Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 20 septembre 2019

La chronique du blédard : Prospective en temps de gourdin


Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 septembre 2019
Akram Belkaïd, Paris


La nouvelle date de l’élection présidentielle a donc été fixée au 12 décembre prochain (tiens, décembre, mois d’un lointain vote de sinistre mémoire…). Des dizaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens ont beau manifester chaque semaine pour dire leur opposition à un tel scrutin, le régime n’en démord pas. Comme en témoignent les discours répétés du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, toute autre solution serait, selon lui, dangereuse pour le pays. On ne va pas ici refaire le énième plaidoyer pour une période de transition et une réforme profonde des institutions. Les masques sont tombés depuis longtemps. Nous ne sommes pas dans une situation de dialogue et de confrontations d’idées. Comme cela toujours été le cas, le pouvoir a décidé seul et met en musique une stratégie dédiée à faire accepter son choix fusse par la force et la contrainte.

On nous parle beaucoup de démocratie en ce moment. Les partisans d’une transition, qu’ils soient ou non jugés membres de « la horde » ou de « la bande » sont accusés de ne pas la vouloir pour le pays et de se cacher derrière leurs revendications « irréalisables » pour maintenir le statu quo. Ah bon ? Voilà un bien étrange jugement. En fait, le pouvoir n’a jamais craint les contradictions y compris les plus criantes. Il parle de démocratie et de liberté, mais des femmes et des hommes sont arrêtés pour leurs opinions (article 36 de la Constitution : La liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables). Certains ont été interpellés avec des méthodes dignes de la police politique des années 1960 et 1970, cueillis de nuit à leur domicile ou embarqués dans la rue comme de vulgaires criminels. La méthode n’est pas innocente. C’est un « message » pour les autres. C’est une manière d’instiller la peur, de créer le doute pour éroder la détermination de gens qui ne font rien d’autre que de revendiquer une Algérie nouvelle.

En se gardant de tout sentiment de colère, on peut observer à loisir toutes les danses du ventre et autres manœuvres de soumission qui accompagnent l’annonce de la tenue du scrutin présidentiel. Tout est bon pour nous expliquer que cette élection, fut-elle imparfaite, est la clé de tous les problèmes. Prenons par exemple les propos de la juriste Fatiha Benabou. « Si les Algériens ne veulent pas d’un pouvoir militaire, dit-elle, ils doivent aller voter pour élire un président civil. La loi électorale a changé et il ne reste qu’à mettre en place un climat propice pour l’élection d’un nouveau président avant d’aller vers la révision de la constitution » (1). On aimerait bien que cette dame qu’on a connue plus mordante à l’égard du système nous explique ce que signifie l’expression « climat propice ». Est-ce la fin des manifestations du Hirak ou est-ce la libération des détenus d’opinion ? Mystère.

Le postulat plus ou moins explicite de ce raisonnement est que l’élection présidentielle sera équitable (on ne rigole pas, s’il vous plaît !) et qu’il n’y aura pas de candidat privilégié par le système, ou tout simplement choisi à l’avance par les, ou plutôt « le » décideur. Nous n’en sommes qu’aux frémissements mais il ne faut pas être naïf pour noter qu’une bulle Ali Benflis est en train de naître. Tandis que des courtisans s’agitent ici et là pour attirer l’attention du chef d’état-major et décrocher le précieux adoubement, l’ancien directeur de campagne et premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika et désormais président du parti Talai’ el Hourriyet est déjà en campagne, plaidant, lui aussi, pour la tenue du scrutin afin de sortir de la crise. Nombre de ses sympathisants commencent d’ailleurs à diffuser des arguments. Il nous faudrait, selon eux, accepter cette solution imparfaite en pariant sur l’avenir. Une fois élu, Ali Benflis serait l’homme « de la rupture » en réformant le système. On le sait, les promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient. Et, encore une fois, le peuple algérien est appelé à espérer en l’homme providentiel.

