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Syrie.
Pour qui voulait savoir, il était possible de savoir.
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Récit d'une captivité dans les geôles d'Assad par Aram Karabet (2009).
« Qu’on s’imagine être attaché par un de ces monstres [les gardiens], et rossé jusqu’à ce qu’il se rassasie. Ces geôliers étaient de simples conscrits, pas des soldats de métier. Ils faisaient leur service militaire et n’avaient pas plus de dix-huit ou vingt ans. Quelle agressivité déchaînée, dépourvue de tout motif, peut bien habiter le cœur d’un jeune homme de cet âge, pour qu’il en vienne à souhaiter fouetter un prisonnier qu’il ne connaît pas, qu’il n’a jamais vu de sa vie ?
« Telle est la relation, dans mon pays, entre le bourreau et la victime. L’un a des bottes cirées, l’autre a la tête baissée. C’est ainsi que nos peuples et nos pays ont été dénaturés. Cette forme de relation est un indice de mépris réciproque que se vouent le pouvoir et la société. Que personne, quel qu’il soit, ne s’imagine échapper à cette équation, même s’il est confortablement assis chez lui. Quoi qu’on fasse pour se persuader qu’on est en sécurité, chacun d’entre nous est à leur merci.
« Le bourreau méprise sa victime afin de compenser son sentiment d’infériorité, sa situation obscure, son déshonneur. Son dédain est une conséquence du mépris qu’il éprouve pour lui-même et pour sa basse origine. Le bourreau est un homme de rien, autant dans sa « constitution » psychologique et morale, que dans son éducation et la vie qu’il mène. L’arrivée au pouvoir d’hommes d’une pareille trempe ne change en rien leur nature. Au contraire, la pratique du pouvoir ôte le voile derrière lequel ils se cachaient, révélant toujours leur bassesse.
« C’est pourquoi le pouvoir en Syrie s’efforce toujours à l’extérieur de paraître civilisé dans le moindre de ses gestes. Ainsi espère-t-il faire oublier ses viles origines.
Aram Karabet,
in « Treize ans dans les prisons syriennes. Voyage vers l’inconnu ».
Récit traduit de l’arabe (Syrie) par Nathalie Bontemps, Actes Sud, janvier 2013, 223 pages, 20 euros.
Titre original : « Al-Rahîl ilâ l-majhûl », Dâr Jidâr, Alexandrie, 2009.
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