Le Quotidien d'Oran, jeudi 24 mars 2016
Akram Belkaïd, Paris
Les attentats de Bruxelles viennent de rappeler plusieurs
vérités qu’il ne sert à rien d’éluder. Ces événements dramatiques nous disent
que le terrorisme qui endeuille régulièrement le monde, et pas simplement
l’Europe, ne va pas disparaître du jour au lendemain. Malgré les promesses et
les déclarations martiales des politiciens, malgré les lois liberticides,
malgré le « toujours plus » en matière de législation d’exception, ces
tueries qui tétanisent les opinions publiques vont continuer.
Elles vont se répéter tant que la situation restera ce
qu’elle est au Proche-Orient et notamment en Syrie et en Irak. Dans son ranch
du Texas où il peint à ses heures perdues, l’ancien président américain George
W. Bush doit être satisfait de son œuvre magistrale. L’invasion de l’Irak en
2003 continue de tuer. Ses conséquences directes et indirectes tuent en Irak
mais aussi en Syrie et ailleurs en Europe. A Londres il y a plus de dix ans, à
Paris en novembre et à Bruxelles il y a quelques jours. Dans un monde idéal,
cet homme devrait être poursuivi par la justice internationale. Mais passons.
Le terrorisme va perdurer parce que, contrairement à ce
que racontent des hommes politiques aux affaires – responsables dont il est
désormais aisé de constater l’incompétence -, ce n’est pas par « haine de
la liberté et de la démocratie » que les terroristes de Daech tuent. Ce
n’est pas par « haine de ce qu’est la société occidentale » qu’ils
font exploser des bombes. Ces gens-là rendent coup pour coup. Ils sont inscrits
dans un projet de création d’une entité politique et religieuse qui a trouvé
les forces occidentales sur son chemin. Autrement dit, le terrorisme durera et
continuera de frapper l’Europe tant que la Syrie et l’Irak seront confrontés
aux ambitions territoriales et religieuses de l’Organisation de l’Etat
islamique (OEI).
Ce qui se déroule actuellement en Europe sur ce front
invisible et mouvant où des cellules plus ou moins dormantes tentent de prendre
de vitesse les services de sécurité n’est pas une guerre classique. Mais ce
n’est pas non plus « que » du terrorisme. C’est une guerre hybride.
La projection d’un conflit qui se déroule à des milliers de kilomètres de
Bruxelles ou de Paris et où des armées européennes sont impliquées. Il y a une
dimension politique dans cette bataille qu’il serait dangereux d’éluder.
Là-bas, des civils meurent aussi, tous les jours, sous les bombes qu’elles
soient russes, syriennes ou occidentales. Pour ceux qui veulent embraser
l’Europe, ces victimes sont le symétrique des morts de Bruxelles ou de Paris.
C’est une pensée qui peut paraître irrationnelle ou illogique mais c’est ainsi
et il faut en tenir compte. Pour sortir de cette nasse mortifère, les Européens
doivent absolument peser pour que la paix revienne en Syrie et en Irak. Cela
signifie faire pression sur des puissances régionales au jeu plus que trouble
parmi lesquelles l’Arabie Saoudite et la Turquie. Cela signifie, on peut
toujours rêver, l’urgence de décréter un embargo général sur les armes pour
cette région.
Ce terrorisme, ce bruit continu des sirènes, cette peur
diffuse qui s’installe avant que la vie ne reprenne ses droits jusqu’au
prochain attentat, ce terrorisme donc ne va pas disparaître parce qu’il peut se
développer sur le double terreau de la misère sociale et du désarroi
identitaire. La lecture attentive des profils et des itinéraires des individus responsables
de cette actualité sanglante depuis plusieurs années est édifiante. Elle met en
exergue non pas l’échec de l’intégration des populations d’origine maghrébine
ou subsaharienne mais, en réalité, l’abandon, délibéré ou non, et l’absence de
volonté de les intégrer. Que peut-on attendre de bon quand des populations
entières sont oubliées, ghettoïsées durant plusieurs décennies et livrées au
premier prêcheur venu ?
Les attentats continueront tant qu’il subsistera aussi une
certaine indulgence à l’égard des criminels qui en sont les auteurs. Il suffit
de relever les réactions des uns et des autres pour découvrir, effaré, que les
théories du complot n’ont jamais été aussi populaires. Par classes entières,
des adolescents sont convaincus que les attentats de Paris ou de Bruxelles ne
sont pas l’œuvre de Daech. Leurs aînés sont encore plus virulents dans la
dénonciation de ce qui ne serait qu’une immense manipulation américano-sioniste.
Tant que la réalité sera niée par les populations de confession ou de cultures
musulmanes, les brèches dans la raison commune persisteront et il se trouvera toujours
des gens pour attenter sans aucun remord à la vie d’autrui.
L’Europe de l’ouest va au-devant de jours difficiles. La
cohésion de ce continent, le « vivre ensemble » de ses multiples
composantes humaines, son modèle social, tout cela est menacé. La réponse
sécuritaire est nécessaire. On notera d’ailleurs qu’elle est minée par un manque
de moyens qui résulte de décennies de politiques économiques bâtie autour du
culte de la réduction des dépenses publiques et de la nécessaire rémunération
des actionnaires (sinon comment expliquer que des aéroports et des gares
rechignent à installer des portiques et des scanners et cela contrairement à ce
qui existe en Asie ou en Afrique ?).
Mais la force seule ne suffira pas. On attend encore la
révolution que constituerait une remise en cause rigoureuse des politiques
d’intervention des Européens au Proche-Orient. Cela, en attendant aussi un
règlement de la question palestinienne qui demeure la mère de toutes les
frustrations dans le monde arabe et au sein des communautés européennes
d’origine maghrébine ou proche-orientale.
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