mal : trop de sucre, trop de graisses saturées sans oublier cette huile de palme responsable de déforestation et suspectée d’être cancérigène par l’Agence européenne de sécurité alimentaire.

Sur les réseaux sociaux, les concernés se sont fait traiter de tous les noms. De « cassos » (cas sociaux) notamment. Mais très vite, des internautes ont fait une mise au point salutaire. Il ne faut pas être diplômé d’économie ou de sociologie pour établir un lien direct entre la zone géographique (Nord de la France) où a eu lieu l’essentiel de la promotion (et des « émeutes ») et ses niveaux de chômage et de pauvreté. A Roubaix, par exemple, les statistiques indiquent un taux de chômage de 30%. C’est l’une des villes où les banques alimentaires et les restaus du cœur sont les plus actifs. Bref, la « folie Nutella » n’est pas celle de pingres désireux de profiter à tout prix d’une bonne occasion commerciale, à l’image de ceux que l’on voit déferler sur les grands magasins quand s’ouvre la saison des soldes. Il s’agit avant tout de gens modestes, ces « personnes à faible pouvoir d’achat » comme l’expliquent les politiques pour ne pas avoir à prononcer le mot de « pauvres ».

Rire des pauvres est détestable mais fréquent. Je n’ai pas aimé « Merci patron ! » du journaliste, et désormais député, François Rufin pour cette raison. Certes, telle n’était pas l’intention de ce documentaire puisque l’idée de départ était d’obliger Bernard Arnault à aider un couple endetté et pénalisé par la délocalisation de l’usine où ils travaillaient en Pologne. Mais, dans la salle, les rires accompagnant les attitudes et le langage des Klur (le couple en question) provoquait le malaise. Et c’est ce malaise que je ressens encore à propos de cette affaire de soldes (lesquelles pourraient être sanctionnées car la législation française interdit les ventes à perte).

Il suffit de lire les témoignages des concernés pour comprendre de quoi il s’agit. Des parents vivent mal le fait qu’ils ne peuvent jamais – ou que très rarement – offrir « une marque » à leurs enfants. En matière de pâte à tartiner, ils achètent des succédanés de la célèbre enseigne italienne. Plus de sucre, plus de gras… « D’habitude, on n’en achète que pour Noël et les anniversaires » expliquait une mère interrogée par une télévision. La marque… La marque comme point d’honneur parental, comme sentiment d’accomplissement du devoir à l’égard de sa progéniture. On a le droit d’infliger mille moqueries aux abrutis qui passent la nuit dehors à attendre l’ouverture d’un magasin pour se payer le très onéreux dernier iphone. Mais là, avec le Nutella, il s’agit de gens « qui n’ont pas » et qui, l’espace d’une opération commerciale, peuvent « avoir », ou encore se donnent l’illusion d’« avoir » ou, enfin, peuvent enfin donner aux leurs.

Selon la presse française, le président Macron et ses conseillers auraient été interloqués par cette affaire, la suivant de près et pestant même contre les dirigeants d’Intermarché (lesquels ont récidivé avec des soldes de même ampleur – et avec les mêmes conséquences - sur les couches culottes). Plus que le fait que ces « émeutes » révèlent l’existence d’une France (très) pauvre, c’est l’impact international de cette affaire qui aurait préoccupé l’Elysée. Après avoir reçu avec faste les grands patrons à Versailles puis s’être rendu au forum de Davos, il est évident que le président français n’avait guère envie de voir diffusées les images prouvant la désespérance sociale dans son pays. Cachez ces pauvres…

Il est aussi intéressant de noter que cette (triste) histoire intervient alors que l’on annonce que la croissance du produit intérieur brut (PIB) est de retour. Mais croissance pour qui ? Pour les (grandes) entreprises gavées de cadeaux fiscaux et d’assistanat en tout genre ? Pour les actionnaires qui, licenciements ou pas des salariés, continuent de toucher un maximum de dividendes ? Ou alors pour les damnés de la mondialisation, ces gens pour qui le vote Front national est le dernier espoir de changement et pour qui se payer trois pots de Nutella pour le prix d’un vaut bien de paraître ridicule, vulgaire ou indécent aux yeux des adeptes du sarcasme social ?
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