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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 20 août 2017

La chronique du blédard : Après Hiroshima…

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 août 2017
Akram Belkaïd, Paris

Il y a quelques jours, la chaîne de télévision Arte a diffusé un documentaire exceptionnel à propos du bombardement atomique de la ville japonaise d’Hiroshima (*), le 6 août 1945. On y apprend, par exemple, que la première cible des Américains était à l’origine la ville de Kyoto, ancienne capitale impériale, objectif finalement abandonné pour ne pas détruire un site d’une grande richesse culturelle et historique. Ce fut donc Hiroshima qui paya le prix de la volonté américaine de montrer au monde entier, à commencer par l’ex-URSS, la puissance destructrice de sa nouvelle arme. Le documentaire rappelle ainsi ce que nombre d’historiens ont déjà prouvé : le Japon était vaincu militairement et aurait, de toutes les façons, capitulé sans même subir une invasion. En d’autres termes, la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki étaient inutiles. Des négociations étaient d’ailleurs en cours avec les alliés, ces derniers ayant étrangement refusé de garantir le maintien de l’empereur en cas de capitulation (ce qui obligeait les Japonais à continuer le combat).

Le film de la réalisatrice Lucy Van Beek met aussi en exergue deux points peu connus. Le premier, concerne le rôle ambigu, pour ne pas dire suspect, du commandement militaire japonais (lequel savait que les Américains disposaient d’une bombe de grande puissance). Bien que repéré près de cinq heures avant qu’il n’atteigne les côtes japonaises, le bombardier B29, le tristement célèbre « Enola Gay », porteur de la bombe atomique n’a subi aucune tentative d’interception de la part de la chasse japonaise. Le même scénario s’est répété lors de la destruction de Nagasaki. Il est dommage que le documentaire n’ait pas creusé plus en avant ce thème. Qu’espéraient les militaires japonais ? Que de tels bombardements mobilisent la population et la pousse à soutenir le jusqu’au-boutisme de ses chefs ? Que ces deux massacres de civils fassent oublier ce dont l’armée japonaise s’était rendue coupable depuis les années 1930 en Asie ?

Le second point est lié au comportement des Américains dans les semaines, les mois et les années qui ont suivi les deux bombardements. Contrairement à une idée reçue, les survivants de la bombe n’ont pas été soignés et n’ont pas reçu les traitements adéquats par la puissance occupante. Ils ont surtout servi de cobayes pour la plus grande et la plus longue étude sur les effets des radiations menée par des scientifiques américains. On savait que ces survivants ont vécu l’opprobre des leurs, ne pouvant trouver du travail ou ne pouvant se marier (le film Pluie noire de Shōhei Imamura (1989), inspiré du roman homonyme de Masuji Ibuse montre bien quel fut le sort de ces « hibakusha »). On ignorait néanmoins la manière inhumaine dont ils furent traités par les autorités d’occupation.

Les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki ne sont rien d’autre que des crimes de guerre. Ils peuvent même être qualifiés de terrorisme d’Etat et de crimes contre l’humanité. Le débat, à ce sujet, est loin d’être clôt mais ce documentaire démonte nombre d’arguments qui légitiment ces attaques. Deux villes industrielles, sans importance stratégique militaire, ont été rayées de la carte et des dizaines de milliers de civils ont été tués sans oublier les centaines de milliers de blessés qui ont survécu au prix de terribles souffrances. Et sans être cynique, même à considérer que le bombardement d’Hiroshima était nécessaire, comment justifier celui de Nagasaki, trois jours plus tard, alors que le peuple japonais n’avait pas pris la mesure de ce qui venait de se passer ? Le documentaire de Van Beek relève que ce second bombardement n’avait pour but que de tester une bombe au plutonium, la première, celle d’Hiroshima étant à l’uranium.

Pour autant, les Etats-Unis refusent encore de demander pardon au Japon comme l’ont montré les circonvolutions oratoires de Barack Obama lors de sa visite à Hiroshima en mai 2016. Il n’y a rien d’étonnant à cela. A y regarder de plus près, Hiroshima et Nagasaki sont la pierre angulaire du comportement américain en matière de relations internationales et de stratégie militaire. Si l’on veut comprendre les bombardements massifs du Vietnam, ceux d’Afghanistan ou d’Irak, il suffit de le relier à la date fondatrice du 6 août 1945. La guerre pour la guerre (et pour la bonne fortune du complexe militaro-industriel), et la fin justifiant tous les moyens.

Plus de soixante-dix ans plus tard, il est un autre point qui mérite réflexion. Comment un peuple qui a tant souffert de ces deux bombardements atomiques criminels a-t-il pu aussi vite pardonner ? Comment se fait-il qu’un sentiment anti-américain ne soit pas omniprésent dans le Japon d’aujourd’hui ? Et, qu’au contraire, toute une partie de la jeunesse de ce pays semble totalement pro-américaine (à l’image aussi de la jeunesse vietnamienne). Certes, ce pays a souvent été présenté comme revanchard grâce à ses performances économiques (dans le discours occidental des années 1980, le Japon était affublé du rôle dévolu aujourd’hui à la Chine). Certes, de temps à autres, le Japon semble pris par des poussées de révisionnisme qui le poussent à nier ou à minimiser ses propres crimes de guerre comme en témoigne les polémiques récurrentes autour de visites d’officiels au sanctuaire shinto de Yasukuni à Tokyo (où reposent les restes de 14 criminels de guerre). Mais cela ne suffit pas à expliquer un tel retournement favorable que le terme Nichibei (« le Japon et les Etats-Unis ») décrit en partie (**). A quel moment, et pourquoi, la haine et la colère ont-elles cédé le pas à des sentiments amicaux ? Est-ce que, finalement, ces bombardements ont été vécus comme le prix à payer pour faire oublier (pardonner) les crimes de l’armée impériale japonaise comme, par exemple, le massacre de Nankin (1937-1938) en Chine ? Enfin, quelles leçons pouvons-nous en tirer dans notre rapport à la France et au passé colonial ?


(*) Hiroshima, la véritable histoire, Lucy Van Beek, 2014.

(**) Courrier international, 13 octobre 1994.
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

L'important ce n'est pas ce qu'on a fait de nous, mais, ce que nous faisons de ce qu'on a fait de nous. Cesaire
Relire Aimé Cesaire et Baldwin