Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 30 janvier 2018

La jeunesse palestinienne ne s’avoue pas vaincue

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A lire dans Le Monde diplomatique
Février 2018, pages 4 et 5, en kiosques​ 
Renouvellement de l’engagement politique
La jeunesse palestinienne ne s’avoue pas vaincue
par Akram Belkaïd & Olivier Pironet 
La décision de M. Donald Trump de reconnaître Jérusalem en tant que capitale d’Israël, le 6 décembre dernier, a aggravé l’échec du « processus de paix » et provoqué d’importantes manifestations en Cisjordanie et à Gaza. Une contestation durement réprimée par Israël, qui multiplie les incursions militaires et les arrestations. Les jeunes Palestiniens, y compris des mineurs, sont les premiers visés. Nombre d’entre eux rompent avec les formes de militantisme de leurs aînés.
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jeudi 25 janvier 2018

Editorial, Manière de Voir Palestine : Duplicité arabe, impasse palestinienne

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Akram Belkaïd et Olivier Pironet
Manière de Voir
Février - Mars 2018


LLa décision, le 6 décembre 2017, du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem en tant que capitale d’Israël n’a pas simplement remis en cause un statu quo en vigueur depuis plusieurs décennies à propos du statut de la Ville sainte. Elle a aussi souligné la duplicité de nombre de gouvernements arabes. Certes, aucun d’entre eux n’a manqué de voter en faveur de la résolution de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) qui a (implicitement) condamné l’initiative américaine. De même, la Ligue arabe envisageait de demander à l’ONU la reconnaissance internationale d’un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale. Mais, au-delà d’un effet d’affichage, principalement destiné à leurs opinions publiques, Washington a bien pris note de l’absence d’autres manifestations concrètes de la réprobation des régimes arabes.

La suite est à lire ici : Duplicité arabe, impasse palestinienne


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La chronique du blédard : Nom et prénom

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

Au milieu des années 1990, Lotfi Belhassine, patron et fondateur de la compagnie aérienne Air Liberté décide de jeter l’éponge.  Non pas qu’il s’agisse, pour ce franco-tunisien au verbe haut, d’abandonner les affaires. Son renoncement est tout autre. Malgré ses efforts et ceux des communicants qu’il emploie, l’affaire est perdue. Les rédactions parisiennes, pourtant dûment briefées (et régulièrement chapitrées), persistent à l’appeler « Lofti » et d’imprimer ainsi son prénom. Aujourd’hui encore, pour la présentation de l’un de ses livres sur le site internet d’un grand distributeur culturel français, il est question d’un certain « Lofti » [Belhassine] qui, dès son départ de Tunisie, « a tout de suite voulu conquérir la France. »

Je me souviens d’un confrère parisien, spécialiste du secteur aérien, à qui j’avais fait remarquer que son article, pourtant passé par son rédacteur chef, un éditeur, un secrétaire de rédaction et un correcteur, recelait la fameuse inversion de consonnes. « Oh, Lotfi, c’est compliqué. Loft, lofti…, c’est plus simple. » fut sa réponse agacée. Le mal orthographié, lui, relevait que ce problème ne se posait pour lui qu’en France. Ni en Belgique, ni en Suisse ni au Canada francophone et encore moins dans le monde anglophone où le politiquement correct impose une vigilance totale sur la manière de prononcer les noms « exotiques » et de les retranscrire.

Qu’il s’agisse de l’entendre ou de le lire, un nom (ou un prénom) écorché suscite presque toujours de l’irritation quand ce n’est pas de la colère. Vous voulez énerver quelqu’un ? Modifiez son nom pendant une discussion. L’effet sera saisissant. Je me souviens d’un séminaire regroupant journalistes et chercheurs du bassin méditerranéen. Cela se passait à Marseille. Soudain, au beau milieu des débats, une jeune femme s’est levée et a quitté la salle avec fracas. Son prénom, Isma, était systématiquement transformé en Oussama par le président de séance. Je ne pense pas qu’il y avait malveillance mais juste l’expression de l’une de ces pensées secrètes qui émergent parfois à la surface... Un proche vivant en France a connu cela quelques semaines après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Sur un chèque de remboursement, un pharmacien avait écrit « Belqaïda » en lieu et place de notre patronyme… Méchanceté ? Trouble du moment ? Allez savoir. Je me souviens aussi d’un colloque au sénat français avec la présence de l’économiste et homme politique marocain Fathallah Oualalou. De la part du président de séance et de certains autres intervenants à la tribune, ce fut un festival. « Oulou », « Oulaloui » ou bien alors « Fadalah ». Au début, rires et sourires. A la fin, de la gêne…

Votre présent chroniqueur n’échappe pas à ces altérations scripturales. Akram ? Non, certains préfèrent (allez savoir pourquoi) ajouter un h. Akhram, doit mieux sonner… Idem pour Belkaïd qui devient au fil des courriels Belkhaïd. Ça vient du sud, c’est arabe ? Dans le doute, on ajoute donc un h… (je vous passe un épisode récent sur France culture où la journaliste, très « pro » avec des tonnes de fiches, m’a appelé pendant plus d’une heure : Belaïd, Belaïm ou je ne sais quoi encore…). Ailleurs, j’ai aussi bénéficié de variantes telles Ackra (de morue ?), Akan (influence serbe ?) et même Akim (effet bande dessinée ?). Mais il n’y a pas qu’en France que cela m’arrive. En Tunisie, malgré la pièce d’identité présentée, ou le nom plusieurs fois épelé, je réalise souvent, effaré, que le fonctionnaire ou l’employé a retranscris mon nom comme il le prononce. J’ai donc eu droit, dans des papiers officiels, à Bilkayed ou même à Belgayed… On imagine sans mal la somme d’efforts (et de patience) qu’il faut déployer par la suite pour corriger tout cela.

