Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 30 décembre 2020

La chronique économique : Lidl ou quand le magasin des pauvres devient tendance

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 30 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Connaissez-vous l’enseigne Lidl ? En Europe, y compris en France, il s’agit d’une chaîne de magasins à bas prix. Du « hard discount » pour reprendre l’expression consacrée. Petits prix, marques de magasin, promotions continues, Lidl est le magasin des foyers modestes, encore moins cher que ne le furent Ed l’épicier ou Leader Price. Mais cette enseigne fait aujourd’hui le « buzz » et semble en passe de modifier son image sans toutefois changer ses prix.

 

Baskets, buzz et chaussettes

 

Dimanche, la chaîne a mis en vente plusieurs produits dont des baskets, des chaussettes, des claquettes et des t-shirts. Une opération attendue depuis deux mois qui a provoqué une véritable cohue dans les 1 500 magasins concernés. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes ont publié des images éloquentes de chariots débordants de ces produits ou encore d’échauffourées entre clients. Inutile de préciser que de nombreux commentaires négatifs ont accompagné ces posts. Mais ce n’est pas cela qui constitue l’essentiel de cette affaire.

 

En effet, nombre des produits achetés ont été immédiatement proposés à la vente sur des sites internet de seconde main. Et le plus intriguant dans l’affaire, c’est que les prix affichés sont de très loin supérieurs à ceux de l’achat. Exemple : un ensemble baskets (ou sneakers) et chaussettes, achetés autour de 20 euros était proposé dimanche soir à… 4 900 euros. La plupart du temps, l’ensemble était proposé pour quelques centaines d’euros. Comment expliquer cette folie ? Ainsi, des produits en théorie invendables – qui irait porter sur lui un produit de marque discount ? – sont devenus aussi recherchés que des marques de luxe. Tout cela ne doit rien au hasard et résulte d’une véritable opération marketing qui en dit long sur l’époque.

 

Le rôle des « influenceurs »

 

D’abord, les quantités mises en vente étaient limitées. Pas plus de 50 baskets par magasins. On le sait, la rareté crée le désir et alimente la spéculation. En juin 2019, Lidl avait déjà testé cette stratégie en mettant en vente de petits lots de robots ménagers qui se sont arrachés comme des petits pains. Mais, il n’y a pas que l’effet rareté qui joue. Dans le cas des baskets, c’est aussi une opération de communication qui consiste d’abord à faire l’éloge de ces chaussures en les présentant comme le « must have » pour les adolescents, ce que l’on doit avoir pour exister aux yeux des autres. Porter ces baskets bleues et jaunes, couleurs de l’enseigne, c’est ainsi être, selon Lidl, le « coolest kid in town », le plus cool des gamins de la ville.

 

Et à ce stade, intervient un type d’acteur économique de plus en plus agissant. Il s’agit des fameux « influenceurs », des hommes et des femmes, souvent des adolescents, qui donnent le « la » en matière de consommation car leurs conseils et recommandations sont suivis par des millions d’internautes. Par exemple, l’ex-footballeur Djibril Cissé, très suivi par les réseaux et la presse people, a beaucoup fait pour donner de la visibilité aux baskets de Lidl.

 

Lidl a aussi organisé des défilés de mode avec des mannequins connus portant baskets et chaussettes de la marque. Résultat, ces deux produits deviennent l’objet d’un désir ardent des consommateurs. Avoir à tout prix ce qui est rare et ce qui est porté par des « stars », telle est donc la ligne de conduite qui explique cet emballement. Lidl change son image. Ce n’est plus une marque pour les pauvres, c’est une marque « cool ». Cela ne modifiera rien au statut de la majorité de ses clients qui peinent à boucler leurs fins de mois. Mais peut-être que le racisme social qu’ils subissent– il n’est pas rare que les clients de Lidl soient moqués par les réseaux sociaux – sera désormais moins virulent. Ou, peut-être, ne comprendront-ils pas que le capitalisme le plus sauvage s’attaque aussi aux magasins qu’ils sont obligés de fréquenter…

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La chronique du blédard : Personnels de santé et prisonniers d’opinion : femmes et hommes de l’année

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 31 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

 

Ce soir, à minuit passé d’une seconde, il est évident que peu de gens regretteront 2020. Et ils seront nombreux à pousser un long soupir de soulagement au même instant. Bien sûr, la pandémie de Covid-19 ne sera pas pour autant terminée mais, tout de même, quelle année ! Aux maux habituels qui accablent notre monde, aux guerres, aux famines, aux coups d’États qui secouent notamment le continent africain, aux dirigeants qui s’accrochent à leur fauteuil, qui modifient la Constitution de leur pays – ou qui en font une lecture spécieuse, aux injustices et aux inégalités qui ne cessent de se creuser (Marx, revient !), s’est ajoutée cette maudite épidémie dont on ne voit toujours pas la fin et dont on ne mesure pas toutes les conséquences, qu’elles soient médicales, économiques et même politiques.

 

La mise au point de vaccins contre le virus responsable du (ou de la) Covid-19 est une excellente nouvelle. Elle permet, malgré tout, de terminer l’année avec une note d’espoir. Certains renâclent, d’autres sont persuadés que Bill Gates va pouvoir les espionner de son salon grâce à la puce qui leur aura été inoculée, mais gardons un œil sur les pays où le bon sens populaire demeure (encore) favorable à l’égard de la science et des progrès qu’elle accomplit. Eux, vont donner l’exemple et, qui sait, convaincre les sceptiques et nos bons vieux complotistes. Espérons que 2021 sera marquée par le tassement de la pandémie et par la hausse de l’immunité croisée. Espérons que les pays pauvres ne seront pas les laissés pour compte en matière de distribution de vaccins. Il n’y a pas de fatalité. Peu à peu, le cauchemar s’estompera. Mais est-ce à dire que tout sera fini et que le monde pourra revenir à ses petites affaires ? À sa normalité ?

 

Certainement pas. Ce que nous vivons actuellement est un avertissement avec frais, certes très lourds, mais qui pourraient être négligeables en comparaison de ce qui risque d’advenir dans le futur. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), d’autres pandémies sont à craindre. Le rythme de la mondialisation, des échanges commerciaux, la déforestation incessante qui met en contact l’être humain avec des animaux sauvages porteurs de virus jusque-là inconnus, sont des facteurs majeurs de propagation de nouvelles maladies. Croire que l’on pourra revenir à la vie normale serait faire preuve de naïveté ou d’insouciance coupable. J’ai retrouvé un petit lot de coupures de presse datant de 2003 à 2004. Ce petit dossier, je l’avais constitué durant la propagation du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) provoqué par le coronavirus SARS-CoV-1 apparu, lui aussi, en Chine.

 

A cette époque, tout ce que nous vivons aujourd’hui avait été déjà décrit. Les origines possibles de ce virus, les dégâts nés de la destruction de la nature, la nécessité pour les pays de se préparer à des pandémies majeures. Tout a été écrit mais tout a été oublié. Le SRAS fut une première alerte qui causa quelques milliers de victimes en touchant essentiellement l’Asie. Mais la mise en garde fut ignorée. Nous vivons aujourd’hui le deuxième rappel à l’ordre. Dans un monde parfait, avec des dirigeants politiques sérieux et compétents, l’urgence serait de se préparer dès maintenant à la troisième vague qui pourrait être dévastatrice. Gardons en tête que dans le malheur qui s’est abattu sur l’humanité en 2020, il y a tout de même eu un miracle : celui de la résistance de centaines de millions de jeunes personnes et d’enfants au virus. Qui peut jurer que le prochain coronavirus sera aussi « discriminant » ?

