Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 31 mars 2012

Les engagements sélectifs d’Al-Jezira

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Libération, 18 avril 2011

TRIBUNELe "printemps des peuples" et ses effets sur la culture politique et médiatique du monde arabe

Par AKRAM BELKAÏD Journaliste et essayiste
Alors que les révolutions tunisienne et égyptienne ont renforcé son statut de référence incontournable en matière d’information sur le monde arabo-musulman, Al-Jezira met actuellement sa crédibilité en danger. En cause, sa couverture partiale des manifestations à Bahreïn et en Syrie, ainsi que son soutien sans nuances aux rebelles libyens et à l’opposition yéménite. Entraînée par l’ivresse révolutionnaire, la chaîne qatarie ne semble plus se contenter du rôle d’observateur impartial. Là où sa petite sœur anglophone se borne à (bien) jouer son rôle de média neutre, Al-Jezira en arabe se comporte désormais comme si elle était le fer de lance du printemps arabe.
Mais concédons d’abord que sa couverture des révolutions tunisienne et égyptienne a été un modèle de rigueur journalistique. Ce n’est pas sans importance quand on sait que cette télévision a longtemps été critiquée pour son manque d’objectivité, ses diatribes anti-occidentales, ses excès en matière de victimisation du monde arabo-musulman et son caractère anxiogène - symbolisé par la diffusionad nauseam d’images sanglantes. Ainsi, dans le cas de la Tunisie, le soir même du 17 décembre, jour où Mohammed Bouazizi s’est immolé par le feu, Al-Jezira consacrait son antenne à ce qui allait déclencher une tempête alors inimaginable. C’est aussi Al-Jezira qui a rendu compte de la répression à l’intérieur du pays, notamment dans la région de Kasserine, quand les médias occidentaux se laissaient gagner par l’engourdissement des fêtes de fin d’année. Enfin, elle a été en pointe lors de la fuite de Ben Ali.
Ce rôle de locomotive journalistique, la chaîne qatarie l’a aussi joué, et de manière encore plus professionnelle, durant la crise égyptienne. Bien que très vite interdite par les autorités locales, elle a su trouver les moyens nécessaires, entre autres techniques, pour continuer de diffuser les images de la foule massée place Tahrir et des soulèvements de plusieurs villes de la vallée du Nil et du Sinaï. Sans Al-Jezira, de nombreuses chaînes du Moyen-Orient - sous influence de l’Arabie Saoudite qui s’opposait à la chute de Moubarak - auraient désinformé les Egyptiens et le reste du monde arabe. Il était saisissant d’entendre, début février, un journaliste de la chaîne Al-Arabiya affirmer que les manifestants pro-Moubarak étaient attaqués par les contestataires quand les images d’Al-Jezira collectées via Internet prouvaient le contraire.
Notons que, dans les deux cas tunisien et égyptien, Al-Jezira n’a jamais ignoré ou boycotté les régimes en place. On sentait poindre une volonté manifeste de traitement équitable entre les deux parties. Cela ne s’est pas répété pour les autres révolutions arabes. Pour ce qui est de Bahreïn, la chaîne de Doha n’a pas cherché à contredire la thèse officielle du complot chiite et iranien. Interrogés en direct, plusieurs membres du parti d’opposition Wefak ont été sommés de s’expliquer sur leurs liens supposés avec l’Iran et n’ont guère eu la possibilité de défendre leur point de vue. L’intervention de militaires saoudiens a été traitée a minima alors qu’elle constituait un acte contre-révolutionnaire majeur ainsi qu’un événement inhabituel dans l’histoire des relations entre les pétromonarchies de la région. Même prudence extrême à propos des manifestations en Syrie : le ton est mesuré, le traitement très factuel et les attaques contre Bachar al-Assad et les caciques syriens sont très rares. Les opposants sont sollicités avec parcimonie tandis que les partisans du régime syrien ont pu expliquer à l’antenne que les manifestations étaient l’œuvre d’étrangers et de frères musulmans.
A l’inverse, dans le cas du Yémen, Al-Jezira est du côté des manifestants. Elle exige, via ses analyses et la tonalité générale de ses sujets, le départ du président Ali Saleh. Une position conforme à celle des pays du Conseil de coopération du Golfe : le Yémen, trop pauvre pour en faire partie a beau jeu de crier au complot. Et lorsqu’un politologue saoudien met en garde contre une implosion de ce pays aux structures tribales, établissant un parallèle avec ce qui s’est passé en Somalie, il se fait renvoyer dans les cordes par l’une des journalistes d’Al-Jezira, cette dernière n’hésitant pas à lui reprocher de trahir ses «frères» yéménites.
Le parti pris est encore plus flagrant en ce qui concerne la Libye. Al-Jezira diffuse en boucle des clips mettant en scène la barbarie du régime de Kadhafi et soutient sans réserve l’intervention de l’Otan (ce qui désoriente nombre de ses téléspectateurs). Le très célèbre imam Youssef al-Qardaoui - lequel avait appelé, lors d’un prêche du vendredi, à «tuer» Kadhafi - est venu à l’écran pour expliquer qu’il ne s’agissait pas d’une «nouvelle croisade». Une caution religieuse qui a conforté la décision du gouvernement du Qatar de participer à l’intervention aérienne contre les troupes pro-Kadhafi. Al-Jezira s’oppose, souvent avec véhémence, à ceux qui critiquent cette guerre, qu’ils soient ou non des partisans du «guide» libyen : Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, a été tancé sur l’antenne pour avoir émis des doutes sur la manière dont la coalition interprétait la résolution du Conseil de sécurité autorisant les frappes aériennes. De même, la chaîne a présenté comme une victoire la défection de Moussa Koussa, l’ancien ministre libyen des Affaires étrangères, oubliant au passage de préciser le rôle actif de cet homme dans la répression des opposants au régime au cours de ces dernières années.
Certes, la mort de l’un de ses caméramans en Libye a traumatisé la rédaction d’Al-Jezira de même que l’emprisonnement de plusieurs de ses journalistes. Mais aujourd’hui, Al-Jezira en est à défendre une intervention terrestre de l’Otan. Sauf à singer Fox News, ce n’est pas à une chaîne d’information que de militer pour la guerre.
Prochain ouvrage : «Etre arabe aujourd’hui», à paraître en septembre chez Carnets Nord.
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vendredi 30 mars 2012

La chronique du blédard : Des Français pas comme les autres

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 29 mars 2012
Akram Belkaïd, Paris

« On ne parvient plus à assimiler ceux qui sont là». Cette phrase est d'Henri Guaino, conseiller spécial et plume du président Nicolas Sarkozy. Extraite d'un entretien accordé au quotidien Libération, elle désigne les immigrés avec pour toile de fond les polémiques et débats au sujet des tueries de Toulouse et de Montauban (*). Précisons les choses. L'homme n'est pas xénophobe pas plus qu'il n'est un adepte de l'immigration zéro chère à Marine Le Pen. Républicain et souverainiste, il a le courage et l'honnêteté de dire que le modèle social français n'est pas «menacé par l'immigration» même si son patron ne cesse de sous-entendre le contraire (plus par calcul électoral que par conviction, d'ailleurs). Pour Guaino, c'est juste que la France a «assez de difficultés à résoudre pour ne pas en ajouter d'autres», comprendre celles que créent les nouveaux arrivants. 

