Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 24 janvier 2020

Paroles de femme : Megan Rapinoe et le silence (lâcheté ?) des grands noms du football masculin...

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Megan Rapinoe, capitaine de l’équipe américaine féminine de football, Ballon d’Or féminin 2019.

Extraits d’un entretien accordé à France Football après l’attribution du Ballon d’Or (4 décembre 2019)


France Football.- Ce Ballon d’Or va-t-il autant à la meilleure joueuse de la Coupe du monde qu’à la femme qui lutte contre les discriminations et s’en prend à Donald Trump ?
Megan Rapinoe.- Aux deux, je pense… Je me vois comme une activiste, donc cette part de ma personnalité ne peut être écartée. D’une part, je suis une très bonne joueuse de football. D’autre part, mon action hors du terrain m’attire du soutien car les gens comprennent que j’agis pour les emporter avec moi afin de trouver des solutions aux problèmes de nos sociétés. (…)

N’avez-vous pas envie de crier : « S’il vous plaît, Christiano (Ronaldo), Leo (Messi), Zlatan (Ibrahimovic), aidez-moi ? »
Oh que si… Ces grandes stars ne s’engagent sur rien ! (Raheem) Sterling et (Kalidou) Koulibaly, eux, au moins, ont parlé car ils ont subi des attaques racistes, mais qui d’autre ? Je m’efforce de mettre ces grands noms au défi de s’exprimer, quitte à passer pour une emmerdeuse, mais je m’en moque.

Vous sentez-vous seule ?
Carrément ! Il existe tellement de problèmes dans le football masculin et ils ne bougent pas d’un pouce. Est-ce parce qu’il y a tant d’argent en jeu ? Ont-ils la hantise de tout perdre ? Ils le croient, mais ce n’est pas vrai. Qui va rayer Ronaldo ou Messi de la planète football pour une déclaration contre le racisme ou le sexisme ? Au contraire, ils recevraient un soutien massif. (…)

Pourtant les Messi, Christiano Ronaldo, Ibrahimovic, Neymar et consorts sont issus de milieux très modestes.
D’où mon incompréhension face à leur silence ! Je suis à la fois en colère et triste. J’imagine qu’ils se disent : « Je m’en suis sorti, je ne veux pas mettre ma vie en danger. » Bon sang, en danger de quoi ? Ils ont des amies, des sœurs, des potes noirs ou gays, ils doivent savoir que des tas de gens souffrent de discrimination. Tant qu’ils ne seront pas aussi outrés que Sterling et Koulibaly par les cris de singe [dans les tribunes], rien ne changera ! Et ils seront une partie du problème.

Et si Lionel Messi quittait le terrain au premier cri de singe envers…
Ce serait énorme ! L’arbitre n’oserait pas lui adresser un carton rouge, à lui, le meilleur footballeur de tous les temps. Je n’en peux plus des effets de manche quand un joueur subit un chant raciste. Les autres joueurs le réconfortent, et c’est tout. Merde, alors ! »


Propos recueillis par Christophe Larcher.

jeudi 16 janvier 2020

La chronique du blédard : De l’art de l’esquive en parlant d’Algérie

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 janvier 2020
Akram Belkaïd, Paris

De nombreuses analyses sont publiées, et continueront de l’être, concernant l’Algérie et la situation qui y prévaut. Pour leur lecteur, il est un certain nombre de postulats implicites qu’il est toujours utile et important de connaître ou de déceler pour se faire une idée de la pertinence du texte et de son intention. L’un des plus importants, peut-être le plus important, est de savoir si l’auteur part du principe que l’Algérie est un État de droit et qu’il fonctionne normalement. Si tel est le cas, alors il convient de ne pas perdre son temps. Tout ce qui normalise et blanchit ce qui est anormal n’est pas acceptable.

