Le Quotidien d'Oran, jeudi 4 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris
C’est une grande et belle page du football qui se tournera fin mai avec le départ de Josep Guardiola du FC Barcelone. En remportant treize trophées en quatre ans (*), dont deux Ligues des champions, l’ancien meneur de jeu de la « dream team » de Johan Cruyff, est désormais l’entraîneur le plus capé du Barça mais aussi d’Espagne. Rarement un homme n’aura imprimé en si peu de temps une telle empreinte sur une formation sportive. Certes, le « plus qu’un club » catalan était déjà une grande équipe avant la nomination du « Pep » en juin 2008. Mais personne ne peut nier que la période 2008-2012 restera comme un sommet en matière de titres mais aussi, et surtout, comme un accomplissement pour ce qui est de la philosophie de jeu.
Car, c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de Guardiola. Dans le monde du football, il existe un grand nombre d’entraîneurs doués et au palmarès respectable. Mais rares sont ceux qui, comme lui, peuvent prétendre incarner une idée bien arrêtée du foot. La plupart de ses confrères s’adaptent aux joueurs dont ils disposent et, le plus souvent, déterminent leur choix tactique en fonction de l’adversaire. Guardiola, lui, s’est inscrit dans la lignée de Cruyff en plaidant pour toujours appliquer la même ligne de jeu, l’essentiel étant, qu’il y ait victoire ou défaite, de rester fidèle à ses principes.
Parmi ces derniers, il y en a qui fonde tout le reste. C’est l’obligation pour les joueurs du Barça de posséder le ballon, de faire en sorte de ne pas le perdre et de le récupérer au plus vite quand il est au pied de l’adversaire (d’où l’importance, peu reconnue, d’un joueur comme Busquets). Dit ainsi, c’est presque en revenir au football de l’enfance, celui de la rue, où les gamins adorent tellement la balle qu’ils ont du mal à s’en séparer… En fait, cette possession du ballon est ce qui structure et équilibre l’équipe. A commencer par la défense dont la manière de jouer est la pierre angulaire de la doctrine Guardiola. Pour l’entraîneur catalan, une bonne défense doit savoir construire et sortir le ballon proprement même en prenant des risques. Elle n’a pas le droit de dégager fort et en l’air ou de bombarder les avants avec de longues passes qui volent au dessus de la tête des milieux de terrain. C’est cela qui conditionne le déclenchement d’une attaque efficace.
Pour Guardiola, comme pour Cruyff, le défenseur se doit donc d’être un joueur à la technique et, à l’intelligence, aussi bonnes que celles des milieux et des attaquants. En effet, sortir de sa zone en construisant, c’est être autant capable de (bien) dribler, de jouer à une ou à deux touches de balle (pas plus), de faire une passe précise ou de réaliser un contrôle compliqué que d’anticiper la prochaine action (et ses alternatives) avant même de recevoir le ballon. C’est cela que l’on inculque aux gamins du centre de formation du Barça. C’est à cette soupe qu’ont été nourris les Messi, Xavi, Iniesta et autres Fabregas.
Et puisque c’est la technique qui prime, le choix du gabarit devient secondaire. Si l’on prend le cas français, aucun club de Ligue 1 n’est capable aujourd’hui de réaliser ou d’imiter ce que fait le Barça. Les défenses y sont robustes mais lourdes, sans imagination ni gros bagage technique. Dans les catégories de jeunes, le défenseur qui se pique de sortir le ballon sans le dégager ou l’envoyer dare-dare vers l’avant se fait durement rappeler à l’ordre quand on ne le renvoie pas sur le banc des remplaçants. Idem chez les professionnels où un Franz Beckenbauer ou, pour rester français, un Marius Trésor, n’auraient pas leur place aujourd’hui.