Ce retour en force du thème de l'immigration dans la campagne pour l'élection présidentielle est tout sauf une surprise. On peut même penser que cela aurait été le cas même sans les assassinats commis par Mohamed Merah. Et c'est là que l'on touche à ce qui constitue l'un des problèmes fondamentaux de la France. Tant que l'on continuera d'y parler d'immigration à propos des difficultés que posent, et qui concernent, des personnes nées en France et de nationalité française, les diagnostics resteront mauvais et les solutions inefficaces. Reprenons donc par le début. Dès l'identité du tueur connue, les médias français, y compris ceux qui, comme Libération ou France Inter, sont dits de gauche, n'ont cessé d'user et d'abuser de l'expression «un Français d'origine algérienne». Nombre de confrères et de collègues algériens y ont vu une attaque sournoise contre l'Algérie. A dire vrai, il s'agissait plus d'un réflexe pavlovien et d'une incapacité à dépasser une certitude, souvent non-assumée, selon laquelle il existe plusieurs catégories de Français.

Prenons l'exemple des discours sur les banlieues des grandes villes de l'Hexagone. La situation, souvent difficile tant sur le plan social que sécuritaire, y est souvent décrite sous le prisme de l'immigration. Si l'on prend soin d'écouter le discours des hommes politiques, Hollande et Mélanchon compris, aucun ne dira de manière précise que les habitants de ces zones refoulées sont d'abord et avant tout des ressortissants français. C'est simple, il existe tout un florilège d'expressions destinées à mettre en évidence, voire à la renforcer, l'altérité dont ces citoyens seraient porteurs. On parle de «populations immigrées» ou de «Français d'origine immigrée», ce qui, dans ce dernier cas, ne concerne aucunement celles et ceux dont les parents ou grands-parents sont originaires d'Europe du sud (Espagne, Italie, Portugal) ou de l'Est (Pologne, Hongrie, Balkans). Il ne viendrait jamais à l'idée de Libération, du Monde et encore moins du Figaro de présenter Nicolas Sarkozy en tant que Français d'origine hongroise. Ce qu'il est pourtant du fait de la nationalité de son père...

On parle aussi, en désignant des ressortissants français (!), d'«immigrés de la deuxième ou troisième génération» cela sans oublier de préciser les origines «arabes», «musulmanes», «africaines», «maghrébines» ou encore «nord-africaines». La personne concernée a beau être née en France, avoir grandi en France, ne parler que la langue française, être allée à l'école républicaine chère à Henri Guaino, et à ne s'imaginer pour seule perspective qu'un avenir en France, elle restera «d'origine quelque chose» ou, léger mieux, elle sera «franco-quelque chose». Et c'est valable quel que soit le statut social. En effet, que l'on ne croit pas que le fait d'avoir quitté la banlieue change la donne. Bien au contraire, être obligé de décliner son origine est un acte régulier, presque permanent ou obligatoire quel que soit le milieu social, ou professionnel, dans lequel on se trouve.

Ainsi, ce chercheur en islamologie qui confiait en privé sa décision de ne plus se présenter en tant que Français. «Je dis d'emblée que je suis Marocain. Cela m'évite d'entendre cette insupportable question : ‘ah oui, vous êtes Français… Mais de quelle origine ?». Et de préciser, chose intéressante, que rares sont celles et ceux qui lui demandent alors s'il possède la nationalité française. «Je suis d'origine berrichonne» a pour habitude de dire de son côté, un journaliste économique dont, il faut le préciser, le patronyme et l'apparence physique indiquent bien qu'une partie de ses racines plongent de l'autre côté de la Méditerranée. Le plus souvent, cette sortie fait rire aux éclats mais elle ne décourage pas pour autant les questions curieuses et insistantes. «C'est comme si le fait de refuser de dire d'où est venu mon grand-père était suspect», explique-t-il.

Voilà donc un paradoxe français. Se proclamer républicain, défenseur de l'égalité – et de la laïcité - mais, dans le même temps, être obsédé par les origines d'une partie de la population. De fait, le véritable enjeu est résumé par la question suivante : Comment faire pour que ces Français que l'on rappelle en permanence à leurs origines se sentent totalement Français ? Cette question mériterait un vrai débat national lequel serait déconnecté des questions liées à l'immigration. En effet, ce n'est pas d'une question de visas ou de contrôles aux frontières dont il s'agit mais bien de la manière dont on se comporte avec un «stock» de Français dont on ne parle que lorsqu'interviennent des événements dramatiques à l'image des émeutes de 2005 ou de 2007 ou de ce qui vient de se passer à Toulouse et Montauban. Et la récente sortie du président français (d'origine hongroise) Nicolas Sarkozy à propos de Français à «l'apparence musulmane» ne va certainement pas permettre de faire avancer les choses...

(*) Libération, mardi 27 mars 2012
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jeudi 29 mars 2012

Liberté d'Expression : à propos de La France vue par un Blédard

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Comment peut-on être français ? : http://www.liberte-expression.fr/comment-peut-on-etre-francais/

Si, comme moi avant d’ouvrir le livre d’Akram Belkaïd, vous pensez que “Blédard” est synonyme de péquenaud mal dégrossi, ou, comme mes petits voisins, de “mec qui vit dans la brousse, qui n’a même pas d’ipod et ne connait pas les jeux vidéos en ligne à la mode”… Vous faites un sérieux contre sens ! En effet, l’homme qui nous livre ce recueil de chroniques sous le titre “La France vue par un blédard“,  n’avait peut être ni ipod ni autres gadgets technologiques à son arrivée en France en 1995, mais il était déjà très bien équipé en ce qui concerne les connections neuronales. Quant à sa culture, sans qu’il en fasse étalage dans le livre, elle transparait à chaque page, jamais sous forme de citations tapageuses, mais plutôt  au travers de références implicites et de cette aisance dans le maniement de la langue française qui fait que chaque mot tombe juste. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles ce livre est un cadeau : de manière complètement accessible car dans notre langue française et avec la complicité d’esprit inhérente à sa double culture, Akram Belkaïd nous propose un regard “décalé” sur notre société, une sorte de “détour anthropologique sans peine”. Enfin, sans effort peut être, mais pas vraiment sans peine. En effet, dans cette anthologie de 56 des Chroniques du Blédard, publiées chaque semaine dans Le Quotidien d’Oran, couvrant la période 2005-2011, ce qui saute aux yeux et prend à la gorge c’est ce décalage entre la France rêvée par l’auteur et ce pays dans lequel il vit chaque jour… Ainsi, toujours avec pudeur et sobriété mais absolument sans concession, Akram Belkaid évoque, le racisme “décomplexé” qui gangrène notre société, la chasse aux “étrangers” conduisant à une suspicion systématique, l’arrogante rapacité des actuels dirigeants de notre pays, les bassesses de leurs courtisans … Autant de ctravers qui n’autorisent plus vraiment à assimiler  l’Hexagone à de ce fameux “Pays des droits de l’homme” dont on pouvait s’enorgueillir d’être les dignes représentants lorsque, Français, on parcourrait le monde !
Lire “La France vue par un blédard”, semble donc absolument nécessaire pour ceux qui souhaiteraient jeter un regard plus global et distancié sur 7 ans de sarkosysme, que celui qu’impose l’aveuglante et sanglante actualité de ce mois de mars 2012,  avant d’aller en avril prochain mettre un bulletin dans l’urne !
Mais, dans le livre d’Akram Belkaïd, comme chez Usbek et Rica dans les  Lettres Persanes, l’humour et la légèreté sont au rendez vous, notamment quand il s’agit de nourriture et de moquer les travers des Français, incapable de savourer un plat sans le comparer au précédent ou, déjà songer au prochain… et le récit peut aussi se faire poétique quand on quitte le bitume parisien pour la montagne… plus précisément le Vercors auquel sont dédiées quelques unes des plus belles pages de ce livre.