Le mythe de l’enfant du sérail qui rénove le système a la peau dure mais n’est pas Gorbatchev qui veut. Il est possible que Benflis, ou tout autre candidat, puisse, une fois élu, améliorer l’état du pays. Cela ne sera guère difficile vu la situation catastrophique où l’ont mené deux décennies de règne du clan Bouteflika. Mais cette amélioration se fera à la marge, un peu – toutes proportions gardées – comme lorsque Chadli Bendjedid a succédé à Houari Boumediene. Un mieux, léger, avant que les choses n’empirent de nouveau en raison de l’incapacité du pouvoir à lâcher prise.

Pourquoi la transition née des sanglants événements de 1988 a-t-elle dérapé ? Deux raisons essentielles viennent à l’esprit. Il y a bien sûr ce scrutin fatal du 26 décembre 1991 et le coup d’État qui a suivi. Mais la raison profonde vient du fait qu’on a laissé le système mener seul la transition. Sans faire table rase du passé et des institutions, le mieux pour l’Algérie aurait été que le personnel politique de l’époque se retire ou, tout du moins, se livre à un mea culpa. Ce ne fut pas le cas. Aujourd’hui, une erreur comparable se prépare. Ceux qui promettent le changement aux Algériens sont ceux qui, d’une manière ou d’une autre, l’ont empêché durant des décennies. On ne se refait pas.


(1) TSA, 14 septembre 2019.


La chronique du blédard : Trump, guerre ou paix ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 septembre 2019
Akram Belkaïd, Paris

Nombre de spécialistes des États-Unis l’affirment : l’administration Trump est complètement imprévisible et il est très difficile d’anticiper ses positions à venir. Pour bien étayer leur propos, ces experts rappellent que, dans le passé, les locataires de la Maison-Blanche tenaient compte des grandes orientations voulues par l’appareil étatiquo-administratif américain, ce que certains désigneraient par l’expression valise d’État profond. De Bush père à Barack Obama en passant par Clinton, il y a eu certes des différences, notamment en matière de politique sociale, mais tous ont respecté, entre autres, un grand principe : assurer et conforter le leadership américain sur la planète tout en feignant de respecter les formes de la diplomatie internationale et les règles d’un monde censé être multipolaire.

Donald Trump, lui, s’affranchit de toute contrainte y compris formelle. L’un de ses passe-temps préférés est d’ailleurs de contourner le Département d’État (le ministère des Affaires étrangères) en annonçant directement ses décisions par le biais du réseau social Twitter. Du jamais-vu. C’est à l’aune de cette réflexion qu’il faut examiner le récent limogeage de John Bolton de son poste de conseiller à la sécurité nationale du président américain. Certes, Bolton, nommé en mars 2018, prétend avoir démissionné de son propre chef mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte le plus, c’est que Trump finit toujours par se débarrasser de tout possible contradicteur voire de tout contre-pouvoir. Et le « moustachu belliciste » en était un au sens de sa volonté de croiser le fer avec tous les « ennemis » des États-Unis : Afghanistan, Chine, Corée du nord, Iran, Russie et Venezuela pour ne citer que le premier cercle des cibles de l’Empire.

On sait que Bolton, soutenu par une grande partie des néoconservateurs, est un partisan de la manière forte. Il n’y a qu’à lire les lamentations des ultra-droitiers éditorialistes du Wall Street Journal après son départ pour comprendre qu’il était l’homme de la guerre à venir, ou plutôt des guerres à venir, au sein de l’administration Trump. Lui parti, la pression retombe un peu, les risques de conflit diminuent et même les marchés financiers saluent l’événement. Il est désormais possible, à moins d’un tweet rageur surprise, que le dialogue reprenne avec la Corée du nord, la Russie ou l’Iran. Cela vaut aussi pour l’Afghanistan même si, là aussi, Trump a surprit tout le monde en rompant les négociations « secrètes » (la planète entière était au courant…) avec les Talibans. Ouvrons ici une parenthèse pour relever que dix-huit ans après les attentats du 11 septembre et l’intervention occidentale en Afghanistan, rien n’est réglé dans ce pays où les armes et les explosifs dictent toujours leur sanglante loi. Les soldats américains sont toujours sur place et la seule perspective qui se dessine, c’est un retour au pouvoir des Talibans chassés en 2001… Tout ça pour ça. Fin de la parenthèse.

