Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 29 juin 2015

La chronique du blédard : Giscard et la grande expulsion


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Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 juin 2015
Akram Belkaïd, Paris

Il est parfois des informations matinales qui laissent pantois, qui influent négativement sur le reste de la journée et qui renforcent le sentiment de malaise par rapport à l’air du temps hexagonal. Lors de son passage dans la matinale de France Inter, le 23 juin, l’historien Patrick Weil est revenu sur un épisode historique bien peu glorieux qu’il mentionne dans son  dernier ouvrage (*). Il y raconte que Valery Giscard d’Estaing, alors président de la république, avait décidé une expulsion massive de travailleurs immigrés algériens afin de lutter contre le chômage. Une décision qui aurait nécessité la dénonciation des accords d’Evian (1962) dont une partie des dispositions concerne cette main d’œuvre. Pour mémoire, Giscard avait remporté l’élection présidentielle de 1974 face à François Mitterrand et son mandat a été marqué, dès son commencement, par l’essor du chômage, conséquence notamment du choc pétrolier de 1975.
 
Le présent chroniqueur n’a pas encore pris connaissance du livre de Weil mais voici ce qu’il a expliqué à l’antenne. « Valéry Giscard d’Estaing donne un ordre à ses négociateurs avec l’Algérie : ‘’Veuillez négocier 35 000 adultes’’. Et puis, il va rajouter à la main : ‘’Evitez d’évoquer des quotas d’enfants’’ ». Glaçant… Au milieu des années 1970, soit trente ans à peine après la fin de la seconde Guerre Mondiale, un président de la Vème république envisageait donc une « déportation » - c’est le terme qu’emploie, et assume, Patrick Weil – d’une population minoritaire résidant légalement sur le sol français. On a de la peine à imaginer comment ce genre d’opération aurait pu se dérouler car c’est une chose d’expulser quelques dizaines de pauvres clandestins, c’en est une autre de regrouper (par la force ?) 35 000 âmes pour les obliger à rentrer chez elles.
 
On peut se demander aussi quelle position aurait adopté l’Algérie. Le projet, avorté, de Giscard a germé dans une période de grande tension entre les deux pays notamment en raison de la multiplication d’actes racistes contre des ressortissants algériens mais aussi d’attentats contre des représentations consulaires et communautaires. Mais il y avait effectivement des négociations en cours à propos des norias de travailleurs. Officiellement, c’est le gouvernement algérien qui a décidé, en 1973, d’interdire l’émigration économique à destination de la France. La partie française souhaitait quant à elle l’aide des autorités d’Alger pour organiser et faciliter les retours de travailleurs dont elle souhaitait qu’ils cèdent la place à des Français (un peu à l’image de ce qui est exigé aujourd’hui des pays subsahariens en ce qui concerne le renvoi des clandestins).
 
La mention relative aux « quotas d’enfants » est, quant à elle, loin d’être neutre. Nombre d’entre eux étant nés en France, ils avaient donc la nationalité française de par le droit du sol. Qu’aurait fait Giscard ? Expulser les pères et garder les fils et les filles ? Renvoyer aussi les enfants au mépris du droit ? Réfléchir à cet épisode bien peu glorieux de l’unique mandat giscardien ne consiste pas simplement à faire de la politique fiction. Cela démontre que cette idée de grande expulsion s’est concrétisée dans la tête d’un haut responsable politique. A l’heure où l’extrême-droite impose son discours, à l’heure où le Premier ministre Manuel Valls annonce que « l’islam sera un enjeu électoral » en 2017, à l’heure où islam, immigration et terrorisme se mélangent dans un flot continu d’informations alarmistes, on est en droit de s’interroger sur l’avenir.
 
Ce qui a été, sera ? Cette question divise. Elle est souvent abordée, dans tous les milieux sociaux issus de l’immigration, quelle que soit la forme et l’antériorité de cette dernière. Si Giscard a voulu le faire, qui dit que d’autres n’auront pas la même tentation ? L’intégration et l’ancrage dans le sol français, réels quoiqu’en disent les sceptiques et les fauteurs de troubles, sont-ils aussi irréversibles qu’on ne le pense ? On peut se laisser aller et écouter d’une oreille trop attentive les Cassandres. Mais on peut aussi faire confiance à ce que la France recèle de meilleur, de bon et de respectable. Car si Giscard a dû renoncer à son projet, c’est parce que des voix au sein même de son gouvernement s’y sont fermement opposées à l’image de Simone Veil, alors ministre de la santé. De hauts fonctionnaires ont tiré la sonnette d’alarme et le Conseil d’Etat a fait connaître son hostilité à une telle opération.
 
Par ailleurs, Patrick Weil est persuadé que si elle était lancée aujourd’hui, elle déclencherait une vive réaction d’une partie de la population et de la classe politique. Il n’a pas tort. Ce pays, ce vieux pays, a encore des ressorts humanistes et progressistes. Certes, et on le voit bien avec la question du traitement des migrants ou des clandestins, certains de ces ressorts semblent parfois rouillés. Mais tout de même, la France n’est pas (encore ?) ce genre de pays où l’on peut décider, comme c’est le cas par exemple dans les monarchies du Golfe, d’expulser du jour ou lendemain des dizaines de milliers d’étrangers. Cela doit conforter l’optimisme volontariste qui sied aux temps actuels. Mais cela ne doit pas faire baisser la vigilance car les nouveaux Giscard ne manquent pas dans l’échiquier politique français.
 
Enfin, et puisque l’on évoque les pays qui expulsent en masse des étrangers au mépris de la justice et des droits de la personne humaine, il est peut être temps que l’Algérie fasse amende honorable sur un épisode bien peu glorieux. Dans les années 1970, à l’heure où Giscard ourdissait son projet, le pouvoir de Houari Boumediene décidait d’expulser des dizaines de milliers de ressortissants marocains dont certains vivaient sur notre sol depuis plusieurs générations. Rien, pas même la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc ou la question du Sahara occidental, ne pouvait, ne peut toujours pas, excuser un tel déni d’humanité.

(*) Le sens de la République, Grasset.
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dimanche 28 juin 2015

Ces Algériens solidaires de la Tunisie mais qui « n’oublient » pas…

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Au lendemain de l’attentat de Sousse, il est regrettable de lire, ici et là, notamment sur les réseaux sociaux, des déclarations pour le moins pernicieuses, pour ne pas dire indécentes, à propos d’une supposée absence de solidarité des Tunisiens à l’égard des Algériens durant la décennie noire (1992-2002). Les auteurs de ces propos se drapent dans une posture qui consiste à dire qu’aujourd’hui, eux, sont bel et bien solidaires des Tunisiens mais qu’ils « n’oublient » pas. Mais oublier quoi ? Qu’on le veuille ou pas, durant les années 1990, la Tunisie a constitué une soupape pour les Algériens privés de visas pour l'Europe. Des milliers d’Algériens s’y sont installés, y ont travaillé, en attendant de meilleurs jours. Certes, le régime de Ben Ali les a souvent maltraités, refusant par exemple de leur accorder des titres de séjour à long terme, les soumettant à d’incessantes tracasseries policières (surtout quand ils avaient le bon goût de dire le mal ou le mépris qu’ils pensaient du régime de leur hôte...). Mais Ben Ali ne maltraitait-il pas toute la société tunisienne ? Et faut-il rappeler que l’Algérie et les Algériens ne doivent jamais oublier ce que le peuple tunisien a enduré pour ses voisins durant la guerre d’indépendance (1954-1962) ? Oui, le régime de Ben Ali a, par opportunisme, vendu la « stabilité » de la Tunisie par opposition au brasier algérien. Oui, certains officiels du RCD tunisien ne pouvaient s’empêcher de faire preuve d’une certaine mesquinerie. Mais ce n’est pas une raison pour en vouloir à tout un peuple qui, à l’époque, n’avait pas le droit d’émettre la moindre critique.

