Le Quotidien d’Oran, jeudi 25 juillet 2019
Akram Belkaïd, Paris
Le sacre africain de l’équipe algérienne de
football amène à plusieurs commentaires. Le premier d’entre eux est d’ordre
subjectif mais il sera certainement partagé par nombre d’amateurs du ballon
rond. Grâce à sa victoire acquise en territoire étranger, l’Algérie est
désormais un « vrai » champion d’Afrique. Entendons-nous bien, il ne
s’agit pas de dévaloriser la victoire de 1990 – ce grand moment de joie avant
la nuit des années 1990. Mais ce fut un titre acquis à Alger et l’on sait que
les victoires à domicile sont toujours accompagnées d’un « oui
mais ». Bien sûr, et l’exemple de l’Égypte défaite chez elle le montre
bien, organiser une compétition ne signifie pas qu’on va l’emporter à coup sûr.
Mais, dans le même temps, gagner une finale chez soi, devant son public et ses
officiels, est jugé normal. Au passage, on ne boudera donc pas notre plaisir en
imaginant le désagrément provoqué par une telle victoire chez les officiels égyptiens…
Les deux commentaires qui suivent sont
d’ordre sportif. D’abord, avec la finale contre le Sénégal, l’Algérie a
démontré une nouvelle fois les dangers d’inscrire un but trop tôt. Le football
a certaines règles non-écrites dont l’une veut qu’une équipe peut perdre une
partie de ses moyens si la victoire lui ouvre rapidement ses bras. Dans
l’histoire de ce sport, on peut citer maints exemple d’un favori battu parce
qu’ayant marqué dès les premières minutes (Les Pays-Bas en finale de la Coupe
du monde en 1974). C’est toute la problématique de faire la course en tête
alors qu’il est souvent plus motivant, et plus simple, d’assurer la poursuite
(le cyclisme et la moto confirment aussi cette règle). Ensuite, on insistera
sur le grand état de fatigue des joueurs. Cela pose d’ailleurs la question du
statut de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). En janvier, les concernés sont
en meilleure forme physique mais leurs clubs rechignent à les libérer. En fin
de saison, ils sont épuisés et leur niveau de jeu s’en ressent. On ajoutera
aussi qu’il n’est pas certain qu’organiser une CAN tous les deux ans soit une
bonne idée. L’argument avancé est que cela aide le football africain à
progresser. En réalité, on se rend bien compte que rares sont désormais les
pays disposant de l’assise financière et des infrastructures pour bien
accueillir cette compétition qui succombe, elle aussi, au gigantisme en portant
à vingt-quatre le nombre de qualifiés.
Venons-en maintenant à une lecture plus
politique des choses. Cette équipe algérienne qui vient d’entrer dans
l’histoire est composée d’une majorité de joueurs nés et formés en France. La
plupart d’entre-eux sont des binationaux. C’était déjà le cas lors des coupes
du monde 2010 et 2014 et la question avait déjà été abordée. Une victoire pour
l’équipe nationale et les intéressés sont des héros. Une défaite ou une
élimination peu glorieuse, et les voici transformés en parias accusés de
mercenariat. On rappellera surtout que la Constitution algérienne, amendée sous
Abdelaziz Bouteflika, interdit à tout binational d’occuper un certain nombre de
postes à hautes responsabilités. Loué pour sa science tactique et son
savoir-faire en tant que meneur d’hommes, l’entraîneur Djamel Belmadi ne peut
pas devenir président de la République comme le réclament certains fans et
certains montages photographiques partagés sur les réseaux sociaux. Certes,
l’Algérie a toujours été très prudente à l’égard de ses communautés vivant à
l’étranger. Mais l’histoire retiendra que c’est sous Bouteflika qu’une nouvelle
discrimination entre citoyens a été créée. La victoire de l’EN changera-t-elle
les choses ? Ce n’est pas certain.
Autre commentaire d’ordre politique. Comme
nombre de téléspectateurs, j’ai été très étonnée de voir un officier supérieur
algérien descendre sur la pelouse du stade olympique du Caire au moment de la
remise des trophées. Le plus souvent, les attachés de défense sont des
personnages discrets qui s’en tiennent à un strict respect du protocole (lequel
leur permet d’apparaître en uniforme en certaines occasions comme les
réceptions diplomatiques). En ces temps de Hirak où les Algériennes et les
Algériens défilent aux cris de « État civil et non militaire », ces
images d’un homme en uniforme congratulant les joueurs semblaient asséner le
contraire en affirmant la prééminence des militaires sur tout ce qui touche à
l’Algérie. Des amis occidentaux, peu au fait des questions géopolitiques mais
passionnés de football, y ont vu la confirmation d’une idée bien ancrée dans
leurs esprits selon laquelle les militaires tiennent tout en Algérie, y compris
le sport…
Tout cela nous amène à la situation
actuelle. Entre le 16 mars 1990 et le 19 juillet 2019, l’Algérie a connu une
longue traversée du désert footballistique (on ne peut pas estimer qu’une qualification
en Coupe du monde est une « victoire »). Durant ces vingt-neuf
années, le pays n’a guère connu de transformations positives sur le plan
politique. Bien au contraire, toutes les affaires de justice qui font
actuellement l’actualité démontrent à quel point il a régressé. Être un
« vrai » champion d’Afrique, c’est bien, cela fait
« plizir », mais ce n’est pas le plus important. Le football est là
pour nous donner des joies, des fiertés et des émotions. Mais il ne nous fera
jamais perdre de vue l’essentiel. C’est sur le plan politique que l’Algérie a
un besoin urgent de victoires et de changements majeurs.
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