Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 mai 2018
Akram Belkaïd, Paris
Le monde est tel que les Etats Unis veulent
qu’il soit. Cette affirmation peut paraître exagérée et semble vouloir disculper
la responsabilité d’autres grandes nations mais les récents développements du
dossier du nucléaire iranien viennent de nous rappeler que l’Amérique fait
souvent ce qui lui plait, quand cela lui plait, et que c’est l’ensemble de la
planète qui doit en subir les conséquences. Ce fut déjà relevé quand le
président Donald Trump a décidé de manière unilatérale que son pays sortirait
de l’accord de Paris sur le climat. Bien sûr, cet accord suit toujours son
chemin, vaille que vaille, mais sa portée est clairement réduite avec le
retrait de l’un des premiers pollueurs mondiaux.
Aujourd’hui, Trump vient de saboter ce que
l’on pensait être l’un des rares points diplomatiques positifs de la décennie
en cours. En 2015, après des mois de négociations secrètes, d’incertitudes et
de tensions, les Etats Unis s’engageaient dans un accord historique avec
l’Iran. Pour une fois, Américains, Russes, Chinois et les autres (Français,
Britanniques et Allemands) parlaient d’une même voix. Même s’il convient de
garder à l’esprit qu’il fut aussi le président de la guerre à outrance par
l’usage de drônes (bien plus que son prédécesseur George W. Bush), cet accord
de juillet 2015 fut l’une des réussites d’Obama (on notera aussi que la
décision américaine de ne pas intervenir contre le régime d’Assad en fut aussi
le prix à payer).
Avec Trump, revient l’air de la guerre. Non
seulement son pays se retire de l’accord sur le nucléaire iranien mais toute
entreprise, qu’elle soit européenne, africaine ou autre, sera punie par
Washington si elle mène des affaires en dollars avec l’Iran. Pourquoi ?
Parce que c’est ainsi. C’est la loi du plus fort, le véritable ordre
international. La guerre donc. On dira que cette dernière est bien installée
dans la région. Que ce qui se passe en Syrie est déjà une calamité et que l’on
n’a pas fini de payer les conséquences de ce drame. C’est vrai. Mais que dire
de ce qui se profile ? La décision de Trump ne casse pas simplement un
accord tout en empêchant des entreprises non-américaines de faire des affaires
en Iran. Elle ouvre la voie à un conflit de plus grande dimension. « Il
veut sa guerre » disent nombre de journalistes spécialistes des Etats Unis
à propos de Trump. De son bureau ovale, le locataire de la Maison Blanche
semble penser qu’un conflit se mène aussi facilement que d’envoyer un message
sur les réseaux sociaux. Bush croyait que les soldats américains seraient accueillis
avec des fleurs à Bagdad et Saddam Hussein pensait vaincre l’Iran en quelques
mois. Dans les deux cas, la suite est connue…
La remise en cause de l’accord de juillet
2015 par les Etats Unis crée les conditions propices à un « contexte de
guerre ». Avant d’attaquer l’Iran, directement ou par le biais de ses
alliés dans la région, les Etats Unis vont alimenter les tensions avec Téhéran.
Il y aura des incidents, des menaces et des représailles. La propagande qui
fonctionne à plein régime grâce aux lobbies saoudien et israélien va inonder le
monde d’informations sur les crimes du régime des Mollahs, sur sa dangerosité,
sur sa capacité à détruire ses voisins et, bien sûr, sur sa responsabilité en
matière de terrorisme. Les habituelles personnalités médiatiques vont squatter
colonnes de journaux et plateaux de télévision pour expliquer à quel point
l’Iran est dangereux pour la paix mondiale. On connaît les mécanismes. Une
partie de l’opinion publique renâclera mais le ventre mou, comme à son
habitude, laissera faire.
En 2019, cela fera quarante ans que l’Iran
est mis au ban de la communauté international. Cet immense pays dont les assises
reposent sur une base civilisationnelle vieille de plusieurs milliers d’années,
est quasiment interdit de développement par les Etats Unis et leurs alliés du
Golfe. Car ce qui se joue actuellement ne concerne pas que le dossier du
nucléaire. Comme le dit un jour Jacques Chirac, avant de se reprendre très
vite, personne ne peut croire que la République islamique puisse prendre le
risque de bombarder Israël, qui est une puissance nucléaire à qui personne ne
demande des comptes sur ce sujet. Le régime iranien est détestable mais ceux
qui le dirigent ne sont pas fous. Ils savent que la moindre attaque contre
l’Etat hébreu, qu’elle soit conventionnelle ou non, sera payée au centuple.
En réalité, dans le drame qui se déroule
devant nos yeux, c’est la mise à genou définitive de l’Iran qui est en train de
se jouer. Il ne s’agit pas de verser dans la théorie du complot car le constat
est là. Depuis 2003, et son invasion par les Etats Unis et leurs alliés sous
des prétextes fallacieux, l’Irak est un pays à la dérive, divisé, incapable de
peser sur le plan régional. La Syrie est un gigantesque charnier à ciel ouvert
et son gouvernement, comme ses forces rebelles, ne survivent que grâce au bon
vouloir de puissances étrangères. Reste l’Iran, le « vrai » poids
lourd potentiel du Moyen Orient. Une population nombreuse, jeune et éduquée. Un
territoire vaste, des ressources énergétiques et hydrauliques sans oublier le
plus important : un mouvement fort en faveur du changement. A Washington,
comme à Riyad ou à Tel Aviv, l’objectif est clair et affiché : l’Iran ne
peut être « la » puissance régionale. Et ce n’est pas simplement
qu’une question de régime. Avec ou sans les mollahs au pouvoir, ce pays est
destiné à être mis au pas, affaibli et amoindri.
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