Le Quotidien d'Oran, jeudi 22 août 2013
Akram Belkaïd, Paris
Il fait beau. Très beau même. La chaleur est maîtresse des lieux et le bleu du ciel triomphe comme rarement. La montagne semble paisible et accueillante. Inoffensive même. Parée du vert de ses forêts et pâturages, des plaques blanches encore accrochées à ses sommets, elle se laisse parcourir par des groupes de marcheurs, sacs de victuailles et de boissons aux dos et bâtons de randonnées à la main. On entend crisser leurs chaussures hautes dans la pierraille grise, on perçoit leur souffle court et leurs traits tirés disent combien les dénivelés les font souffrir. Ce soir, ils dormiront du meilleur sommeil, celui que procurent les corps courbaturés. En voici d'autres qui déjeunent au pied d'un immense bloc d'ardoise dominé par d'impressionnantes aiguilles de granit. Un petit réconfort avant le dernier effort, celui de la montée finale.
Sur la pente, les uns et les autres se croisent, se saluent et s'encouragent. On dirait des fourmis sillonnant le dos d'un géant endormi. Celui qui descend, bassin cambré et mollets en feu, sait ce qui attend celui qui, dos plié et bouche ouverte, monte à petits pas mais il ne lui en dit rien. Ou presque. Deux cent mètres d'ascension abrupte, ensuite un faut-plat puis encore un raidillon avec, au bout, la récompense. Une cabane flétrie par les vents d'hiver, une vue imprenable sur la vallée, des bouquetins ou bien encore une colonie de marmottes siffleuses. Tout cela pour ça. Pour voir. Pour dire y avoir été. L'avoir fait. Deux mille cinq cent mètre. Trois mille cent ! Qui dit mieux ? Un peu de repos, un pique-nique vite avalé, quelques détritus ramassés ou, hélas, éparpillés, et il est temps de redescendre vers les alpages d'été. Beaucoup le font sans même remercier la montagne pour son hospitalité et sa bienveillance. Sans même se rendre compte qu'ils n'ont été que tolérés. Sans même avoir pris conscience de leur insignifiance en traversant les casses désertes façonnées par les éboulis et les avalanches. Sans même avoir compris que ces lieux commandent le silence et l'humilité. Sans même réaliser pourquoi c'est dans les montagnes que se réfugient les prophètes et les ermites.
Mais dort-elle vraiment, cette montagne ? Car il flotte comme un avertissement, une mise en garde discrète. Oh, rien de vraiment précis. Juste quelques signes précurseurs. Un petit frémissement. Un léger souffle, des feuilles rondes qui se mettent à trembloter de plus en plus vite. Une odeur particulière qui pique le nez. L'odeur de la terre avant d'être arrosée, celle de l'air sec qui s'emplit peu à peu d'humidité. Une fraicheur soudaine qui précède les premiers nuages. D'ailleurs, d'où viennent-ils ces nuages d'abord laiteux puis sombres comme la robe d'un corbeau ? D'où sortent-ils pour être apparus aussi vite, sans même avoir été portés par le vent ?
Plic-ploc. Une goutte, puis deux. Une petite ondée en guise de préambule. Quelqu'un a certainement offensé la montagne et sa colère ne fait que commencer. Très vite, viennent éclairs et grondements de tonnerre. Il ne fait plus jour. Le soleil s'est sauvé, le vent n'est plus plaintes, il est hurlements. La pluie n'est plus fine averse mais déluges se déversant par baquets. Et voici un autre crépitement. Des rafales de billes blanches qui s'abattent dans un fracas assourdissant tandis que le ciel noir est zébré de traits lumineux. La grêle mitraille l'ardoise et cherche à percer les gros blocs de pierre bleue. Au loin, une sourde explosion. Quelque part, la foudre est tombée.
Combien de temps cela va-t-il durer ? Personne ne sait. La prudence commande de s'abriter et d'attendre. S'accroupir entre deux rochers, serrer les dents et ne pas se soucier de l'eau glacée qui a perforé les vêtements et qui ruisselle sur le visage et dans le dos. Surtout ne pas marcher, ne pas courir, ne pas se dresser. Il faut guetter le grésillement, semblable à ce bruit d'abeilles, qui annonce l'imminence de la foudre. Il faut aussi chasser les pensées qui engendrent la panique. Celles qui susurrent que tout ce déchaînement va s'aggraver et qu'il faut reprendre sa marche pendant qu'il est temps, avant que la nuit ne s'installe définitivement. Et, piégé pour piégé, on doit alors réaliser sa chance, oui sa chance, et se dire que rares sont ceux à qui il a été donné d'assister à pareil spectacle.