L’un de mes amis n’en peut plus de la manière dont on prononce son prénom. « Ils m’appellent tous ‘Moustapha’. Je ne peux pas les obliger à prononcer mon prénom à l’algérienne en disant Mestapha mais au moins qu’ils disent Mustapha, ce serait déjà bien » m’explique-t-il. Pour le consoler, je lui raconte qu’un camarade d’origine ukrainienne sait très bien de quoi l’on parle. Son nom, Ostrogradski, lui revient sous diverses formes et divers sons. Ses copains qu’il fréquente depuis l’école primaire ont trouvé la solution : ils l’appellent « Osto ». Il s’y est habitué et il lui arrive même de se présenter ainsi.

Je relevais dans ce qui précède que ce qui tout touche à nos patronymes est toujours sensible. Le plus souvent, les erreurs ne sont ni méchantes ni intentionnelles. Il y a bien sûr un peu de désinvolture, de l’incapacité à imaginer que le concerné peut vraiment mal le vivre. Un manque d’empathie, donc. Voire de générosité. Mais il y a des cas où l’altération est volontaire et elle relève de mauvaises intentions. Il y a quelques semaines, commentant l’exclusion de la journaliste Rokhaya Diallo du Conseil national numérique, un journaliste français, bien peu inspiré, a ainsi réécrit son prénom en « Rakhaya ». Un changement de voyelle qui renvoie au terme de racaille. Sachant que Diallo est la cible permanente d’attaques racistes en provenance de la fachosphère, j’ai du mal à penser qu’il ne s’agit que d’une simple erreur.

Addenda : Depuis la publication de cette chronique, je reçois en retour nombre d’exemples vécus. « Meryem » qui devient systématiquement « Myriam », « Moulay » qui devient « Mulet ». A suivre…
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Manière de Voir : PALESTINE.

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Un peuple, une colonisation
Coordonné par Akram Belkaïd et Olivier Pironet

Depuis 1948 et la création de l’Etat d’Israël, les Palestiniens n’ont jamais cessé de combattre pour défendre leur terre et leur droit à vivre dans un État indépendant et souverain. Malgré une résistance opiniâtre, leur histoire contemporaine se confond avec une longue liste de défaites, de déconvenues mais aussi d’oppression et de punitions collectives. Aujourd’hui encore, alors que le « processus de paix », né de l’accord d’Oslo de 1993, a échoué, vivre sous la domination israélienne est synonyme d’humiliations mais aussi de rivalités et de divisions politiques surtout quand la violence, parfois fratricide, s’impose entre les deux grands partis palestiniens.

Censée être le porte-voix des aspirations de son peuple, l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas est vouée à un écart constant entre condamnation de l’occupation et politique conciliatrice, notamment sur le plan sécuritaire. De son côté le Hamas, au pouvoir à Gaza depuis une dizaine d’années, est à bout de souffle.


Cette livraison de Manière de voir revient dans une première partie sur les origines et l’historique du conflit israélo-palestinien ainsi que sur ses évolutions récentes. La deuxième partie donne à voir les réalités de l’occupation coloniale des territoires palestiniens tandis que la dernière se penche sur les implications internationales d’un affrontement qui n’en finit pas. Particularité de cette livraison, on trouvera à l’intérieur une carte-affiche légendée décrivant les difficultés des Palestiniens à circuler librement sur leur propre sol, réalisée à partir des dernières données disponibles et des témoignages de Palestiniens.


​(8,5 euros, en kiosque le mercredi 24 avril​, disponible aussi - avec les anciens numéros- sur www.monde-diplomatique.fr/mdv)
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mardi 23 janvier 2018

La chronique du blédard : Céline, les musulmans et l’antisémitisme

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

Je relève souvent dans les médias français des affirmations à l’encontre de peuples du sud et de l’est de la Méditerranée qui me laissent songeur. J’y vois l’expression condensée de ce que l’on pourrait qualifier de vision asymétrique où celui du nord regarde son voisin du sud avec, non seulement, de la condescendance mais aussi de la défiance et une mise en accusation systématique à propos de certains sujets épineux. L’un d’entre eux concerne l’antisémitisme. Avant de poursuivre, ouvrons une parenthèse importante afin d’éclairer le lecteur sur ce terme. Si l’on reprend la définition donnée par l’encyclopédie en ligne Wikipédia, l’antisémitisme « est le nom donné de nos jours à la discrimination et à l'hostilité manifestées à l'encontre des Juifs en tant que groupe ethnique, religieux ou racial. Il s'agit, dans son acception originelle telle que formulée vers la fin du 19ème siècle, d'une forme de racisme se voulant scientifique, dirigée spécifiquement contre les Juifs (et non contre les peuples sémites, groupe linguistique) ». Ainsi, dire « je suis sémite, je ne peux donc pas être antisémite » n’a aucune pertinence. Il s’agit ici d’un racisme visant les Juifs et il n’appartient pas à cette chronique de discuter ce terme. Prenons-le donc dans son acceptation habituelle de racisme anti-Juif. Fin de la parenthèse.