Revenons à Trump. Le voici donc débarrassé de tout avis divergent. Mais, au-delà de ses slogans chauvins et de ses tweets égotiques, que veut-il exactement en matière d’affaires étrangères ? La seule certitude concerne Israël. Le locataire de la Maison-Blanche soutiendra tout ou presque de ce qui viendra de Tel Aviv y compris l’annexion de la Cisjordanie que prépare Benjamin Netanyahou (les deux hommes auront néanmoins une divergence concernant l’Iran). Pour le reste, c’est le flou le plus total. La Corée du nord ? Beaucoup de blabla, une rencontre avec Kim Jong-un, certes historique, mais surtout destinées aux caméras et aux photographes mais dans le fond, rien n’est réglé. Au Venezuela, le régime de Maduro n’est pas tombé et Washington se voit contraint de renouer tôt ou tard le dialogue. L’Iran ? L’objectif de Trump est de rencontrer Hassan Rohani, son homologue iranien mais Washington n’a émis aucune proposition concrète susceptible de relancer les négociations sur le sujet du nucléaire et des sanctions imposées à Téhéran.

On sait que les néoconservateurs et le lobby pro-israélien veulent une guerre contre l’Iran. Trump, de son côté, pense d’abord à sa réélection en 2020. A en croire la presse américaine, il serait obsédé par ce rendez-vous où son orgueil démesuré lui dicte de faire aussi bien que ses trois prédécesseurs. Or, une grande partie de son électorat l’a élu pour qu’il mette fin aux interventions militaires américaines à l’étranger. C’est ce qui explique les négociations avec les Talibans et les appels répétés pour un dialogue direct avec Téhéran. Quelques heures après le départ de Bolton, Donald Trump s’est ainsi dit prêt à une « rencontre sans préalable » avec Hassan Rohani. Pour l’heure, les Iraniens ne sont guère pressés et on les comprend puisque c’est ce même Trump qui a torpillé l’accord sur le nucléaire conclu en juillet 2015.

Il y a un an, le tout Washington affirmait que Donald Trump voulait « sa » guerre. Aujourd’hui, échéance électorale oblige, la donne a changé. Pour autant, le monde est-il plus sûr ? Avec un homme aussi imprévisible à la tête de l’armée la plus puissante du monde, ce n’est guère certain.
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La chronique du blédard : De la Constitution et des élections


Le Quotidien d’Oran, jeudi 5 septembre 2019
Akram Belkaïd, Paris

Nous assistons actuellement à une tentative de double sacralisation qui ne trompera personne. Cela concerne d’abord la Constitution. Dans ses innombrables discours – jamais officier d’active n’aura autant pris la parole en un temps si court – le général Ahmed Gaïd Salah ne cesse de se référer à la Constitution, érigée en texte suprême, sorte de table de la loi républicaine. En théorie, toute armée qui se dit fidèle à la Constitution est à saluer dans un monde arabe ou un continent africain où les coups d’états militaires perdurent. Mais, dans le cas présent, on se demande bien d’où provient ce respect et ce volontarisme soudains à l’égard d’un texte tant de fois foulé au pied. Exemple. En 2014, le président Abdelaziz Bouteflika n’était pas en mesure de faire campagne et encore moins de remplir sa mission pour un quatrième mandat électoral. Son « élection » fut un outrage infligé à la Constitution et à la nation. Question : pourquoi le chef d’état-major a laissé faire ?

Mais, pure question de réthorique, pouvait-il faire autrement ? Car, en réalité, rien dans la Constitution n’autorise le vice-ministre de la défense à intervenir dans le champ politique. Dans le cas présent, cela vaut notamment quand il « suggère » la date de convocation du corps électoral, prérogative qui relève du gouvernement et du chef de l’État, fut-il intérimaire ou, plus exactement, « post-intérimaire ». Si on lit bien la Constitution algérienne – texte disponible sur internet, les missions de l’Armée nationale populaire (ANP) sont clairement définies par l’Article 25 : « - La consolidation et le développement du potentiel de défense de la Nation s'organisent autour de l'Armée Nationale Populaire ; L'Armée Nationale Populaire a pour mission permanente la sauvegarde de l'indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale. Elle est chargée d'assurer la défense de l'unité et de l'intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime. »