Akram BELKAÏD, est journaliste indépendant et essayiste. Spécialiste du monde arabe, des questions énergétiques et d’économie internationale, il collabore notamment avec Le Monde DiplomatiqueSlateAfriqueAfrique Magazine et Le Quotidien d’Oran. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Algérie et le Maghreb. Sa Chronique du blédard est très lue et commentée en Algérie comme en France.

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La chronique économique : LE RETOUR DE LA GRIPPE ESPAGNOLE ?



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Après la Grèce, l’Espagne ? Ce qui n’était qu’une hypothèse négative semble se transformer en catastrophe de plus en plus probable. Depuis plusieurs jours, les taux à long terme que les marchés financiers imposent à l’Espagne sont en train d’augmenter et dépassent même ceux que supporte l’Italie. Cela signifie que les prêteurs doutent de plus en plus de la capacité espagnole à rembourser en temps et en heure ses emprunts. Du coup, l’hypothèse d’une nouvelle crise de la dette dans la zone euro refait son apparition avec la possible nécessité pour l’Union européenne d’accorder d’urgence des prêts de secours à Madrid dont la dette atteint 630 milliards de dollars (soit l’équivalent de 70% du Produit intérieur brut).


UNE VRAIE CRISE STRUCTURELLE
Alarmisme ou pessimisme justifié ? D’un côté, l’Espagne n’est pas la Grèce car elle dispose de plus d’atouts économiques que ce pays. Industries, services, finance, l’économie espagnole est bien plus diversifiée que son homologue hellénique. Mais, d’un autre côté, cela ne saurait cacher le fait qu’elle est encore à la recherche d’un nouveau modèle de développement. L’immobilier, qui a servi de locomotive durant les années 2000, est en détresse tandis que la compétitivité de l’industrie espagnole ne lui permet pas de se développer à l’international. De plus, en 2012, le pays devrait connaître la récession et être donc confronté à une aggravation de son déficit budgétaire. Prévu à 4,4% du PIB, il a été fixé à 5,8% du PIB avec l’aval de la Commission européenne. Et, déjà, des estimations avancent le chiffre de 6,5% de déficit voire plus.
Comme ce fut le cas pour la Grèce, Bruxelles et d’autres pays européens exhortent Madrid à faire des économies afin de réduire ce déficit budgétaire et d’envoyer des signaux susceptibles de rassurer les marchés. Bien entendu, personne ne croit vraiment que l’Espagne va être capable de s’en sortir seule malgré les assurances du gouvernement de droite qui vient de s’installer aux commandes. Une aide financière de l’Europe, voire de la Banque centrale et du Fonds monétaire (FMI) risque fort d’être nécessaire. Et c’est pour précipiter le mouvement que les marchés financiers spéculent actuellement contre l’Espagne. Pour eux, il s’agit de montrer sa défiance de manière à ce que la troïka réagisse au plus vite. Et ce n’est pas un hasard si ces turbulences interviennent la semaine où le gouvernement espagnol doit présenter son budget pour l’exercice à venir. Que les coupes décidées par Madrid – et qui lui valent d’ores et déjà un appel à la grève générale pour le 30 mars prochain (jour de présentation du budget) - soient jugées insuffisantes par les prêteurs et ce sera l’hallali à l’image de ce qui se passe pour la Grèce depuis la fin 2009.

MADRID N’EST PAS ATHENES…
Cela étant, de nombreux observateurs sont convaincus que l’Espagne sera « plus et mieux » aidée que la Grèce, ou tout du moins, moins maltraitée. D’une part, ce pays dispose d’une diplomatie européenne plus active et très introduite dans les rouages de l’Union européenne. De plus, le gouvernement de Mariano Rajoy a promis qu’il serait inflexible en matière de réduction des dépenses publiques ce qui rassure ses partenaires européens. Signe qui ne trompe pas, l’Allemagne et ses dirigeants ne critiquent guère Madrid et se disent même prêts à adapter les outils financiers communautaires pour éviter une crise à la grecque. Reste que la partie est loin d’être jouée d’autant que se profile la perspective d’un bras de fer politique entre Madrid et les provinces espagnoles que le Premier ministre Rajoy veut obliger à réduire leurs dépenses. Une pression qui n’est pas du goût de nombreux Espagnols qui défendent la décentralisation mise en place en 1978. 

A cela s’ajoute bien entendu l’impact social des mesures d’austérité dans un pays où sont apparus les premiers Indignés européens. Un mouvement qui n’a jamais complètement disparu et qui pourrait se radicaliser de nouveau dans les semaines qui viennent.

Le Quotidien d'Oran, mercredi 28 mars 2012
Akram Belkaïd, Paris
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mercredi 28 mars 2012

Et Sarkozy créa les «musulmans d'apparence»

SlateAfrique, mercredi 28 mars 2012

Aujourd’hui, un seul terme suffit. Avec ou sans tunique longue, ou tchador, on a l’apparence musulmane.

Etudiantes yéménites dans le village d'al-Zailaea le 11 mars 2012. Reuters/Khaled Abdullah Ali Al Mahdi
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Fin 2001, la presse américaine s’était faite l’écho d’une triste affaire liée aux conséquences des attentats du 11 septembre de la même année. Il s’agissait, si ma mémoire est bonne, de deux hommes originaires du Texas jugés pour avoir battu à mort un épicier de confession Sikh. «Il avait l’air d’un musulman» s’étaient défendu les deux pieds-nickelés lors de leur arrestation puis de leur procès. On se souvient qu’à l’époque, de nombreux temples hindouistes (et même quelques synagogues) avaient été attaquées par des agresseurs incultes les confondant visiblement avec des mosquées.

Et Nicolas Sarkozy créa les «musulmans d'apparence»

J’ai repensé à ces événements en apprenant la récente déclaration de Nicolas Sarkozy sur France Info: «Les amalgames n’ont aucun sens, je rappelle que deux de nos soldats étaient… comment dire… musulmans, en tout cas d’apparence, puisque l’un était catholique, mais d’apparence… comme l’on dit : la diversité visible». Passons sur ce charabia et ne retenons qu’un seul extrait: musulman d’apparence. Rassurez-vous, le présent chroniqueur ne va pas être de mauvaise fois.
Il y a bien des apparences ostentatoires qui disent (trahissent? Proclament?) l’appartenance confessionnelle des uns et des autres. A moins d’être un sous-marin des renseignements généraux ou un journaliste en immersion, une femme portant un voile intégrale cache peut-être son visage et ses atouts mais pas sa religion. Il y va de même pour celui qui porte une kamiss (tunique longue ndlr) et une grosse barbe tout en se curant les dents avec un siwak. Certes, on pourrait dire que l’habit ne fait pas l’imam mais soyons honnêtes: l’apparence musulmane, ça peut exister y compris en France et cela grâce aux effets vestimentaires ou aux pilosités développées.

