Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 avril 2019
Akram Belkaïd, Paris
Qu’est-ce que « la main de l’étranger » ?
Avant de répondre à cette question si fondamentale aux yeux de nombre de nos dirigeants
et de nos compatriotes, commençons par dire qu’il ne faut certainement pas être
naïf. Tous les pays du monde se dotent d’institutions et de moyens pour,
justement, contrer les ambitions d’autres pays rivaux ou bien encore ennemis.
C’est, si on ose le dire ainsi, de bonne guerre. L’Algérie n’échappe pas à la
règle. Qu’elle se doive de protéger ses intérêts, ses richesses et, avant tout,
sa population est chose normale. Mais puisqu’on ne cesse de parler de complots,
de menaces, la vraie question est de savoir de qui et contre quoi elle doit se
protéger.
La main de l’étranger, ce ne sont pas des étudiants qui se
mobilisent dans les rues d’Alger pour demander un changement profond dans les
structures qui dirigent et gouvernent l’Algérie. La main de l’étranger, ce ne
sont pas ces millions d’Algériens qui sortent de chez eux tous les vendredis
pour exprimer leur ras-le-bol et leur volonté d’en finir avec un système qui a
conduit le pays à l’échec. Dire que l’on veut le changement, prendre le risque
de se faire bastonner, écrire clairement qu’il est temps que la donne soit
modifiée, c’est aimer son pays. C’est lui vouloir le meilleur possible. A
contrario, assimiler les manifestants à des auxiliaires de la main de
l’étranger, c’est soit être totalement intoxiqué par une vision paranoïaque du
monde soit, et c’est plus grave, être le vrai relais de la main de l’étranger.
Défendre le statu quo en Algérie, ce n’est pas servir
l’intérêt des Algériens mais bien défendre, consciemment ou non, ceux d’autrui.
Expliquons-nous avec quelques exemples pris au hasard. Le statu quo, cela
signifie que les projets d’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels
comme le gaz de schiste vont se poursuivre. Le statu quo, cela signifie que les
Algériens qui s’opposent à cette folie aux conséquences écologiques – et
économiques – incalculables n’ont pas le droit d’être entendus. Cela veut dire aussi
que les protestataires contre l’exploitation du gaz de schiste – lesquels ont
précédé de plusieurs années le mouvement du 22 février - se battent pour rien.
Dans un pays démocratique, avec des institutions sérieuses, une telle
exploitation devrait être débattue dans un parlement représentatif voire être
soumise à un référendum. Le statu quo, ou une transition biaisée, empêchent et
empêcheront cela.
Dans cette affaire, la main de l’étranger, ce sont les
compagnies pétrolières occidentales qui pourront venir réaliser en Algérie ce
qu’elles n’ont pas le droit d’accomplir dans leurs pays ou bien encore ce
qu’elles ne peuvent faire que dans des conditions strictes de surveillance et
d’encadrement par les autorités. Si on réfléchit bien à la question de
l’exploitation du gaz de schiste – qui risque de ruiner les nappes aquifères du
grand sud – on comprend mieux le lien entre statu quo et main de l’étranger qui,
dans ce cas, est représentée aussi par les lobbies au service des pays
consommateurs. Pour ces derniers, plus il y aura d’hydrocarbures pompés dans le
monde, plus le prix de l’énergie sera bas. Bref, leur logique est simple :
que l’Algérie pompe et pompe encore, qu’elle saccage son environnement, qu’elle
épuise ses réserves, pourvu que les marchés soient satisfaits.
La main de l’étranger, c’est aussi celle qui tire avantage
du fait que l’Algérie se soit désindustrialisée au fil des ans pour se
transformer en un immense comptoir d’importations. Le statu quo, c’est des
dizaines de milliards de dollars qui continuent d’être dépensés pour acheter de
tout et de n’importe quoi à l’extérieur, avec les pratiques délictueuses que
l’on connaît, notamment les procédés de surfacturation qui équivalent à des
fuites illégales – et massives - de capitaux. Le changement, le vrai, impliquerait
une plus approche plus rationnelle en matière de commerce extérieur, des lois
destinées à protéger les consommateurs algériens du « made n’importe
où » frelaté, périmé ou tout simplement inapte à la consommation. Le changement
dans un sens de plus grande cohérence économique, cela signifierait donc des
marchés perdus, des manques à gagner pour nombre de fournisseurs d’Europe,
d’Asie ou même d’Amérique du nord. La main de l’étranger ne veut pas le chaos
en Algérie, elle veut juste que les choses ne changent pas, que le système
demeure en l’état. Elle veut juste pouvoir continuer à faire ses affaires au
détriment du potentiel de production locale, au détriment de l’emploi local,
des compétences locales. Elle veut ainsi continuer à écouler tranquillement ses
produits, comme les automobiles, plutôt qu’elles soient fabriquées sur place.
On dira qu’il n’y a pas que l’économie et que la politique,
notamment internationale, compte beaucoup. C’est un fait. Il est encore
quelques dossiers où la position algérienne irrite plus ou moins. Le soutien
aux Palestiniens et aux Sahraouis, le refus d’intervenir militairement en Libye
et au Sahel, tout cela fait grincer des dents. Mais l’époque de la grande
Algérie révolutionnaire, non-alignée, clairement anti-impérialiste est révolue.
Nous prêtons de l’argent au Fonds monétaire international (FMI), nous
participons à des manœuvres conjointes avec l’Organisation du traité de
l’Atlantique nord (Otan) et nous ne cherchons guère à peser sur le dossier palestinien
que les Etats-Unis de Donald Trump cherchent à boucler au détriment d’un peuple
qui, jadis, proclama symboliquement la naissance de son État à Alger. Pour
faire l’objet d’un complot, il faut ne pas filer droit ou être dans la
résistance (réelle) à l’ordre mondial. Ce n’est pas le cas aujourd’hui de l’Algérie,
cela le sera peut-être demain si, démocratie oblige, les aspirations et les
convictions du peuple algérien se traduisent concrètement en matière de
politique étrangère et économique.
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