Voilà qui est clair. Si l’armée veut que des élections soient organisées, qu’elle le dise (en a-t-elle le droit ? C’est une autre histoire) mais pas en se réfugiant derrière la Constitution qui a « bon dos ». De fait, on relèvera ainsi que nulle mention n’existe à propos du rôle de l’armée en tant que garante de la Constitution. L’Article 70 précise bien les choses : « Le Président de la République, Chef de l'État, incarne l'unité de la Nation. Il est garant de la Constitution. Il incarne l'État dans le pays et à l'étranger. Il s'adresse directement à la Nation. » C’est donc au président post-intérimaire de faire entendre sa voix. C’est à lui que la Constitution confère les prérogatives d’organiser un scrutin en conformité avec la Constitution. Ou alors, il faut amender, une énième fois, cette pauvre Constitution en y écrivant noir sur blanc que le rôle de l’armée et de son chef et de veiller au respect de la Constitution. Ainsi, les choses seront claires… A la fois formaliste et adepte des faux-semblants, le pouvoir algérien s’est toujours refusé à aller aussi loin dans la clarification.

Parlons maintenant des élections. Nous savons que dans de nombreux pays, y compris démocratiques, le recours aux urnes n’est guère satisfaisant. Ici, ce sont des votes qui sont achetés. Là, ce sont des morts qui votent. Ailleurs, c’est l’argent de la campagne électorale qui détermine le résultat final. Souvent, c’est le bourrage des urnes qui prévaut. Et partout, ou presque, l’abstention est omniprésente. Dans un monde qui connaît une évolution notable des modes d’engagements avec l’émergence de mouvements horizontaux sans leaders (protestataires à Hong Kong, gilets jaunes, Hirak algérien), des réflexions sont engagées quant aux élections. Ce la reste bien sûr la pierre angulaire de toute démocratie ou de tout État de droit. Mais à quoi bon voter quand l’environnement politique et légal est totalement archaïque ?

Certains diront que le futur locataire du Palais d’El Mouradia aura pour mission de rénover le système en s’appuyant sur l’élan du Hirak. C’est d’ailleurs l’argument avancé par les partisans d’une élection présidentielle avant la fin de l’année. On en revient à l’espérance de l’homme providentiel et à la croyance naïve que le système en place acceptera de lui-même le changement et la réforme. Tout cela pour dire qu’il faut cesser de sacraliser l’élection présidentielle. Cette dernière n’est ni un objectif ni un aboutissement. Elle doit être considérée comme une étape parmi tant d’autres. Et comme toute étape, elle a ses A. La question qui se pose donc n’est pas « quand faut-il voter ? » mais « que faut-il faire avant de pouvoir ‘enfin’ voter » ? Au cours des dernières semaines plusieurs suggestions ont été mentionnées. Elles vont des mesures de conciliation (libération des personnes détenues pour leurs opinions) à la mise en place de nouvelles structures encadrant les élections. Il reste à compiler tout cela et à donner au Hirak une dimension encore plus politique afin de dessiner l’Algérie de demain.
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La chronique du blédard : Vive la transition !

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 août 2019
Akram Belkaïd, Paris

Qu’est-ce qu’une transition ? Une définition très répandue stipule ce qui suit : « Passage d'un état à un autre, en général lent et graduel ; état intermédiaire. » Il n’est donc pas besoin d’insister pour en saisir le sens. La transition est un processus qui va de pair avec le changement voire la transformation. Sur le plan politique, elle est souvent appréhendée en opposition avec la rupture qui engendre une modification immédiate à l’image d’une révolution. Dans l’idée de transition, il y a donc aussi l’idée du temps, de la durée.

Le politiste algérien Hasni Abidi, enseignant-chercheur à l’université de Genève, a consacré sa thèse à la transition politique. Dans le cas d’un pays autoritariste ou dictatorial qui s’engage vers une démocratisation, il explique que la transition est marquée par un processus de négociations plus ou moins continu entre acteurs qui ne sont pas forcément démocrates. L’objectif alors est de réunir un consensus validé par tous pour éviter la régression en empêchant la restauration de l’ordre ancien. Cela n’empêche pas les calculs et les manœuvres dilatoires comme le montre la situation au Soudan.

