"Un joli chat blanc marche derrière moi" est un roman de langue arabe du marocain Youssef Fadel, traduit en français par Philippe Vigreux (Sindbad, Actes Sud, 265 pages).
Extraits :
« Haut de taille, l’homme doit se pencher pour
entendre ce que lui dit Sa Majesté. Peut-on se comporter autrement avec un roi
omniscient ? C’est un homme prodigieux qui aime discuter les questions les
plus ardues, qui reconnaît le point de vue des autres même s’il n’en tient pas
compte, lui qui méprise tout point de vue qui n’est pas le sien ou daigne à
peine l’entendre
(...)
« Sais-tu, Balloute [le bouffon du roi], ce qu’est
la colère royale ? La colère royale est sans raison, ou encore faut-il l’expliquer.
On ne peut que lui trouver des interprétations plus ou moins satisfaisantes.
Car on ne te fera jamais l’honneur d’une explication. Sa Majesté ne te fera la
grâce ni d’un mot ni d’un regard en passant devant toi. Et pour mieux te
montrer sa colère, elle distribuera les sourires et les paroles aimables à tous
les invités, sauf à toi. Il te faudra entendre ses outrages l’un après l’autre,
avaler chaque brimade. Mais qui parle de brimades ? Tant qu’on ne t’a pas
chassé de l’entourage de Sa Majesté, l’espoir reste entier.
Tu es dans la position d’un disgracié et sache que tu
dois rester présent coûte que coûte pour pouvoir regarder en face la colère de
ton maître, pour pouvoir t’en réjouir, l’étudier, l’expliquer et en interpréter
toutes les facettes, boire l’avanie jusqu’à la lie tout en essayant de trouver
l’interprétation la plus juste sans jamais parvenir à aucune. Tu dois montrer
que tu savoures ton humiliation jusqu’à la dernière goutte, que tu attends son
pardon dans les deux jours ou dans les huit années qui viennent, que tu pries
Dieu et lui demande de prolonger ta disgrâce pourvu que tu jouisses du séjour
de Sa Majesté, fût-ce dans ces conditions dégradantes, que l’humiliation reste
un don de Dieu tant que tu n’es pas définitivement relégué et qu’on ne t’a pas
rejeté sans retour. »
(...)
« Quand les socialistes vous demandent de jouer un
spectacle, vous devez toujours vous dire que c’est à l’œil. Vous devez être
prêt, fier de cet honneur, comme s’il s’agissait d’un devoir sacré. Vous devez
dire : ‘A vos ordres !’, vous devez être heureux et fier de la chance
qui vous est donnée, de l’honneur que vous avez de vous produire devant leur
jeunesse et de suer à grosses gouttes pour gagner son cœur pendant qu’eux,
là-bas, dans leur villa climatisée, bouffent du caviar en vous recrachant la
fumée d’un cigare cubain au visage. »
(...)
« L’humain est ce qu’il est, socialiste ou non. L’homme
est ce qu’il est, quelles que soient son apparence, sa pensée ou sa condition.
Les hommes ne sont qu’une bande de gamins. Tant qu’on les prend un par un,
leurs jeux restent acceptables, leurs diableries amusantes et leur folie
touchante. Ensemble, c’est la catastrophe. Dès qu’ils forment un groupe, un
autre sang commence à s’agiter en eux, le sang de la tribu, de la meute sauvage
et du complot. Les petits attaquent les chats errants ou les chiens perdus, ils
se lancent des pierres, allument des feux de brindilles. Les grands, eux,
lapident, égorgent, découpent leur victime en morceaux, la mangent, et le sang
de la rancune continue de bouillir dans leurs veines. »
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