«Tous les Arabes ne sont pas musulmans»

Pour autant, dans le cas des deux militaires assassinés, l’apparence musulmane que cite le président semble plutôt relever de leur faciès. Et ce genre d’affirmation pose problème et oblige à rappeler quelques vérités que ton bon esprit dans l’Hexagone se devrait de connaître. D’abord, ce n’est pas parce que l’on a un morphotype du sud de la Méditerranée que l’on est forcément musulman. Tous les Arabes ne sont pas musulmans (l’inverse aussi) et tous les Berbères ne sont pas musulmans. De même, de façon générale, il y a quelque chose d’insultant à identifier quelqu’un de par son appartenance confessionnelle supposée. D’insultant mais aussi de dangereux car c’est là que résident les germes du confessionnalisme et du communautarisme.
Plus important encore, cela nie le libre choix de chacun. On peut avoir une tête de Maghrébin, n’être ni Juif ni Chrétien et ne pas se sentir musulman. En France, ils sont des dizaines de milliers à le ressentir et les enfermer dans une case religieuse n’est pas sain. Nombreux sont ceux qui se définissent comme « athée ou agnostique », tout en se disant de culture musulmane, et qui ne supportent pas qu’on les présente comme étant des pratiquants. Une nuance qui échappe à nombre d’hommes politiques français tout autant qu’aux éditorialistes et journalistes dont un nombre inquiétant a usé et abusé ces derniers jours de l’expression «d’origine musulmane».

De la gueule de métèque à l'apparence musulmane

«Musulman… Musulman… Est-ce que j’ai une gueule de musulman». Impossible de ne pas en appeler à Cheikha Arletty quand on entend pareils propos présidentiels (sortants). Postée sur Facebook, cette sortie a généré quelques remarques acides, d’autres amusées. Il semble pourtant que cela soit l’air du temps. Hier, on avait une gueule de métèque, de nordaf, de maghrébin (la liste des expressions fleuries est longue). Aujourd’hui, un seul terme suffit. Avec ou sans kamiss, ou tchador, on a l’apparence musulmane.

Akram Belkaïd


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lundi 26 mars 2012

Bleu univers, un roman de Tarek Issaoui

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 Bleu univers, un roman de Tarek Issaoui   


Agoravox, 26 février 2007 (note de lecture)
Akram Belkaïd



- Un mathématicien découvre la forme de l’univers. Au fil des pages, il livre le fruit d’une réflexion qui embrasse sciences, arts et mystique
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L'univers est-il fini ou infini ? Et quelle forme a-t-il ? Et au-delà de l'univers, qu'y a-t-il ? Combien de planètes ? D'étoiles ou de soleils ? Sommes- nous seuls ? Ces questions, nous nous les posons au moins une fois dans notre vie. Nous y pensons, cela peut nous amuser ou nous inquiéter mais, pour la plupart, nous abandonnons très vite notre réflexion, réalisant notre insignifiance face à l'immensité cosmique. Pourtant, certains cherchent et défrichent. Loin de l'agitation du monde, peut-être même en marge de lui, des physiciens théorisent et expérimentent. Et c'est la quête de l'un d'entre eux qui fait la trame du roman de Tarek Aïssaoui (*). Pour être plus précis, le narrateur et personnage principal du livre - avec l'univers dont la présence est obsédante au fil des pages - n'est pas vraiment physicien. C'est un mathématicien qui est passé dans « l'autre camp », celui de la physique qui, de façon récurrente, a toujours eu besoin d'un modèle mathématique voire d'une théorie pour valider ses lois, observations et parfois même intuitions.

L'homme, appelons-le ainsi car il n'a pas de nom, a cherché et réfléchi. Drogué aux mathématiques, puisant sa force dans les amphétamines comme l'ont fait tant d'autres illustres savants, il est apparemment seul mais la solitude n'est-elle pas la condition fondamentale pour toute découverte ?

« Mentalement, j'ai courbé cet univers, je l'ai plié, retourné, troué, de la même manière qu'un artiste sculpte et re-sculpte ce corps qui l'obsède. » raconte-t-il à propos de l'objet de sa quête. Il a donc cherché et il a trouvé. Il connaît la forme de l'univers et se prépare, entre deux colloques scientifiques, à rédiger sa communication, « son papier » pour annoncer au monde entier sa découverte. Mais va-t-il vraiment le faire ? Alors même que les rumeurs concernant sa découverte commencent à courir au sein de la communauté scientifique, le chercheur décide, sans pour autant que cela serve réellement ses travaux, de séjourner quelques jours à l'observatoire de Mauna Kea à Hawaï, véritable Mecque de l'astronomie. Prise de recul ? Simple pause ? N'en disons pas plus et laissons le lecteur découvrir la suite...

Les mathématiques, Danielewski et Grothendieck

Ce roman est une somme de convergences. La science y rencontre l'art, la philosophie, la littérature bien sûr, et la poésie. On y croise Mark Z. Danielewski et son œuvre déjà culte : la Maison des Feuilles. « En fouillant dans les piles, mélangées, raconte ainsi le narrateur, je suis également tombé sur la Maison des Feuilles. Je me suis arrêté, étonné. Je l'avais oublié, et pourtant, ce livre a beaucoup compté pour moi. Il aborde des points clés. Dix ans durant, dans l'anonymat, Danielewski a travaillé sur cette description d'une maison isolée, dont les caves et les espaces morts se contorsionnent et se déplient à l'infini au fur et à mesure que ses habitants les explorent. (...) J'ai réalise en le lisant [Danielewski] que la géométrie ne pouvait se concevoir indépendamment de l'écriture et du regard. » Et de citer dans la foulée le fameux paradoxe qui a longtemps intrigué l'humanité : « Si nos nuits ne sont pas blanches, si nous ne voyons pas les rayons lumineux de toutes les étoiles, c'est tout simplement parce qu'ils n'ont pas encore eu le temps de nous parvenir. »

Ce « paradoxe de la nuit noire » a été expliqué par Edgar Poe avec un demi-siècle d'avance sur les physiciens. « Pourquoi les poètes, les écrivains, les artistes prennent-ils de l'avance ? » s'interroge alors le narrateur. « Logiquement, parce que leurs armes sont plus adaptées. Les choses les mieux cachées ne sont pas accessibles au seul raisonnement. » Dans le même passage, le narrateur fait cet aveu : « la primauté de la poésie sur le formalisme mathématique en dit précisément long sur la nature de l'univers ».