 

En fin d’année, il est de tradition de distinguer les faits saillants et les femmes et les hommes qui ont marqué les trois-cent soixante jours écoulés. Chacun a son idée et le choix est purement subjectif. Il y a un an (1), je considérais que le peuple algérien méritait le titre de personnalité de l’année 2020 (en excluant les cachiristes et les opportunistes qui nous parlent de modération ou de je ne sais quelle prostitution de l’esprit). Pour 2020, que l’on me permette d’effectuer un double choix. En premier, saluons le personnel soignant qui a été, et qui continue à l’être, au front contre le Covid-19. Respect et chapeau bas à celles et ceux qui n’ont pas hésité à faire leur travail, qui n’ont pas abandonné leur poste malgré les risques pour eux et leurs familles. Respect et chapeau bas aux soignantes et aux soignants dont les affections respiratoires et la réanimation ne sont pas leur spécialité mais qui se sont portés volontaires pour seconder leurs collègues épuisés. Hommage aussi aux disparus. Partout dans ce monde - où des politiques inconscients ont organisé la précarisation des secteurs hospitaliers, partout donc, en Algérie comme en France, des médecins, des infirmières, des personnels de salle sont morts à cause de ce virus. Sans le dévouement de ces femmes et de ces hommes, la bataille serait perdue depuis longtemps. Honneur pour elles. Honneur pour eux.

 

Mon second choix se porte sur les prisonniers d’opinion en Algérie. Le Covid-19 a hélas enrayé la mécanique du Hirak. Mais l’affaire est loin d’être terminée. Ces reclus ne sont ni des criminels ni des voyous. Ils ont montré que deux décennies de bouteflikisme n’avaient pas empêché le combat pour des convictions fut-ce au risque d’aller en prison. Nous ne le disons pas assez. Nous ne le proclamons pas assez. Il faudrait le rappeler tous les jours : les prisonniers d’opinion sont l’honneur de l’Algérie. Ils sont, eux aussi, les personnalités de l’année.  

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mardi 29 décembre 2020

La chronique du blédard : Parlez-vous Les Inrocks ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 24 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Ah, Les Inrockuptibles ou, plus familièrement, Les Inrocks… Le magazine branché, exigeant diront certains, snob, railleront les autres, traître rajouteront celles et ceux qui ne lui pardonnent toujours pas son repositionnement, plus ouvert, du milieu des années 1990. Le présent chroniqueur le lit parfois, pas toujours convaincu par ce qu’il y découvre, mais il reste fidèle à un rendez-vous particulier : le supplément qui paraît en décembre en proposant la liste commentée des 100 albums jugés les meilleurs de l’année. Point important à signaler d’emblée, les zinrocks i-zèment guère ce que le commun des oreilles apprécie. Bruce Springsteen ? Très très rarement évoqué (à sa mort, peut-être). Idem pour Muse, jugé groupe complotiste ou Mark Knopfler qui, pourtant, bonifie son penchant littéraire avec l’âge. Et si vous croisez un journaliste de chez eux et que vous souhaitez le zénerver, demandez-lui ce qu’il pense de Coldplay (y compris dans sa première phase). Par contre, deux zigottos dans leur cave qui branchent et débranchent des circuits électroniques (on ne citera pas de noms) en poussant des cris de chats écorchés et en faisant gémir le synthé, ça peut figurer dans la dite liste. Après tout, le rappeur Tyler, The Creator (1er du classement 2019 avec son album Igor) y figure bien, lui dont les jérémiades (il paraît qu’il ne fait plus de rap mais qu’il chante !) en feraient « l’une des figures les plus fascinantes de la pop contemporaine. » Rien que ça…

 

On leur serra gré tout de même des découvertes que chaque livraison annuelle apporte. De quoi épater une assemblée de post-ados persuadés que l’on en était resté à de la musique en noir et blanc écoutée sur gramophone. Ainsi, avons-nous un jour pu laisser échapper un très désinvolte « ah oui, j’aime bien Flavien Berger ». Stupeur de l’auditoire incapable d’imaginer qu’un ancêtre puisse connaître le gars en question (lequel, avouons-le, nous était totalement inconnu avant qu’on ne lise deux pages sur lui dans le hors-série qui plaça son album Contretemps en tête des albums pour l’année 2018). « Mais quoi…, d’où tu connais Flavien Berger ? » Hé wé, les potos ! Moment de gloire, certes éphémère mais toujours bon à prendre en ces temps de contestation générationnelle. 

 

Par prudence, le présent chroniqueur a toutefois évité de reprendre le propos des Inrocks sur cet artiste adepte, selon le magazine, du « trip cosmogonique » et dont « la pochette du disque suggérait déjà les pliures de l’espace-temps avec cette forme circulaire et mouvante, évoquant autant une spirale de la remémoration qu’une constellation zodiacale. » Car ainsi est conçue la marque de fabrique du magazine. Assemble mots, qualificatifs et images et balance le tout coco ! Ça fera du bon feuillet, du cosmotripique ! Ainsi de la compositrice et interprète, Weyes Blood (Natalie Laura Mering, de son vrai nom), auteure du très neurasthénique (ça, c’est moi qui le dis) Titanic Rising (2ième du classement 2019) aurait « la capacité d’annuler tous les repères spatiotemporels convoquant les madrigaux médiévaux (qu’elle affectionne), les chants lyriques, les arrangements de cordes classiques, le songwriting folk, la rondeur pop, les aigus bouleversants et les graves insolents ». Tout ça dans le même disque ! Tant qu’on y est, on pourrait ajouter les mineurs évanescents et les majeurs bleuissant… Et si la référence à Tyler, The Creator vous a intrigué, sachez que son « lugubre mais jouissif » morceau New Magic Wand « n’est pas sans rappeler les délires meurtriers de ses premiers morceaux d’ado enragé ». Nous voilà bien avancés !

 

La livraison 2019, nous a permis aussi de découvrir l’album Magdalene de FKA Twigs. Un grand moment puisque de sa collaboration avec le producteur et artiste électronique américano-chilien Nicolas Jaar serait née « une mythologie dénuée d’ironie postmoderniste, que l’on qualifiera donc de ‘‘néomoderne’’. D’un romantisme symphonique et chuchotant, déployant un monde de paradoxes qui transcrivent les soubresauts de l’âme, Magdalene, sublime les envolées suraiguës de FKA, roitelet égaré dans une Voie lactée, alors que crépitent ici et là les chemins de traverse électroniques et de spirituels gong. » Qu’ajouter de plus ? Allez, faisons-nous un petit plizir supplémentaire : « FKA twigs fait partie de cette catégorie d’artistes transversaux et transcendantaux spirituels et sensuels, dont la faiblesse et la force s’expriment tour à tour par des instruments organiques et des machines électroniques, avec la soif de réinvention collée à la voix. » De quoi répondre aux critères incontournables de « l’ôde à la transversalité » et des « noces entre genres » désormais chères aux Inrocks. 

 

Et pour 2020 (année que personne ne regrettera) ? On relèvera, grande satisfaction réconciliatrice, que le premier du classement ne vient pas de nulle part. Il s’agit de The Strokes avec leur album The New Abnormal, position méritée avec notamment un morceau « croisant un rock à la fois rustaud et hypnotique au son eighties ». Après sept ans d’attente, les fans de ce groupe seront ravis par cette livraison mais retenons néanmoins que ses membres « ont besoin de s’éparpiller, pour mieux se retrouver, fût-ce de manière de plus en plus espacée. » Bon, on signalera tout de même au lecteur que Benjamin Biolay figure au treizième rang du cru 2020 (pour une année de m…, c’est donc vraiment une année de m…) !