Mais quid de l’Algérie ? Pour certains politistes, l’Algérie est entrée en transition politique depuis les évènements d’Octobre 1988 et la fin du parti unique. Si l’on admet cette hypothèse, il faut néanmoins relever que les vingt ans de pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika correspondent à une glaciation du processus puisqu’aucun problème fondamental du pays n’a été réglé sur le plan des libertés politiques et du pluralisme. D’autres experts estiment que la transition a commencé avec la démission du même Bouteflika poussé dehors par le Hirak du 22 février. Autrement dit, nous n’en serions qu’au début.

Le général Ahmed Gaïd Salah répète à qui veut l’entendre qu’il ne veut pas d’une transition qu’il assimile à un complot ourdi et cetera et cetera… Pour lui, seule l’élection présidentielle compte afin de revenir dans les clous de la Constitution. En théorie, un tel discours peut être entendu. Actuellement, l’État algérien fonctionne en dehors de cette Constitution tant de fois malmenée par le pouvoir au cours de ces dernières années. L’intérim, tel que prévu par les textes, du « président » Abdelkader Bensalah est terminé depuis juillet dernier. Même si des juristes affirment le contraire, on est bien dans une situation de vide constitutionnel puisque rien n’est prévu pour une telle situation. Elire un président de la république permettrait donc de renouer avec la légalité et le fonctionnement normal des institutions.

Oui, mais voilà. Un scrutin présidentiel n’a rien d’anodin en Algérie. Le pays serait un État de droit, même imparfait, on pourrait souscrire à l’idée d’une telle élection. Mais nous savons tous ce que voter signifie en l’état des choses. Depuis les funestes élections législatives de décembre 1991, aucun scrutin n’a été organisé dans des conditions d’équité et de transparence. La question est donc simple : qui garantit aux Algériennes et aux Algériens que cette élection présidentielle tant souhaitée par le vice-ministre de la défense sera conforme aux règles, jusque-là très théoriques. Disons-le autrement : qui peut assurer aux manifestants du Hirak, et à celles et ceux qui les soutiennent, que cette élection présidentielle ne se résumera pas à l’élection d’un nouveau Bouteflika ou d’un nouveau Chadli ? C’est-à-dire d’un homme qui ne cherchera guère à réformer le système politique algérien et qui maintiendra en l’état la superstructure qui encage le pays depuis l’indépendance.

A la limite, une présidentielle pourrait être un grand moment démocratique dans la vie du pays. Ce serait l’occasion pour les uns et les autres de débattre, de juger les programmes, d’avancer des idées nouvelles pour sortir le pays du marasme. Mais personne n’est dupe et même les plus naïfs ne se font aucune illusion. S’il y a une élection présidentielle, il y aura « le » candidat et les autres. Il y aura celui qui passera sans cesse à la télévision nationale et les autres qui n’auront que quelques miettes. Il y aura celui qui sera encensé par la valetaille qui nous expliquait, il y a un an à peine, la nécessité d’un cinquième mandat de Bouteflika et ceux qui seront accusés de servir des intérêts occultes. Il y aura celui qui dépassera les 50% des suffrages, voire les 80%, dès le premier tour et les autres qui se contenteront de quelques centiles.

Réclamer une transition pour réformer le système électoral, exiger la mise à jour des listes, revendiquer une autorité indépendante de supervision des élections, n’est pas un caprice d’enfant gâté. Ce n’est pas une manœuvre de traître inféodé à on ne sait quelle puissance étrangère qui voudrait aggraver l’état, déjà calamiteux, de l’Algérie. C’est une exigence patriotique et responsable. Que ses partisans soient mis en cause et gravement accusés en dit long sur le refus du général Gaïd Salah d’accepter une réforme politique dont l’Algérie a pourtant un grand besoin.

Depuis plusieurs mois, les multiples arrestations de responsables divers et d’hommes d’affaires ont montré à quel point le pays est malade et miné de l’intérieur. Une telle corruption n’est pas le seul fait des hommes. Elle est le corollaire d’un système qui permet de telles déprédations. Mettre en prison les coupables ne suffira pas. C’est le système dans toute sa profondeur qu’il faut réformer car leurs remplaçants sont déjà dans les starting-block. Une élection présidentielle donnera l’illusion d’un nouveau départ. En réalité, elle ne fera que prolonger, sous d’autres formes, l’ordre ancien.
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