Une autre personnalité est présente dans le roman. Il s'agit d'Alexandre Grothendieck, mathématicien de génie - il a obtenu la médaille Fields en 1966 - qui, à la fin de sa carrière, s'est retiré en ermite du côté des Pyrénées. Son œuvre, Récoltes et semailles, a elle aussi influencé le narrateur dans sa quête pour découvrir la forme de l'univers. « Dans le domaine des idées, affirme-t-il, on ose moins en groupe. Grothendieck, toujours dans Récoltes et semailles, parlait de l'importance d'être seul pour celui qui cherche. Il l'a mis en pratique en vivant reclus. J'aurais également tendance à contredire Einstein, pour affirmer qu'il faut et qu'il faudra toujours des gardiens de phares [Einstein, lui, a prédit la fin des chercheurs isolés du fait de la complexité croissante de la science, note du rédacteur]. Bien sûr, il existe de moins en moins de phares, d'endroits physiques ou mentaux d'où l'on puisse se poster face à l'horizon infini. Le progrès implique que le regard bute vite sur un terrain connu ou construit . Et pourtant, que ce soit aujourd'hui ou même dans mille ans, les avancées majeures, les ruptures qualitatives ne viendront ni d'une foule ni d'un consensus, ni même d'un travail en réseau. Alors je dois être à l'aise avec cette solitude, je dois l'embrasser comme jamais. »

Mystique soufie

Il y a aussi dans ce roman, un clin d'œil - léger mais réel - au mysticisme soufi pour lequel l'univers peut se concentrer un seul point et pour qui la quête ne peut déboucher que sur une vision parmi tant d'autres de la vérité. Après avoir rendu hommage aux zelliges de l'Alhambra, le narrateur évoque ces mystiques. « Il fallait également de l'abstraction aux philosophes arabes, relève-t-il, pour décrire leur quête mystique comme le regroupement en un même point de l'espace et du temps. Je pense notamment à Ibn Al Arabi, le philosophe soufi, qui disait pouvoir observer de ses yeux l'arrière de sa tête. Regrouper toutes les directions en une seule, replier l'espace, le courber. Finir par dessiner cette sphère dont le centre est partout, et la circonférence nulle part. Bref, se rapprocher de l'Aleph, ce lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l'univers, vus de tous les angles. Au passage, l'Aleph est également la première lettre de l'alphabet sacré, sorte de barre verticale, Borges dit, 'la forme d'un homme qui montre le ciel et la terre, afin d'indiquer que le monde inférieur est le miroir et la carte du supérieur'. Là encore, l'analogie cosmologique est troublante. »

(*) Bleu Univers, Tarek Issaoui, Scali, 178 pages, 18 euros



Post-scriptum : Tout auteur d'une note de lecture se doit d'être honnête avec ses lecteurs et indiquer, le cas échéant, sa motivation et ses liens éventuels avec l'auteur dont il a chroniqué le livre. Tarek Issaoui est l'un de mes ex-collègues à La Tribune. C'est aussi un compagnon de discussions littéraires. Etant de formation scientifique comme lui, les thèmes de son roman ne pouvaient me laisser indifférent : mathématique, poésie, philosophie et mystique. C'est pourquoi je n'ai aucune hésitation à le recommander.
Je n'ai d'ailleurs qu'un seul reproche à lui adresser. Au stade de manuscrit - très achevé - le titre initial de ce roman était « Mauna Kea  ». Dommage qu'il ait été remplacé par « Bleu univers » même si l'on appréciera, en couverture, cette symétrie imparfaite entre les deux « un ». Bonne lecture à toutes et à tous.

Liens utiles
-  La page personnelle de l'auteur : http://myspace.com/tarekissaoui
- Un site est totalement dédié à La Maison des Feuilles de Mark Z. Danielewski :http://lamorine.free.fr/ashtreelane/
- Le site de Mark Z. Danielewski : http://www.onlyrevolutions.com/
- Le site de Mauna Kea : http://www.ifa.hawaii.edu/mko/
- Une version du manuscrit de Récoltes et semailles - lequel n'a jamais été édité, d'Alexandre Grothendieck est disponible à l'adresse suivante :http://www.math.jussieu.fr/ leila/grothendieckcircle/biographic.php
Pour prendre connaissance des commentaires postés sur Agoravox à propos de cet article :http://www.AgoraVox.fr/article.php3?id_article=19716 



samedi 24 mars 2012

La chronique économique : Le Qatar rachète la France

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 21 mars 2012
Akram Belkaïd, Paris

Un pays riche qui a de l’argent à placer et un pays en crise aux actifs sous-évalués et donc bon marché… C’est un peu, en résumé, l’histoire de la relation actuelle entre le Qatar et la France. Lundi 19 mars, on a ainsi appris que le fonds d’investissement Qatar Holding LLC (QH) détient désormais 12,83% du capital et 10,05% des droits de vote du groupe français Lagardère. Déjà, en janvier dernier, le fonds qatari avait annoncé avoir dépassé la barre symbolique des 10% du capital. Il s’agit donc d’investissements récurrents avec pour objectif évident l’ambition de devenir un actionnaire de référence de Lagardère.

UN INVESTISSEMENT STRATEGIQUE

Pour le Qatar, l’attrait de Lagardère se situe dans le fait que l’un de ses actifs principaux est le constructeur EADS présent notamment dans l’aérien civil (Airbus) mais aussi dans l’armement. Avoir son mot à dire dans les décisions stratégiques concernant EADS est donc l’objectif réel pour le Qatar sachant à quel point les secteurs de l’aérien et de la défense sont jugés vitaux et attractif par l’émirat et ses voisins du Golfe. Pour autant, cela n’empêche pas le Qatar de mettre de l’argent dans d’autres secteurs. Pour mémoire, Qatar Holding a récemment pris des parts dans le capital de LVMH (1%), numéro un mondial du luxe, ainsi que dans celui du groupe pétrolier français Total (2%) ce qui s’additionne à ses participations plus anciennes de 5,6% dans Vinci et de 5% dans Véolia. Si l’on rajoute dans cette liste ses différents investissements dans l’immobilier de luxe aux quatre coins de l’Hexagone, sa prise de contrôle du club de football du Paris-Saint-Germain, on peut, à juste titre en conclure que le Qatar est un acheteur omniprésent en France.

Pour autant, l’investissement dans Lagardère est différent des autres car Qatar Holding y est désormais le premier actionnaire devant Arnaud Lagardère lequel détient 9,62% du capital mais 14,01% des droits de vote. Certes, le Qatar ne peut espérer prendre le contrôle du groupe car sa structure en commandite conforte le pouvoir d’Arnaud Lagardère même si ce dernier contrôle une part de capital inférieure à celle des Qataris. De même, Lagardère étant présent dans les médias (Europe 1, Gulli), une loi française datant de 1986 empêchera le Qatar de contrôler plus de 20% de son capital. Pour autant, il faut s’attendre à ce que Qatar Holding continue à investir dans le titre cela d’autant qu’il réclame un siège au conseil de surveillance du groupe (une exigence dont on connaîtra le résultat le 3 mai prochain).
 
Déjà, des informations de presses annoncent qu’en réalité QH contrôle de manière directe et indirecte plus de 20% du capital de Lagardère. Bien que démenties, ces informations ont jeté le trouble et semblent sérieusement agacer les autorités françaises. Comme l’explique un spécialiste des marchés boursiers, le fait que Lagardère soit à la fois présent dans l’aérien et la défense n’en fait pas un actif comme les autres. Même s’il considère le Qatar comme un allié et que des liens personnels existent entre l’émir Hamad Bin Khalifa et Nicolas Sarkozy (mais aussi la famille Lagardère), le caractère stratégique du groupe risque de constituer un motif de tension entre les deux parties.

INVESTISSEUR DORMANT OU ACTIF ?

En tout état de cause, le Qatar veut avoir son mot à dire dans la gestion de Lagardère. Cette attitude rompt avec des décennies d’investissements prudents où les pays du Golfe avaient pour obsession de ne pas effaroucher les gouvernements occidentaux en se contentant d’investir sans réclamer un rôle actif. C’était encore le cas en 2008 quand le fonds souverain d’Abou Dhabi avait pris des participations dans divers groupes financiers anglo-saxons tout en assurant qu’il ne demanderait pas de siéger au conseil de surveillance ou d’administration. Cette fois, Qatar Holding n’entend pas jouer le rôle de potiche fortunée. A cet égard, la réaction des autorités françaises dans les prochaines semaines ne manquera pas d’intérêt.

