Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 janvier 2018
Akram Belkaïd, Paris
Je relève souvent dans les médias français des affirmations à l’encontre de peuples du sud et de l’est de la Méditerranée qui me laissent songeur. J’y vois l’expression condensée de ce que l’on pourrait qualifier de vision asymétrique où celui du nord regarde son voisin du sud avec, non seulement, de la condescendance mais aussi de la défiance et une mise en accusation systématique à propos de certains sujets épineux. L’un d’entre eux concerne l’antisémitisme. Avant de poursuivre, ouvrons une parenthèse importante afin d’éclairer le lecteur sur ce terme. Si l’on reprend la définition donnée par l’encyclopédie en ligne Wikipédia, l’antisémitisme « est le nom donné de nos jours à la discrimination et à l'hostilité manifestées à l'encontre des Juifs en tant que groupe ethnique, religieux ou racial. Il s'agit, dans son acception originelle telle que formulée vers la fin du 19ème siècle, d'une forme de racisme se voulant scientifique, dirigée spécifiquement contre les Juifs (et non contre les peuples sémites, groupe linguistique) ». Ainsi, dire « je suis sémite, je ne peux donc pas être antisémite » n’a aucune pertinence. Il s’agit ici d’un racisme visant les Juifs et il n’appartient pas à cette chronique de discuter ce terme. Prenons-le donc dans son acceptation habituelle de racisme anti-Juif. Fin de la parenthèse.
De manière régulière je tombe sur cette affirmation selon laquelle Mein Kampf, le livre d’Adolf Hitler est « un best-seller dans le monde arabe » (une variante : « un best-seller dans le monde musulman » (*). Un best-seller ? Rien que ça ? Combien d’exemplaires ? Des centaines de milliers ? Des millions ? On ne sait pas. On trouve bien quelques chiffres, notamment une version pirate publiée en Turquie (80 000 exemplaires dans un pays de plus de 80 millions d’habitants…) mais le flou demeure. Personne de censé ne va nier que la judéophobie et l’antisémitisme existent dans le monde arabo-musulman. Les deux alimentent les pires démons et d’effroyables pulsions sans oublier les inévitables obsessions complotistes. Mais affirmer, sans en donner la moindre preuve, que Mein Kampf est un best-seller relève d’une mise en accusation générale. C’est censé donner la preuve que l’antisémitisme y est collectif, partagé et érigé en manière consensuelle de penser.
Au Maghreb et au Machrek, j’entre autant que je peux dans les librairies. Je n’y ai vu qu’une seule fois une édition en langue arabe de Mein Kampf. C’était en Egypte et le libraire d’Alexandrie me confia qu’il n’en vendait guère un ou deux exemplaires par mois. Avait-il le droit de le faire ? « Ce n’est pas interdit mais ce n’est pas vraiment autorisé non plus », fut sa réponse sibylline. De mémoire, mais je peux me tromper, je ne pense pas qu’un éditeur algérien, tunisien ou marocain ait pris l’initiative de publier un tel torchon. Mais l’idée reçue est là. A Paris on vous l’assène telle une vérité qui ne souffre d’aucune contestation : Au Maghreb, comme dans le reste du monde arabe, les rayons des libraires crouleraient sous le poids des ouvrages antisémites. Pire, ces derniers seraient même exposés en vitrine au vu et au su de tout le monde.
J’ai repensé à tout cela en prenant connaissance des propos d’Antoine Gallimard, le très puissant et influent patron de la maison d’édition éponyme, dans le quotidien Le Monde (**). Renonçant, en raison de la polémique qu’a fait naître ce projet, à publier les pamphlets antisémites de l’écrivain Céline, il estime, pour se dédouaner, qu’« aujourd’hui, l’antisémitisme n’est plus du côté des chrétiens mais des musulmans, et ils ne vont pas lire les textes de Céline. » Relisons plusieurs fois cette déclaration. Que nous dit-elle ? D’abord, que les musulmans seraient les vrais et seuls antisémites de notre époque. Autrement dit, le monde chrétien, au passif très lourd en la matière, ne peut plus être suspecté. La méthode Coué… Ensuite, que la publication de ces écrits ne devrait pas poser de problème puisque les seuls antisémites qui existeraient encore, c’est-à-dire les musulmans, ne lisent pas Céline… On reste pantois devant un tel mépris et une telle stigmatisation. Les musulmans ? Antisémites, certes, mais incultes...
La polémique née du projet de nouvelle publication de Bagatelles pour un massacre (1937), L’École des cadavres (1938) et Les Beaux draps (1941) - pourtant facilement accessibles sur Internet ou chez les bouquinistes parisiens de bord de Seine… – offre la possibilité d’une énième instrumentalisation de la question de l’antisémitisme dans le monde arabo-musulman. Mais il y a pire. Un certain Frédéric Vitoux, académicien de son état, explique dans les colonnes de l’hebdomadaire l’Obs - qui le présente comme un « fervent admirateur et biographe de Céline » - qu’il a toujours refusé de donner des conférences sur Céline « dans des pays du Maghreb où il existe un antisionisme d’Etat » (***). Là aussi, que faut-il comprendre et qu’est-ce qui est suggéré ? Qu’antisionisme signifie automatiquement antisémitisme ? Que les universitaires et étudiants du Maghreb, parce qu’ils soutiennent – pour la plupart - la Palestine, ne sont pas dignes de bénéficier des travaux et réflexions (d’un académicien, s’il vous plait !) sur Céline car cela aggraverait leurs mauvais penchant ? On en est là…
(*) Les Inrockuptibles, 5 décembre 2015. Lire aussi « Les éditions pirates de "Mein Kampf" foisonnent dans le monde musulman », Le Point, 11 janvier 2016.
(**) 13 janvier 2018.
(***) La nouvelle affaire Céline, 4 janvier 2018.
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1 commentaire:
Comme disait céline, justement, "l'imposture est la déesse des foules!" à l'époque.... mais toujours et encore plus d'actualité aujourd'hui...
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