 

Mais cessons-là toute mizidonce chère au futur mufti de la République et remercions les Inrocks d’avoir mis en avant, en 2019 (troisième position), le meilleur groupe punk-rock du moment : Fat White Family, avec pour membres les deux frères Saudi, de père algérien (one, two, three !). A la sortie de leur album Serfs up ! (appel à la révolte des serfs), voici ce que déclarait Lias Kaci Saudi : « Aujourd’hui n’importe quel peuple opprimé se soulève et vote pour quelqu’un qui finit par l’opprimer davantage. Alors, on refuse de s’aligner avec le peuple. On emmerde le peuple. Notre boulot n’est pas d’avoir raison ou non. Notre boulot est d’attiser l’imagination des gens. Au final, on ne cherche pas à sauver l’humanité. On veut juste sauver notre peau ». Un manifeste post-punk rustaud à méditer en explorant les marges. Cosmogoniques, bien sûr.

 

La chronique économique : Apple et ses sous-traitants

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 23 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

L’événement s’est déroulé le 12 décembre dernier en Inde, dans la grande banlieue de Bangalore, le cœur de l’industrie informatique du pays. Plusieurs centaines d’ouvriers d’une filiale de l’assembleur taiwanais Wistron, excédés de ne pas avoir perçu l’intégralité de leur salaire en octobre et en novembre (179 euros au lieu de 235 euros promis) ont donné libre cours à leur colère en saccageant l’usine, détruisant les équipements et en mettant le feu aux voitures du personnel de direction. La police est intervenue et près de cent-cinquante personnes se sont retrouvées derrière les barreaux.

 

L’histoire prend une dimension particulière quand on sait que le principal client de Wistron est la firme Apple qui le charge d’assembler pour elle les fameux téléphones intelligents iphone. L’entreprise américaine a annoncé qu’elle suspendait sa collaboration avec son sous-traitant lequel a assuré tout mettre en place pour revenir à la normale et assurer à ses employés les meilleures conditions. Près de 10 500 personnes sont concernées par ce qui est un épisode emblématique des errements de la mondialisation et de l’internationalisation du commerce.

 

Essor des délocalisations

 

Certes, cela n’est pas nouveau. Depuis déjà cinq décennies, les transnationales ne cessent de délocaliser leur production dans les pays où la main-d’œuvre est moins chère, plus « flexible » (pas ou peu de syndicats et encore moins de durée minimale de travail hebdomadaire) et où les États rivalisent en cadeaux fiscaux pour attirer les investisseurs. Apple. Mais la mondialisation vaut aussi pour les idées et les principes. Les ouvriers qui travaillent pour des sous-sous-traitants d’Apple ont une meilleure connaissance du fonctionnement de l’économie. Ils savent que ce qu’ils fabriquent quotidiennement aura un prix de vente bien plus important que leur salaire mensuel. Autrement dit, ces inégalités dont profitent les grandes firmes sont désormais tangibles quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Cela vaut pour les employés de Wistron comme pour ceux du chinois Foxconn, lui aussi régulièrement pointé du doigt par les organisations de défense des droits humains.

 

Dès lors, la réaction des ouvriers indiens n’est pas surprenante. Elle indique qu’une ligne rouge a été franchie et que le capitalisme international n’a pas encore obtenu le droit de transformer les travailleurs en esclaves corvéables à merci.

 

Jeu de dupes

 

L’autre point important est l’illustration des relations ambigües entre donneurs d’ordre et sous-traitants. A chaque fois qu’un drame survient qui met en évidence un manquement des seconds, les premiers jurent qu’ils ignoraient tout de cela. C’est alors l’heure des promesses, des « nous allons adopter de nouvelles procédures pour permettre bla-bla-bla ». Un jeu convenu destiné à laisser passer l’orage et à éviter qu’il ne prenne l’envie à certains consommateurs de boycotter le produit. Mais dans la réalité, le fondement même de la sous-traitance est basé sur un principe implicite de transfert de mauvaises pratiques. Le donneur d’ordre veut de la qualité et de la rentabilité. Aux sous-traitants de s’adapter. Cela vaut pour l’industrie informatique comme pour les mines ou d’autres activités. Et rien ne changera sans une action convergente des consommateurs et des gouvernements. 

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La chronique du blédard : La Palestine et le trot empressé de la normalisation

Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Le constat est évident. La normalisation des relations entre Israël et le Maroc, dernier pays arabe en date à avoir franchi le pas, est un coup de poignard dans le dos des Palestiniens. Depuis le début des années 2000, la position officielle des membres de la Ligue arabe était pourtant claire : pas de normalisation sans restitution des territoires occupés. Autrement dit la paix et la sécurité contre la possibilité d’un État palestinien viable, possédant une continuité territoriale et avec Jérusalem-est pour capitale. Rien de plus et rien de moins que ce qu’exigent nombre de résolutions des Nations Unies.

 

La corbeille de mariée offerte au Maroc semble bien garnie : reconnaissance par les États-Unis de sa souveraineté sur le Sahara Occidental – reconnaissance qui va à l’encontre des résolutions des Nations-Unies -, promesses d’investissements (qui en profitera ?) et livraison de matériel militaire (pour en faire quoi ?). Mais Rabat, comme les Émirats arabes unis, Bahreïn ou le Soudan (dont on n’est plus très sûr s’il veut vraiment normaliser ses relations avec Tel Aviv), n’a obtenu aucun geste, aucune compensation pour les Palestiniens. Cela rappelle un peu les accords de 1978-1979 entre l’Égypte et Israël, quand feu Anouar Sadate n’avait, en réalité, qu’un seul objectif : récupérer le Sinaï.

 

En réalité, ces normalisations, ces empressements à officialiser des relations qui, de toutes les façons existaient déjà, ne changent rien à la situation qui prévaut à Gaza et en Cisjordanie. Blocus total pour la première malgré une situation humanitaire catastrophique, occupation de fait pour la seconde avec grignotage constant de territoire palestinien. En deux décennies et demi, le nombre de colons installés dans ce qui est censé être l’État palestinien atteint le record de 400 000 personnes, 600 000 si l’on inclut Jéruslam-est. Pour jeter un petit os à ses nouveaux amis, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a indiqué que le processus d’annexion de ces colonies est « gelé ». Pas question de démantèlement… Et, on en fait le pari, ce « gel » ne durera que quelques semaines. D'ailleurs, on apprend déjà qu’ici et là, de nouvelles constructions sont prévues. Rappelons, encore une fois, que les Nations Unis considèrent ces colonies comme illégales au regard du droit international.

 

Ces normalisations font prendre conscience que le « processus de paix » né des accords d’Oslo est une fable. C’est une arnaque dont le seul résultat tangible est le mitage de la Cisjordanie. Si l’État palestinien devait exister aujourd’hui, en tenant compte des colonies, des routes interdites aux Palestiniens et des assises territoriales des « implantations » dont personne ne connaît l’étendue sur le plan géographique et administratif (les Israéliens considèrent qu’une colonie va bien au-delà de ses bordures extérieures), il ressemblerait à un archipel indonésien. Des centaines de petits bouts de terre qu’il serait matériellement impossible de connecter les uns aux autres sans l’aval israélien. 