Cette propension à s’estimer les seuls dépositaires du malheur du monde n’est pas saine. Oui, les années 1990 ont été terribles, traumatisantes (comme elles le furent pour les Rwandais, les Bosniaques, les Somaliens ou les Irakiens). Oui, l’Algérie a été alors isolée. Mais est-ce la faute des autres peuples ? Comme si ces derniers n’avaient pas leurs fardeaux à endurer… L’auteur de ces lignes a été en reportage dans de nombreux pays arabes à cette époque. Partout, je dis bien partout, en Tunisie comme en Egypte (oui, en Egypte aussi !), en Jordanie ou en Syrie et même en Irak où les enfants mourraient par milliers en raison de l’embargo, le sentiment exprimé – celui des gens ordinaires – relevait de la tristesse désemparée et même de la sidération face à une violence, faut-il le rappeler, que des Algériens infligeaient à d’autres Algériens. « Comment pouvons-nous vous aider ? » était la question mainte fois entendue.

Non, les Algériens, pas plus que les Tunisiens n’ont le monopole de la douleur et de la souffrance face au terrorisme et à la violence armée. Sinon, quels mots devraient donc nous dire les Palestiniens ? Et, d’ailleurs, ceux qui disent ne pas oublier « l’égoïsme » des Tunisiens, que font-ils concrètement, là, maintenant, pour les Palestiniens ? Pour les Syriens ? Petite question : que faisaient donc les Algériens au mois de juin 1982, en pleine Coupe du monde de football, quand Palestiniens et Libanais se faisaient allègrement massacrer par l’armée israélienne ? Pendant les années 1990, quand la nuit est tombée sur notre pays, jamais aucun Palestinien, jamais aucun Libanais ne m’a dit qu’il n’avait pas « oublié »… Bien au contraire. L’Algérie, malgré tous ses récents errements, a toujours gardé une place à part y compris chez nos voisins.

Il est parfois nécessaire de s’interroger sur le poison que véhicule un certain chauvinisme.
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vendredi 26 juin 2015

Tenir ! Agir ! Résister

Amies, amis. L'émotion, la colère, le dégoût qui nous étreignent sont normaux, humains. Mais nous ne devons pas céder au découragement et encore moins à la peur. Réfléchissons ensemble. La question du "que faire?" Peut sembler insurmontable mais qu'importe. Les réseaux sociaux sont un outil à utiliser. Quelle mobilisation ? Quelles actions concrètes au-delà du simple ´´ clicktivisme ´´ ? Le temps de l'engagement.
#soumoud

mardi 23 juin 2015

La chronique du blédard : Un ramadan avec (les polars de) Camilleri

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 20 août 2009
Akram Belkaïd, Paris



  

Note : Une chronique du ramadan 2009. Jeûne et culture peuvent aller de pair...


Et voici le retour du duo été-ramadan, perspective que beaucoup redoutent en raison de la dure combinaison entre jeûne et canicule. On se dira qu’il y a au moins une satisfaction, celle de voir se confondre deux périodes habituellement dévastatrices pour l’économie et la productivité. Ces dernières années, une phrase du type « on verra ça après l’été » signifiait en réalité « on verra ça après le ramadan », c’est-à-dire, au mieux, vers le mois d’octobre. Tout cela est en train de changer et, d’ici deux ramadans, septembre redeviendra un vrai mois de rentrée. Mais là n’est pas l’objet de cette chronique.
 
J’aimerais vous parler de lecture. Soyez rassurés, il ne s’agit pas de sujets compliqués ou d’ouvrages savants. On verra ça à la rentrée. En fait, qui dit canicule dit polar ou roman policier (il y a une différence entre les deux, si, si, c’est une thésarde* qui me l’a expliqué). Cela vaut aussi pour le ramadan : quoi de mieux qu’un polar pour tromper faim et ennui ? Et si le livre en question présente l’avantage d’aiguiser l’appétit et d’offrir une préparation mentale aux bombances nocturnes, que demander de plus ? Il faut donc lire un polar ya chriki !
 
Mais pas n’importe lequel. Pour ce qui reste de cet été, je vous propose de plonger dans l’univers de l’Italien Andrea Camilleri, lequel est devenu à près de 80 ans et grâce aux aventures de son commissaire Montalbano, l’un des auteurs cultes du moment. C’est simple, il n’y a guère d’écrivains italiens qui peuvent se prévaloir d’un succès aussi énorme que le sien. Commençons par l’une des principales raisons de la popularité de Camilleri. Comme l’explique sa notice biographique, cet ancien metteur en scène, poète et nouvelliste, s’est mis sur le tard à écrire des romans en italien « sicilianisé », une langue drôle qui ravit ses fans. 
 
Emploi incongru du passé simple (« qu’est-ce qu’il fut ? » au lieu de « que se passe-t-il ? », néologismes en pagaille, recours aux dialectes et parlés régionaux, profusion de proverbes imagés, la prose de Camilleri est d’autant plus savoureuse pour le lecteur francophone que son œuvre est mise en valeur par la traduction riche et créative de Serge Quadruppani, lui-même écrivain et journaliste, aidé par Maruzza Loria. Extrait d’un dialogue, pour vous donner l’eau à la bouche : « - Allo ? – Alli ? - Qu’est-ce qu’il fut ? – On a tiré. – A qui ? – A un type. – Il mourut ? – Il a mouru. » (1)
 
Parlons maintenant du personnage principal. Salvo Montalbano est commissaire à Vigàta, petite ville imaginaire de Sicile qui correspondrait dans la réalité à Porto Empedode. Solitaire, humaniste (ce qui ne l’empêche pas de succomber à des accès fréquents de misanthropie), grand lecteur et fin psychologue, sa manière de résoudre les affaires, au centre desquelles se trouve presque toujours un catafero – un cadavre -, est faire tourner une pagaille de pinsées dans sa coucourde et de laisser son inconscient le guider. L’homme n’est pas un Rambo mais ce n’est pas non plus Maigret puisqu’il lui arrive d’user du revolver et, au besoin, de dessouder du malfrat.
 