De manière régulière je tombe sur cette affirmation selon laquelle Mein Kampf, le livre d’Adolf Hitler est « un best-seller dans le monde arabe » (une variante : « un best-seller dans le monde musulman » (*). Un best-seller ? Rien que ça ? Combien d’exemplaires ? Des centaines de milliers ? Des millions ? On ne sait pas. On trouve bien quelques chiffres, notamment une version pirate publiée en Turquie (80 000 exemplaires dans un pays de plus de 80 millions d’habitants…) mais le flou demeure. Personne de censé ne va nier que la judéophobie et l’antisémitisme existent dans le monde arabo-musulman. Les deux alimentent les pires démons et d’effroyables pulsions sans oublier les inévitables obsessions complotistes. Mais affirmer, sans en donner la moindre preuve, que Mein Kampf est un best-seller relève d’une mise en accusation générale. C’est censé donner la preuve que l’antisémitisme y est collectif, partagé et érigé en manière consensuelle de penser.

Au Maghreb et au Machrek, j’entre autant que je peux dans les librairies. Je n’y ai vu qu’une seule fois une édition en langue arabe de Mein Kampf. C’était en Egypte et le libraire d’Alexandrie me confia qu’il n’en vendait guère un ou deux exemplaires par mois. Avait-il le droit de le faire ? « Ce n’est pas interdit mais ce n’est pas vraiment autorisé non plus », fut sa réponse sibylline. De mémoire, mais je peux me tromper, je ne pense pas qu’un éditeur algérien, tunisien ou marocain ait pris l’initiative de publier un tel torchon. Mais l’idée reçue est là. A Paris on vous l’assène telle une vérité qui ne souffre d’aucune contestation : Au Maghreb, comme dans le reste du monde arabe, les rayons des libraires crouleraient sous le poids des ouvrages antisémites. Pire, ces derniers seraient même exposés en vitrine au vu et au su de tout le monde.

J’ai repensé à tout cela en prenant connaissance des propos d’Antoine Gallimard, le très puissant et influent patron de la maison d’édition éponyme, dans le quotidien Le Monde (**). Renonçant, en raison de la polémique qu’a fait naître ce projet, à publier les pamphlets antisémites de l’écrivain Céline, il estime, pour se dédouaner, qu’« aujourd’hui, l’antisémitisme n’est plus du côté des chrétiens mais des musulmans, et ils ne vont pas lire les textes de Céline. » Relisons plusieurs fois cette déclaration. Que nous dit-elle ? D’abord, que les musulmans seraient les vrais et seuls antisémites de notre époque. Autrement dit, le monde chrétien, au passif très lourd en la matière, ne peut plus être suspecté. La méthode Coué…  Ensuite, que la publication de ces écrits ne devrait pas poser de problème puisque les seuls antisémites qui existeraient encore, c’est-à-dire les musulmans, ne lisent pas Céline… On reste pantois devant un tel mépris et une telle stigmatisation. Les musulmans ? Antisémites, certes, mais incultes...

La polémique née du projet de nouvelle publication de Bagatelles pour un massacre (1937), L’École des cadavres (1938) et Les Beaux draps (1941) - pourtant facilement accessibles sur Internet ou chez les bouquinistes parisiens de bord de Seine… – offre la possibilité d’une énième instrumentalisation de la question de l’antisémitisme dans le monde arabo-musulman. Mais il y a pire. Un certain Frédéric Vitoux, académicien de son état, explique dans les colonnes de l’hebdomadaire l’Obs - qui le présente comme un « fervent admirateur et biographe de Céline » - qu’il a toujours refusé de donner des conférences sur Céline « dans des pays du Maghreb où il existe un antisionisme d’Etat » (***). Là aussi, que faut-il comprendre et qu’est-ce qui est suggéré ? Qu’antisionisme signifie automatiquement antisémitisme ? Que les universitaires et étudiants du Maghreb, parce qu’ils soutiennent – pour la plupart - la Palestine, ne sont pas dignes de bénéficier des travaux et réflexions (d’un académicien, s’il vous plait !) sur Céline car cela aggraverait leurs mauvais penchant ? On en est là…


(*) Les Inrockuptibles, 5 décembre 2015. Lire aussi « Les éditions pirates de "Mein Kampf" foisonnent dans le monde musulman », Le Point, 11 janvier 2016.
(**) 13 janvier 2018.
(***) La nouvelle affaire Céline, 4 janvier 2018.
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La chronique économique : Un échec nommé A380

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 Le Quotidien d’Oran, mercredi 16 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

Airbus cesserait de produire l’A380 si jamais Emirates, la compagnie aérienne de Dubaï, ne passe pas une nouvelle commande. C’est, pour résumer, la situation dans laquelle se trouve l’avionneur européen dont on ne cesse d’ausculter la santé financière. Et dont il se dit qu’il est dans une position des plus délicates en raison à la fois d’affaires de corruption actuellement instruites par la justice mais aussi en raison, justement, de ses déboires dans la commercialisation de son gros porteur.