 

L’autonomie palestinienne dont on parle tant pour faire croire que nous avons affaire à un conflit entre parties égales est une chimère. La seule capacité de décision de Mahmoud Abbas, l’indéboulonnable président de l’Autorité palestinienne (à quand des élections ?) est de museler son propre peuple au nom de la coopération sécuritaire avec Israël. Laquelle coopération sécuritaire n’a certainement pas été suspendue malgré les évolutions récentes. Les pantouflards de l’Autorité y auraient trop à perdre. Demain, dans le meilleur des cas, ce semblant de gouvernement aura peut-être le droit de régner sur quelques bantoustans – les grandes villes palestiniennes – mais sans souveraineté et certainement sans aucun droit de regard sur les colons israéliens. Naplouse ou, plus encore, Hébron, où quelques milliers de colons imposent leur loi à la population palestinienne, sont de véritables cas d’école en la matière.

 

L’absence de relations diplomatiques entre les pays arabes et Israël visait à se garder un élément de négociation. Dans un monde globalisé, Tel Aviv sait que son économie aurait beaucoup à gagner dans un ensemble régional qui lui serait enfin accessible. De quoi obtenir des concessions pour le camp arabe. Mais au-delà de l’aspect économique, il est un fait paradoxal dont on parle peu : c’est la fascination qu’exerce le monde arabe sur une partie de la population israélienne. Pour une bonne partie d’entre-elle, c’est le mystère des origines, la part de soi qui a été perdue. C’est aussi ce qui manque pour asseoir définitivement la reconnaissance internationale de son pays. Colloques, réunions internationales, compétitions sportives, camp de scouts : n’importe quelle personne venant du monde arabe et ayant croisé des Israéliens lors de ces événements peut en témoigner : la recherche du contact, la sollicitation, vient presque toujours d’eux. En s’engageant, sans pudeur aucune, dans la cavalcade  de la normalisation, référence au fameux poème de Nizzar Qabbani (« El-Mouharwiloune* »), Rabat comme ses pairs se prive d’un atout qui aurait été utile en cas de négociations sérieuses avec Israël. Encore faudrait-il qu’il y en ait ou qu’il existe une volonté arabe de continuer à peser sur ce dossier (**).

 

Quid alors du cas algérien ? Si la majorité de la population continue de soutenir les Palestiniens, certains, de guerre lasse ou par calcul, proclament leur désintérêt. Il faut dire que cela ne concerne pas que les citoyens anonymes. A la fin des années 2000, déjà, une délégation de représentants de partis membres de l’Organisation de libération palestinienne (OLP) s’était vue opposer une fin de non-recevoir par les autorités algériennes sollicitées pour mener une conciliation entre le Fatah et le Hamas. Cela fait deux décennies, trois en comptant les années 1990, que l’Algérie n’a pas fait grand-chose pour les Palestiniens. On dira que nous avons d’autres chats à fouetter. On dira aussi, en reprenant, sans peut-être s’en rendre compte, un argument de la propagande sioniste, qu’il y a d’autres drames dans le monde qui méritent eux-aussi un engagement.

 

Sauf que la Palestine est une injustice infinie. Une question de respect du droit international et une affaire de décolonisation. Cela exige de la solidarité mais aussi une vigilance extrême pour ne pas en faire un combat religieux – car tel n’est pas le cas – ou pour ne pas verser dans l’antisémitisme. Savoir ce qui se passe vraiment en Palestine est la condition qui accompagne le refus de la normalisation. Lire, comprendre, s’informer est une obligation car les incantations de soutien ou l’agitation de drapeaux ne suffisent pas. C’est savoir, par exemple, que, contrairement aux bêtises relayées par certains internautes algériens ou marocains, les Palestiniens n’ont pas du tout renoncé. Ils sont dans le temps long. Avec le çoumoud, ils résistent, à leur manière. Ayant deviné depuis longtemps qu’ils n’ont rien à attendre des États arabes.

 

(*) « (…) Sont tombés, les derniers murs de la pudeur /Et nous étions heureux… et nous avons dansé / Et nous-nous sommes félicités de signer la paix des lâches / Plus rien ne nous fait peur / Plus rien ne nous fait honte /En nous les veines de la grandeur se sont asséchées »


(**) Lire aussi l’article prémonitoire de M. Saadoune, « Palestine trahie : après les Emirats, Bahreïn, Oman et…. le Maroc ? », 24hdz.com, 18 août 2020. Ainsi que notre article « Idylle entre les pays du Golfe et Israël », Le Monde diplomatique, décembre 2020.

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La chronique économique : Les GAFAM dans le collimateur de la Commission européenne

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

C’est un bras de fer fondamental qui commence, la Commission européenne entendant imposer ses règles aux grands acteurs du numérique. Le couple obligations/sanctions est désormais brandi comme principe de base devant imprégner les législations en cours d’élaboration. Dans la ligne de mire figurent, bien entendu, les GAFAM : Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, mais aussi tous les autres opérateurs, qu’il s’agisse de plateformes numériques, de commerce en ligne ou de réseaux sociaux alternatifs.

 

Contre les discours de haine

 

A la base, se trouvera un Règlement sur les services numériques dont la vocation est de responsabiliser les acteurs du numérique. Cela concernera tout le monde, particuliers compris. Les plateformes seront, elles aussi, concernées avec des dispositions de taille : la double obligation de modérer les contenus qu’elles accueillent mais aussi la nécessité de coopérer, au besoin, avec les autorités. On voit déjà ce qui pose problème. S’il est vrai que certains contenus posent de sérieux problèmes : discours de haine, fausses informations (« fake news »), manipulations politiques, les risques de censure seront accrus. Dans un contexte de montée en puissance de l’autoritarisme, y compris dans un pays comme la France, qui garantit que ces réglementations seront totalement au service des libertés individuelles ? Qui dit qu’un blog critiquant les violences policières ne sera pas tout bonnement fermé grâce à cette future législation ? Dans les semaines qui suivent, il sera intéressant de voir comment les parlementaires européens se positionneront par rapport aux propositions de texte concoctées par la Commission européenne.

 

Un second volet sera constitué par le Règlement sur les marchés numériques. Et là, seuls les acteurs dits « systémiques » seront concernés. Il s’agit notamment des GAFAM dont l’emprise sur le secteur est sans cesse croissant. La Commission européenne veut leur imposer une obligation de transparence sur les algorithmes utilisés (ces petits programmes qui, par exemple, inondent l’internaute de publicité en se basant sur ses habitudes de navigation). De même, les GAFAM devront être moins opaques sur leur traitement des données privées, lesquelles constituent une matière première hautement rémunératrice.

 

Le temps des lobbys

 

Bruxelles semble aussi se réveiller sur la question de la concurrence. Les acquisitions opérées par ces géants devront lui être déclarées. Les sanctions prévues en matière de non-respect des règles de concurrences pourront atteindre 10% du chiffres d’affaires (6% pour les contenus en ligne illégaux). Surtout, la possibilité d’un démantèlement en cas de manquement grave n’est plus exclue. En Europe, et à un degré moindre aux États-Unis, l’étau se resserre un peu plus sur les géants du numériques mais rien n’est encore joué.

 

D’abord, ces législations contraignantes ne sont pas encore adoptées et il faudra encore du temps pour les finaliser d’autant que les États membres de l’Union européenne auront leur mot à dire. Ensuite, parce que des centaines de lobbyistes sont à pied d’œuvre pour vider les textes de leur substance. A Bruxelles, comme à Washington, il ne s’agit pas pour eux d’empêcher ces lois mais de faire en sorte qu’elles soient les moins contraignantes possibles. Et, en la matière, le savoir-faire des défenseurs des GAFAM fait ses preuves depuis deux décennies.

