Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 4 décembre 2020

La chronique du blédard : Du (bon) vaccin

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 novembre 2020

Akram Belkaïd, Paris

 

La chronique de la semaine dernière était consacrée au complotisme et, comme cela arrive parfois, elle m’a valu plusieurs réactions à tonalités totalement différentes. Certains s’y sont retrouvés, estimant même que j’aurais dû être plus incisif. D’autres y ont vu la confirmation que le monde médiatique était « tenu » pour empêcher que n’éclate la vérité. Laquelle ? Celle du complot mondial, pardi. Bref, inutile d’insister même si j’espère qu’à la longue, l’éducation et le débat auront raison de certaines de ces convictions pour le moins farfelues (je jure que n’ai jamais été invité par le groupe Bildeberg).

 

J’aimerais pour autant revenir sur un point qui nous concerne tous en ces temps de pandémie. Il s’agit des vaccins. J’ai rappelé que plusieurs générations d’Algériennes et d’Algériens doivent beaucoup aux campagnes de vaccination menées notamment en milieu scolaire (impossible alors d’y échapper car les parents des absents étaient convoqués). A l’époque, je parle des années 1970 et 1980, personne ne remettait en cause cette pratique. Bien au contraire. Que s’est-il passé depuis pour que le doute et le soupçon s’installent ?

 

La réponse tient en plusieurs points, le plus important d’entre eux étant la marchandisation – et la privatisation - à l’extrême de la santé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les grandes entreprises pharmaceutiques, les fameuses « Big Pharma », font tout pour créer la défiance. De plus en plus autonomes vis-à-vis des États, elles n’obéissent qu’à leurs propres stratégies basées avant tout sur une logique financière et boursière. Pour augmenter leur valorisation, ces compagnies doivent bien sûr engranger de bons résultats mais elles doivent aussi rassurer quant à leurs perspectives. Il leur faut communiquer régulièrement sur tel ou tel produit en développement, le marché faisant sa propre différence entre ce qui vaut la peine, financièrement parlant, de produire et ce qui n’est guère rentable (comprendre des maladies peu répandues ou n’existant qu’en des endroits à faible pouvoir d’achat). 

 

Pour être plus clair, les marchés financiers n’ont que faire du bien-être et de la bonne santé de l’humanité. Ils veulent du concret et les entreprises sont obligées de s’y plier. Voilà pourquoi le temps du médicament ou du vaccin est devenu un temps boursier, c’est-à-dire un temps du court terme. Les marchés sont impatients par définition. A l’heure des transactions opérées en quelques millisecondes, un « produit » développé sur trois ou quatre ans – avec tout ce que cela comporte comme contrôles étatiques et circuits d’homologation – les intéressera bien moins qu’un vaccin développé en moins d’un an.

 

Dans le cas du virus responsable de la Covid-19, il est impossible de proclamer une foi absolu dans les vaccins dont il est question ces derniers jours (tous accueillis avec ferveurs par les Bourses). Là où le complotisme brouille les choses, c’est qu’il empêche la nuance. On peut être pour les vaccins, et cela en raison d’avantages prouvés par la science, et s’interroger sur les conditions dans lesquelles sont conçus ceux qui sont censés mettre fin à la pandémie. Un chiffre résume ce dilemme : en moyenne, il faut au moins de dix-huit à vingt-quatre mois pour qu’un vaccin soit définitivement homologué en Europe et aux États-Unis. Ici, ce serait l’affaire de quelques semaines.

 

Certes, il y a l’urgence de la situation car des vies sont en jeu. C’est donc une question de risque à prendre mais, dans l’affaire, l’historique récent des compagnies pharmaceutiques ne plaide pas pour elles. On en prend la mesure dans un excellent dossier publié par la revue XXI (1). La journaliste Carol Isoux y raconte le scandale du Dengvaxia, ce vaccin contre la dengue développé par Sanofi et qui a causé la mort de plusieurs centaines d’enfants aux Philippines. Tout y est : âpreté au gain, corruption, faiblesse de l’État, alertes ignorées ou passées sous silence, captations de marchés publics, absence d’une entité indépendante pour tester les vaccins, complaisance de certains chercheurs dont les revenus dépendent de l’industrie pharmaceutique, etc. Une action en justice est en cours aux Philippines mais l’affaire a des conséquences sur d’autres programmes de vaccination qui, eux, ont fait leur preuve. C’est le cas de la lutte contre la rougeole avec, rappelle la journaliste, « un taux d’immunisation tombé à 74% en 2019 contre près de 90% les années précédentes. »

 

Dans de nombreux pays, le vaccin est présenté comme « la » solution à la pandémie de Covid-19. C’est une erreur et, parfois même, un mensonge délibéré. Un vaccin, dûment testé et certifié, est une solution pour le moyen terme, c’est certain. Mais rien ne remplacera un vrai système de santé, avec une capacité suffisante en matière de lits et d’équipements et, bien entendu, en matière de personnel. Le plus performant des vaccins ne servira à rien si l’infrastructure hospitalière est en ruine. Enfin, il faut rappeler une vérité qui semble échapper à beaucoup : le vaccin est un moyen préventif. Insister sur lui en oubliant les médicaments nécessaires au traitement des malades déjà déclarés est absolument aberrant.

 

 

(1) « Autopsie d’un vaccin : enquête, la course entre labos, au risque du scandale sanitaire), n° 52, automne 2020.

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