En toile de fond, même lointaine, des enquêtes de Montalbano, il y a, outre la mer, l’Italie d’aujourd’hui : classe politique minée par les scandales, la corruption et le populisme ; vulgarité des médias ; emprise de la mafia, désarroi des plus démunis et immigration clandestine (2). Au détour d’une phrase, d’un dialogue, c’est bien entendu Camilleri qui laisse parfois transpirer sa colère pour ne pas dire son dégoût mais c’est bel et bien le ressort comique qui lie l’auteur à son public. Pour tout dire, Montalbano n’est pas vraiment un marrant. Il peut être ironique, mordant, verser dans l’autodérision mais, mission habituelle du second rôle, c’est l’un des policiers de son commissariat qui déclenche le fou rire du lecteur. 
 
L’agent Catarella, un colosse un peu simplet mais as de l’informatique (ceci expliquant peut-être cela…), ne sait pas ouvrir une porte sans la fracasser et semble incapable de transmettre le moindre message. Second extrait : « - Allô, dottori ? C’est vous, pirsonnellement en pirsonne qui êtes au l’appareil ? – Je t’a reconnus, Catarè. Qu’est-ce que tu veux ? – Rien, je veux, dottori. – Et alors, pourquoi tu m’appelles ? – Maintenant, je vais m’expliquer, dottori. Moi, pirsonnellement en pirsonne, je ne veux rien de vous, mais il y a le dottori Augello qui voudrait vous dire quelque chose. » (1)
 
Outre le fait d’être un bon flic, la grande qualité de Montalbano est qu’il aime manger. Dans toutes ses enquêtes, le passage par une excellente trattoria est incontournable. Plus important encore – et j’assume le sous-entendu destiné à mon entourage – il adore baffrer en silence, sans avoir à parler ni à se perdre en vaines palabres. On mange d’abord, on « se » discute ensuite : voilà le onzième commandement ! Respect pour la nourriture surtout s’il s’agit de plats cuits comme « u Signiruzzu », le petit Seigneur, commande. Des anchois assaisonnés à l’huile, au vinaigre et à l’origan accompagnés d’une tranche de caciocavallo, un fromage au lait de vache. Ou encore des pâtes aux sardines ou des spaghettis à l’encre de seiche. Autre possibilité, un plat de ditalini (petites pâtes en forme d’anneau) accompagnées d’une ricotta fraîche et salée à point avec ce qu’il faut de poivre noir.
 
Quand Mantalbano mange, il lui arrive d’avoir les larmes aux yeux. Friture de poissons, soupe de suppions, salade de poulpe, dorade au four, la liste des pêchés commis par le commissaire est longue mais il en est un, suprême, qu’il faut citer : la pasta ‘ncasciata. Un dôme de pâtes, le plus souvent des macaronis, enveloppé par des tranches d’aubergines et cuit au four. Un plat sicilien par excellence dont la recette varie selon les familles et qui témoignerait du passé arabe de l’île tout comme la petrafennula, gâteau au miel, aux amandes, à l’écorce de citron et d’orange et à la cannelle (3). Quand il s’avale des pâtes ‘ncasciata, Montalbano ne trouve jamais les mots pour les décrire. Il lui arrive de les qualifier de « tendres et malicieuses » mais ce n’est jamais assez pour leur rendre hommage. Et je vous promet qu’en lisant la description de ses festins, vous aurez tout plein de pinsées pétissantes qui vous tournoieront dans la coucourde en attendant le grand moment du f’tour


En attendant, saha ramdanekoum et doucement sur le sucre.

 


(*) Désormais douktoura (note du 23 juin 2015).
(1) « Jour de fièvre », La peur de Montalbano, Pocket, février 2008.
(2) Sur le sort des harragas mineurs en Italie, il faut absolument lire « Le tour de la bouée », Pocket, février 2006.
(3) « Yasmina, sept récits et cinquante recettes de Sicile au parfum d’Arabie », par Maruzza Loria et Serge Quadruppani, Agnès Viénot Editions, 2003. A lire aussi de Camilleri, le roman « Chien de faïence » qui fait référence à la légende des Sept dormants ou Gens de la Caverne (Ahl Al-Kahf).
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Quand "La Haine" s'inspire des "7 Mercenaires"

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On rédige un papier à propos de la prochaine crise financière. En guise de chute, on utilise la fameuse anecdote à propos de l'homme qui tombe d'un immeuble et qui ne cesse de se répéter "jusqu'ici, tout va bien".
Le relecteur dit aussitôt, "ah, tu cites La Haine maintenant" en faisant référence au film de Mathieu Kassovitz (1995, vingt ans déjà !). Et là, pan sur le bec, on balance :
"Ah non, je ne cite pas ce film mais une référence antérieure".
- Ah bon, laquelle ?
- Un western
- Un western ?!
- Oui, les 7 mercenaires, ou plutôt les "7 magnifiques" de John Sturges avec, entre autre,  Steve McQuee, Yul Brynner, Charles Bronson et James Cobur. Et c'est le grand Steve en personne qui raconte la même histoire..."
Et toc !
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lundi 22 juin 2015

La chronique du Blédard : Zlabia, croquet et gâteau russe

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Le Quotidien d’Oran, 6 octobre 2005
Akram Belkaïd, Paris

Note : Une chronique qui a bientôt 10 ans (!) mais qui reste d'actualité. Ou presque...
 
Il est quinze heures. La file, compacte, ne cesse de s’allonger. Dix, quinze, bientôt trente personnes patientent en attendant de pouvoir pénétrer dans une minuscule boutique (elle ne peut contenir que cinq ou six clients) de la rue de la Convention. Si l’endroit attire autant de chalands, c’est parce qu’il s’agit d’une pâtisserie bien particulière. Pendant toute l’année, et surtout le ramadan, on y trouve des gâteaux aux amandes sous toutes leurs formes : baklawas, cigares, ghribiyettes, m’chouek, dziriyettes, tchareks, m’rabez, ktayefs, samsa, cornets et autres qnidlattes sans oublier les makrouds à la semoule et aux dattes ainsi que les incontournables cornes de gazelles qui, dans l’imaginaire hexagonal, font qu’une pâtisserie maghrébine est authentique ou non.

C’est un magasin qui fleure bon l’Algérie d’hier, pas celle de la colonisation mais de la période d’avant la fitna. Celle des années d’insouciance aveugle et de ramadans marqués par les plans d’importations massives qui devaient, nous disait le quotidien unique de l’époque, « assurer au citoyen tout l’approvisionnement nécessaire durant le mois saint ». Dans cette boutique, je trouve aussi des pizzas « algéroises » carrées au goût de celles qui constituaient l’essentiel – avec une orange ou une mandarine - de mes repas de midi lors des années passées au lycée El-Mokrani de Ben Aknoun. « Tu me payes une pizza ? » nous demandaient les filles et nous nous empressions de fouiller nos poches pour leur faire plaisir à commencer par cette blonde aux yeux bleus que nous avions fini par appeler « Aïcha, un dinar cinquante » en raison de son insistance quotidienne à nous alléger de nos sous en échange d’un sourire mutin. Un dinar cinquante la pizza, ce n’était pas très cher payé pour faire le joli-cœur.