Peu d’appareils vendus

A son lancement au seuil des années 2000, l’A380 avait à la fois emballé les spécialistes du marché aérien mais il avait aussi suscité maintes interrogations. Comment un tel géant allait être accueilli par les compagnies aériennes ? Les aéroports allaient-ils consentir les modifications nécessaires pour accueillir un tel monstre ? Les réponses sont désormais connues. Si cet appareil a de nombreux fans, à commencer par les passagers qui apprécient sa stabilité et son confort, il faut bien convenir qu’il s’agit bien d’un échec commercial.

Sans l’apport déterminant d’Emirates, qui a acheté près de 100 Airbus A380 – et dont le fabricant espère une commande de 42 aéronefs supplémentaires – le programme aurait été un fiasco total. En effet, la compagnie du Golfe compte presque pour près de la moitié (44%) des achats fermes. Or, au début des années 2000, Airbus entendait en vendre 1200 sur vingt ans en profitant notamment du marché de remplacement des Boeing 747 (le fameux jumbo jet lancé dans les années 1960). Au final, seules 317 ventes fermes ont été réalisées. Pourquoi un tel échec alors que le programme promettait tant ?

Dans une analyse détaillée, le spécialiste du secteur aérien Fabrice Gliszczynski énumère toutes les raisons (*) : concurrence féroce du B777-ER de Boeing, lequel a raflé le marché du remplacement du B747, soucis industriels qui virent Airbus livrer avec beaucoup de retard ses premiers appareils (et donc à consentir des rabais importants) et multiples incidents exogènes ayant un effet direct sur le secteur aérien (attentats du 11 septembre 2001, crise financière de 2008, etc.).

On peut aussi relever que le fait d’avoir reposé toute sa stratégie de lancement sur une seule compagnie a finalement desservi Airbus. Certes, Emirates a permis au programme de se concrétiser et de bénéficier d’une vitrine séduisante. Mais, dans le même temps, on peut se demander si cela n’a pas encouragé nombre de compagnies à se différencier en préférant le B777-ER. De même, les tensions apparues entre la compagnie du Golfe et le constructeur au moment des retards de livraison a entretenu un feuilleton médiatique qui n’a fait que desservir l’appareil. Il y a eu des moments où Emirates aurait certainement pu faire preuve de plus de retenue dans l’expression de ses critiques et de ses impatiences et cela du fait de son statut de compagnie de lancement.

Soutien politique insuffisant

Enfin, on ne saura peut-être jamais quelle fut l’incidence de la structure polycéphale d’Airbus. Et cela notamment sur le plan de l’aide politique. Dans ses efforts commerciaux, Boeing a toujours bénéficié d’un soutien sans faille de la Maison-Blanche. Qu’il s’agisse de l’administration Bush ou celle d’Obama, la diplomatie américaine a toujours soutenu l’avionneur et pesé de tout son poids pour que tel ou tel pays incite sa compagnie publique à opter pour le B777. Airbus fait la fierté des Européens mais ses dirigeants ont souvent regretté le manque d’empressement des capitales du vieux continent sans compter celui de la Commission européenne.

(*) Airbus A380, les raisons d’un échec, Latribune.fr, 16 janvier 2018
[mise à jour : une nouvelle commande de 36 appareils a été passée par Emirates, annonce faite le 21 janvier 2018]
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mercredi 17 janvier 2018

La chronique du blédard : Féminisme et servitude

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 11 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

La règle est connue et elle est universelle. A chaque fois que des femmes agissent pour revendiquer plus d’égalité et de respect, il s’en trouvera toujours d’autres pour adopter des postures contraires et endommager les acquis en la matière (ne parlons pas des réactions masculines empreintes de dénégation, d’hostilité et même de violence). C’est ce qui vient de se passer en France avec cette pitoyable pétition d’une centaine de femmes, dont l’actrice Catherine Deneuve, défendant la « liberté » des hommes « d’importuner » [des femmes] et estimant que « la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste. »

Il y a plusieurs ingrédients dans ce genre de prise de position. Le premier consiste à faire parler de soi en adoptant une posture contraire à l’air du temps ou à ce qui semble couler de source. On pensait, à tort, que l’opprobre déclenché par l’affaire Weinstein était unanime et aboutirait à une prise de conscience salvatrice. On notera, au passage, que, contrairement au monde artistique, médical ou politique, certains secteurs d’activité ont curieusement été épargnés par les révélations et les scandales. C’est le cas, par exemple, de l’université et de ses mandarins omnipuissants mais, soyons-en sûr, cela finira par venir. Passons. Opprobre, donc mais relative.

Le second élément dans cette pétition relève d’une erreur de jugement. A aucun moment, les mobilisations du « me too » n’ont visé à mettre tous les hommes en accusation ou à remettre en cause la liberté sexuelle. Ce n’est pas une tentative de prise de pouvoir féministe. Comme il sied à ce genre d’affaires, il y a eu bien sûr quelques opportunismes de bon aloi et de nombreuses maladresses. Je pense notamment à ce texte circulant sur les réseaux sociaux et sommant tous les hommes d’avouer leurs fautes passées en matière de harcèlement si ce n’est plus. Mais l’un dans l’autre, l’idée était d’abord de libérer la parole et de faire prendre conscience de l’ampleur du problème. Il fallait faire reculer les porcs. Il faut encore le faire.