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La chronique économique : Un Dow Jones étincelant

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 9 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Peut-on résumer l’état d’une économie en se basant uniquement sur les performances d’un indice boursier ? La réponse, bien entendu, est négative. Personne ne nie qu’il existe une décorrélation entre les marchés financiers et ce que l’on appelle l’économie réelle. On connaît la formule : Main Street (le commerce et tout ce qui le fournit en amont) n’est pas Wall Street (la finance et la Bourse). Pour autant, ces derniers jours, le président américain sortant Donald Trump ne cesse de se prévaloir d’une « réussite économique unique » et en veut pour preuve l’état étincelant de l’indice Dow Jones, l’un des principaux indicateurs du New York Stock Excange (NYSE).

 

Une hausse de 200% en vingt ans

 

Le 24 novembre dernier, le plus ancien des indices boursiers mondiaux (il a été créé en 1884 par les journalistes Charles Dow et Edward Jones) a atteint un nouveau record en dépassant la barre des 30 000 points. L’annonce par plusieurs compagnies pharmaceutiques de la mise au point d’un vaccin contre la covid-19 a été pour beaucoup dans ce bond sans oublier le fait que les marchés semblaient accueillir favorablement la victoire électorale de Joseph Biden. Mais cela ne traduisait pas forcément une embellie économique, la pandémie ayant durement affecté les personnes et l’activité. Mais, comme toujours, les analystes se tournent vers l’avenir estimant qu’un Dow Jones à 30 000 points est une anticipation de jours meilleurs. Mais attention : anticipation est bien le mot et il ne signifie pas forcément certitude.

 

En réalité, ce niveau atteint par l’indice décrit bien la folie qui s’est emparée des marchés au cours des vingt dernières années. Certes, sa conception mathématique – évolution des titres le composant par rapport à leur valeur unitaire – fait que, dans le long terme, il ne peut que progresser. Mais souvenons-nous que le 23 mars 1999, le Dow Jones battait le record historique de 10 000 points. Autrement dit, il a donc progressé de 200 % en vingt ans. Rien, mais absolument rien ne peut justifier une telle hausse. Pour mémoire, l’année 1999 fut celle du boom euphorique des valeurs technologiques (le 14 janvier 2000, le Dow Jones atteignait un nouveau plus haut à 11 722 points). 

 

Si l’on regarde de près, cet indice, comme les autres, réagit très mal aux mauvaises nouvelles qu’elles soient d’ordre politique ou économique. Il a été affecté par la crise financière de 2008 mais, cinq ans plus tard, il battait de nouveau un record à 14 413 points grâce à la baisse constatée du chômage. Si Donald Trump peut se targuer que sa présidence a connu un Dow Jones conquérant, cela est aussi le cas de Barack Obama avec un Dow Jones atteignant 17 138 points, le 16 juillet 2014.

 

Emballement

 

Mais il est évident que les choses s’emballent. Dès l’investiture de Donald Trump, le Dow Jones franchissait pour la première fois la barre des 20 000 points (25 janvier 2017). Comme un présage puisque cette année-là, le Dow Jones a battu son record 71 fois ! (15 en 2018, 23 en 2019). Dans un pays où les pensions d’une grande partie des retraités dépendent de l’état de la Bourse tout comme, d’ailleurs, nombre de ménages qui ne cessent de renouveller leurs prêts hypothécaires, la bonne santé de Wall Street est un atout électoral. Mais cela ne dit pas tout. Un Dow Jones à 30 000 points ne dit rien de l’état des salaires qui stagnent, de l’accroissement des inégalités ou de l’incapacité de la plus grande puissance mondiale à faire face à la pandémie.

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vendredi 18 décembre 2020

La chronique du blédard : France, la dérive liberticide

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Des nuages roulent sur la France. Je ne parle pas ici de météo ou de l’épidémie de Covid-19, cette terrible crise sanitaire valant pour tout le monde sur cette terre. Mais deux dossiers liés méritent l’attention parce que la situation est grave et qu’elle est potentiellement le prélude à des temps encore plus tourmentés. D’abord, les libertés individuelles. Ensuite, la sempiternelle question de l’islam et des musulmans. Pour ce qui est du premier point, cela fait des années que la tendance va dans le même sens. Une liberté rognée par-ci, une loi contraignante par-là. C’est comme une eau dont la température augmente lentement jusqu’à paralyser les grenouilles qui s’y trouvent et qui n’ont pas réagi quand il était encore temps.

 

 Il est évident que le terrorisme djihadiste est pour grande partie responsable de cette évolution. Quand la violence surgit, comme ce fut le cas en 2015, la réaction immédiate est de durcir les législations pour punir les responsables, pour empêcher d’autres attaques et, aussi, pour rassurer la population. Le contexte devient lourd, les lois d’exception qui auraient été rejetées en force par l’opinion publique à une époque plus clémente sont votées plus facilement. La nuance et la retenue ne sont plus de mise. Le climat devient binaire. Si l’on est réticent vis-à-vis de l’action du gouvernement, alors on est complice des terroristes.

 

Tout cela crée un contexte liberticide. Pour les pouvoirs politiques et économiques, cela représente une opportunité, diront certains, en faisant référence à la stratégie du choc telle qu’elle fut décrite par la journaliste Naomi Klein. Un exemple emblématique est la manière dont furent traités en 2016 les manifestants contre la loi « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels », loi dite « El-Khomri » du nom de la ministre qui en fut le porte-voix. Déjà, avant même le mouvement des Gilets jaunes, il y eut des restrictions du droit de manifester, du « nassage » (cortèges bloqués comme dans une souricière) sans oublier les violences policières et la loi est finalement passée.

 

Depuis le déclenchement du mouvement des Gilets jaunes en novembre 2018, les violences policières sont au cœur de l’actualité et ne concernent plus uniquement « les quartiers » (populaires). Ces violences s’amplifient parce qu’il existe une large permissivité d’un pouvoir politique à la fois effrayé par la vigueur de la protestation et décidé à la casser. Dans la symbolique des mots et des attitudes auxquels on assiste depuis ces dernières années, il y a cette impression récurrente de vivre sous un régime autoritariste pour ne pas dire policier. Des ministres de l’intérieur aux allures de va-t-en-guerre, un préfet de Paris dont le patronyme encourage des comparaisons historiques de mauvais goût, tout cela contribue à une atmosphère délétère. La multiplication des bavures et des violences impunies alors qu’elles ont été dûment documentées envenime la situation.

 

Et l’adoption en cours de la loi  « sécurité globale » ne fait qu’aggraver le malaise. Une nouvelle loi, encore une autre, pour toujours plus de sécurité mais surtout avec encore plus d’entraves aux libertés individuelles. On a beaucoup parlé du fameux article 24 qui, selon telle ou telle interprétation, pourrait interdire que les forces de l’ordre soient filmées (ce qui aurait l’avantage d’empêcher les images prouvant les violences et les dérapages) mais d’autres dispositions vont aussi dans le sens de la « gendarmisation » de la société. Encore plus de drones, plus de vidéo-surveillance, plus de prérogatives pour la police municipale. Il ne s’agit pas ici de mesures temporaires relevant du bien commode état-d’urgence mais d’entraves destinées à durer et dont il sera difficile de se débarrasser. Et l’on apprend aussi que la police française a désormais le droit de ficher les gens non plus seulement en raison de leurs activités mais aussi pour leurs convictions, qu’elles soient d’ordre politique, religieux ou même philosophique. On frémit à l’avance des dégâts que pourrait provoquer le couplage de ce fichier avec l’intelligence artificielle. La Stasi à l’heure de Minority Report…

 

De quoi a besoin un régime proto-policier pour justifier son existence ? D’un ennemi intérieur. Et ce dernier est tout trouvé. Et c’est le deuxième point de cette chronique. Alors même que le texte sur la sécurité n’est pas définitivement pas adopté, un autre arrive sur la table. Cette « loi confortant les principes républicains », est essentiellement destinée à lutter contre : (c’est au choix selon les déclarations de ministres) « l’islamisme », « l’islamisme radical » ou encore le « séparatisme musulman ». Pour éviter que le texte ne soit jugé inconstitutionnel, son champ d’action concerne tout le monde, ce qui effraie certains (peut-être qu’ils se contenteraient d’un texte ne visant que les musulmans).

