Le Quotidien d'Oran, jeudi 21 juin 2012
Akram Belkaïd, Paris
Marchons dans Paris, qu’un air pur accompagne nos pas. Marchons, marchons, nos yeux grands et ouverts. Notons ce qu’il y a d’écrit, d’inscrit, de tagué, de raturé, de peint et griffonné. Captons le message, le spot ou la réclame. A peine quelques mètres, et voici la première prise. Une affichette collée à un arbre. Photo noir et blanc d’un matou. Texte : « Il s’appelle Hipo. Perdu sur le boulevard Montparnasse. Appelez le 06… Reconnaissance assurée ». Ce qui en clair veut dire qu’il n’y a pas de récompense à la clé. Mais que faisais Hipo en plein boulevard ? Souvenir de cet autre avis de recherche à propos d’un hamster perdu au jardin du Luxembourg. Qui sait, peut-être est-ce Hipo qui l’a mangé…
Continuons. Voici un restaurant avec des lettres inscrites à la craie bleue sur une ardoise bien fatiguée. « Couscous emporté », telle est l’annonce sur laquelle s’attardent le regard et l’esprit. Qu’est-ce que cela veut bien dire ? Un mauvais plaisantin aurait-il volé la semoule, la viande, les légumes et la sauce ? Serait-ce un manifeste culinaire pour clamer que le couscous révisé à la façon hexagonale (avec merguez et, hélas, trop souvent sans pois-chiches ni lben) n’est plus le vrai couscous et que la mondialisation l’a emporté ? Voilà un beau thème de réflexion pour bacheliers en herbe. Autre souvenir, celui d’un avertissement placardé, fin janvier 2011, dans un bistrot de la rue de Lille : « Nous n’acceptons plus les tickets restaurants 2010 jusqu’à la fin janvier 2011 ». Là aussi, que faut-il comprendre ? Que ces tickets seront acceptés à partir de février 2011 ? Impossible pour n’importe quel matheux de modéliser ce problème…
Empruntons la rue Falguière. Une fenêtre au rez-de-chaussée d’un immeuble construit en 1973. Une grande feuille collée sur la vitre : « Nous ne sommes pas les concierges. Merci de ne pas frapper à la fenêtre !!!! ». Les points d’exclamation disent tout. La colère, l’exaspération, la fatigue aussi. Imaginez : le couple invité par les locataires du cinquième qui cogne au carreau parce qu’il n’a pas le code. Même chose pour la voisine du troisième qui a oublié ses clés ou encore les livreurs, le vendeur de calendriers… Un peu plus loin, en allant vers Duroc, on retrouve ces mêmes points d’exclamation sur un carton collé à l’entrée d’un commerce que les mauvais esprits, passants ou du coin, qualifient certainement de particulier : « Ici, salon de massage sérieux ! Si voulez autre chose, allez ailleurs !!! ».
Voilà donc une histoire bien plus compliquée que le couscous disparu. On pousse la porte et, profession d’écrivant déclinée, on s’enquiert de la signification de cette injonction. Sourire pincé de la dame derrière le comptoir : vous n’êtes pas naïf à ce point, monsieur ! Vous imaginez bien ce que certains croient trouver dans un salon de massage tenu par des femmes asiatiques ? On hoche alors la tête, on s’excuse et on s’en retourne battre le trottoir. Très vite, nouveau commerce, nouveau message. Une droguerie qui, comme un grand nombre d’entre elles à Paris, est tenue par des trimeurs venus d’Inde. « Ici, stock de vieilles ampoules. Dernier arrivage. N’attendez pas, forte demande ». Là, nul besoin de chercher l’explication. Une loi, pondue quelque part entre Paris et Bruxelles, a mis hors jeu les bons vieux bulbes à filament. Et quand les bureaucrates et les écolos interdisent l’incandescence au nom de la basse consommation (laquelle s’avère fort onéreuse), le marché noir et la débrouille s’organisent.
Poursuivons. Un pressing et une autre mise en garde. « Merci de ne pas laisser vos chiens uriner devant nos vitrines ». La confirmation, s’il en fallait une, que nous sommes bien à Paris, ville crottée où le présent chroniqueur traquera sans relâche le propriétaire du chien qui abandonne petite et grande commissions au beau milieu du seul terrain de sport municipal du quartier… Mais revenons au pressing qui aurait pu s’appeler la vespasienne de Médor. Juste en face, l’enseigne d’une brasserie proclame en grandes lettres d’or : « Ici, bière à flot et vin vertigineux ». Songeur, on se dit qu’il y a peut-être un rapport avec les outrages subis par la vitrine du pressing et que la gente canine n’est pas la seule coupable…
Le lecteur attentif aura noté qu’on lui a épargné les slogans et autres affiches politiques. Sacrifions deux exceptions à cette volonté de ne pas trop s’attarder sur la période électorale qui vient de se terminer dans le soulagement général. D’abord, un vieux graffiti, peinture noire et lettres capitales : « Vivement la Viktoir deux la droite ! Allllé !!!! ». Il se dit que l’auteur de ce gribouillage serait un ancien ministre ayant affirmé qu’un certain Zadig aurait été le co-auteur de François-Marie Arouet, dit Voltaire. Vient ensuite, cette affirmation, peinture rouge vif, quelque peu triviale mais ô combien pertinente : « le FMI commence toujours par baiser les plus pauvres ». Ici, le suspect est le propriétaire d’une petite boutique d’alimentation grecque.