Le harcèlement des femmes, pour ne parler que de lui, est un phénomène planétaire. Il touche aussi bien les pays occidentaux que le reste. Le dénoncer, n’est en rien un excès. Bien au contraire. J’avoue ne pas comprendre la démarche de Catherine Deneuve et de ses cosignataires. Au nom de la liberté, elles en arrivent à adopter une attitude réactionnaire et hostile à la cause des femmes. Comment peut-on accepter le fait d’être importunée ? En quoi est-ce normal ? Souhaitable ? Et, dès lors, comment peut-on croire qu’une limite, claire et distincte, puisse être tracée entre l’importun et l’agresseur.  Si on suit la logique de cette pétition, un homme qui suit une femme avec insistance sur plusieurs centaines de mètres serait donc libre de le faire. C’est en réalité le cas puisqu’aucune loi ne le lui interdit. Or l’acte en question, cette pratique de drague lourde, invasive, est surtout quelque chose que la morale et la société doivent réprouver. Les Algériennes, pour qui marcher dans la rue est souvent un calvaire, peuvent en témoigner.

L’égalité des sexes n’est pas un sujet simple. C’est à la fois un combat constant et une source de tension y compris quand on est engagé en faveur de la parité, du respect mutuel et de l’égalité des droits. Difficile, quand on est un homme, de comprendre que beaucoup de choses qui paraissent évidentes relèvent en réalité de la chape patriarcale et donc fondamentalement inégale. Exemple : combien d’entre-nous considèrent – ou considéraient – comme normal le fait que la plupart des tâches ménagères reviennent aux femmes ? Il est évident que le féminisme est parfois desservi par des propos outranciers mais ces derniers sont minoritaires même s’ils sont brandis à tout va par les machistes, les misogynes et celles qui les défendent. D’ailleurs, pourquoi le font-elles ? Qu’est-ce que cela traduit comme angoisse ? Comme besoin de servitude ?

En lisant la liste des signataires on ne peut s’empêcher de tiquer. Il ne s’agit pas de Deneuve même si on rappellera qu’on traita jadis avec indulgence ses comptes sordides avec le « golden boy » algérien Khalifa (de l’argent donné en cash dans les toilettes, quelle misère, mais quelle misère…). Il y a donc dans cette liste de « signatrices » des femmes très présentes sur la scène médiatique et que l’on voit réagir quand il s’agit – pardonnez-moi ce résumé lapidaire – de dénoncer les agissements sexistes des « mâles racisés », comprendre les Noirs et les Arabes, notamment de banlieue. Là, pour le coup, point d’indulgence ni de relativisme. Pour dire les choses autrement, ça se mobilise après la fameuse affaire de Cologne, ça exige des réactions fermes contre les agresseurs (ce qui est normal même si on sent bien que la charge fut l’occasion idéale pour mettre tous les musulmans dans le même paquet). Par contre, après l’affaire Weinstein, ça fait la moue, ça tergiverse, ça fait appel à la mesure, ça défend la sexualité, la galanterie... Bref, deux poids, deux mesures.
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La chronique économique : Obsolescence programmée

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 10 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

Un réfrigérateur, plutôt neuf, qui tombe soudain en panne. Une imprimante, neuve elle aussi, qui ne fonctionne plus et que l’on ne peut pas réparer. Une cartouche d’encre à moitié pleine mais que l’on ne peut plus utiliser. Un téléphone portable dont la batterie lâche sans crier gare… Les exemples sont nombreux et ils témoignent d’une donne qui n’est certes pas nouvelle (elle remonte aux premiers temps de la société de consommation) mais qui a tendance à s’amplifier. Il s’agit de l’obsolescence programmée, autrement dit de la manière dont les fabricants font en sorte que tel ou tel de leurs produits ait une durée de vie limitée. Le but est évident : doper les ventes en poussant le consommateur à opter pour une solution de remplacement.

Société de consommation

Mais les fabricants ont poussé le bouchon trop loin. En France comme aux Etats-Unis d’Amérique, des enquêtes ou des procédures collectives de consommateurs visent des sociétés comme Apple ou Epson. A chaque fois, c’est le soupçon d’une stratégie délibérée d’obsolescence qui justifie ces actions. Bien entendu, les concernés se défendent d’une telle intention. Apple, par exemple, admet bien (c’est une première) que ses mises à jour peuvent ralentir les anciennes versions de ses iphones. Mais, selon la firme américaine, ce serait pour « augmenter leur durée de vie » en raison d’une plus forte sollicitation des batteries au lithium. On est prié de ne pas rire…

L’obsolescence programmée témoigne de l’emballement de la société de consommation mais aussi du capitalisme. Pour soutenir le cours en Bourse de leurs actions, nombre de sociétés technologiques sont obligées de présenter de nouveaux produits chaque année. Et pour les vendre, il faut déprécier les plus anciens (et tant pis pour l’environnement car ce petit jeu fait exploser les quantités de déchets technologiques). Ces entreprises peuvent aussi parier sur l’effet mode en faisant en sorte de ringardiser les vieux modèles. Mais, face aux résistances des consommateurs, à leur attachement à leur modèle ou bien encore à leur volonté de faire des économies, c’est la technologie « négative » qui entre en jeu, celle qui réduit la durée d’utilisation des objets. Et l’affaire prend une tournure encore plus scandaleuse quand ces mêmes firmes s’arrangent pour garder un monopole sur les réparations et les facturer à prix presqu’égal à celui du renouvellement. Toute personne ayant possédé un Smartphone dont la batterie ne fonctionne plus comprendra aisément ce qui précède…