Dans cette pâtisserie de la rue de la Convention, il y a tout ce que l’on peut trouver, ou difficilement trouver, en Algérie.  Le goût en plus et, disons-le, l’arnaque en moins. La coca est fourrée avec de vraies tomates et non pas des pelures de piments. Les mhadjebs ont une épaisseur respectable de même que la ftira et le matlou3. On y trouve aussi du baghrir, du bradj et, argument commercial imparable en ce qui me concerne, du croquet. Ah… le croquet ! Les anciens du Quotidien d’Algérie et du Jeudi d’Algérie se souviendront sûrement de ces moments de répit, où nous suspendions la marche du monde pour nous retrouver autour d’un guéridon poisseux et commander « un crème bien blanc, un croquet et une limonade. » C’était quelques heures avant le bouclage, et, déjà, la nuit était tombée sur le pays.

La file avance lentement. Les serveuses et le serveur prennent leur temps. Qui peut leur en vouloir ? Des heures et des heures à être cernés par cette symphonie de sucre, de miel et de fleur d’oranger sans rien pouvoir manger ni boire. Dans la « chaîne », pour reprendre un terme bien de chez nous, les mines sont « ramadanesques » et les visages blafards. Pas de disputes ni de bagarres (« les Français nous regardent ! ») mais quelques gestes d’humeurs et des soupirs. On est en France mais j’ai pourtant l’impression d’être revenu du côté de la rue Didouche Mourad à Alger.

D’ailleurs, en ouvrant bien les yeux, on reconnaît dans la queue un ancien ministre, installé comme tant d’autres en France, venu chercher sa part de zlabia estampillée « Boufarik » ou ses dix parts de qalb-ellouz vraiment fourré à l’amande, sans aucune trace de cacahuètes, de noix, ou pire encore, de noix de coco. Des amis séparés par le rythme infernal de la vie parisienne se retrouvent et se promettent de s’inviter. On y croise des vedettes de la communauté, des beurgeois tout heureux d’avoir trouvé un tel endroit loin de Barbès ou de Belleville. « C’est dommage qu’ils ne fassent pas de la karentita », dit un costume-cravate aux lèvres gercées. « Il y en a du côté de Pernety. Quand elle sort du four, c’est un délice », lui répond sa voisine en salivant. 

Seize heures. L’estomac tiraille, la vue se brouille. « Mais qu’est-ce qui se passe ici ? » se demandent à voix haute les passants qui n’ont pas lu Le Parisien, l’un des rares journaux de France à toujours annoncer le ramadan à sa une avec des micro-trottoirs du type : « arrivez-vous à travailler en jeûnant ? ». Leur inquiétude amuse ou irrite. « Voilà ! Dès qu’ils voient trop d’Arabes, ils paniquent », s’emporte un gros adolescent en survêtement. Je ne lui réponds pas car je pense à toutes les chaînes subies dans ma vie, à Alger, Koléa ou Bordj-el-Bahri et je me dis que la vie joue parfois de drôle de tours.

Il m’arrive de conseiller cette pâtisserie à des amis français qui adorent ce genre d’endroits « plein de ces petites choses effroyablement bonnes qui font grossir ». Je leur explique que je suis bien content de la trouver mais que j’espère aussi qu’un jour un pâtissier algérien viendra faire des gâteaux… français en France. Ils sont étonnés, et se vexent un peu, lorsque je leur explique que c’est en Algérie que se fait encore la meilleure pâtisserie française sans oublier la viennoiserie. Un exemple : le mille-feuilles parisien. Aucune commune mesure avec son cousin algérien – je dis bien algérien car au Maroc comme en Tunisie, la pâtisserie française est un cauchemar de graisse, de faux sucre et de goût râpeux. 

 
Et puis, il y a les gâteaux disparus, ceux que l’on ne trouve (pratiquement) plus en France et qui font la joie des expatriés qui ont repris le chemin de l’Algérie. C’est le cas du roulé au citron. Quasiment introuvable depuis que les magasins Marks et Spencer ont quitté le continent. Mais c’est encore pire pour le gâteau russe. Vous marcherez des kilomètres et des kilomètres dans Paris, vous arrêtant à toutes les boulangeries, vous n’aurez qu’une chance sur cent de tomber sur une vendeuse sachant ce qu’est un russe. Quant à en trouver… Ah, ce gâteau russe, à la crème de beurre légèrement vanillée et parsemée de copeaux d’amandes, qui faisait la célébrité de cette boulangerie algéroise au patronyme helvétique. Un régal ! Enfin… Trêve de gourmandise nostalgérique : Saha Ramdanekoum et doucement sur le sucre !
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samedi 20 juin 2015

La chronique du blédard : Une petite faim

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 juin 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
C’est la nuit, la journée a été longue et on est loin de chez soi, dans une belle petite chambre d’hôtel, trop fatigué pour sortir. Mais le monde moderne offre de nombreuses possibilités. Ainsi, est-il possible de commander une pizza. N’importe quel type de pizza y compris une californienne avec des tranches d’ananas sur la sauce tomate « bio ». Il y en a même une qui est sucrée aux fraises, « bio » elles aussi. Par contre, et il est évident que cela va faire de la peine à de nombreux habitants de Mascara (pourquoi eux ? mystère…), impossible de trouver une pizza avec le duo kiwi-banane. Mais passons et regardons la liste des autres plats disponibles à la réception.
 
Bon, pas de chorba. Normal. Pour qu’elle s’impose ici et là dans l’Hexagone, il faudra certainement bien plus de temps qu’il ne s’en est écoulé pour que le couscous devienne le numéro un incontesté. Par contre, il est possible de commander en entrée « les délicieuses soupes bio ». Premier choix offert : « la savoureuse soupe de potiron » (7,90 euros). Là, on éprouve quelques doutes quant à la combinaison entre les termes « savoureuse » et « potiron » sauf à aimer les soupes (et les pizzas) sucrées. Deuxième choix : « La fine crème de tomates fraîches » (8,20 euros). Option posée car c’est ce qui se rapproche le plus de la chorba. Cela d’autant que le « velouté de crustacés à notre façon » (8,90 euros) n’inspire guère. Il y a déjà le « notre façon » qui sonne comme une incitation à la prudence. Prudence d’autant plus nécessaire que le voyageur, comme c’est souvent le cas, a oublié ses antihistaminiques…
 
Après la soupe, au tour de la « sélection de plats raffinés ». Ah, ce raffinement qui cherche toujours à masquer le raffinage… Premier choix : « les fameux tortellinis frais aux légumes de Méditerranée » (13,90 euros). Si vous n’avez jamais entendu parler de ces pâtes, c’est que quelque chose manque à votre culture ! On peut néanmoins s’interroger sur le label méditerranéen accolé aux légumes. D’habitude, cela vaut pour les fruits ou le poisson… Et puis, il n’est pas précisé s’ils sont « bio » ou pas. Méfiance. Deuxième choix : « Les savoureux tortellinis frais et leur chorizo doux » (14,50 euros). On pourra relever le soin mis à éviter les répétitions - les uns sont fameux, les autres sont savoureux – mais, hélas, le halouf (vous prononcez « chorizo » ou « korizo » ?) impose de passer son chemin… Même chose pour « l’authentique choucroute d’Alsace garnie » (15,30 euros). Ceci étant, et ce n’est pas une blague, on trouve désormais des choucroutes labellisées « halal » (les Québécois rétorqueront que chez eux aussi, il existe des cabanes à sucre – d’érable – qui servent des repas halal en lieu et place de l’habituelle charcuterie…).
 