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vendredi 23 mars 2012

Faire société avec celles et ceux qui rechignent à en faire partie

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Comment faire société dans un pays traversé par des tensions récurrentes ? Voici un papier publié en janvier 2008 dans la revue Citoyens de l'Association La Vie Nouvelle. Des réflexions que je souhaite "re-partager" après les drames de Toulouse et de Montauban.


Peut-on faire société avec des personnes qui refusent délibérément de s’y insérer de manière totale et décomplexée ou qui considèrent, tout simplement, que son fonctionnement, comme ses difficultés, ne les concernent pas ? C’est une question délicate qui nécessite, avant que l'on y réponde, de bien clarifier son propos. Il ne s’agit surtout pas d’abonder dans le sens de celles et ceux qui réfutent l’existence de discriminations ou de ségrégation en France. Les récentes émeutes de Villiers-le-Bel (2007), dans la région parisienne, ont permis à ce discours de refaire son apparition par le biais de critiques répétées contre un communautarisme qui menacerait les fondements de la République. Plus important encore, ce discours stigmatisant estime que les minorités visibles sont finalement responsables de leur sort du fait de leur refus d’intégration et de leur persistance à vouloir vivre selon des règles « d’ailleurs », souvent celles du pays d’origine.



Cette manière de présenter les choses est inacceptable. Les discriminations à l’embauche ou pour le logement, le délit de faciès, la ségrégation géographique ne sont en rien des inventions. Elles sont vécues de manière quotidienne par des milliers de Français et de Françaises qui tentent, vaille que vaille, de trouver leur place dans la société. Et ces discriminations ne concernent pas uniquement les jeunes des quartiers mais aussi les élites, à l’image de ceux que l’on appelle les « beurgeois », qui, malgré un niveau d’études supérieur et une situation matérielle confortable, sont confrontés, un jour ou l’autre, au racisme.

Voilà pour les précautions d’usage. Il reste néanmoins à regarder en face certaines réalités déplorables au sein des minorités visibles d’origine maghrébine. Durant des années, les parents de la première génération ont éduqué leurs enfants dans le mythe du retour, allant parfois jusqu’à s’opposer violemment à leur naturalisation alors qu’ils étaient nés sur le territoire français et qu’ils ne savaient rien du pays d’origine. On sait à quels drames humains a abouti ce choix. Parce qu’ils n’étaient pas Français, parce qu’ils n’avaient jamais pu faire les démarches pour obtenir cette nationalité, de nombreux « Beurs » se sont retrouvés dans des situations administratives inextricables à leur majorité (cela sans compter de douloureux problèmes d’identité). 

Pour avoir fauté et commis des délits, certains ont été expulsés vers le Maghreb après un passage dans une prison de l’Hexagone, ce qui constituait la fameuse « double peine ». Des destins ont été brisés, des familles ont été séparées, tout cela, parce qu’à l’origine, des pères mais aussi des mères, refusaient que leurs enfants deviennent français. Une attitude qui a été cyniquement encouragée par les gouvernements maghrébins qui entendaient garder le contrôle sur leurs citoyens émigrés car ils voyaient en eux un excellent moyen de pression politique sur la France. A titre d’exemple, l’Amicale des Algériens en France a longtemps représenté, pour le régime de Houari Boumediene puis celui de Chadli Bendjedid, un outil de contrôle de la communauté immigrée algérienne mais aussi un levier puissant dans les négociations récurrentes, et souvent conflictuelles, avec le gouvernement français. 

Aujourd’hui, la situation a profondément changé. La faillite économique et politique des pays du Maghreb, l’arbitraire qui y règne encore, l’absence de démocratie et la violence terroriste ont ôté toute envie de retour. Les parents, même parmi les plus conservateurs, encouragent leurs enfants à prendre la nationalité française. Mais cela ne veut pas dire qu’ils souhaitent qu’ils deviennent des Français comme les autres. La nuance est de taille et sa réalité contribue aussi au malaise lié à la minorité française d’origine maghrébine. Dans cette problématique, l’éducation des enfants joue un rôle fondamental. Apprendre à ses enfants, dès leur plus jeune âge, qu’ils sont différents de leurs petits camarades, c’est les préparer, inconsciemment ou non, à être hors de la société. Bien entendu, je l’ai dit plus haut, ces enfants vont tôt ou tard affronter le racisme et les discriminations, mais est-ce une raison de les conditionner ainsi ? Est-ce une raison de configurer leur esprit dans une optique de repli et d’attitude défensive ? En clair, on prépare ces enfants à être, d’une manière ou d’une autre, des exclus volontaires voire des victimes.

La fête de Noël est une bonne illustration de ce refus de faire société avec les autres. Il existe en France de nombreuses familles musulmanes qui refusent que leurs enfants fêtent Noël. Pas de sapin à la maison, encore moins de crèche et certainement pas de cadeaux. Sans même insister sur le fait que Jésus et Marie sont célébrés par le Coran et qu’il existe de nombreux pays où des musulmans célèbrent la Nativité (c’est le cas notamment au Liban), on imagine la frustration provoquée dans l’esprit de gamins qui, dès leur plus jeune âge, se trouvent donc forcés de se mettre en dehors de la société. Il ne faut pas s’étonner par la suite que les jeunes de banlieues se sentent si peu concernés par la vie politique française même si le dernier scrutin présidentiel a poussé nombre d’entre eux à s’inscrire sur les listes électorales. 

De même, la méconnaissance de la société française et de ses nombreux codes est-elle considérée comme l’un des principaux obstacles à l’embauche pour les jeunes issus de l’immigration. Cette méconnaissance est le résultat de nombreux facteurs dont la ghettoïsation des quartiers mais elle trouve aussi ses raisons dans le refus de socialisation que les parents d’origine maghrébine dictent à leurs enfants par peur ou défiance à l’égard d’une société française réputée corruptrice, sans valeurs et dénuée de toute valeur spirituelle.

Dans cette optique, le rôle des élites françaises d’origine maghrébine est crucial. C’est à elles de dire et de répéter qu’être Français, ce n’est pas simplement un passeport. Il ne s’agit pas de plaider pour l’assimilation totale et de faire siennes les paroles du responsable socialiste Malek Boutih pour qui l’intégration sera achevée quand « les beurs célèbreront le beaujolais nouveau » (ce qui est de toutes les façons déjà le cas pour nombre d’entre eux !), mais d’encourager les uns et les autres à se fondre plus dans cette société, à avoir envie d’y évoluer, à, pourquoi pas, l’aimer et surtout à œuvrer pour la rendre meilleure. Et tout cela, en étant conscient et fier de ses origines et de son identité. La chose n’est pas aisée mais elle est possible. On peut-être musulman et fêter Noël en famille tout comme on peut-être musulman et se sentir personnellement touché quand pleuvent les diatribes francophobes en provenance des Etats-Unis ou du Proche-Orient. 