Un délit


Vendre un produit, autre qu’alimentaire ou pharmaceutique, dont la durée de vie est délibérément limitée devrait être considéré comme étant un délit. C’est une vraie atteinte aux droits du consommateur. Pour l’heure, le lobbying des firmes concernées demeure efficace et il n’y a pas encore eu de condamnation qui pourrait faire jurisprudence. Dans cette affaire, c’est donc le comportement de l’acheteur qui pourrait faire la différence. Certains l’ont compris, qui refusent, par exemple, les mises à jours de leurs téléphones ou de leurs ordinateurs (ce qui parfois les expose à de vrais risques de sécurité informatique). D’autres, recherchent les produits de fabricants plus respectueux (il en existe), ou au moins ceux qui permettent l’émergence d’un marché ouvert pour la réparation des objets qu’ils commercialisent. L’autre piste consiste à ne louer que le service offert par un produit sans avoir à l’acquérir. Cela ne répond pas à tous les besoins mais cela diminue le nombre d’achats nécessaire. On peut enfin décider qu’il est temps de soutenir les mouvements de décroissance ou de croissance contrôlée en acceptant de ne pas être à la page avec du matériel ancien.
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mercredi 10 janvier 2018

La chronique du blédard : Du bonheur

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 4 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

Qui est heureux en ce début d’année ? Cette question, d’apparence anodine, ouvre la voie à de multiples réflexions. Et la première d’entre elles consiste à se demander ce qu’est le bonheur. Le sujet n’est pas simplement affaire de philosophes et d’élèves de Terminale. Les économistes s’en mêlent depuis longtemps, peut-être parce que leur discipline fut très tôt surnommée la « science triste (ou lugubre) » (dismal science) par l’historien et écrivain écossais Thomas Carlyle (1795-1881).

Répondant à mes bons vœux de début d’année, un économiste me dit qu’il ne faut souhaiter aux gens que ce qui ne s’achète pas. Et selon lui, le bonheur en fait partie. Et les recherches en économie confortent cette thèse même si l’on a tous en tête le fameux adage selon lequel l’argent contribue tout de même au bonheur à défaut de le créer. Car bénéficier de hauts niveaux de revenus ne signifie pas forcément une félicité permanente. Loin de là. La nature humaine fait que, souvent, toute amélioration du statut social n’a que des effets temporaires. Le mécanisme est simple, on s’habitue vite à sa nouvelle situation - les revenus anciens ne sont plus qu’un souvenir  - et, dès lors, on a surtout tendance à la comparer avec d’autres cas jugés équivalents ou meilleurs. Bref, on voulait plus pour soi puis vient le moment où l’on veut plus que les autres. Et ainsi de suite…

Les réseaux sociaux, et notamment Facebook et Instagram, sont le terrain idéal pour observer une variante de ce genre de comportement. Exemple : une photo publiée à partir d’une île paradisiaque sert ainsi deux objectifs : d’abord, se rassurer en affichant un signe extérieur de réussite. « Je suis là, c’est cher, j’ai réussi donc je suis heureux… ». Signifier ensuite à la « concurrence » (proches ou inconnus) qu’elle a fort à faire pour se mettre à niveau : « alors, qui est capable de faire autant ou mieux ? ». On se demande souvent pourquoi les traders boursiers vont si loin en matière de prise de risques et de recherche du gain. Au-delà des thèses habituelles sur l’addiction à l’adrénaline, l’une des explications est la recherche du plus haut bonus possible. Et à quoi sert le bonus ? A acquérir ce que le collègue, et rival, du floor possède déjà, ne possède pas ou envisage de posséder. Et cette quête dans le dépassement du rival (ou supposé tel) peut vraiment créer l’affliction d’autrui. En août 2013, une étude publiée dans la revue scientifique PLOS affirmait que le réseau social Facebook rend ses utilisateurs malheureux. Plus son usage est important plus le degré de satisfaction dans la vie décline...

Andrew Oswald, économiste à l’université de Warwick proposait au milieu des années 2000 de taxer la consommation ostentatoire réservée à une minorité de riches ou de revenus aisés afin d’accroître le bonheur collectif d’un peuple. On ne définit pas la jalousie ou l’envie par des équations mais il est intéressant de relever que, pour ce chercheur, ces deux sentiments négatifs sont à la base de toute réflexion sur le bonheur. Qui sait, peut-être faudra-t-il un jour taxer les internautes qui ne cessent de publier des posts illustrant leur réussite matérielle, qu’elle soit réelle ou mise en scène.

Plus sérieusement, il est impossible de favoriser un bonheur collectif dans un contexte d’aggravation des inégalités et d’augmentation des écarts entre revenus. C’est la spirale dans laquelle de nombreux pays sont engagés. A celles et ceux qui s’en sortent et dont le bonheur est plus ou moins affecté par la situation, il est proposé de compenser cela en agissant via la charité mais sans remettre en cause un système structurellement inégalitaire.

