Le Quotidien d’Oran, jeudi 19 décembre 2019
Akram Belkaïd, Paris
L’Algérie a donc un nouveau président.
Personne n’est dupe en ce qui concerne les conditions dans lesquelles ce
« scrutin » a été préparé et s’est tenu. Le chiffre officiel de la
participation (40% des inscrits) est déjà un aveu de taille. Si l’on applique
le nécessaire correctif à ce taux, on pourrait aisément le diviser par deux. En
théorie, une telle abstention devrait conduire à une annulation de l’élection
mais nous savons tous que c’est une option impossible à envisager pour le
pouvoir.
A peine le « résultat » connu, on a
vu l’habituel empressement des chercheurs d’opportunités. C’est un phénomène
universel, le vainqueur d’un scrutin attire toujours les indécis de la veille,
celles et ceux qui ont à craindre quelque chose, les partisans de l’heure plus
un et, enfin, celles et ceux qui, par dépit ou lassitude de toujours appartenir
au camp des vaincus (celui de la démocratie), préfèrent rejoindre le camp du
triomphe. On n’oubliera pas les confrères qui font mine d’analyser le scrutin
en faisant abstraction de son caractère fabriqué. En abordant la chose comme si
tout s’était déroulé normalement ; en oubliant, par exemple, que les
opposants à ce scrutin n’ont jamais été invités à s’exprimer devant les micros
des médias publics, ces personnes contribuent à donner une impression de
normalité et de légalité à un contexte délétère. Mais c’est de bonne guerre.
Hirak ou pas, on ne peut guérir certains travers y compris celui de
l’aplat-ventrisme qui pousse d’ores et déjà des responsables à dérouler
d’immenses portraits du nouveau raïs. L’Algérie, pays du nif et de la
fierté ? Oui, mais pas pour tout le monde.
Désormais, une question majeure se pose :
que faire ? Le nouveau locataire du Palais d’El Mouradia affirme tendre la
main au Hirak et vouloir « le dialogue ». Pendant ce temps-là, nous
avons tous vu les images et lu les récits de la répression qui a visé des
manifestants dans de nombreuses villes algériennes dont Oran. Comme l’a relevé
un internaute, cette vidéo où l’on voit une jeune femme frêle être balayée par un
élément des forces de l’ordre suffit à résumer la situation. A moins d’être une
dictature ou un pays rongé par le fascisme, on ne traite pas ainsi son peuple.
On ne se comporte pas ainsi avec des citoyens qui manifestaient de manière
pacifique. Et que l’on ne vienne pas me dire qu’en France, la répression est
plus forte. Ce n’est ni une référence ni excuse. Dialoguer pour quoi
faire ? Pour se faire balayer par un soudard sûr de son impunité ?
Le Hirak n’est pas un parti politique. C’est
un jaillissement, une éruption. En termes politiques, c’est un levier, une
contrainte, pacifique et mature, qu’un peuple exerce sur le pouvoir pour être
entendu. Le « scrutin » du 12 décembre a certes ouvert un nouvel
épisode. Le Hirak n’a pas à s’adapter mais il est temps de s’appuyer sur lui
pour faire de la politique. On a bien compris que les partis d’opposition sont
incapables de prendre appui sur la contestation populaire pour relayer ses
revendications et obliger le pouvoir à faire des concessions. Mais il y a un
début à tout.
Pour dire les choses autrement, on est dans
l’attente d’une initiative majeure. Un regroupement entre partis, syndicats et
associations et qui inclurait toutes les personnalités indépendantes désireuses
de s’impliquer. On attend un texte, une plate-forme, une matrice qui réaffirment
les objectifs et les attentes du Hirak. Cela ne se fera pas sans mal car
beaucoup trouveront à y redire, les uns rappelleront que personne n’a le droit
de parler au nom du Hirak, les autres craindront l’entrisme habituel du système
tandis que les querelles d’égo, celles qu’évoquent tous les militants à qui
nous avons parlé au cours des dernières semaines, se chargeront de compliquer
les choses. Mais qu’importe, pourvu que la démarche soit collective. Au Soudan
— oui, ce pays est une source d’inspiration—, l’existence d’une coalition de
partis politiques, d’organisations non gouvernementales et de syndicats a
beaucoup contribué au dénouement, certes partiel et imparfait, de la crise avec
la junte. Pourquoi n’arrive-t-on pas à en faire de même en Algérie ?
Autre souhait (j’insiste sur ce terme, bien
plus préférable à celui de « conseil » ou de
« préconisation »). La formule est connue : dans un monde de
plus en plus incertain, les initiatives locales font à la fois la différence et
le lit des grands mouvements structurés. Il s’agirait tout simplement de
réinventer l’idée de Communes, de représentations locales, qui donneraient au
Hirak un vivier d’idées, de revendications mais aussi d’informations et de
potentiels représentants. La remise en cause de l’ordre actuel, de cette
première République qui n’en finit pas d’agoniser sous nos yeux – et la comédie
électorale l’a bien montré – a besoin de cela.
Quant au pouvoir qui met le mot dialogue à
toutes les sauces, ce qui dans sa bouche signifie allégeance et soumission de
la part des contestataires, qu’il donne d’abord des gages : libération de
tous les détenus d’opinion et ouverture du champ médiatique à l’opposition.
C’est un minimum raisonnable dont le rejet augurera de jours difficiles pour le
pays.
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