Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 3 juillet 2013

Dubaï : Le Coran et le Bling-Bling

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Al Huffpost, 25 juin 2013
Akram Belkaïd, Paris

Les deux informations sont tombées de manière simultanées et, d'une certaine façon, elles décrivent parfaitement la dualité schizophrène de l'émirat de Dubaï. La première annonce l'inauguration prochaine du Palazzo Versace Dubaï, un établissement de luxe se voulant être l'icône de « la splendeur italienne », une construction imposante de style gréco-romain aux portes du désert. En clair, un nouveau « land-mark » étincelant et luxueux dans une cité-Etat qui en compte déjà plusieurs dizaines. La seconde information est relative quant à elle, au lancement d'un nouveau projet urbain dans la capitale de la dynastie des Al-Maktoum. Il s'agit de la création d'un parc thématique entièrement dédié au... Coran. D'un montant de 7,3 millions de dollars, le projet de 60 hectares ambitionne de présenter tous les végétaux, arbres, plantes, légumes et fruits, cités dans les sourates du Livre saint. Une galerie fermée, climatisée cela va sans dire, présentera les grands événements relatés dans le Coran.

Alors, Dubaï : Coran ou « bling-bling » ? Depuis son extraordinaire essor planétaire entamé au début des années 1990, l'émirat a plutôt penché vers la seconde extrémité au point de devenir le point de convergence de tous les fêtards de la péninsule. Une sorte de sas de décompression pour toute une région plus qu'enserrée dans la gangue du rigorisme religieux. A Dubaï, l'une des villes les plus sûres au monde, les femmes peuvent conduire, le voile n'est obligatoire pour personne, et l'alcool est servi dans la majorité des hôtels. Des méga-fêtes y sont organisées, et les mots « fun » et « leisure », amusement et loisirs, y résonnent comme un leitmotiv.

Mais depuis quelques années, et surtout depuis la montée en puissance des mouvements islamistes à la faveur du Printemps arabe, la cité connue pour sa tolérance, et son cosmopolitisme (plus de deux cent nationalités y cohabitent) fait l'objet de virulentes mises en cause. Ces dernières viennent de certains courants radicaux parmi lesquels des salafistes saoudiens mais aussi des Frères musulmans, une confrérie interdite dans les six pays du Conseil de Coopération du Golfe. Pour dire les choses de manière plus directe, Dubaï est vue dans le Golfe comme l'endroit de toutes les perditions possibles, puisque tout y est permis ou, presque, y compris la prostitution (cantonnée toutefois dans les grands hôtels). Pendant des années, Dubaï a pourtant échappé à ces critiques, fort de son statut de « terrain neutre ». Les GI's américains stationnés au Qatar ou à Bahreïn pouvaient ainsi s'y encanailler croisant, dans la réception du même hôtel, des dignitaires Talibans venus eux aussi se reposer ou se soigner dans le Las Vegas du Golfe. Ajoutons à cela un zeste de négociants iraniens, activant pour détourner l'embargo infligé à leur pays, une pincée d'oligarques russes ou de trafiquants tchétchènes, sans oublier des banquiers occidentaux spécialisés dans « l'optimisation fiscale », et l'on comprendra pourquoi Dubaï ressemble tant à une zone franche, à un « saloon » mondial où tout le monde est obligé de laisser ses armes à l'entrée.

L'annonce du lancement du parc à thème coranique apparaît donc comme un tournant notable. C'est évidemment une concession faite aux Dubaïotes mais aussi aux autres Emiratis, notamment ceux d'Abou Dhabi, qui trouvent que l'émirat est allé trop loin dans la démesure et l'ouverture à l'occidentale. Dans un contexte régional de plus en plus tendu, marqué notamment par une agitation salafiste de plus en plus importante en Arabie saoudite, ainsi qu'un retour de l'activisme des Frères musulmans - comme en témoigne l'actuel procès d'Emiratis accusés d'appartenir à la Confrérie - ce futur parc revêt une symbolique de retour aux sources voire de rédemption, deux éléments fondamentaux dans le monde musulman. Est-ce que cela suffira à inverser la tendance et à convaincre ses contempteurs que Dubaï n'est pas la « Sodome et Gomorrhe » du Golfe voire du monde arabe ? Rien n'est moins sûr à l'heure où la reprise de l'économie fait que la cité-Etat est de nouveau tentée par le lancement d'autres méga-projets où le gigantisme le disputera au luxe et au bling-bling...
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