Le Quotidien d’Oran, mercredi 12 février 2020
Akram Belkaïd, Paris
Ami algérien qui mange ta pizza au concentré de tomate
(gorgé de sucre et de sel) avec de la mayonnaise et des frites bien huileuses
le tout accompagné d’un soda lesté de sucre blanc avant de t’envoyer deux ou
trois mille-feuilles ou flans et de finir par un thé, ou un café, caramélisé,
tu ne fais pas simplement du mal à ton corps mais tu pénalises aussi les
finances publiques de ton pays. Ce n’est pas le présent chroniqueur qui
l’assure mais un rapport récent de la Banque mondiale qui l’affirme, chiffres à
l’appui (1). Selon cette vénérable institution, deux milliards de
personnes sont concernées dans le monde par l’obésité ou le surpoids. Pour la
Banque mondiale, il s’agit d’une « épidémie discrète » qui concerne
les pays riches mais surtout les pays en développement (70% des obèses ou des
personnes en surpoids dans le monde).
Explosion des coûts
de santé
Les chiffres fournis dans le rapport ont de quoi faire
réfléchir. Ainsi, le coût total lié au surpoids devrait atteindre 7 000
milliards de dollars dans les pays en voie de développement d’ici les quinze
prochaines années, c’est à dire demain. Déjà, on dénombre quatre millions de
morts chaque année en raison de l’obésité, ce qui fait de cette dernière l’une
des trois principales causes de décès dans le monde et cela devant les conflits
armés. Dans son livre « Homo deus, une brève histoire du futur »,
l’historien Yuval Noah Harari le dit autrement : « le sucre est
devenu plus dangereux que la poudre à canon. »
A quoi correspond ce chiffre de 7 000 milliards de
dollars ? C’est tout simplement la somme de toutes les dépenses induites
par l’obésité : santé, assurance, prévention, primes de décès etc. En
Chine, en 2000, le surpoids comptait pour 0,5% des dépenses de santé annuelle.
Ce taux est passé à 3% en 2009 et ne cesse d’augmenter. Le cas du Brésil est
encore plus parlant : 5,8 milliards de dollars de coût en 2010 contre 10,1
milliards de dollars prévus en 2050. En clair, une vraie barrière au
développement que la Banque mondiale qualifie aussi de « bombe à
retardement ».
Les raisons sont connues. Dans les pays en développement,
nombreux sont ceux qui mangent peu et mal. Alors que les pays riches découvrent
les vertus du végétarisme (être végétarien) voire du végétalisme ou du
véganisme, préférant le quinoa à la viande d’agneau (une tueuse silencieuse),
les pays en développement sont noyés sous les produits transformés, les sucres
rapides et les graisses saturées. Trop de viandes, pas assez d’exercice, trop
d’utilisation de la voiture, pas assez de marche, voilà autant de raisons qui
expliquent ce boom de l’obésité. Signalons au passage que la Banque mondiale explique
aussi que cela est aussi dû au fait que les femmes travaillent plus qu’avant et
qu’elles n’ont donc plus le temps de (bien) préparer à manger… Résultat, les
maris, les enfants et elles-mêmes ont tendance à mal se nourrir (2). On
laissera à l’institution financière la responsabilité de ce propos… Concernant
l’Algérie, le rapport évalue à 11,7% le nombre d’enfants de moins de cinq ans
déjà obèse et à 68,1% le taux de femmes en surpoids (71,3% en Égypte, 77% pour
le Koweït, 67,8% pour la Tunisie et 66% pour le Maroc).
Taxer la
nourriture ?
Que faire pour lutter contre l’obésité ? La Banque
mondiale estime nécessaire les campagnes de prévention et les programmes pour
une alimentation saine. Mais elle suggère surtout de recourir à l’arme fiscale
en taxant tous les produits susceptibles d’aggraver le surpoids. Voilà qui
ouvre un vrai débat. Les gouvernements ont-ils le droit de taxer plus que de
raison la nourriture même au nom de la santé publique ? Et, concernant
l’Algérie, faut-il limiter les subventions allouées à certains produits jugés
responsables du surpoids (sucre, pain blanc) ? On relèvera simplement que
l’argument de santé public est parfois d’un grand secours pour les idées
néolibérales…
(1) « Obesity: Health and Economic Consequences of an
Impending Global Challenge » (Obésité: conséquences sanitaires et économiques
d'un défi mondial imminent), worldbank.org, 27 janvier 2020.
(2) « Women entering the formal market labor force in
large proportions in most high-income countries and in low- and middle-income
countries, requiring changes in food consumption » : « Les femmes entrent
sur le marché du travail formel dans la plupart des pays à revenu élevé et dans
les pays à revenus faible et intermédiaire, ce qui implique des changements
dans la consommation alimentaire. »
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