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Le Quotidien d’Oran, jeudi 14 avril 2016
Akram Belkaïd, Paris
« Le voile est une obsession française
qui m’apparaît aussi irrationnelle que suspecte ». Il m’est souvent arrivé de
dire ou d’écrire cette phrase destinée à interroger l’intensité et la passion
qui caractérise tout débat autour de cette question. Ce fut le cas, il y a
quelques années lors d’une conférence dans une ville du sud-ouest de la France.
A peine prononcée, elle m’a valu une véritable bronca de la part d’une partie
de l’assistance réunie par des associations de gauche. Amusé, j’ai alors relevé
que ces réactions confirmaient bien ce que je venais de dire et que s’il y a
bien un sujet sur lequel il est difficile de faire entendre un avis plus ou
moins original, c’était bien celui du foulard dit islamique. J’ajoutais que
j’avais conscience du caractère minoritaire de cette position et qu’il me
serait bien plus facile – et rentable en termes de droits d’auteur et de
visibilité –de joindre ma voix à celles, présentées comme « dissidentes »
au sein de la grande famille berbéro-arabo-musulmane, qui prônent une
opposition non-négociable au voile. Quelques temps plus tard, interviewé par un
quotidien hexagonal, j’ai constaté, sans grande surprise, que la seule partie
de mes propos qui n’avaient pas été reproduits concernait la mention de cette
fameuse obsession.
Il serait malhonnête, sur le plan intellectuel,
de mettre tous les opposants au voile dans le même sac. A force de discussions,
y compris heurtées, je peux témoigner qu’il existe des convictions sincères
basées sur une quête d’égalité et de défense des droits de la femme. C’est au
nom de luttes passées pour l’émancipation que certaines femmes, ou certains
hommes, disent non au voile. Ils y voient une régression et réfutent toute idée
de racisme ou d’islamophobie. Mais l’une des erreurs de ces personnes est de ne
pas élargir leur champ de vision et, surtout, de ne pas prendre conscience de
ce que signifie vraiment l’interdiction de ce vêtement pour de nombreuses
femmes qui revendiquent le droit, et la liberté (c’est ainsi) de le porter.
J’ai souvent entendu cette phrase étrange selon laquelle le port du voile
signifierait la défaite du combat féministe. Comme s’il n’y avait que cela
comme « menace ». Comme s’il n’y avait pas d’autres combats – à commencer
par l’inégalité salariale ou le partage des tâches ménagères – qui mériteraient
autant de ferveur et de mobilisations.
Mais il ne faut pas être naïf. Le voile est le
sujet idéal pour l’expression de nombre d’impensés ou pour la matérialisation
d’inconscients collectifs. De jeunes françaises qui se voilent, c’est, pour
certains, une nouvelle défaite du colonialisme. Oh, pas le colonialisme dont on
s’accorde à dire qu’il fut un désastre et une terrible injustice. Non, c’est
plutôt le colonialisme « romantique » ou à « effets positifs »,
celui de Jules Ferry, celui de l’émancipation de peuples « arriérés »,
mission que la France, flambeau des droits de la personne humaine, avait (a
toujours…) pour mission de mener à bien. Quel étrange retour de bâton, n’est-ce
pas ? A la fin des années 1950, en Algérie, la propagande coloniale a
enjoint aux femmes indigènes d’enlever leur haïk, autrement dit leur voile
traditionnel. Quand on rappelle cet épisode, cela envenime la conversation,
signe que l’on touche-là à un point des plus sensibles.
Soyons clairs. Je ne défends ni ne réclame le
port du voile. Pour moi, c’est une question de choix individuel chez des
personnes majeures (la question des adolescentes est autrement plus compliquée
à aborder qu’on ne le croit mais il est hors de question d’accepter l’idée des
gamines puissent être voilées). On me rétorquera que ce n’est pas le cas. Que
c’est la pression du père, du frère, de l’époux ou du quartier dans son
ensemble. C’est certainement vrai mais en partie et cela ne peut justifier que
l’on limite les choix individuels. Une société où l’on décide de ce qui est
bien ou non pour une partie des citoyens – sans jamais leur demander leur avis
- ne peut être cohérente avec l’idée que l’on se fait de la liberté et des
droits de la personne humaine.
Il convient aussi de ne pas ignorer que le
voile est instrumentalisé y compris à gauche ou, plus exactement, chez la
pseudo-gauche, celle qui affirme qu’elle n’est ni raciste ni islamophobe parce
que, justement, elle est « la » gauche (et qu’elle aime le couscous…).
Ainsi Manuel Valls, ce Premier ministre qui a piteusement échoué dans sa
mission principale de faire baisser le chômage (première préoccupation des
Français). On ne s’étonnera donc pas de voir ce matamore agiter les questions
identitaires dans l’optique de l’élection présidentielle de 2017. On ne
s’étonnera certainement pas de le voir relancer le débat de l’interdiction du
voile à l’université, histoire de faire naître quelques polémiques et d’éviter
de devoir rendre des comptes sur son bilan pitoyable. Voile : synonyme de
diversion politique…
Lancé sur les réseaux sociaux par le
journaliste Nadir Dendoune, le mouvement « tous voilés » a signifié
le ras-le-bol de cette instrumentalisation quasi-permanente (*). Un ras-le-bol
qui, jusque-là n’était que très peu relayé par les médias influents. Le succès
de cette initiative, y compris et surtout auprès de personnes n’ayant rien à
voir avec l’islam, montre que la question est bien plus complexe que ne veut le
faire croire la « féministe » Elisabeth Badinter dont le discours
anti-voile cache mal sa détestation de tout ce qui peut provenir du sud et de
l’est Méditerranée et qui n’entend pas se plier à ses injonctions identitaires
et politiques.
Terminons cette chronique par ce pari.
Imaginons que demain les femmes voilées décident d’abandonner leur fichu.
Certains de leurs contempteurs s’estimeront satisfaits et en resteront là. Mais
seront-ils nombreux. Pas si sûr… Car, après le voile, ce sera au tour du
prénom, de la binationalité, du hallal, du ramadan ou de que sais-je encore.
Car le voile ne cache pas uniquement les cheveux de celles qui le portent…
(*) https://tousvoiles.wordpress.com/
Addenda :
Lu, sur la page facebook de la journaliste
Mona Chollet, ce rappel qui met en exergue d’étranges coïncidences…
- 2003: réforme des retraites (loi Fillon).
Fort mouvement de contestation. "Débat" sur le voile à l'école (loi
d'interdiction en 2004).
- 2010: nouvelle réforme des retraites.
"Débat" sur la burqa dans l'espace public (loi d'interdiction votée
en octobre 2010).
- 2013: nouvelle modification du régime de
retraite. Lancement de la polémique sur une éventuelle interdiction du voile à
l'université.
- 2016: révolte contre la loi travail.
Polémique sur la "mode islamique"; relance par Manuel Valls du
"débat" sur le voile à l'université.
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1 commentaire:
En France ce n'est pas le voile qui est interdit mais de se cacher le visage et ceci pour des raisons évidentes de sécurité. Ma grand mère et ma mère portaient le foulard, et, en France de nombreuses magrébines portent le foulard ça ne gène personne. Non la vrai question est celle là: pourquoi les femmes et pas les hommes.
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