Reprenons. Quatrième choix : « l’incontestable chou farci au canard confit » (15,90 euros). Et là, on se pose une question fondamentale. En quoi consiste le fait de contester un chou farci ? Le goût ? La cuisson ? La farce ? Poursuivons. Cinquième choix : « L’excellent blanquette de veau et ses légumes glacés » (16,50 euros). Là, il n’y a pas le moindre doute. Ça sent l’arnaque car la seule blanquette de veau qui fut excellente se cuisinait jadis à Lardy dans l’Essonne. Enfin, c’est ce qu’affirment les guides spécialisés. Mention spéciale aussi à propos des légumes. Pourquoi les glacer ? Surtout s’ils sont méditerranéens, autrement dit peu enclins à apprécier les basses températures...  Sixième et dernier choix : « l’incontournable bœuf bourguignon et ses pommes de terre » (17,50 euros). Mouais… ça peut être bon, mais avec un prix pareil on se dit que l’obstacle peut se contourner aisément.
 
Puisque c’est ainsi, on se dit alors que l’on optera pour la combinaison entrée plus dessert. Il est d’ailleurs recommandé de considérer cette option ou sa variante, deux entrées et un dessert. C’est souvent plus appétissant et nourrissant et cela évite le naufrage du plat principal. Les desserts donc. Attribués à une certaine Manon dont on se demande quelques microsecondes qui elle peut bien être. Premier choix : « la petite douceur chocolat café » (5,10 euros)… Dénomination étrange qui fait passer son chemin. Deuxième choix : « L’accord parfait baba et canelé » (5,50 euros). Ah, enfin quelque chose de tentant. Oui, je sais, qui dit baba dit rhum… En une autre saison, peut-être. On garde ça en tête. Troisième choix : « l’excellent Dom Tom d’ananas » (5,70 euros). Allez savoir ce qu’est ce dessert. Un sabayon aux fruits exotiques ? Une mousse de melon et d’ananas ? Le lecteur ayant la solution peut écrire au Quotidien d’Oran et recevra en retour un kilogramme de zlabia de Koléa (bien meilleure que celle de Boufarik, ce secret nécessitant désormais d’être éventé).
 
Reste enfin le quatrième et dernier choix : « Le délice de crêpes Suzette » (5,90 euros). Là, aucune hésitation. Niet, walou.  Les meilleures crêpes de ce genre – l’alcool étant flambé, donc matssakontiche pour les récriminations bigotes – se mangeaient jadis au restaurant El Boustane avec vue unique sur la baie d’Alger. Impossible donc d’insulter ce souvenir gustatif. Terminons enfin cette revue par une précision sur le picrate proposé : un « 100% Merlot » (4,90 euros les 18,7 cl) auquel la notice n’attribue hélas aucun qualificatif. Pas de « le véritable nectar » ou autre « l’insubmersible piquette »…
 
Tout compte fait, le menu a produit l’effet escompté. S’obliger à sortir à pas d’heure, en quête d’un « nourriture rapide à toute heure ». Bingo. Un kébab classique avec son « vrai pita croustillant », sa « viande excellemment grillée », ses « véritables oignons méditerranéens », ses « irrésistibles tomates marocaines » et sa « cosmique sauce algérienne » et, bien sûr, ses « frites craquantes et aériennes ». Et, en dessert, le « flan divin aux pruneaux » le tout arrosé par un « onctueux Ayran frappé ». Qu’est-ce que l’estomac vide pourrait exiger de plus ? Je vous laisse, ne pouvant écrire la bouche pleine…
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PS : Bon ramadan à toutes et à tous. Et doucement sur le « véritable sucre enchanteur ».

jeudi 18 juin 2015

Du quick fix militaire et de la diplomatie

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Thomas Pickering, diplomate américain aujourd'hui à la retraite après une carrière entamée en 1959.
(In L'Express, 9 juillet 2014).

"Nous avons fait des choses horribles à ceux que nous avons détenus après le 11 septembre 2001. Nous nous sommes laissés aller à une guerre contre l'islam sans nuance. Sous prétexte de crise terroriste, nous nous sommes autorisés à oublier notre engagement pour les droits de l'homme. Nous avons imposé au reste du monde des décisions prises à Washington, au lieu de profiter de l'inestimable capital de sympathie que nous ont valu les attentats pour créer un cadre international qui aurait guidé nos pas.
L'administration Bush refusait la diplomatie et recherchait une solution immédiate, un ´quick fix ´ militaire. Nous nous sommes pris stupidement à notre propre siège et en avons payé le prix, en argent et en vies humaines. Je ne pense pas seulement aux soldats américains mais aussi aux civils irakiens et afghans. Nous ne nous en sommes pas encore remis en tant que nation, mais je crois que nous pourrions y contribuer en affirmant davantage nos valeurs. Sans aller trop loin et risquer de rendre toute politique étrangère inopérante, nous pourrions dire au monde que nous sommes de retour sur la scène internationale. Et que la morale peut parfaitement s'accorder avec une diplomatie réaliste".
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mercredi 17 juin 2015

Tim Hunt, Nobel misogyne...

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La sortie du Nobel misogyne...

"Let me tell you about my trouble with girls. Three things happen when they are in the lab : You fall in love with them, they fall in love with you, and when you criticize them they cry."
Tim Hunt, Prix Nobel de Médecine 2001

... et la volée de bois vert :

" I am in the office, but I can't do my sciences work as I saw a photograph of Tim Hunt and now I'm in love, dammit"
Sophie Scott, University College London researcher

- "Dear Department : please note I will be unable to chair the 10am meeting this morning because I am too busy swooning and crying."
Kate Devlin, lecturer at Goldsmiths University of London

- "The 2015 Nobel Prize in being clueless, sexist jerk goes to Tim Hunt. Probably not his last."
Robert McNees, a theoretical physicist in Chicago

(source, New York Times, 12 juin 2015)
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dimanche 14 juin 2015

Islam de France, islam en France

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Esprit, Février 2015

Akram Belkaïd et Lucile Schmid
DIX-SEPT personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées,



dont certaines grièvement, dans les attentats du 7 au 9 janvier

2015. C’est une onde de choc dans la société française, en Europe,

dans le monde. Partout en France, des millions de personnes ont

participé à des marches citoyennes pour dire leur émotion et leur

refus des massacres commis dans les locaux de la rédaction de

Charlie Hebdo, puis à Montrouge avec la mort d’une policière et le



lendemain encore dans un magasin kasher, par des terroristes se

réclamant de l’islam. Passé la sidération, l’angoisse ou la colère des

premières heures, ces mouvements exprimaient la condamnation de

crimes contre la liberté d’expression dont le caractère antisémite ne

fait aucun doute. Dans le même temps, ces attentats terroristes ont

relancé le débat, déjà très présent depuis plusieurs années, à propos

de la religion musulmane et plus particulièrement de sa nature et

de sa place en France.