Terminons ce compte-rendu vagabondant. D’abord, par cet avis placardé sur le panneau d’information d’une école primaire publique. « Wanted ! Des vêtements cherchent leurs propriétaires ! Parents : des dizaines de vêtements oubliés par les enfants s’accumulent à l’école ». Suivent des suppliques pour que soient marquées sur les étiquettes des fripes en question, nom et prénom du bambin, surtout « pour les manteaux, les écharpes et les tenues de sport ». Vient, pour finir, un ultimatum : « si l’habit n’est pas récupéré avant les grandes vacances, il sera offert à une association caritative. » On s’éloigne, on s’engage dans une petite ruelle du quinzième arrondissement et là, on tombe ensuite sur le tag qui oblige à ressortir carnet et crayon : « Vivement demain pour que tout soit pareil à hier ». Voilà qui est bien dit et qui, résumant si bien l’air du temps, termine cette première énumération.
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Empruntons la rue Falguière. Une fenêtre au rez-de-chaussée d’un immeuble construit en 1973. Une grande feuille collée sur la vitre : « Nous ne sommes pas les concierges. Merci de ne pas frapper à la fenêtre !!!! ». Les points d’exclamation disent tout. La colère, l’exaspération, la fatigue aussi. Imaginez : le couple invité par les locataires du cinquième qui cogne au carreau parce qu’il n’a pas le code. Même chose pour la voisine du troisième qui a oublié ses clés ou encore les livreurs, le vendeur de calendriers… Un peu plus loin, en allant vers Duroc, on retrouve ces mêmes points d’exclamation sur un carton collé à l’entrée d’un commerce que les mauvais esprits, passants ou du coin, qualifient certainement de particulier : « Ici, salon de massage sérieux ! Si voulez autre chose, allez ailleurs !!! ».
Voilà donc une histoire bien plus compliquée que le couscous disparu. On pousse la porte et, profession d’écrivant déclinée, on s’enquiert de la signification de cette injonction. Sourire pincé de la dame derrière le comptoir : vous n’êtes pas naïf à ce point, monsieur ! Vous imaginez bien ce que certains croient trouver dans un salon de massage tenu par des femmes asiatiques ? On hoche alors la tête, on s’excuse et on s’en retourne battre le trottoir. Très vite, nouveau commerce, nouveau message. Une droguerie qui, comme un grand nombre d’entre elles à Paris, est tenue par des trimeurs venus d’Inde. « Ici, stock de vieilles ampoules. Dernier arrivage. N’attendez pas, forte demande ». Là, nul besoin de chercher l’explication. Une loi, pondue quelque part entre Paris et Bruxelles, a mis hors jeu les bons vieux bulbes à filament. Et quand les bureaucrates et les écolos interdisent l’incandescence au nom de la basse consommation (laquelle s’avère fort onéreuse), le marché noir et la débrouille s’organisent.
Poursuivons. Un pressing et une autre mise en garde. « Merci de ne pas laisser vos chiens uriner devant nos vitrines ». La confirmation, s’il en fallait une, que nous sommes bien à Paris, ville crottée où le présent chroniqueur traquera sans relâche le propriétaire du chien qui abandonne petite et grande commissions au beau milieu du seul terrain de sport municipal du quartier… Mais revenons au pressing qui aurait pu s’appeler la vespasienne de Médor. Juste en face, l’enseigne d’une brasserie proclame en grandes lettres d’or : « Ici, bière à flot et vin vertigineux ». Songeur, on se dit qu’il y a peut-être un rapport avec les outrages subis par la vitrine du pressing et que la gente canine n’est pas la seule coupable…
Le lecteur attentif aura noté qu’on lui a épargné les slogans et autres affiches politiques. Sacrifions deux exceptions à cette volonté de ne pas trop s’attarder sur la période électorale qui vient de se terminer dans le soulagement général. D’abord, un vieux graffiti, peinture noire et lettres capitales : « Vivement la Viktoir deux la droite ! Allllé !!!! ». Il se dit que l’auteur de ce gribouillage serait un ancien ministre ayant affirmé qu’un certain Zadig aurait été le co-auteur de François-Marie Arouet, dit Voltaire. Vient ensuite, cette affirmation, peinture rouge vif, quelque peu triviale mais ô combien pertinente : « le FMI commence toujours par baiser les plus pauvres ». Ici, le suspect est le propriétaire d’une petite boutique d’alimentation grecque.
Terminons ce compte-rendu vagabondant. D’abord, par cet avis placardé sur le panneau d’information d’une école primaire publique. « Wanted ! Des vêtements cherchent leurs propriétaires ! Parents : des dizaines de vêtements oubliés par les enfants s’accumulent à l’école ». Suivent des suppliques pour que soient marquées sur les étiquettes des fripes en question, nom et prénom du bambin, surtout « pour les manteaux, les écharpes et les tenues de sport ». Vient, pour finir, un ultimatum : « si l’habit n’est pas récupéré avant les grandes vacances, il sera offert à une association caritative. » On s’éloigne, on s’engage dans une petite ruelle du quinzième arrondissement et là, on tombe ensuite sur le tag qui oblige à ressortir carnet et crayon : « Vivement demain pour que tout soit pareil à hier ». Voilà qui est bien dit et qui, résumant si bien l’air du temps, termine cette première énumération.
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