Vient enfin l'accalmie. Elle aussi est précédée par de petits signes. Une trouée dans le ciel. La grêle qui s'interrompt. Un oiseau qui se remet à chanter, heureux peut-être d'annoncer la fin de l'orage. Le vent qui tombe et la pluie qui s'espace. Il faut alors se remettre en marche. Le pas rapides et les yeux rivés aux cimes incertaines. Mais la frayeur est passée et même la nature exhorte à l'apaisement. La terre et la rocaille ont bu l'eau du ciel et il ne reste guère que quelques flaques et la verse de l'herbe pour témoigner de ce qui vient de se passer. L'atmosphère est cristalline et l'air paraît plus pur. Pendant l'orage, la montagne est terrible car transformée - et non défigurée- par la colère. Une fois calmée, elle n'en est que plus majestueuse et c'est presqu'avec regret que l'on redescend vers la vallée.
Sur la pente, les uns et les autres se croisent, se saluent et s'encouragent. On dirait des fourmis sillonnant le dos d'un géant endormi. Celui qui descend, bassin cambré et mollets en feu, sait ce qui attend celui qui, dos plié et bouche ouverte, monte à petits pas mais il ne lui en dit rien. Ou presque. Deux cent mètres d'ascension abrupte, ensuite un faut-plat puis encore un raidillon avec, au bout, la récompense. Une cabane flétrie par les vents d'hiver, une vue imprenable sur la vallée, des bouquetins ou bien encore une colonie de marmottes siffleuses. Tout cela pour ça. Pour voir. Pour dire y avoir été. L'avoir fait. Deux mille cinq cent mètre. Trois mille cent ! Qui dit mieux ? Un peu de repos, un pique-nique vite avalé, quelques détritus ramassés ou, hélas, éparpillés, et il est temps de redescendre vers les alpages d'été. Beaucoup le font sans même remercier la montagne pour son hospitalité et sa bienveillance. Sans même se rendre compte qu'ils n'ont été que tolérés. Sans même avoir pris conscience de leur insignifiance en traversant les casses désertes façonnées par les éboulis et les avalanches. Sans même avoir compris que ces lieux commandent le silence et l'humilité. Sans même réaliser pourquoi c'est dans les montagnes que se réfugient les prophètes et les ermites.
Mais dort-elle vraiment, cette montagne ? Car il flotte comme un avertissement, une mise en garde discrète. Oh, rien de vraiment précis. Juste quelques signes précurseurs. Un petit frémissement. Un léger souffle, des feuilles rondes qui se mettent à trembloter de plus en plus vite. Une odeur particulière qui pique le nez. L'odeur de la terre avant d'être arrosée, celle de l'air sec qui s'emplit peu à peu d'humidité. Une fraicheur soudaine qui précède les premiers nuages. D'ailleurs, d'où viennent-ils ces nuages d'abord laiteux puis sombres comme la robe d'un corbeau ? D'où sortent-ils pour être apparus aussi vite, sans même avoir été portés par le vent ?
Plic-ploc. Une goutte, puis deux. Une petite ondée en guise de préambule. Quelqu'un a certainement offensé la montagne et sa colère ne fait que commencer. Très vite, viennent éclairs et grondements de tonnerre. Il ne fait plus jour. Le soleil s'est sauvé, le vent n'est plus plaintes, il est hurlements. La pluie n'est plus fine averse mais déluges se déversant par baquets. Et voici un autre crépitement. Des rafales de billes blanches qui s'abattent dans un fracas assourdissant tandis que le ciel noir est zébré de traits lumineux. La grêle mitraille l'ardoise et cherche à percer les gros blocs de pierre bleue. Au loin, une sourde explosion. Quelque part, la foudre est tombée.
Combien de temps cela va-t-il durer ? Personne ne sait. La prudence commande de s'abriter et d'attendre. S'accroupir entre deux rochers, serrer les dents et ne pas se soucier de l'eau glacée qui a perforé les vêtements et qui ruisselle sur le visage et dans le dos. Surtout ne pas marcher, ne pas courir, ne pas se dresser. Il faut guetter le grésillement, semblable à ce bruit d'abeilles, qui annonce l'imminence de la foudre. Il faut aussi chasser les pensées qui engendrent la panique. Celles qui susurrent que tout ce déchaînement va s'aggraver et qu'il faut reprendre sa marche pendant qu'il est temps, avant que la nuit ne s'installe définitivement. Et, piégé pour piégé, on doit alors réaliser sa chance, oui sa chance, et se dire que rares sont ceux à qui il a été donné d'assister à pareil spectacle.
Vient enfin l'accalmie. Elle aussi est précédée par de petits signes. Une trouée dans le ciel. La grêle qui s'interrompt. Un oiseau qui se remet à chanter, heureux peut-être d'annoncer la fin de l'orage. Le vent qui tombe et la pluie qui s'espace. Il faut alors se remettre en marche. Le pas rapides et les yeux rivés aux cimes incertaines. Mais la frayeur est passée et même la nature exhorte à l'apaisement. La terre et la rocaille ont bu l'eau du ciel et il ne reste guère que quelques flaques et la verse de l'herbe pour témoigner de ce qui vient de se passer. L'atmosphère est cristalline et l'air paraît plus pur. Pendant l'orage, la montagne est terrible car transformée - et non défigurée- par la colère. Une fois calmée, elle n'en est que plus majestueuse et c'est presqu'avec regret que l'on redescend vers la vallée.
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