Mais revenons à la question de départ et réduisons le champ de l’interrogation à l’Algérie, du moins à une partie de sa société, plus précisément les classes moyennes ou ce qu’il en reste aujourd’hui. Signifions au lecteur qu’il ne s’agit ici que d’impressions et d’observations éparses et que l’affaire mérite une plus ample enquête sociologique de terrain. Dans ce pays malheureux, le bonheur est affaire de limitation, de restriction et de huis clos. Dans un contexte social extrêmement difficile, le bien-être est question de limitation au maximum des rapports avec l’extérieur. Un repli (tactique) sur un périmètre réduit, connu et maîtrisé.

Un repas entre amis, une ville, toujours la même que l’on ne cesse d’arpenter, une virée à Timimoun, l’intégrale d’une série visionnée en un week-end, un bon livre, sont certainement des moyens universels pour alléger la charge mentale des uns et des autres. Mais en Algérie, cela prend une autre dimension. Dans un contexte où tout le monde, responsables compris, a des critiques à faire entendre, on se dit que le bonheur consiste alors à créer un sas entre soi et le réel état du pays. C’est vivre en s’aménageant quelques ilots de plénitude en ignorant, ou en feignant de le faire, le panorama général. C’est faire siens, en les adaptant, les mots de Beckett dans « Fin de partie » : Vous êtes en Algérie, c’est sans remède (« Vous êtes sur terre, c’est sans remède » dans la version originale). A suivre… et bonne et heureuse année aux lecteurs et à toute l’équipe du Quotidien d’Oran.
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mardi 9 janvier 2018

La chronique de l’économie : Numérisation et emploi

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 3 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris

Les robots tueront-ils l’emploi ? On connaît le débat à propos du couplage entre robotisation et intelligence artificielle et de ses conséquences. Pas un jour ne passe, sans un dossier spécial sur ce thème avec de nombreuses craintes exprimées et des prédictions toujours très alarmistes. L’humanité serait-elle engagée dans une voie dangereuse où, demain, le travail n’appartiendra qu’à une minorité de privilégiés tandis que la majorité sera cantonnée aux aides ou aux tâches subalternes ? Les robots, sous toutes leurs formes, nous remplaceront-ils dans la grande majorité des tâches, qu’elles soient répétitives ou délicates à mener (comme par exemple un diagnostic médical ou la lecture d’une radiographie).

L’exemple d’ABB

Le sujet reste ouvert mais le pire n’est pas forcément inéluctable. Dans un entretien accordé à la presse suisse dominicale, Peter Voser, le président du groupe industriel zurichois ABB esquisse des pistes intéressantes et pour le moins inattendues. Selon lui, la numérisation tant honnie présente tout de même quelques avantages importants dont une contribution positive en matière de baisse des délocalisations (et donc de lutte contre le chômage). Le mécanisme est simple. Avec des robots, on améliore la productivité et, surtout, on peut agir sur la production avec plus de flexibilité.

Peter Voser cite ainsi l’exemple d’une usine d’ABB en Allemagne (site de Manheim) où la numérisation a permis un gain de 30% de la productivité et où la chaîne de fabrication permet désormais de faire sortir des séries limitées de moins de 100 appareils. Dans ce cas précis, les robots sont programmés et pilotés par des travailleurs ultra-qualifiés. La taille réduite de la série permet à ABB de s’adapter à des demandes individualisées ou à viser un segment particulier de clientèle. Et cela sans passer par la traditionnelle recherche des coûts faibles de main-d’œuvre pour financer de grandes séries (et amortir ainsi les coûts de fabrication et de conception).

La numérisation peut donc, dans certains cas, permettre de rapprocher le lieu de fabrication et le lieu de vente. Du coup, cela permet de maintenir de l’emploi voire d’en créer. Bien entendu, il faut se garder d’en faire une règle absolue. Les délocalisations sont loin d’avoir cessé au cours de ces dernières années. Il faudra attendre encore un peu avant de conclure que le robot sauve l’emploi local.

L’enjeu de la formation


Mais quelle que soit l’évolution, le patron d’ABB insiste sur un point fondamental. Pas de numérisation efficace sans formation. Et il ne s’agit pas, selon lui, du simple parcours académique mais bien de ce qui vient après. Pour Voser, deux seuils de retours « à l’école » sont désormais identifiés. Entre 35 et 40 ans mais aussi, et c’est peut-être le plus important, à 50 ans. Pour le premier seuil, les mentalités sont habituées à une telle exigence. Par contre, imaginer des formations à 50 ans, alors que dans nombre de pays c’est l’âge où les employeurs cherchent à faire partir les intéressés en pré-retraite, relèvera d’un grand changement de paradigme. Mais on le sait, rien ne semble pouvoir arrêter la robotisation. Cela rend donc indispensable la réflexion sur les questions de formation continue et de recyclage.
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lundi 1 janvier 2018

La chronique du blédard : 2017

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 28 décembre 2017
Akram Belkaïd, Paris

A chaque fin d’année, sa rétrospective et ses bêtisiers. Il y a quelques jours, une amie m’a demandé quels étaient les événements qui m’ont semblé importants en 2017. Voici, résumé et corrigé, ce que fut le fruit de ma réflexion à ce sujet. L’année qui se termine restera d’abord marquée par l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la république française. Ce fut la victoire d’un novice en politique, quasi-inconnu des électeurs un an à peine avant le rendez-vous électoral, jeune, bien plus jeune que le reste du personnel politique. Je l’ai déjà écrit mais il n’y a aucun problème à se répéter : la victoire de Macron a totalement déstabilisé l’échiquier politique français. On voit bien que ce dernier peine à se recomposer et que toutes sortes d’alliances ou de trahisons sont possibles. La décantation prendra du temps. Mais une chose est certaine, ce ne sont pas les plus démunis ni les couches populaires qui bénéficieront du mandat macron… En somme, et pour faire court, un gouvernement de riches pour les riches.