Ce conditionnement relève d’un « lavage de cerveau » qu’a bien décrit le Marseillais Alou Diarra dans les colonnes du mensuel So Foot (**). « Moi, aujourd’hui, quand je récupère un ballon, je dois tout de suite faire la passe, a-t-il expliqué. On m’a fait un lavage de cerveau. On m’a dit: ‘tu récupères, tu passes.’ Donc je récupère et je passe (…) On m’a formaté ! Moi, je voudrais bien jouer [au] football olé olé, mais ce n’est pas possible. Le football, ce n’est plus du plaisir. C’est du business. On nous formate à faire des choses pour prendre le minimum de risques. Surtout à des postes importants. Moi, j’ai un poste important où je ne peux pas tenter n’importe quoi, n’importe quand. Ce n’est pas par hasard qu’on met moins de buts en France que dans d’autres championnats, hein ! (…) En France, on pense à ne pas perdre avant de penser à gagner. » Un constat que l’on retrouve aussi en Algérie et dans bon nombre de pays arabes et africains où les supposées vertus de la rigueur à l’européenne ont fait d’énormes dégâts en proscrivant la spontanéité mais aussi la fantaisie dans le jeu. Mais ceci est une autre histoire…
Revenons donc à Guardiola. Sa dernière expérimentation consistait à ne jouer qu’avec trois défenseurs (l’équipe évoluant en 3-4-3 ou en 3-1-3-3), ses inspirateurs en la matière étant les Argentins Luis Cesar Menotti, Ricardo La Volpe et Marcelo Bielsa (lequel est en train de montrer toute l’étendue de son talent avec l’Athletic Bilbao). Autant le dire tout de suite, ce schéma n’a pas encore convaincu grand monde. Dans une équipe visiblement émoussée, s’en remettant trop souvent au seul génie de Messi, il a même souvent placé le Barça en situation difficile. Mais on peut d’ores et déjà parier qu’il sera de nouveau tenté par l’entraîneur catalan lorsqu’il reviendra de son congé sabbatique pour rejoindre une nouvelle équipe.
Manchester United ? L’équipe d’Angleterre ? L’AC Milan ? Le PSG ? Le Ghali Mascara ? On verra bien. En tous les cas, il serait surprenant que Guardiola se retire définitivement du circuit. Au milieu des années 2000, alors qu’il venait à peine de terminer sa carrière de joueur, il avait voyagé en Argentine pour rencontrer Bielsa et Menotti afin de leur exposer ses projets de futur entraîneur. « Pourquoi, vous qui connaissez toute la saleté qui entoure le milieu du football, le haut degré de malhonnêteté de certaines personnes, vous tenez tant à y revenir et vous mettre à entraîner ? Vous aimez tant ce sang ? » lui avait demandé Bielsa, dit « le fou » et connu pour sa propension à prendre régulièrement ses distances avec le monde du football. « J’ai besoin de ce sang » aurait alors répondu Guardiola. Inutile de dire que c’est surtout le football qui a besoin de lui…
(*) Quatorze si, d’aventure, le Barça remporte la Coupe d’Espagne (Coupe du roi) le 25 mai prochain face à l’Athletic Bilbao.
(**) Décembre 2011.
Car, c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle de Guardiola. Dans le monde du football, il existe un grand nombre d’entraîneurs doués et au palmarès respectable. Mais rares sont ceux qui, comme lui, peuvent prétendre incarner une idée bien arrêtée du foot. La plupart de ses confrères s’adaptent aux joueurs dont ils disposent et, le plus souvent, déterminent leur choix tactique en fonction de l’adversaire. Guardiola, lui, s’est inscrit dans la lignée de Cruyff en plaidant pour toujours appliquer la même ligne de jeu, l’essentiel étant, qu’il y ait victoire ou défaite, de rester fidèle à ses principes.
Parmi ces derniers, il y en a qui fonde tout le reste. C’est l’obligation pour les joueurs du Barça de posséder le ballon, de faire en sorte de ne pas le perdre et de le récupérer au plus vite quand il est au pied de l’adversaire (d’où l’importance, peu reconnue, d’un joueur comme Busquets). Dit ainsi, c’est presque en revenir au football de l’enfance, celui de la rue, où les gamins adorent tellement la balle qu’ils ont du mal à s’en séparer… En fait, cette possession du ballon est ce qui structure et équilibre l’équipe. A commencer par la défense dont la manière de jouer est la pierre angulaire de la doctrine Guardiola. Pour l’entraîneur catalan, une bonne défense doit savoir construire et sortir le ballon proprement même en prenant des risques. Elle n’a pas le droit de dégager fort et en l’air ou de bombarder les avants avec de longues passes qui volent au dessus de la tête des milieux de terrain. C’est cela qui conditionne le déclenchement d’une attaque efficace.
