Il n’y aura pas de grandes surprises à attendre en matière économique lors de la visite du président français, François Hollande, en Tunisie. C’est davantage un moment politique où le chef d’Etat français aura à gérer des attentes contradictoires chez les politiques tunisiens.
Les retrouvailles, enfin… Après quelques incertitudes et un report au mois de mai dernier, le président français François Hollande va effectuer sa première visite officielle en Tunisie à la fin de cette semaine. L’occasion pour le locataire de l’Elysée de réaffirmer l’engagement de son pays en faveur de la transition tunisienne mais aussi de se faire pardonner le fait que son déplacement à Tunis vient bien après celui d’Alger et de Rabat. Cela sans oublier celui de Doha au Qatar qui a quelque peu irrité nombre de Tunisiens, ces derniers n’ayant pas admis, proximité historique avec la France oblige, que l’émirat qui fait tant parler de lui sur la scène mondiale ait précédé leur pays sur le carnet de voyage de François Hollande. « C’est vrai que c’est un peu vexant surtout quand on sait à quel point le Qatar divise les Tunisiens », confie un homme d’affaires tunisois. « Mais il faut aussi comprendre François Hollande. Ce n’est pas facile de se déplacer dans un pays tel que le nôtre en proie à tant de turbulences politiques. Heureusement que l’affaire des trois Femen emprisonnées a été réglées avant sa venue ».
1300 PME françaises en Tunisie
De fait, François Hollande va arriver dans un pays où nombreux sont les avis qui ont tendance à exagérer le rôle et l’influence de la France et cela de manière parfois contradictoire. Certes, et de manière incontestable, ce pays est le premier partenaire économique et politique de la Tunisie. Qu’il s’agisse des échanges commerciaux (7,6 milliards d’euros en 2011) ou d’investissements directs, la France est en tête. Et de loin puisqu’elle détient une part de marché commerciale qui oscille selon les années de 18% à 20% (16% pour l’Italie, 7,4% pour l’Allemagne et 6% pour la Chine). De même, le marché français est le premier client de la Tunisie puisqu’il absorbe 30% ( !) de ses exportations (21% pour l’Italie et 9% pour l’Allemagne). En outre, les entreprises françaises, essentiellement des PME, sont présentes en force sur le sol tunisien. Elles sont au nombre de 1.300 et elles emploient 115.000 personnes (la France est le premier employeur étranger en Tunisie). Enfin, la France est aussi le premier bailleur de fonds bilatéral de la Tunisie qu’il s’agisse de l’aide financière directe ou par le biais de l’Agence française de développement (AFD).
Sur le plan économique, François Hollande va donc jouer sur du billard. Bien sûr, il pourra promettre plus d’aide, plus d’engagement de son pays via le Partenariat de Deauville et plus d’efforts pour la création d’emplois et le développement de l’intérieur du pays. Mais, à dire vrai, les Tunisiens savent déjà que la France est à leurs côtés sur ce plan. Tout comme elle semble décidée à aider leur pays dans ses discussions avec l’Union européenne (UE) pour obtenir le statut de partenaire privilégié à l’image de ce qui existe déjà pour le Maroc. Ces négociations devaient s’ouvrir en 2011 mais elles ont été repoussées après la chute du régime de Ben Ali. Peut-être que François Hollande fera quelques annonces économiques en promettant une remise en matière de dette ou l’augmentation du nombre de bourses pour les étudiants tunisiens qui souhaitent se rendre en France ou, enfin, le soutien de son gouvernement aux initiatives de partenariats industriels que tentent de lancer le Medef et l’Utica, les deux patronats français et tunisien.
Les aspects politiques de « l’offre française »
En réalité, le président Hollande est attendu sur les deux autres aspects de « l’offre française » à destination de la Tunisie post-Ben Ali. Il s’agit du « soutien à la société civile » et du « renforcement de l’Etat de droit ». Les dénominations sont suffisamment générales pour que chaque courant politique tunisien y voie ce qu’il souhaite y trouver. Pour être plus précis, François Hollande va arriver dans un pays où il va lui falloir à la fois rassurer et… décevoir et cela doublement ! Ainsi, le président français devra trouver le ton juste et les arguments pour convaincre le parti Ennahdha que la France ne travaille pas à la défaite – d’une manière ou d’une autre – de ce parti et cela au nom d’un principe régulièrement clamé de « non-ingérence ». Jusqu’à présent, le report de la visite présidentielle mais aussi les déclarations intempestives et hostiles à Ennahdha de ministres français – dont celui de l’intérieur Manuel Valls - ont donné des arguments à celles et ceux qui pensent que Paris souhaite que le parti islamiste soit défait lors des prochaines élections. C’est donc cela que François Hollande va essayer d’effacer, quitte à décevoir les courants politiques non-islamistes qui voient la France comme l’arbitre suprême du bras de fer politique entre Ennahdha et eux. Pour ce journaliste tunisien, « une partie de la bonne société tunisienne mais aussi des partis de gauche sont persuadés que la France est le dernier recours et qu’elle saura comment intervenir contre Ennahdha le moment venu. Or, depuis plusieurs mois, la France montre qu’elle refuse ce rôle et qu’elle entend respecter le choix des Tunisiens. Cela en déroute et agace plus d’un du côté des quartiers chic de Tunis ou de sa banlieue nord ».
Mais, dans le même temps, François Hollande devra signifier que son pays ne restera pas les bras croisés en cas de dérives en matière de non-respect des droits de l’homme ou des droits de l’opposition et cela au nom du principe de « non-indifférence ». Au risque, là encore, de conforter les militants islamistes dans leur certitude que la France travaille de concert avec l’opposition démocratique pour les empêcher d’aller plus loin dans leur conquête du pouvoir. Ainsi, la marge de manœuvre de François Hollande est-elle étroite. Même si, atout majeur pour lui, on ne peut lui reprocher d’avoir été complaisant avec Ben Ali il reste que le double-principe de non-ingérence et de non-indifférence pourrait très vite le mettre à mal avec l’un des protagonistes du bras de fer politique tunisien.
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