La suite est à lire ici : islam de France, islam en France
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La chronique du blédard : Aventures en l'air et au sol avec United

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Le Quotidien d’Oran, jeudi  11 juin 2015
Akram Belkaïd, Paris

Roissy. Départ à destination d'une grande ville de l'Empire. Cela commence par un enregistrement tranquille. Un peu long, un peu tatillon. Est-ce que l'on a fait ses bagages soi-même ? Bah ouais... Est-ce qu'on a toujours gardé l'œil sur ses bagages ? Alors-là, tout le monde ment car ces valises ont bien été placées dans la malle de la voiture ou du taxi ou encore dans le coffre du Roissybus, non ? Et si un méchant terro s'y était caché dans cette malle ? Bon, pour reprendre une expression à la mode et employée à tort et à travers, c'est abuser que d'imaginer ce genre de scénario mais c'est comme pour les maths, tous les cas de figure doivent être abordés.

Le Boeing 757 d'United a décollé et l'hôtesse qui s'occupe du bétail placé à l'arrière de l'appareil ne semble pas heureuse de faire son métier ou d'être ce qu'elle est, ou les deux à la fois. Bref, elle rudoie une passagère qui veut son repas spécial tout de suite. Elle fait mine de ne pas entendre celui qui lui demande un verre d'eau. On pourrait lui trouver facilement un poste dans une compagnie maghrébine ou bien encore chez Air Canada ce qui l'arrangerait certainement question linguistique. Mais son jeu préféré est de passer à toute vitesse en poussant son chariot afin de démettre les épaules ou de broyer les coudes de celles et ceux dont le siège est attenant (joli mot, n'est-ce pas) au couloir. Ni sorry ni regrets et on s'attend presque à l'entendre lancer : « ouèche kayene ? » (ya quoi ?).

Le pire vient après la première collation. A peine servie, il faut vite débarrasser ce qui en reste. Et là, c'est un grand moment. Un modèle de comportement, digne des plus grands traités en matière de service-client. La revêche passe et repasse, les bras bien tendus avec au bout des mains un sac en plastique blanc. Elle regarde les uns et les autres d'un air de défi et ne cesse de répéter « trash ! trash ! trash !... » Ce qui revient à dire et redire « déchets ! déchets ! déchets ! » ou encore, le terme avait fait fureur à une époque chez les gens du service Marchés financiers de La Tribune Desfossés, « zoubia ! zoubia ! zoubia ! ». Et l'on se pose alors la question. Qui est le trash ? Le gobelet encore humide de son jus de pomme trop glacé ou le passager lui-même ainsi insulté ? On devrait demander à la dame mais, attention, danger. Le personnel naviguant des compagnies aériennes, surtout ricaines, sait qu'il a désormais tous les droits. T'as vu ce que t'as fait Oussama ? Rappelons à ce niveau qu'United est la compagnie dont un PN (personnel naviguant) vient de refuser de servir une canette de soda non ouverte à une passagère musulmane estimant qu'elle pouvait s'en servir comme une arme... Oui, c'est ça : WTF ! (je n'ai pas le droit de traduire, des gens de ma famille lisent cette chronique).

Le vol se passe ensuite normalement. Plateau repas-punition, films inintéressants, séquences régulières de « trash-trash-trash » auxquelles on ne prête même plus attention. Cela sans oublier les turbulences récurrentes qui empêchent de dormir - de toutes les façons, il y a toujours un voisin ou une voisine qui veut aller aux water-closet ou qui, tout simplement, parle bien fort parce que tout le monde se doit d'entendre le détail de ses dernières vacances en Martinique. Et à propos de turbulences, à une bonne heure de l'arrivée en vue de la côte est, commence le grand cirque. Ça secoue, ça tangue, ça chute, ça turbule. Les quatre-cinquièmes des passagers regrettent leur erreur, celle d'avoir avalé un sandwich crémeux - et absolument insipide - dont le premier pressage stomacal entend revenir à l'air libre. Avant le décollage, toujours vérifier qu'il y a bien un sac en papier dans le dossier du siège de devant...

Bon, épargnons les détails. Atterrissage secoué, très secoué mais atterrissage quand même. Formalité de police (« pourquoi allez-vous si souvent dans le monde arabe ? »...), de douane (« no sir, j'te jure, j'ai pas de nourriture dans mes bagages », sauf des gâteaux tunisiens mais ça, je l’ai pas dit…) puis cavalcade car correspondance à ne pas louper. Course inutile car tous les appareils sont désormais « groundés », c’est-à-dire cloués au sol à cause du vent féroce. Décision des autorités fédérales. Ce qui signifie que la compagnie n'est pas responsable. Va donc, ô voyageur épuisé, te trouver un hôtel à tes frais... Le service client, toujours et encore ! Le lendemain, plus de vent mais vols complet. On enregistre tout de même en liste d'attente en espérant un miracle. Premier vol no. Deuxième walou, troisième yes. A l'arrivée, petite frayeur. Pas de valise sur le carrousel. Renseignement pris, elle est sagement partie avec le premier vol (celui qui était complet…) et attendait son propriétaire depuis quelques heures déjà. Sécurité avez-vous dit ?

Et ce n'est pas fini. Passons sur les retards entre telle et telle étape. Les billets annulés sans aucune raison et qu'un américano-palestinien charitable fait renaître des limbes de l'informatique. Les correspondances ratées. L'unique bagage dont l'enregistrement coûte désormais 25 dollars (voyageurs européens ne riez pas, cela va bientôt arriver chez vous), les six heures de vol entre l'est et l'ouest où toute prestation est payante. Nous voici donc au moment du retour. Vols avec correspondance bien sûr. Washington, Portland (dans le Maine pas l'Oregon, sinon ça fait long le détour) et Barize qui rime avec valise, le poids de la deuxième étant facturé à 100 dollars...

Bref, salle d'embarquement à Dulles. Un appel au micro. Raphaël, (« hi, call me Rapha ! »), séchoir façon années quatre-vingts, propose un vol direct sur Roissy. Bonne nouvelle ! Plus de stress donc pour la correspondance. Mais, une petite voix incite à demander ce qui risque d'advenir des bagages déjà enregistrés pour Portland. No problème, assure Rapha. Je vais descendre moi-même sur la piste changer leurs étiquettes. Soyez pas worry, on fait ça tous les jours. On acquiesce et l'on s'en va vers une autre salle où ça parle déjà français. Huit heures plus tard, arrivée matinale et glauque à Charles-De-Gaulle airport, terminal 1. Vous l'avez deviné. De valises, point. Raphaël n'a rien fait ou fait ce qu'il ne fallait pas faire (je sais, série de répétitions mais c'est la fatigue du décalage horaire). « Il avait besoin de libérer votre siège dans l'avion pour Portland, c'est tout ! » avoue une employée bien embêtée à qui l'ordinateur ne donne aucune information sur les précieuses valoches. Et là, dans le petit matin gris, on se met soudain à psalmodier la prière du voyageur ivre de fatigue et de digouttâge : Rapha-trash ! Rapha-trash ! Rapha-trash !