C’est possible mais encore faudrait-il le proclamer et le dire sans gêne. C’est possible mais encore faudrait-il que la société française l’accepte. Car faire société, pour les minorités, c’est aussi apporter sa richesse, ses habitudes dont certains vont nécessairement se diffuser. Le problème, dans le cas français, c’est que la majorité fonctionne avec une image figée de sa propre société et le dogme de l’assimilation reste dominant. Or les choses bougent et la mondialisation va les faire bouger encore plus. Il ne s’agit pas de plaider pour le multiculturalisme mais de réfléchir sérieusement à la manière dont la société française va être affectée par le métissage. Qu’apportent avec eux les nouveaux venus ? Aux Etats-Unis, les migrants hispanophones sont en train de bouleverser l’échiquier social et politique en ayant, par exemple, contribué au retour en force des idées conservatrices. Cela donne lieu à d’innombrables débats et réflexions. En France, c’est le déni de réalité. La manière dont les musulmans français modifient la société française n’est ainsi que très peu analysée si ce n’est par les cris d’orfraie que l’on entend de manière presque quotidienne sur les plateaux télévisés. Il y a pourtant urgence à penser ce métissage à défaut d’en imaginer par avance les conséquences.

Akram Belkaïd
Publié in Citoyens n°326 - janvier 2008
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jeudi 22 mars 2012

La chronique du blédard : Que dire après Toulouse ?

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Il y a quelques semaines, l'hebdomadaire Newsweek a publié un long article mettant en garde contre les conséquences possibles de la banalisation de la parole xénophobe aux Pays-Bas. Intitulé « Quelqu'un peut-il demander à Geert Wilders d'arrêter ses diatribes contre les musulmans avant que quelqu'un ne soit blessé ? », il mettait en cause les effets insidieux et potentiellement dévastateurs du discours radical du leader populiste néerlandais (*). A l'époque, j'ai mis de côté cet article estimant qu'il serait nécessaire d'en écrire un de comparable à propos de la France et du climat délétère et islamophobe qui y règne depuis le début des années 2000. Comme nombre d'amis, pas forcément tous des coreligionnaires, il y a bien longtemps que je crains que cela ne débouche sur une ou plusieurs tragédies dont les musulmans seraient les victimes. Pour moi, ce qui s'est passé en Norvège l'été dernier, avec le massacre de dizaines de jeunes militants de gauche par un terroriste d'extrême-droite, était une première alerte. Une mise en garde vite oubliée, vite escamotée comme si l'horreur et l'impensable ne pouvaient se répéter ailleurs, en France ou dans tout autre pays européen confronté à la montée conjointe des surenchères et de la démagogie identitaires. 

Aujourd'hui, après les tueries de Toulouse et de Montauban, il est évident qu'un tel papier ferait figure de provocation car, dans l'affaire, et à l'heure où je boucle cette chronique, c'est bel et bien un homme de confession musulmane, et d'origine algérienne, qui s'est rendu coupable de ces actes lâches et monstrueux que rien, mais absolument rien, ne peut excuser ou justifier. C'est lui, djihadiste se réclamant d'Al-Qaïda, qui a tué, horreur suprême, des enfants au nom de la vengeance des musulmans de Palestine et d'Afghanistan. Comment, dès lors, ne pas se sentir indigné et accablé par tant de vilenies et de bêtise crasse ? Comment garder son sang-froid face à de tels agissements qui souillent non seulement la religion musulmane mais aussi la cause des Palestiniens ? Et comment faire entendre sa voix face à celles et ceux qui entonnent le chant vicieux du « on vous l'avait bien dit ! Vous étiez prévenus ! » ? 

Bien sûr, il y a les déclarations, y compris celles de Marine Le Pen, qui se veulent rassurantes et qui mettent en garde contre tout amalgame. Dans une posture de rassembleur, Nicolas Sarkozy a appelé à ne « céder ni à l'amalgame ni à la vengeance » après avoir réuni les représentants des cultes juif et musulman. Mais personne n'est dupe. Nous sommes mercredi après-midi et, déjà, on entend ici et là des voix mettre en cause la couverture partiale (comprendre pro-palestinienne) des événements au Proche-Orient ou s'insurger contre l'angélisme et la naïveté face à l'expansion de l'islam en Europe. Comme après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, c'est toute une dynamique de mise en cause, assumée ou non, des musulmans qui se met en branle. On sent bien que la retenue est encore de mise mais que gronde en amont un flot d'accusations et de stigmatisation. Il s'agit de circonstances où beaucoup de choses peuvent basculer, où les digues habituelles de la paix civile peuvent soudain se révéler bien fragiles. 

Nous voici donc, musulmans de France, de nouveau sommés de nous expliquer et de nous amender comme si nous étions forcément solidaires ou complices du tueur de Toulouse. On va nous demander de condamner un comportement dont la majorité d'entre nous n'a de cesse de se démarquer depuis des années. On va nous reprocher notre silence en feignant d'oublier qu'il nous est guère possible de nous faire entendre, que les grands médias comme les télévisions et les radios nous sont difficilement accessibles, surtout lorsqu'il s'agit de porter un discours qui se revendique de la démocratie, du respect des lois républicaines mais qui, dans le même temps (ceci expliquant peut-être cela), refuse de sombrer dans le bénioui-ouisme. Alors, oui, bien entendu, il y aura forcément quelques tarés et autres idiots utiles qui, sur internet ou ailleurs, vont défendre cet assassin. Mais cela ne saurait représenter le sentiment de l'immense majorité qui n'en peut plus d'être prise en otage par les soldats perdus du djihadisme. Une immense majorité qui aimerait aussi rappeler que, dans le monde, les premières victimes de cet extrémisme sont d'abord les musulmans comme viennent de le prouver les terribles attentats qui ont ensanglanté l'Irak au cours de ces derniers jours. 

Le tueur de Toulouse vient de faire très mal à la France. Il a assassiné sept de ses enfants et placé toute une communauté dans une position difficile. Mais il n'y a pas que cela. A cause de lui (ou grâce à lui), le débat politique va prendre une autre tournure. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen vont sortir renforcés de cette crise alors que l'opinion publique française commençait à se lasser de leurs diatribes sécuritaires et de leur manière brutale de faire campagne. Dans le même temps, les discours mettant en garde contre la stigmatisation des musulmans - comme ce fut le cas avec la campagne débile sur la viande halal – vont avoir du mal à passer. Surtout, il va être impossible de réfléchir sereinement à la manière dont ce pays a évolué au cours des cinq dernières années. Avant les drames de Montauban et de Toulouse, la situation était déjà tendue, clivée, avec une banalisation croissante des discours de haine, de stigmatisation des uns et des autres, de mise en cause de telle ou telle minorité, de mise en opposition entre confessions ou entre Français d'origines diverses. Et ce qui vient de se passer ne va pas arranger les choses. La campagne électorale va reprendre ses droits. 

Un temps remisées, les stratégies de tension referont très vite leur réapparition. Pourtant, c'est du besoin d'apaisement de la société française dont il devrait être question. Quand toute une communauté craint pour elle-même en raison du comportement d'une personne isolée, c'est qu'il y a un problème. Quand nombre de Juifs de France sont persuadés que les musulmans espèrent (préparent ?) de nouveaux actes de violence contre eux, c'est qu'il y a un autre problème. Et l'on en arrive à se demander s'il existe un candidat qui aura le courage de faire campagne sur la nécessité de renforcer, et de reconstruire, le principe du vouloir vivre ensemble. 