 

Par exemple, les associations cultuelles seront soumises à une plus grande vigilance de l’État. De quoi empêcher que certaines mosquées ne fassent n’importe quoi. Mais, dans le cas présent, toutes les associations de France sont concernées. Qu’un membre d’une association militant pour la sortie du nucléaire fasse des bêtises et c’est l’association qui sera punie. On l’aura compris, l’islam radical a bon dos. Le gouvernement d’Emmanuel Macron ne se contente pas de poursuivre la stigmatisation des populations musulmanes en ne cessant d’insister sur leur supposée altérité et rétivité aux « principes républicains » - expression que tout le monde emploie à tort et à travers. Il utilise la peur engendrée par les attentats récurrents pour imposer son agenda de contrôle de la société. En prévision de futures réformes (retraites, sécurité sociale, etc.) qui ne manqueront pas de provoquer la colère d’une partie de la population. 

 

Dans les Grands cimetières sous la lune, Bernanos écrivait ceci : « Je crois que le suprême service que je puisse rendre (aux honnêtes gens) est de les mettre en garde contre les imbéciles ou les canailles qui exploitent aujourd’hui, avec cynisme, leur grande peur. » Ces mots résument parfaitement ce qui se passe en ce moment au pays censé être un phare des libertés (d’où l’accueil chaleureux réservé au maréchal- président Sissi).

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vendredi 4 décembre 2020

La chronique du blédard : Diego…

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 3 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

Diego Armando Maradona… L’été. La chaleur. Un ballon récupéré au centre. Un pivot, geste magique qui permet à la fois d’éliminer un adversaire et d’avoir une vision circulaire de la situation. Puis une course où le coup de rein pousse le ballon vers l’avant et amortit les coups des poursuivants. Un coup d’œil sur la gauche, deux partenaires démarqués mais une plongée au centre, une nouvelle feinte et le but. « Ta ta ta ta ta ta ta… y gooooool » hurle un commentateur de la radio argentine. Score (provisoire) : Argentine 2, Angleterre 0… (2-1 à la fin du match). Cela se passait le 22 juin 1986 et ce fut un grand moment de bonheur comme seul le football peut en créer.

 

Commentant sur Twitter la mort de Maradona, l’ami Fawzi Baba-Ali a écrit ceci : « Peut-être la fin d'une époque. Celle des footballeurs libres et non formatés, sortis de la rue, jamais passés par une école de football. Celle où une technique, toujours unique, affirmait un style, un caractère. Celle de l'appartenance à une culture. Celle du jeu. » Dans le flot impressionnant d’hommages, de récits et d’anecdotes concernant le légendaire n°10 argentin, ce propos résume bien ce que signifie cette disparition. Diego Maradona fut et restera un joueur de l’ancien football béni, celui qui s’est peu à peu transformé et mécanisé à la fin de ce siècle avec des joueurs stéréotypés et des écoles de formation étouffant dans l’œuf toute créativité ou fantaisie.

 

A propos des joueurs, il est un mot que les commentateurs et les journalistes sportifs n’emploient plus et qui définissait très bien Maradona : c’était un « créateur ». C’est ainsi que l’on présentait ces numéros dix, capables de faire (bien) jouer leurs partenaires tout en ayant la possibilité de faire basculer à eux-seuls une rencontre. Aujourd’hui, il existe encore quelques meneurs de jeu talentueux mais les vrais créateurs, les vrais « dix », sont rares. Avec un meilleur encadrement et plus de jugeote, Hatem Ben Arfa aurait pu être de ceux-là mais c’est une autre histoire.

 

A peine son décès connu, les deux fameux buts de Maradona contre l’Angleterre en quart de finale de la coupe du monde 1986 sont passés en boucle. Rien de plus facile que d’y trouver le symbole de ce qu’il fut. D’abord, le but de la main, c’est la rouerie que tous ceux qui ont joué dans un terrain vague ou un morceau de rue connaissent bien. Un mélange de plaisanterie, de provocation et de filouterie. L’école du bidonville de Fiorito, dans la banlieue de Buenos Aires et de ses multiples potreros (terrains vagues). Ensuite, le second but, celui du « siècle » comme l’affirment toutes les gazettes, qui fut effectivement sublime. La preuve du talent et de la puissance. Une fulgurance désormais légendaire : à peine dix secondes, douze touches de balle, soixante mètres d’une course où Maradona semblait flotter sur le gazon desséché, cinq adversaires mis dans le vent, le but et un déchaînement du commentateur uruguayen Hugo Morales hurlant « vive le football » et qualifiant El Diez de « cerf-volant cosmique ». Et que dire de cet aveu à la fois dépité et admiratif du commentateur anglais Barry Davies : « You have to say Diego Maradona was magnificent ! ». Traduction inutile.

 

Comme nombre d’Algériens de ma génération, j’ai vécu cette victoire en me considérant comme Argentin. Oui, c’était bel et bien la revanche du Sud et qu’importent les différences et les raccourcis géopolitiques hasardeux. Oui, un but de la main est bel et bien une tricherie mais il est si bon que le puissant subisse ce qu’il a souvent infligé aux autres. Je ne parle pas de la guerre aux relents impérialistes des Malouines. Restons dans le sport. L’Angleterre fut championne du monde de football en 1966 au détriment de nombre d’équipes, dont l’Argentine maltraitée par l’arbitrage (sans oublier la violence tolérée pour mettre le Brésil hors course). L’incapacité de l’équipe des trois lions à remporter le moindre titre depuis cette date est une forme de punition et de justice.

 

Le match entre l’Argentine et l’Angleterre de juin 1986 restera donc dans toutes les mémoires mais les footeux savent que Maradona avait été plus fort avant et après cette rencontre. Contre l’Uruguay d’abord (1-0 pour l’Argentine en huitièmes) où ce fut un festival d’attaques menées par un Diego virevoltant et partant de loin comme s’il s’entraînait déjà pour son coup d’éclat contre les Anglais. Mais s’il est une rencontre où El Pibe de Oro fit étalage de sa classe et de son sens du jeu, c’est bien celle contre la Belgique en demi-finale (2-0 pour l’Argentine). Deux buts (dont un après avoir éliminé quatre adversaires), des décalages, une défense pourtant rugueuse déséquilibrée par une simple accélération ou une feinte du corps : un chef d’œuvre maradonien.

 

On l’aura compris, c’est d’abord et avant tout pour son talent que je place Maradona au sommet des joueurs de football. En 1979, la télévision algérienne diffusa quelques extraits de la Coupe du monde junior qui se déroulait à Tokyo et c’est à cette occasion que je découvrais ce joueur au talent exceptionnel. En quart de finale, l’Argentine, future championne, battait l’Algérie par un score sans appel : cinq buts à zéro dont un coup franc magistral de Maradona, désigné meilleur joueur du tournoi devant l’Algérien Hocine Yahi, un autre « créateur » qui aurait mérité une meilleure carrière. Soudain, Maradona nous consolait de la retraite de Johann Cruyff. Depuis son départ, personne ne l’a remplacé. Certainement pas Messi et encore moins Ronaldo. Zidane, peut-être ou encore Iniesta mais il aurait fallu que ce dernier s’affirme plus et ne se contente pas d’être au service de Messi.