Un exemple. La récente élection présidentielle du 12 décembre dernier. Faire comme si ce scrutin a été organisé de la manière la plus rigoureuse et la plus transparente, c’est soit se mentir soit propager un mensonge de manière délibérée. Qui peut croire que, soudain, le pays s’est débarrassé de ses mauvaises habitudes ? Qui peut vraiment croire que l’on peut établir une analyse sérieuse de la situation en disséquant les « chiffres » de la participation et les « résultats » des cinq candidats. Gloser sur le fait que « x » a remporté plus de suffrages qu’ « y » est un exercice creux sauf à essayer de comprendre les intentions et la logique interne du système ou, pour reprendre le propos de Mouloud Hamrouche au printemps dernier, du « non-système ».

Je me souviens d’une conférence organisée il y une vingtaine d’année à l’Institut du monde arabe (IMA) sur la Tunisie, alors présidée par feu Zine El Abidine Ben Ali. A la tribune, un chercheur tentait d’expliquer la logique politique concernant l’évolution des scores électoraux, qu’il s’agisse de la présidentielle, des législatives ou des municipales, toutes remportées à la majorité absolue par l’ex-Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Soudain, un Tunisien présent dans l’assistance s’est levé en criant cette phrase : « il n’y a aucune différence à être élu à 90% ou 80% quand le système est verrouillé. » Cela vaut pour l’Algérie. Certes, le pays a désormais un président. It’s a fact. Mais nous savons tous qu’il y a beaucoup à redire sur ce scrutin. Et il ne s’agit pas simplement de l’abstention (massive) qui affecte la crédibilité de l’élection mais du processus en amont, des mécanismes d’exclusion politique qui prévalent depuis bientôt six décennies, de l’interdiction d’un vrai pluralisme et de l’impossibilité de tout type d’alternance. Une élection n’est jamais le début d’un processus politique de démocratisation, elle doit en être l’aboutissement.

Dès la démission d’Abdelaziz Bouteflika, de nombreux observateurs internationaux posaient la même question. Pourquoi continuer à manifester alors que le président ne fera pas un cinquième mandat ? Puis vint une autre question : pourquoi continuer à manifester alors qu’un scrutin présidentiel est prévu ?  Là aussi, ce genre d’interrogation partait du principe que le « reste », était normal. Or, dans un pays où des gens vont en prison puis en sortent sur simple appel téléphonique, quand des gamins sans avocats encaissent des peines de prison ferme pour un simple drapeau brandi ou quelques propos exaltés sur les réseaux sociaux, alors non, rien n’est normal. Étayer tout raisonnement en faisant de cette élection un élément objectif n’est pas honnête sur le plan intellectuel. En clair, ce n’est pas parce qu’une élection présidentielle a lieu que l’Algérie est une démocratie ou un État de droit. Les apparences d’un changement ne sont jamais la preuve d’un vrai changement.

Autre question fondamentale à poser quand quelqu’un s’exprime à propos de l’Algérie. Quel est, selon lui, le principal problème du pays ? Ou, pour dire les choses de manière plus directe : qui est le plus à blâmer ? Je l’ai déjà écrit mais on ne le répétera jamais assez : depuis le début du mouvement, le Hirak a le courage de regarder le pouvoir algérien dans les yeux en lui disant ceci : « il n’y a aucun blabla possible : tu es le problème numéro un. C’est à toi que l’on doit cet échec et cette situation. »

Pas question donc de biaiser, de tergiverser ou d’éluder les vraies questions. Le Hirak ne ménage pas le pouvoir. Il ne transige pas. Il ne fait pas semblant de croire à l’indépendance de la justice pour justifier son silence quand des gens vont en prison pour leurs opinions. Il ne croit pas que des négociations sérieuses sont ouvertes juste parce que le mot « dialogue » a été prononcé (comme il le fut par le passé sans que rien ne change).