Prochain épisode : mes aventures avec (la) SNCF...
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La chronique du blédard : La mafifa…

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 juin 2015
Akram Belkaïd, Paris

Le méchant, très méchant, Joseph « Sepp » Blatter a donc démissionné de la présidence de la Fédération internationale de football association (Fifa)… Un départ en forme de fuite forcée quelques jours à peine après qu’il a été réélu pour un cinquième mandat. Autant le dire, la nouvelle a décontenancé la majorité des observateurs. On pensait que le haut-Valaisan (il est né à Viège ou Visp en suisse allemand) ne quitterait pas son poste et cela malgré les scandales à répétition qui secouent actuellement la multinationale du football. Cette « remise de mandat », selon le communiqué officiel de l’organisation, laisse donc entrevoir que les péripéties du feuilleton judiciaire sont loin d’être terminées. Selon la presse américaine, Blatter, ainsi que d’autres personnalités du football mondial, sont dans le collimateur du Federal bureau of investigation américain (FBI).

Que dire de cette piteuse affaire qui, toutes proportions gardées, rappelle les turpitudes ayant entouré une autre grande organisation sportive, à savoir le Comité international olympique (CI0) ? Le fait est que personne n’est vraiment surpris. Cela fait très longtemps que Fifa rime avec mafia. Rien de surprenant à cela. Plus il y a de l’argent, et plus les trafics sont nombreux. Sur le plan administratif, ce regroupement de fédérations internationales est une « association », c’est à dire qu’elle échappe à la majorité des contraintes en matière de transparence auxquelles sont soumises les grandes transnationales, notamment celles qui sont cotées en Bourse. Or, la Fifa, n’est pas une petite structure de quartiers avec ses bénévoles. Elle emploie 1400 personnes et dispose de près de 2 milliards de dollars de réserves avec un chiffre d’affaires annuel de 1,5 milliards de dollars. En clair, en l’absence d’un organisme de régulation et de contrôle, les dérives étaient impossibles à éviter. On notera d’ailleurs que les Platini et Cie, c’est-à-dire ceux qui ont exigé le départ de Blatter (et qui pensent déjà à le remplacer d’ici décembre ou janvier prochains) n’abordent jamais cette question du contrôle extérieur de la Fifa…

Il a donc fallu que la justice étasunienne se mêle de cette affaire pour que les choses s’accélèrent. Officiellement, la procédure est partie du redressement fiscal de Chuck Blazer, un ancien haut-cadre de la Fifa. C’est en tirant les fils du sac de nœuds que les très puissants et peu connus services de l’Internal Revenue Service (IRS, organisme américain qui collecte l’impôt) ainsi que ceux du FBI se seraient intéressés aux magouilles et combines au sein de la Fifa, notamment lors des processus d’attribution de l’organisation de la Coupe du monde. Bien entendu, on est en droit de se demander si la Fifa de Blatter n’a pas commis une erreur majeure en préférant attribuer les épreuves de 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar plutôt qu’aux Etats-Unis et à l’Angleterre…

On peut aussi se dire que Michael Garcia, l’ancien procureur fédéral américain qui a enquêté, à la demande de la Fifa ( !), sur les conditions d’octroi de ces deux compétitions, a peut-être rencardé ses amis de la justice. Faute de n’avoir pu pousser en avant ses investigations et ulcéré par la mise au tiroir de son rapport, l’homme a démissionné en décembre 2014 de son poste de président de la chambre d’enquête de la commission d’éthique de l’organisation. A ce sujet, on attend maintenant que les contempteurs de Blatter, parmi lesquels Michel Platini, s’engagent à ce que ce rapport soit publié au plus vite et dans son intégralité. S’il reste caché, alors cela signifiera que rien n’a changé et que l’opacité reste de règle au sein de la Fifa.

Mais, au-delà des véritables motivations de la justice américaine, ce qu’il y a d’important c’est de noter que cette dernière peut désormais agir n’importe où dans le monde. En effet, ce qui lui permet d’agir dans ce scandale c’est, entre autre, le fait que les « conjurés » ont utilisé des moyens informatiques – en gros, les messageries internet – mis à disposition par des entreprises américaines. Pour simplifier, le seul fait d’utiliser une adresse internet d’un fournisseur d’accès américain expose à des poursuites venues d’outre-Atlantique et cela même si l’on n’a jamais mis les pieds aux Etats-Unis. En ce sens, l’affaire de la Fifa risque de constituer un précédent important : personne n’est à l’abri de la justice de l’Empire…

Mais revenons à la Fifa. Cette organisation est à l’image de ce que sont devenus les sports populaires. De l’argent, encore de l’argent, toujours  plus d’argent. Le foot, celui que l’on aime, n’est plus qu’un prétexte pour que les milliards de dollars s’ajoutent aux milliards de dollars.  La Fifa, comme d’ailleurs l’Uefa (l’union des fédérations européennes), peuvent bien clamer qu’elles contribuent au développement ou qu’elles luttent contre la pauvreté ou le racisme. La réalité est qu’elles sont obnubilées par l’argent. Cela engendre un gigantisme croissant (à quoi rime vraiment une Coupe du monde avec 32 équipes ?) qui finira tôt ou tard par lasser les gens. Si cela continue ainsi, qui peut jurer que le football sera encore le sport-roi dans vingt ans ?

En attendant les prochaines révélations qui ne vont sûrement pas manquer de tomber (on guettera avec attention celles qui concerneront les fédérations africaines, véritables repères de canailles notoires…), on peut toujours réécouter « La vida es una tombola » (la vie est une tombola), une chanson de Manu Chao dédiée à Diego Maradona. Dans l’un des couplets, le chanteur au bonnet andin a ces paroles : « Si yo fuera Maradona saldría en mondovision para gritarle a la FIFA ¡Que ellos son el gran ladrón! » autrement dit (traduction simplifiée) : « si j’étais Maradona, j’affirmerais en mondovision que la Fifa est une grande voleuse ». Comme l’avait fait feu le grand joueur brésilien Socrates en 1986 avant d’être (fermement) rappelé à l’ordre et comme le dit aujourd’hui le brésilien Romario, devenu député. L’affaire est entendue : Fifa rime toujours avec mafia.
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« Les Terrasses » de Merzak Allouache : chroniques d’une Algérie déglinguée

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Évoquer avec justesse et une rare maîtrise la société algérienne d’après la « décennie noire », c’est le tour de force talentueux réalisé par Merzak Allouache dans Les Terrasses, son dernier film actuellement dans les salles en France.
L’action se déroule dans des terrasses d’Alger au fil des cinq prières quotidiennes. Il n’y a pas d’intrigue unique mais plusieurs personnages qui se croisent, chacun engagé dans sa propre quête, ordinaire ou non, allant vers un destin parfois tragique. Ici, dans la Casbah, c’est une grand-mère qui n’en peut plus d’héberger sa fille folle et son petit-fils démoli par «  Madame Courage  », cette drogue, cocktail de psychotropes divers, qui fait des ravages dans la jeunesse. Là, sur les hauteurs, c’est une équipe de tournage qui, ignorant le danger, entre dans une villa inhabitée pour tourner des plans de la capitale. Pas loin, c’est un homme que l’on torture pour qu’il signe on ne sait quel document.