 

Alors Pelé ou Maradona ? Zidane ou Maradona ? Cruyff ou Maradona ? On le sait, ce genre de comparaison engendre des débats sans fin où chacun a son opinion définitive. Pour ce qui me concerne, Maradona est loin devant pour la bonne et simple raison qu’il fit gagner des titres à des équipes très médiocres : l’Argentine de 1986, le FC Naples de 1987. Pelé jouait avec des joueurs aussi talentueux que lui sinon plus : Didi, Vava, Garincha, Jaïrzinho, Tostao et Rivelino. Idem pour Zidane, Cruyff, Messi ou Ronaldo. Maradona pouvait faire gagner une équipe d’unijambistes.

 

Je ne m’attarderai pas ici sur la démesure et le fracas qui entourèrent sa vie personnelle, notamment ses addictions, ses échecs répétés en tant qu’entraîneur et même ses violences inadmissibles à l’égard des femmes. Nul besoin non plus, pour compenser ce qui précède, d’insister sur le fait qu’il s’ancra à gauche, qu’il eut le cran de dénoncer l’impérialisme américain, qu’il fut de la veine du brésilien Socrates en s’opposant à cette association de crapules qu’est la FIFA et qu’il redonna leur fierté à des Napolitains alors accueillis par des banderoles leur intimant l’ordre de se laver quand ils jouaient à Turin, Rome ou Milan. Tout cela est une autre histoire. Ce qui m’importe, c’est avant tout son legs au jeu. Au beau jeu. Maradona était « le » football à lui tout seul à l’opposé de cet étron d’Andoni Goikoetxea qui lui brisa un jour la cheville (qui, quelques années plus tard, démolit en toute impunité le gardien algérien Drid lors du mondial de 1986) et qui fut le symbole de l’anti-football. La chute de Maradona en 1994 après un contrôle anti-dopage plus que suspect (pas un seul footballeur n’a été contrôlé positif depuis cette date…) a signé la fin d’une époque mais rares furent ceux qui le comprirent à ce moment-là. Sa mort nous fait prendre conscience d’une réalité : sans Maradona sur la pelouse, le football a profondément changé. Et c’est loin d’être pour le meilleur…

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La chronique économique : Quand s’endetter rapporte

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 2 décembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

C’est une bien étrange époque, de celles où ce qui a longtemps relevé de l’impossible devient possible. On se souvient du baril de pétrole à un prix négatif au printemps dernier. Désormais, on vient d’avoir une dette souveraine avec un taux négatif. L’événement n’a duré que quelques minutes la semaine dernière mais il est emblématique : le taux des obligations d’État portugaises à 10 ans est devenu négatif à -0,004%. Autrement dit, c’est le prêteur qui achète une obligation à un tel taux qui in fine doit rémunérer l’emprunteur. Le monde à l’envers !

 

Confiance en la zone euro

 

Comment comprendre cette tendance qui touche aussi des pays comme l’Espagne, l’Italie et même la Grèce ? Rappelons que ces trois pays ont longtemps été considéré comme le maillon faible de la zone euro alors qu’ils bénéficient aujourd’hui d’une importante détente des taux, c’est-à-dire qu’ils peuvent emprunter pour presque rien alors qu’ils étaient exposés à des rémunérations allant parfois jusqu’à 10%-12% il y a encore quelques années. Dans le cas d’Athènes, le taux d’emprunt était de 37 % (!) en 2012 mais il est tombé récemment à 0,66 % sur dix ans. Selon les spécialistes, il pourrait même passer en négatif au cours des prochaines semaines. Le gouvernement grec émet d’ailleurs déjà des obligations à -0,13 % sur deux ans.

 

Pour les experts, c’est le signe que les marchés croient de nouveau en l’avenir de la zone euro après avoir douté d’elle dans le sillage de la crise de 2008 et des déboires de la Grèce. Malgré la pandémie de Covid-19, la zone euro semble tenir bon avec un plan de relance décidé en juin dernier. De même, la communication de la Banque centrale européenne (BCE) est omniprésente pour rappeler qu’elle défendra la stabilité de la zone. Signe des temps, l’euro s’apprécie par rapport aux autres devises, ce qui confirme la confiance des marchés. Combien de temps durera-t-elle ? Personne ne le sait mais en tous les cas, le Portugal, comme ses voisins, n’a aucun souci à lever des fonds sur les marchés bénéficiant de taux d’intérêts inférieurs à ceux des États-Unis.

 

Un phénomène massif

 

De façon plus générale, le contexte est porteur. Le cas du Portugal n’est pas isolé et l’indice Bloomberg Barclays estime à 17 500 milliards de dollars d’obligations à rendement négatif en circulation. Un record historique ! De la dette pour pas cher, voilà qui caractérisera à jamais ce début de décennie. Dans le détail, le Japon a émis près de 30% de ces obligations ainsi que la zone euro (15% respectivement pour la France et l’Allemagne). Même la Chine est concernée puisque Pékin a réussi à lever 750 millions d’euros à cinq ans au taux de -0,15%.

 

Dans un contexte de liquidités abondantes, il est évident que l’amoncellement de ces dettes se paiera un jour ou l’autre. Un grain de sable politique, une aggravation de la pandémie ou des divergences politiques au sein de la zone euro et l’hypothèse d’un krach obligataire sera de nouveau dans les têtes. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le thème de l’annulation de la dette fait son chemin en Europe et aux États-Unis. Une sorte de remise à zéro concertée où les Banques centrales joueraient un rôle prépondérant mais on n’en est pas encore là. Pour le moment, s’endetter rapporte de l’argent. Pourquoi les États s’en priveraient-ils ?

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La chronique du blédard : Du (bon) vaccin

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

La chronique de la semaine dernière était consacrée au complotisme et, comme cela arrive parfois, elle m’a valu plusieurs réactions à tonalités totalement différentes. Certains s’y sont retrouvés, estimant même que j’aurais dû être plus incisif. D’autres y ont vu la confirmation que le monde médiatique était « tenu » pour empêcher que n’éclate la vérité. Laquelle ? Celle du complot mondial, pardi. Bref, inutile d’insister même si j’espère qu’à la longue, l’éducation et le débat auront raison de certaines de ces convictions pour le moins farfelues (je jure que n’ai jamais été invité par le groupe Bildeberg).

 

J’aimerais pour autant revenir sur un point qui nous concerne tous en ces temps de pandémie. Il s’agit des vaccins. J’ai rappelé que plusieurs générations d’Algériennes et d’Algériens doivent beaucoup aux campagnes de vaccination menées notamment en milieu scolaire (impossible alors d’y échapper car les parents des absents étaient convoqués). A l’époque, je parle des années 1970 et 1980, personne ne remettait en cause cette pratique. Bien au contraire. Que s’est-il passé depuis pour que le doute et le soupçon s’installent ?

 

La réponse tient en plusieurs points, le plus important d’entre eux étant la marchandisation – et la privatisation - à l’extrême de la santé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les grandes entreprises pharmaceutiques, les fameuses « Big Pharma », font tout pour créer la défiance. De plus en plus autonomes vis-à-vis des États, elles n’obéissent qu’à leurs propres stratégies basées avant tout sur une logique financière et boursière. Pour augmenter leur valorisation, ces compagnies doivent bien sûr engranger de bons résultats mais elles doivent aussi rassurer quant à leurs perspectives. Il leur faut communiquer régulièrement sur tel ou tel produit en développement, le marché faisant sa propre différence entre ce qui vaut la peine, financièrement parlant, de produire et ce qui n’est guère rentable (comprendre des maladies peu répandues ou n’existant qu’en des endroits à faible pouvoir d’achat). 

