Le Quotidien d’Oran, jeudi 3 mars 2016
Akram Belkaïd, Paris
Hé, dis donc, t’avais pas le droit de
raconter mon histoire. Mais si ! C’est celle de la femme corse qui gifle son
mari kabyle parce qu’il a dit que la côte de Ziama était plus belle que toutes
les plages de Porto Vecchio. Figure-toi qu’un gars a lu ta chronique et comme
il connaissait l’anecdote, il a appelé son cousin qui a fait ses études de
médecine avec le mari en question. Maintenant, avec facebook, tout le monde
connaît tout le monde ! Au moins, avertis-moi la prochaine fois. J’achèterai le
journal.
En tous les cas, j’en ai une autre à te
raconter. Non, non, je te jure que ce n’est pas une série. Là, je regarde Baron Noir. Ya khô, c’est superbe ! Bon,
ça n’a rien à voir avec House of Cards,
mais c’est bien mené et Kad Merad est excellent. Un Algérien, mon frère ! Sidi
Bel Abbes... Avant, il y avait la Légion, maintenant c’est le raï, Maïssa Bey
et Kad Merad. Là-bas, tout le monde dit qu’il connaît sa famille. S’il y
revient, c’est l’émeute. Ce serait bien de lui faire passer le message. Qu’il y
passe quelques jours, comme Zidane en Kabylie…
Bon, l’histoire… En fait, il y en a deux. Ça
raconte bien l’époque, frangin. La première, c’est dans une classe du primaire.
En CM2 ou en CM1, je ne sais plus. L’instituteur, enfin maintenant on appelle
ça un professeur des écoles, organise un vote pour je ne sait quoi. Le choix
d’une sortie ou l’élection d’un délégué. Tu vois l’intérêt pédagogique : la
citoyenneté, la République et tout le reste. Attends, accroche-toi bien : le
problème c’est que le type explique à ses élèves que seuls ceux qui sont
français ou européens ont le droit de voter. Et comme ça se passe dans une
école en milieu plutôt populaire, la moitié des gamins est exclue ! L’histoire
arrive aux oreilles de quelques parents qui décident de protester. Ils
rencontrent la directrice qui convoque l’instit. Et qu’est-ce qu’il dit pour se
défendre ? « Je n’ai fait qu’appliquer les lois de la République. »
Moi j’ai voté Hollande, mon frère. Pas pour
ses promesses mais parce que j’en avais assez de Sarkozy et de son identité
nationale. Je ne vais pas te mentir. Je ne savais même pas qu’Hollande avait
promis le vote aux étrangers pour les élections locales. Mais, maintenant, avec
l’histoire des binationaux et tout le reste, ça devient un truc incontournable
chez moi. Il faut qu’il s’excuse de ne pas avoir tenu cette promesse et qu’il s’explique.
C’est ce que j’ai dit aux militants PS que je croise au marché. Ça ne leur
plaît pas. Il y en a même un qui m’a traité de communautariste. Alors, quand on
m’a raconté cette histoire, ça m’a fait bondir. Il a fallu que je me calme et
que je me dise que ça ne me regardait pas.
L’autre histoire est plus amusante. Là, ça se
passe au collège, après un devoir surveillé en physique. Oui, de la physique au
collège. Les gamins apprennent de ces trucs aujourd’hui. Tu sais qu’on leur
explique ce qu’est un cardan ? Si, en technologie ! A des enfants de onze ans…
Et ils sont obligés de le dessiner et tout… Au lieu de les laisser faire du
sport, on leur bourre la tête de trucs inutiles… Le cardan : mais qui a pu
avoir une idée pareille ? Bref, le devoir se termine mais deux jours plus
tard, le prof annonce que tout le monde va devoir le refaire parce que des
élèves auraient copié.
Là aussi, les parents s’en mêlent. Ils
veulent des explications. Mais tiens-toi bien, ils ne demandent pas qui a copié
mais comment le prof l’a su. Alors, pour avoir la paix, le type donne le nom de
la pauvre gamine qui est venue se plaindre à lui en disant que ce n’était pas
juste que d’autres aient une meilleure note qu’elle après avoir copié. Là où ça
se complique, c’est que la gamine est d’origine russe. Tu devines les
commentaires des autres parents… L’Europe de l’est, le Kgb et toutes ces
réflexions faciles. Oui, c’est vrai, ils auraient dit des choses du même genre
si elle avait été suisse. Comment ? Ah oui, d’accord, ils auraient dit les
mêmes bêtises si elle avait été suissesse.
Mais ça ne se termine pas là… Un matin, cette
fille se rend compte que quelqu’un a écrit au feutre indélébile « té kune
balance » sur sa table. Avant, les gamins utilisaient le compas, les temps
changent, hein ? Du coup, émotion générale. Pleurs de la concernée, la
directrice qui déboule pour demander au coupable de se dénoncer. Comme personne
ne moufte, elle sort son portable et prend une photo du graffiti en disant
qu’elle va faire appel à un graphologue. Ça m’a rappelé des choses. Tu te
souviens à l’Enita ? Le jour où tu as ajouté des noms imaginaires à la liste
d’appel que le prof d’anglais voulait ? C’était un aspirant qui venait de
rentrer des Etats Unis. Comme il n’arrêtait pas de parler de son Phd, tout le
monde a fini par l’appeler Bhv…
Les faux noms en plus, ça l’avait mis fou de
rage. Je me souviens de sa voix nasillarde. « The graphology est une science
exacte maintenant », voilà ce qu’il répétait. Il passait son temps à mélanger
le français et l’anglais… Des trucs comme « ça involve que… ». Bon, tu ne t’es
pas dénoncé et on a tous été consignés pour le week-end. Par contre, la
coupable qui a traité la petite belge de « balance », l’a fait. Oui, c’était
une fille aussi… Ses parents ont fait un scandale en disant qu’il était
inadmissible qu’elle soit punie ; que s’en prendre à une dénonciatrice était un
acte courageux ; que la délation, c’est mal ; que les enfants n’ont pas à «
balancer » parce que, demain, ça va donner naissance à une société policière.
Bref, devant tout ce barouf, l’affaire a été plus ou moins étouffée et,
finalement, personne n’a été puni. Moi, si j’avais été la directrice, j’aurais
mis des claques à tout le monde. Oui, monsieur. Ça aurait remis tout le monde
dans le bon chemin !
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