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Le Quotidien d'Oran, jeudi 11 août 2011
par Akram Belkaid: Paris
Y'a eu Renaud avant lui, y'a eu Antoine qui l'a précédé. Ils ont été récupérés, lavés et recyclés. La société les a matés et ils ont fini par s'agenouiller. Espérons pour lui que ça ne lui arrivera jamais, qu'ils ne l'auront pas et qu'il tirera le premier. Je veux parler de Hadadi Kaddour, alias HK, et de son groupe, Les Saltimbanques. Ancien du groupe rap Ministère des affaires populaires (MAP), cet enfant de Roubaix est actuellement l'un des meilleurs artistes de la scène française. L'écouter une seule fois, c'est l'adopter. C'est se dire que, Dieu merci, il y a encore des créateurs qui osent, innovent et s'engagent malgré un océan de nullités et de crétineries musicales qui font honte au pays de Brassens, Ferrat et Ferré.
Commençons par citer la chanson phare de son premier (double) album intitulé «Citoyens du monde». Cette chanson contestataire au rythme nerveux s'appelle «On lâche rien» et son refrain a été scandé à l'automne dernier par nombre de manifestants contre la réforme des retraites mitonnée par Nicolas Sarkozy et son gouvernement. Extrait (avec la musique, c'est mieux) : «Du fond d'ma cité HLM / Jusque dans ta campagne profonde / Not' réalité est la même / Et partout la révolte gronde / Dans c'monde on n'avait pas not' place / On n'avait pas la gueule de l'emploi / On n'est pas né dans un palace / On n'avait pas la CB à papa / SDF, chômeurs, ouvriers / Paysans, immigrés, sans papiers / Ils ont voulu nous diviser / Il faut dire qu'ils y sont arrivés / Tant qu'c'était chacun pour sa gueule / Leur système pouvait prospérer / Mais il fallait bien qu'un jour on s'réveille / Et qu'les têtes s'remettent à tomber/ ON LACHE RIEN !».
Ne rien lâcher, c'est ce qui motive HK. Pas uniquement sur la question des retraites mais sur d'autres fronts où la gauche, du moins celle qui prétend pouvoir gouverner (suivez mon regard
) fait bien pâle figure. A l'heure où se dire antiraciste provoque ricanements et mises en accusation, à l'heure où dire que le monde ne peut plus continuer ainsi avec autant d'inégalités mène à se faire traiter de naïf ou de dangereux gauchiste, à l'heure où UMP et Parti socialiste c'est kif-kif bourricot à propos des questions sociales, à l'heure où on peut aller en prison pour avoir donné un repas chaud à un sans-papier, à l'heure où protester contre le sort des sdf et des sans-abris équivaut à hurler contre les sirènes hurlantes de la com' gouvernementale, il est bon d'entendre les paroles de Hadadi Kaddour.
Extrait numéro deux (là encore, avec la musique, c'est bien mieux) : «A c'qui parait la France va bien, alors pourquoi j'tire la tronche / D'ailleurs tout l'monde doit être heureux vu qu'y a plus personne qui bronche / Il vaudrait mieux que j'me taise ou alors que j'fasse semblant / De croire enfin à leurs foutaises, et qu'j'dise merci au président (...
) Si y a des clochards en France c'est bien qu'ils l'ont choisi / Si ils préfèrent être SDF c'est une question de mode de vie / Si les restos du cœur font l'plein, c'est qu'y a plein de profiteurs / Si y a autant d'chômeurs ici c'est qu'les Français sont des glandeurs».
Dans ce double-album, l'engagement d'HK résonne dans presque toutes ses compositions. Il chante ainsi Jérusalem («Al-Qods»), revendique une «identité internationale» - chanson qui mériterait d'être dédié au duo Hortefeux-Guéant - et se paie avec brio la tête du mari de Carla Bruni dans une chanson («Ma parole») que l'on n'est pas près d'écouter sur les grandes radios, chaque jour, un peu plus verrouillées. Extrait numéro trois, toujours sans musique, j'en suis désolé : «Oh peuple de France, je n'te mentirai pas / Je n'te trahirai pas, je n'te décevrai pas / Comme je disais l'autre soir à mon vieil ami Johnny / Je vais te redonner l'envie d'avoir envie / Je fais des miracles comme une sorte de messie / J'ai fait revenir d'outre-tombe Mireille Mathieu et cie / Si tu es malade, donne-moi la main, tu seras guéri pour de bon / Mais si tu ne veux pas que je te touche, hé bien casse-toi pauv' con !».
Reggae, rock, raï, rap, chants kabyles, tango et folklore sud-américain, rythmes africains, chaâbi algérois, malouf constantinois mais aussi bal musette et chants populaires de France : tout cela se retrouve de manière harmonieuse dans la musique d'HK et des Saltimbanques qui l'accompagnent. A ce sujet, et sans vouloir faire de jaloux, mentions spéciales à Manuel Paris pour ses jeux de guitare, à Saïd «Toufik» Zarouri, grand «ambianceur» avec ses «walou» dans «On lâche rien», à Nacera Mesbah et au groupe Tighri Uzar (la voix des racines) pour leurs chœurs notamment dans «La maman». Une chanson à la fois festive, dansante et même drôle mais ô combien tendre et émouvante car elle dit bien des choses à propos de ces mères venues du sud de la Méditerranée et dont certaines ont vécu dans la détresse et l'impuissance le fait que leurs fils prennent de mauvais chemins.
Extrait numéro quatre (sans la musique et, hélas, sans l'accent aussi
) : «Ya mon fils ! Vraiment je comprends pas / Moi, je t'ai donné toujours l'amour / J'ai occupé de toi, tous les jours / Pourquoi la police, elle vient chez moi / J'ai occupé de toi tous les jours / Pourquoi la police, elle parle comme ça ?».
De la (très) bonne musique, de bons arrangements, des textes qui veulent dire quelque chose et que l'on se surprend à chantonner toute la journée, des rythmes entraînants : voilà donc un album à ne pas rater. Terminons en mentionnant trois gros tubes potentiels qui, si le monde de la promo musicale n'était pas aussi sclérosé, devraient déjà cartonner sur toutes les ondes et sous tous les cieux. Le premier, «Salam Alaykoum», est un hymne à l'hospitalité qui parlera à toutes celles et tous ceux qui ont quitté leur pays, de manière définitive ou pour quelques jours à peine. Le deuxième, «On s'ra jamais les Beatles», est un excellent rock, un brin désabusé, qui dit bien comment passion peut rimer avec galère mais n'est-ce pas là une marque temporaire, on l'espère du talent ? Enfin, le troisième tube s'intitule «Niquons la planète» (c'est HK qui le dit, pas moi !), monument de dérision que les grands pollueurs pourraient adopter comme devise. Pas sûr pourtant que ça plaise aux écolos qui n'aiment pas qu'on s'amuse avec ce genre de chose. Pas sûr non plus que les parents apprécient que leurs bambins reprennent ce refrain en riant aux éclats mais ils sauront être indulgents car on pardonne tout à la bonne zik
P.S : Le présent chroniqueur remercie, en son nom et celui de ses lecteurs, le distingué linguiste du vieux-Ténès pour lui avoir fait découvrir cet artiste et sa musique.
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