Pour ce qui me concerne, ce n’est pas tant cette élection qui restera marquante mais bien ce qui s’est joué entre les deux tours. On se souvient que Marine Le Pen, comme son père, s’était qualifiée pour le round final. Nombre d’opposants à Macron ont alors décidé de ne pas aller voter, fustigeant ou moquant celles et ceux qui se préparaient à faire un choix par défaut. Ces derniers, il faut le dire aussi, n’étaient pas en reste et ont vertement critiqué les abstentionnistes du second tour. Pour ma part, ce fut un moment douloureux. La désinvolture – notamment de certains gens de gauche - face au risque Le Pen, aussi minime fut-il, a été très instructive. Une leçon pour l’avenir… Extrait d’une chronique qui fit grand bruit à l’époque (et à laquelle je ne changerai rien aujourd’hui) : « Et quand ils [les amis abstentionnistes] me demandent pourquoi je vais tout de même me déplacer aux urnes pour faire obstacle à Le Pen, je réponds qu’il est bien plus facile de finasser et d’avoir des états d’âmes quand on s’appelle Jean-Luc, Clémentine, Charlotte ou Alexis que lorsqu’on se prénomme Karim, Ousmane, Jacob, Latifa, Rachel ou Aminata. Contrairement à celles et ceux qui relativisent la menace frontiste – et qui estiment pouvoir se passer de voter -, ces derniers savent que le Front national au pouvoir représente pour eux, via nombre de ses électeurs et sympathisants, une menace physique immédiate. Et cela suffit comme raison pour s’y opposer. » (1)

L’actualité, c’est aussi et surtout le Proche-Orient. Donald Trump n’en finit pas d’empiler les bûches et les explosifs qui préparent une nouvelle déflagration de grande ampleur. L’Iran est dans la ligne de mire de cette administration atypique, où tous les pouvoirs ou presque sont concentrés (nombre d’ambassades américaines, et non des moindres, attendent toujours leur premier locataire). De même, et ce n’est pas une surprise, la Maison Blanche vient de mettre fin à plusieurs décennies d’hypocrisie et de fausse impartialité en prenant le parti d’Israël en ce qui concerne le statut de Jérusalem et donc les contours, s’il venait à exister (ce qui est loin d’être gagné), du futur Etat palestinien. En 2018, Trump et ses alliés chercheront à faire plier une Autorité palestinienne (si peu farouche) en lui vendant un « plan de paix » qui mènera, au mieux, à la création de bantoustans plutôt qu’un Etat souverain.

La nouveauté au Proche-Orient, c’est tout de même l’activisme débridé de l’Arabie saoudite ou, plutôt du prince héritier Mohamed Ben Salman dit « MBS ». Avec lui, ça part dans tous les sens et presque jamais pour le meilleur. Poursuite de la guerre au Yémen (silence honteux et complice des Occidentaux qui essaient vaille que vaille de justifier cette horreur), séquestration de personnalités saoudiennes fortunées au nom d’une soudaine lutte contre la corruption (en réalité, une extorsion de fonds) et même d’un premier ministre étranger, en l’occurrence celui du Liban, obligé de lire une lettre de démission (oubliée sitôt rentré chez lui). Activisme débridé donc, mais à la fois brutal, brouillon et inconséquent comme en témoigne cette volonté d’obliger les Palestiniens du Liban à créer des milices capables de s’opposer au Hezbollah... (2) Où va l’Arabie saoudite ? Question cruciale pour 2018.

Fait-il parler de l’Algérie dans cette courte rétrospective. Oui et non. Non, parce qu’il ne s’y passe rien de fondamental, ou presque. D’année en année, le même constat, le même accablement, la même attente que les choses bougent enfin dans le bon sens. Oui, parce qu’il s’y est tout de même passé deux choses importantes. D’abord, la chasse aux migrants. Une honte. Une douleur aigue et la marque de la fin définitive d’une époque. Ensuite, le bouillonnement qui s’empare jour après jour de la Kabylie. Comment ne pas être inquiet ? Les unions sacrées sur fond de contestation identitaire pouvaient fonctionner par le passé et être « gérées » sans trop de problèmes. Par les temps qui courent, au vu du contexte régional et international, ce genre d’outil est non seulement désuet mais dangereux. C’est tout simplement une boîte de pandore.

Impossible enfin de terminer ce texte sans parler (un peu) de football. 2017, ce fut la « remontada » du Barça contre le PSG (6 buts à 1 après un pitoyable 0-4 au Parc des princes). Disons simplement que ce fut l’un des rares bons moments procurés par le ballon rond. Le foot est de moins en moins agréable à suivre mais ce sera le moindre des tracas pour 2018.

(1) « La chronique du blédard : Voter Macron ? Oui, hélas… », Le Quotidien d’Oran, jeudi 27 avril 2017.
(2) « Why Saad Hariri Had That Strange Sojourn in Saudi Arabia », Anne Barnard et Maria Abi-Habib, New York Times, 24 décembre 2017