 

Pour être plus clair, les marchés financiers n’ont que faire du bien-être et de la bonne santé de l’humanité. Ils veulent du concret et les entreprises sont obligées de s’y plier. Voilà pourquoi le temps du médicament ou du vaccin est devenu un temps boursier, c’est-à-dire un temps du court terme. Les marchés sont impatients par définition. A l’heure des transactions opérées en quelques millisecondes, un « produit » développé sur trois ou quatre ans – avec tout ce que cela comporte comme contrôles étatiques et circuits d’homologation – les intéressera bien moins qu’un vaccin développé en moins d’un an.

 

Dans le cas du virus responsable de la Covid-19, il est impossible de proclamer une foi absolu dans les vaccins dont il est question ces derniers jours (tous accueillis avec ferveurs par les Bourses). Là où le complotisme brouille les choses, c’est qu’il empêche la nuance. On peut être pour les vaccins, et cela en raison d’avantages prouvés par la science, et s’interroger sur les conditions dans lesquelles sont conçus ceux qui sont censés mettre fin à la pandémie. Un chiffre résume ce dilemme : en moyenne, il faut au moins de dix-huit à vingt-quatre mois pour qu’un vaccin soit définitivement homologué en Europe et aux États-Unis. Ici, ce serait l’affaire de quelques semaines.

 

Certes, il y a l’urgence de la situation car des vies sont en jeu. C’est donc une question de risque à prendre mais, dans l’affaire, l’historique récent des compagnies pharmaceutiques ne plaide pas pour elles. On en prend la mesure dans un excellent dossier publié par la revue XXI (1). La journaliste Carol Isoux y raconte le scandale du Dengvaxia, ce vaccin contre la dengue développé par Sanofi et qui a causé la mort de plusieurs centaines d’enfants aux Philippines. Tout y est : âpreté au gain, corruption, faiblesse de l’État, alertes ignorées ou passées sous silence, captations de marchés publics, absence d’une entité indépendante pour tester les vaccins, complaisance de certains chercheurs dont les revenus dépendent de l’industrie pharmaceutique, etc. Une action en justice est en cours aux Philippines mais l’affaire a des conséquences sur d’autres programmes de vaccination qui, eux, ont fait leur preuve. C’est le cas de la lutte contre la rougeole avec, rappelle la journaliste, « un taux d’immunisation tombé à 74% en 2019 contre près de 90% les années précédentes. »

 

Dans de nombreux pays, le vaccin est présenté comme « la » solution à la pandémie de Covid-19. C’est une erreur et, parfois même, un mensonge délibéré. Un vaccin, dûment testé et certifié, est une solution pour le moyen terme, c’est certain. Mais rien ne remplacera un vrai système de santé, avec une capacité suffisante en matière de lits et d’équipements et, bien entendu, en matière de personnel. Le plus performant des vaccins ne servira à rien si l’infrastructure hospitalière est en ruine. Enfin, il faut rappeler une vérité qui semble échapper à beaucoup : le vaccin est un moyen préventif. Insister sur lui en oubliant les médicaments nécessaires au traitement des malades déjà déclarés est absolument aberrant.

 

 

(1) « Autopsie d’un vaccin : enquête, la course entre labos, au risque du scandale sanitaire), n° 52, automne 2020.

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La chronique économique : La bonne santé des vendeurs d’armes

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 25 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

En ces temps de morosité économique et de pandémie catastrophique pour la santé humaine et pour la croissance, il est un secteur qui affiche une santé insolente. La défense et l’armement caracolent en tête des activités lucratives pour une cinquantaine de pays dotés d’une industrie dédiée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes mais quelques explications ne sont pas de trop dans le cas de ce marché particulier. Commençons par la répartition mondiale de ventes d’armes (sauf indication contraire, les chiffres qui suivent concernent l’année 2019 (1). 

 

Les États-Unis en tête

 

Avec 36% du total de ces ventes, les États-Unis sont le champion incontesté. On a parfois tendance à l’oublier, mais ce pays demeure en tête de ce classement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec un chiffre d’affaires qui approche les 250 milliards de dollars. Un montant à comparer avec son budget de la défense qui atteint 732 milliards de dollars (l’équivalent de 4,9% du produit intérieur brut) et qui, année après année, poursuit tranquillement son chemin vers le seuil symbolique des 1000 milliards de dollars. En pratique, Washington est à la fois exportateur via des entreprises privées américaines, dont le numéro un mondial Lockheed Martin (11% du chiffre d’affaires planétaire) mais aussi client de ces mêmes entreprises. Ces chiffres sidérants obligent à se rappeler la mise en garde du président Dwight D. Eisenhower prononcée lors de son discours d’adieu du 17 janvier 1961, quelques jours avant le terme de son deuxième et dernier mandat. « Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera » y déclarait-il.

 

Après les États-Unis vient en toute logique la Russie (21% du marché avec un budget de défense de 65,1 milliards de dollars soit 3,9% de Pib). La Russie est certes un géant mondial mais la comparaison avec le budget US est en soi un indicateur. Certes, les récentes crises (Ukraine, Syrie, Libye, Caucase) ont démontré le retour en force de Moscou mais la défense américaine dispose de moyens bien plus conséquents. Après la Russie, vient la France (7,9%) de parts de marchés, la preuve que l’on peut prétendre être le phare des droits de l’homme et de la liberté tout en vendant des armes à qui peut en acheter. Cela vaut aussi pour l’Allemagne dont une idée reçue voudrait qu’elle soit désarmée depuis sa défaite en 1945. Avec 5,8% du marché mondial, l’armement allemand est présent dans nombre de conflits et de points de tension comme par exemple ses fournitures livrées à la Grèce au grand dam de la Turquie.

 

L’Arabie, acheteur vedette

 

La liste des principaux acheteurs raconte une autre histoire. Celle de pays obsédés par leur défense et capable de consacrer des sommes astronomiques à leurs importations. Un exemple : l’Arabie saoudite, le premier acheteur mondial avec 12% de toutes les importations pour un budget de défense de 62 milliards de dollars soit 8% du Pib. Et le principal fournisseur de Riyad est Washington avec près de 75% du marché saoudien. Un quasi-monopole qui éclaire autrement la question pétrolière. Les États-Unis achètent peut-être moins d’or noir aux Saoudiens mais continuent de garder la haute main sur une bonne partie du recyclage des pétrodollars via les ventes d’armes.

 

Après le royaume wahhabite, l’Inde (9,2%), l’Égypte (5,8%) et l’Australie (4,9%) se suivent dans le top 5 des grands acheteurs d’armes. La première craint la Chine, l’Égypte veut garder son leadership arabe et africain et l’Australie se voit en citadelle assiégée par les appétits chinois. Et la Chine dans tout cela ? C’est le pays qui réalise l’exploit d’être dans le top cinq des deux catégories. Cinquième grand exportateur d’armement (5,5% de parts de marché) c’est aussi le cinquième grand acheteur (4,3% des importations). Autrement dit, l’industrie de défense chinoise est en progression constante même si son budget de défense rapporté au PIB est inférieur à 2%. De quoi relativiser les discours sur la rivalité montante entre Washington et Pékin. 

 

(1) Sources Spiri, Defense News, Janes.

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