La suite est à lire ici : "Les Terrasses" de Merzak Allouache : chroniques d'une Algérie déglinguée
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mercredi 3 juin 2015

La chronique du blédard : Monologue de l’américano-guatémaltèque

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 28 mai 2015
Akram Belkaïd, Washington D.C. 

J’ai vingt ans et j’ai toujours vécu dans la banlieue de Washington D.C. Je suis du Guatemala. Enfin, ce sont mes parents qui en viennent. Mon père est arrivé le premier, il y a plus de trente ans. Je ne connais pas bien son histoire. Il en parle un peu mais pas souvent. Ce que je sais, c’est qu’il était jeune et que mon grand-père l’a encouragé à quitter le pays. A l’époque, c’était la guerre civile. Ma famille paternelle vivait dans un petit village au pied des montagnes. Des gens pauvres, très pauvres. Des cultivateurs. La terre n’était pas très fertile, rien à voir avec celle des grandes compagnies bananières. Pour contrer la guérilla, l’armée enrôlait de force les jeunes paysans. J’ai un oncle à qui c’est arrivé et  il a tout simplement disparu. Mon père n’avait pas envie de porter les armes. Il s’est d’abord caché dans la montagne. Ensuite, il s’est enfui au Mexique. Il a fait tout le chemin à pied ! Je ne sais pas combien de temps il y est resté. Un ou deux ans, je crois. Le temps de ramasser un peu d’argent pour passer le Rio Grande. Oui… Il a payé des coyotes pour entrer clandestinement aux Etats-Unis. J’ai plein d’amis qui peuvent vous raconter la même histoire à propos de leurs pères.

Ma mère aussi s’est exilée. Son village a été brûlé par l’armée pour affamer la guérilla. Sa famille s’est réfugiée dans un bidonville de Guatemala-Ciudad. C’est là qu’elle a connu son premier mari. Ils ont eu un enfant mais la vie était trop dure. Ma mère faisait des ménages, lui, il trafiquait plus ou moins. Pas dans un gang, non. A l’époque, ça n’existait pas vraiment. Mais juste des petites combines pour survivre. Au bout du compte, eux aussi ont décidé de partir. Je crois qu’ils ont voyagé en train, dans des wagons de marchandises. Comme mon père, ils ont d’abord vécu au Mexique. C’était leur première Amérique… Une petite Amérique, une étape avant la grande. Ils ont fini par passer la frontière. Ils ont vécu en Arizona, au Texas et en Californie. Et puis le premier mari de ma mère a été obligé de rentrer au pays. Je ne sais pas ce qui s’est passé exactement. Une histoire de dette de famille à payer, de gens pas très recommandables à rembourser. C’est là qu’il a été tué. Ma mère est restée seule avec mon hermanastro, mon demi-frère. Elle avait une cousine installée pas loin de Herndon. Elle lui a trouvé un emploi dans un hôtel du coin. C’est là qu’elle a rencontré mon père qui s’occupait de l’entretien. Je suis né un an plus tard et mes deux sœurs ensuite.

Quand ma mère ou mon père parlent du Mexique, ce n’est jamais avec colère. Ils ont eu des soucis là-bas, la police les a brutalisés mais c’est un peu comme s’ils étaient encore chez eux mais dans de meilleures conditions. Aujourd’hui, c’est différent. J’ai des parents qui continuent de quitter le Guatemala pour nous rejoindre. Le plus grand danger pour eux, ce n’est pas quand ils passent la frontière américaine ou qu’ils prennent le risque de se perdre dans le désert de l’Arizona. Non, le pire, c’est la traversée du Mexique. L’immigrant, qu’il vienne du Guatemala, du Honduras ou d’ailleurs, est une proie facile. Il y a beaucoup de violence au Mexique. Plus même qu’aux Etats-Unis. Même ici, nos rapports avec les Mexicains ont changé. Bien sûr, pour les Américains, je veux dire les blancs, on est tous les mêmes. On se ressemble, on parle espagnol entre nous mais il y a de la tension. De toutes les façons, il se trouve toujours un Mexicain pour nous expliquer que le Guatemala fait partie du grand Mexique… Moi, ça me fait sourire. Dans ma tête, je suis Américain. Ces histoires ne me concernent pas. Je suis né ici et j’ai un passeport américain. Je sais d’où je viens mais je n’ai pas de papiers guatémaltèques. Pourquoi en aurais-je ? Je ne suis jamais allé là-bas. Ma mère et mon père me l’ont interdit. Ils ne veulent pas que je prenne de risque. La guerre est terminée mais les Maras, les gangs, ont pris le relais. Je pourrais aller visiter ma famille qui vit encore dans la campagne. Là-bas, la situation est bien plus calme, tranquille même, mais il faudra tout de même que je passe par la ville et c’est trop dangereux. A mon âge, si je vais au Guatemala, je serai suspecté par tout le monde à commencer par la police d’ici qui voit des trafiquants de drogue partout.

Je me sens américain, il n’y a aucun doute là-dessus. Mon pays, c’est les Etats-Unis d’Amérique. Mais je sais qu’il y a des choses qu’on ne peut pas oublier. La violence qui a chassé mes parents de chez eux, c’était aussi la faute de l’Amérique. De la CIA… Là-bas, les compagnies fruitières font toujours la loi. Elles sont très puissantes et personne ne peut rien contre elles parce que chaque famille a quelqu’un qui travaille pour elles. Et puis, il y a tous ces gens qui ont été renvoyés au pays. C’est ici qu’ils ont appris la violence et toutes leurs règles de gangs. Les tatouages… Tout le monde sait que ça n’existait pas au pays avant. Enfin, il y a les armes. Ce n’est pas au Guatemala ou ailleurs en Amérique latine qu’on les fabrique…

Je n’ai pas pu aller à l’université. Je n’ai pas été suffisamment bon à l’école. De toutes les façons, mes parents n’ont pas les moyens. Mais j’ai un métier. Je conduis la navette qui fait l’aller-retour entre l’hôtel et Dulles aéroport, six jours sur sept. Je suis payé quatre dollars de l’heure et j’ai souvent de bons pourboires. Ça me permet d’aider mes parents. L’une des mes sœurs est douées pour les études. On veut tous qu’elle aille à l’université. Elle va réussir et ce sera à son tour de nous aider.
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