Pour Guardiola, comme pour Cruyff, le défenseur se doit donc d’être un joueur à la technique et, à l’intelligence, aussi bonnes que celles des milieux et des attaquants. En effet, sortir de sa zone en construisant, c’est être autant capable de (bien) dribler, de jouer à une ou à deux touches de balle (pas plus), de faire une passe précise ou de réaliser un contrôle compliqué que d’anticiper la prochaine action (et ses alternatives) avant même de recevoir le ballon. C’est cela que l’on inculque aux gamins du centre de formation du Barça. C’est à cette soupe qu’ont été nourris les Messi, Xavi, Iniesta et autres Fabregas.
Et puisque c’est la technique qui prime, le choix du gabarit devient secondaire. Si l’on prend le cas français, aucun club de Ligue 1 n’est capable aujourd’hui de réaliser ou d’imiter ce que fait le Barça. Les défenses y sont robustes mais lourdes, sans imagination ni gros bagage technique. Dans les catégories de jeunes, le défenseur qui se pique de sortir le ballon sans le dégager ou l’envoyer dare-dare vers l’avant se fait durement rappeler à l’ordre quand on ne le renvoie pas sur le banc des remplaçants. Idem chez les professionnels où un Franz Beckenbauer ou, pour rester français, un Marius Trésor, n’auraient pas leur place aujourd’hui.
Ce conditionnement relève d’un « lavage de cerveau » qu’a bien décrit le Marseillais Alou Diarra dans les colonnes du mensuel So Foot (**). « Moi, aujourd’hui, quand je récupère un ballon, je dois tout de suite faire la passe, a-t-il expliqué. On m’a fait un lavage de cerveau. On m’a dit: ‘tu récupères, tu passes.’ Donc je récupère et je passe (…) On m’a formaté ! Moi, je voudrais bien jouer [au] football olé olé, mais ce n’est pas possible. Le football, ce n’est plus du plaisir. C’est du business. On nous formate à faire des choses pour prendre le minimum de risques. Surtout à des postes importants. Moi, j’ai un poste important où je ne peux pas tenter n’importe quoi, n’importe quand. Ce n’est pas par hasard qu’on met moins de buts en France que dans d’autres championnats, hein ! (…) En France, on pense à ne pas perdre avant de penser à gagner. » Un constat que l’on retrouve aussi en Algérie et dans bon nombre de pays arabes et africains où les supposées vertus de la rigueur à l’européenne ont fait d’énormes dégâts en proscrivant la spontanéité mais aussi la fantaisie dans le jeu. Mais ceci est une autre histoire…
Revenons donc à Guardiola. Sa dernière expérimentation consistait à ne jouer qu’avec trois défenseurs (l’équipe évoluant en 3-4-3 ou en 3-1-3-3), ses inspirateurs en la matière étant les Argentins Luis Cesar Menotti, Ricardo La Volpe et Marcelo Bielsa (lequel est en train de montrer toute l’étendue de son talent avec l’Athletic Bilbao). Autant le dire tout de suite, ce schéma n’a pas encore convaincu grand monde. Dans une équipe visiblement émoussée, s’en remettant trop souvent au seul génie de Messi, il a même souvent placé le Barça en situation difficile. Mais on peut d’ores et déjà parier qu’il sera de nouveau tenté par l’entraîneur catalan lorsqu’il reviendra de son congé sabbatique pour rejoindre une nouvelle équipe.
Manchester United ? L’équipe d’Angleterre ? L’AC Milan ? Le PSG ? Le Ghali Mascara ? On verra bien. En tous les cas, il serait surprenant que Guardiola se retire définitivement du circuit. Au milieu des années 2000, alors qu’il venait à peine de terminer sa carrière de joueur, il avait voyagé en Argentine pour rencontrer Bielsa et Menotti afin de leur exposer ses projets de futur entraîneur. « Pourquoi, vous qui connaissez toute la saleté qui entoure le milieu du football, le haut degré de malhonnêteté de certaines personnes, vous tenez tant à y revenir et vous mettre à entraîner ? Vous aimez tant ce sang ? » lui avait demandé Bielsa, dit « le fou » et connu pour sa propension à prendre régulièrement ses distances avec le monde du football. « J’ai besoin de ce sang » aurait alors répondu Guardiola. Inutile de dire que c’est surtout le football qui a besoin de lui…
(*) Quatorze si, d’aventure, le Barça remporte la Coupe d’Espagne (Coupe du roi) le 25 mai prochain face à l’Athletic Bilbao.
(**) Décembre 2011.
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