Le Hirak dis les choses sans détours. C’est ce qui lui vaut d’être en danger depuis le début et, plus encore aujourd’hui. Tout cela parce qu’il empêche l’apparence d’un retour à la normalité. Cette normalité pépère où les dissidences, ou celles présentées comme telles, s’en retourneront aux limites qui leurs sont imparties. Position plus ou moins confortable qui leur fera trouver d’autres cibles moins dangereuses.

S’il faut juger la situation du pays, alors il faut rappeler que le peuple n’est pas décideur, que ce ne sont pas des « députés » prompts à voter ce qu’on leur ordonne de voter, qui relaient ses attentes et ses demandes. On trouvera toujours mille et un défauts au peuple du Hirak. Pourquoi, d’ailleurs, devrait-il être parfait ? Où trouve-t-on exemple dans l’Histoire de révolutions menées par des êtres purs et parfaits ? Donc, tout texte d’analyse qui s’éloigne ou qui minimise le point essentiel, à savoir la responsabilité première du pouvoir algérien, n’est guère pertinent.

Ainsi, pour en revenir à l’élection présidentielle, il y a eu des textes circulant sur internet appelant à voter pour tel ou tel candidat au prétexte de faire barrage à celui qui semblait représenter le courant islamiste. Yakhi festi… On retrouve ici cette satanée entourloupe qui consiste à faire oublier l’essentiel en agitant, d’une manière ou d’une autre, le danger des barbus et, ce faisant, les mauvaises manières, ou supposées telles, des Algériennes et des Algériens (wanetoutrisme, obsession du complot, rapport ambigu à la France). Le Hirak est là pour rappeler cette vérité : le problème numéro un, c’est ce système hors-sol qui, il y a un an, nous expliquait qu’un cinquième mandat de Bouteflika serait la meilleure chose qui puisse arriver au pays.

Le Hirak n’est pas un coup d’État. Comme l’a dit l’excellent et avisé Saïd Djaafer, il n’a pas vocation à prendre le pouvoir (1). Il est là pour acculer le pouvoir, l’obliger à faire concessions sur concessions, notamment sur la question des libertés individuelles et politiques. Cela prendra le temps qu’il faut, l’Histoire n’étant pas une connexion internet à haut débit. L’impatience, l’inconfort, voire cette amertume qui colle au cœur de nombre d’Algériennes et d’Algériens, ne sauraient être un argument pour déclamer l’élégie du Hirak.

(1) « 47 vendredis contre des décennies de régression : le Hirak a remis l’Algérie en mouvement », Radio M Post, 14 janvier 2019.
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mercredi 15 janvier 2020

Parole de femme : Natalie Mering

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Leader du groupe Weyes Blood (*)
In Les Inrockuptibles, Hors-série, best of musique 2019

« J’ai été jalouse des mecs par le passé. Je rêvais d’être un garçon, de ne pas avoir d’ovaires, de règles, de ne pas être si sensible. Aujourd’hui, j’apprécie ma sensibilité et mes organes biologiques !
« La musique leur [les mecs] était plus accessible. Ils se soutenaient beaucoup les uns les autres. Les liens que tissent les hommes entre eux sont très puissants. J’avais des amis mecs qui étaient dans la même situation que moi mais qui n’avaient aucun problème à monter un groupe, une tournée. Moi, ça m’a toujours demandé beaucoup d’argent, alors que les mêmes musiciens jouaient pour mes potes gratuitement parce que ça faisait partie de côté bande. Ils étaient plus pris au sérieux au sérieux par les labels, les professionnels.
« Les mecs de mon groupe ont les infos avant moi alors même que je suis la leader… je dois aller voir mon batteur et lui demander ce qu’on lui a dit. C’est la même chose en studio. L’ingé son va se tourner vers le premier mec et lui dire : ‘‘ Hey, c’est bien ça ? ’’, au lieu de me demander à moi. Les mecs bandent les uns pour les autres ! »


(*) Dernier album, Titanic Rising (à écouter le titre Movies)
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