(*) «Can't someone tell Geert Wilders to stop his anti-muslim diatribes before somebody gets hurt?», Christopher Dickey, 23 janvier 2012. 

Le Quotidien d'Oran, jeudi 22 mars 2012
Akram Belkaïd, Paris
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mercredi 21 mars 2012

Moi ? Je suis d'origine zouloue

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Appel à toutes et à tous :

Dorénavant, il faudrait écrire de manière systématique, Nicolas Sarkozy, le président français d'origine hongroise. Jusqu'à ce qu'on y réfléchisse à deux fois avant de présenter telle ou telle personne comme étant d'origine maghrébine.
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lundi 19 mars 2012

Les enfants

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Lu, aujourd'hui, dans le métro, ces vers de Victor Hugo encadrés à l'intérieur d'une rame :

Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis. 
Je les regarde, et puis je les écoute, et puis 
Je suis bon, et mon coeur s'apaise en leur présence ; 
J'accepte les conseils sacrés de l'innocence



Comment ne pas penser à ce qui s'est passé aujourd'hui à Toulouse ?


L'horreur. 
Quel est donc ce monde où l'on tue des enfants ? De sang-froid.
Une pensée, une prière, une invocation pour les victimes, pour leurs parents et proches, pour celles et ceux qui les pleurent.

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La chronique du blédard : Les Algériens privés de leur mémoire

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Diffusé dimanche soir  sur France 2, le film-documentaire «Guerre d'Algérie, la déchirure» a réuni près de trois millions et demi de téléspectateurs en France (*). Un chiffre modeste au regard d'autres audiences mais qui démontre tout de même qu'il existe une demande du savoir et du mieux comprendre en ce qui concerne la période coloniale et la guerre d'indépendance algérienne. Il faut dire, et je l'ai déjà relevé dans une chronique précédente, que le passé algérien de la France est actuellement à la une de l'actualité culturelle hexagonale. Il suffit de se rendre dans une librairie pour s'en rendre compte. La production livresque que l'on y découvre donne le tournis et l'on ne sait quoi acheter ni quoi lire. 

 Le film a aussi été très suivi en Algérie et au Maghreb. Peut-être même plus qu'en France mais en l'absence de statistiques, il est difficile de se faire une idée précise de son audience exacte. Une chose est sûre. A lire la presse et à parcourir la blogosphère et les réseaux sociaux, on peut dire que l'accueil a été plus que mitigé. Certes, quelques Algériens y ont vu une volonté manifeste d'équilibre et d'objectivité du document. D'autres, plus nombreux, ont tout de même accusé France 2 de parti pris pro-Algérie française, voire de révisionnisme pro-colonial. Il faut dire qu'il est difficile de contenter deux parties toujours tentées par la crispation et la revendication de son bon droit. C'est ce qu'a d'ailleurs montré le débat - à la qualité inégale - qui a suivi la projection même si on peut aussi saluer le fait qu'il a été courtois pour ne pas dire cordial. 

 Pour ma part, et au-delà de la grande attention avec laquelle j'ai regardé ce film, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que là aussi, comme dans tant d'autres productions audiovisuelles, le FLN et le mouvement nationaliste en étaient les grands absents. Que l'on me comprenne bien. Il ne s'agit pas d'une critique. «Guerre d'Algérie, la déchirure» n'avait pas vocation à raconter toute la guerre, entreprise impossible même lorsqu'on dispose de 180 minutes de temps. Réalisé en France pour un public et des diffuseurs français, on ne peut exiger qu'il réponde à une attente strictement algérienne et qu'il comble une frustration qui, pour moi, est grandissante. 

 Bien sûr, il faut relever le fait que nous avons eu droit à des archives inédites comme ces images de Krim Belkacem au milieu des djounoud ou, plus important encore, celles de Messali Hadj dont je dois avouer que c'est la première fois que j'entends la voix (!). Mais il n'empêche. Il reste encore des questions, des attentes, des envies d'éclaircissements qui concernent la geste révolutionnaire algérienne. Bien entendu, il ne s'agit pas de nier l'importance de l'aspect franco-français de la Guerre d'Algérie. L'agonie de la Quatrième République, l'avènement de la Cinquième. Le retour ourdi – comme un complot car le général a bel et bien manœuvré dans l'ombre – de Charles de Gaulle, la montée en puissance de l'OAS, ses réseaux et ses complicités, les déchirements de la droite française, la mauvaise conscience de la gauche (ah, le rôle si longtemps occulté de Mitterrand…), tout cela est fondamental et doit interpeller les jeunes générations en France. 

 Mais nous autres Algériens, il nous reste tant de questions sans réponses. Et nous attendons encore les documentaires, les films, les enquêtes et les livres qui nous en donneront quelques-unes. Comment vivait-on dans les maquis ? Comment y montait-on ? Comment étaient organisés les réseaux de soutien ? Comment les armes arrivaient-elles ? Comment, tout simplement, a été préparée l'insurrection du 1er novembre 1954 ? Surtout, comment a été organisée celle du 20 août 1955 dont on comprend bien qu'elle a été vitale pour la suite des événements ? On aimerait entendre des témoignages, lire des analyses, prendre conscience des enjeux, des rivalités et des divisions car il est temps de sortir de l'image manichéenne imposée par plusieurs décennies d'histoire officielle. Quelles étaient les relations entre les wilayas et l'extérieur ? Quelles furent les raisons des combats fratricides ? Est-il vrai que des maquis non-FLN se battaient eux aussi contre l'armée française ? Il y a tant de choses à raconter, à éclaircir et à découvrir. Que se passait-il au Caire ? Pourquoi le GPRA s'est-il installé en Tunisie et dans quelles conditions ? A quel moment le clan d'Oujda a-t-il commencé à tirer les ficelles ? Autre question: comment le FLN a-t-il négocié avec l'OAS en juin 1962 ? Que s'est-il vraiment passé à Oran après l'indépendance ? Que s'est-il passé pour les harkis ? Comment les responsables du FLN, ceux qui vivent encore aujourd'hui, ont-ils vécu ces événements ? Que s'est-il passé durant ce fameux Congrès de Tripoli où est morte l'idée d'une Algérie pluraliste ? Que s'est-il vraiment passé durant l'été 1962 ? 

 Bien sûr, il y a des livres, des thèses, des articles. Mais tout cela n'est pas suffisant. Il faut des images, des voix, des récits et des histoires à hauteur d'homme. Journalistes, écrivains, artistes, cinéastes, éditeurs, nous sommes tous responsables de ce vide béant qui nous fait découvrir notre histoire par une production venue d'ailleurs. Voir et entendre dire sa propre histoire par d'autres est chose dramatique. Certes, cela permet d'en apprendre plus, de se colleter avec les tabous, les non-dits. Mais c'est aussi frustrant et humiliant. Cela démontre qu'en cinq décennies d'indépendance, les Algériens ont encore du mal à capturer leur propre mémoire et à la transmettre aux générations futures. C'est l'un des enseignements de cette année du cinquantième anniversaire de l'indépendance. Du non-anniversaire de l'indépendance, devrais-je écrire. Il est temps que les Algériens racontent leur propre histoire. Pour cela, il faudrait peut-être que leur pays renoue avec les idéaux de l'indépendance mais ceci est déjà une autre affaire... 

(*) Documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora (12 mars 2012). 

Le Quotidien d'Oran, jeudi 15 mars 2012
Akram Belkaïd, Paris
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