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Le Quotidien d’Oran, jeudi 22
décembre 2016
Akram Belkaïd, Paris
Au-delà des positions des uns et des
autres (au passage, un petit salut aux poutinolâtres que ma dernière chronique
a rendu ivres de colère…), que dit le drame syrien aux Algériens ? Il peut
paraître inconvenant de poser cette question et de se regarder le nombril quand
un autre peuple vit l’enfer. Mais l’impératif de solidarité et d’empathie ne
doit pas empêcher la réflexion ainsi que ce que je qualifierai d’intelligence
préventive ou anticipatrice. C’est d’autant plus vrai que de nombreux
Algériens, plus ou moins perméables aux campagnes d’auto-affolement sur les
réseaux sociaux, sont désormais persuadés que leur pays « est sur la
liste ». Quelle liste ? Etablie par qui ? N’entrons pas dans ce
débat qui ravirait n’importe quel complotiste et disons simplement que nombre
d’Algériens s’accordent pour dire que les temps qui viennent risquent d’être durs.
Quelle que soit la lecture des
événements qui embrasent le monde arabe, complot, révoltes qui tournent mal,
quête incessante d’une transition démocratique, il y a donc une convergence des
pronostics et des craintes. « L’exception algérienne », c’est-à-dire
cette situation intérieure plutôt calme et stable qui intrigue tant
d’observateurs étrangers, serait-elle en train de s’achever ? On dit que
l’histoire ne se répète jamais mais, pour commencer, il n’est pas inutile de
regarder en arrière pour se rafraichir la mémoire. A y regarder de près, la
période actuelle ressemble d’une certaine manière au creux des années 1980. Des
cours du pétrole qui s’effondrent, un monde arabo-musulman miné par la guerre
froide irano-saoudienne et, pour l’Algérie, l’inéluctable recours à l’endettement
extérieur pour maintenir un train de vie déjà imparfait et inégalitaire. On
connaît la suite. Des émeutes sanglantes, la torture, un
« printemps » qui tourne mal et des années de cendre dont le prix se
paie encore aujourd’hui.
Soyons clairs et ne prenons pas de
gants. Une grave crise vient. A l’atonie actuelle d’une société et d’un champ
politique qui semblent pétrifiés, risque de succéder le pire. Ce n’est pas la
prédiction du simple auteur de ces lignes. Encore une fois, une majorité
d’Algériens en est convaincue et l’instinct des peuples longtemps violentés ne
les trompe que rarement. Il faut dire que le panorama n’incite guère à
l’optimisme. Aux blocage politique, marasme économique et régressions
sociétales (ah, que cette pitoyable et honteuse affaire de faux médicament
contre le diabète est emblématique du mal algérien !) s’ajoute un contexte
géopolitique régional explosif (chaos en Libye, résurgence de tensions entre le
Maroc et le Front Polisario, instabilité au Sahel,…).
Dans une telle situation, comparable
à un champ de céréales en été qui n’attend plus qu’une allumette pour flamber,
la démarche la plus évidente serait une initiative politique majeure. Ne
parlons pas de ces démarches de rassemblement autour d’une union forcée au nom
de l’unité nationale. On connaît les conséquences de ce genre de stratégie avec
le musellement de l’opposition et le verrouillage des libertés individuelles.
Non, il s’agit de penser autre chose pour empêcher que les prophéties qu’on
entend ou lit ici et là ne s’autoréalisent. Et c’est là que la leçon syrienne
intervient. Que nous dit-elle ? La réponse est simple. Dans un pays où le
régime ne concède rien, quand la crise survient de manière concrète, alors il
est trop tard pour la paix civile. Rien de ce qui est entrepris ensuite comme
acte de conciliation et de résolution du conflit ne peut arriver à juguler les
pulsions destructrices des uns et des autres. Et rien ne peut empêcher tel ou
tel acteur extérieur de profiter de l’aubaine pour pousser en avant ses pions
et son agenda. En un mot, tout se joue en amont. Et c’est dans cet amont que le
navire Algérie a encore la chance de naviguer. La question est jusqu’à
quand ?
Nombreux sont ceux qui demeurent
persuadés que c’est l’ouverture démocratique qui amène le chaos. C’est l’idée
véhiculée en ce moment. Taisez-vous et restez tranquille sinon vous aurez la
Syrie ou la Libye chez nous, tel est le message. Pourtant, l’idée n’est pas
d’exiger un changement brutal de l’ordre des choses mais de réfléchir à une
transition concertée qui présenterait le double avantage d’être pacifique et de
désamorcer nombre de tensions. A l’heure où des apprentis-sorciers revendiquent
ouvertement la sécession de telle ou telle région algérienne, ne rien
entreprendre de constructif pour défendre la cohésion nationale est dangereux.
Les faiblesses d’un pays ne font pas simplement qu’affecter sa population,
elles sont l’outil idéal pour n’importe quelle instrumentalisation. Donnez-moi
une colère et un mal-être, donnez-moi une surdité et une arrogance, et je vous
offre une révolte, que dis-je, une révolution…
Depuis quelques mois, de nombreux médias reprennent à
l’envi le célèbre propos d’Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le
nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les
monstres ». Pour ma part, je préfère une autre citations tirées de ses Cahiers de prison : « La crise
est le moment où l'ancien ordre du monde s'estompe et où le nouveau doit
s'imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions.
Cette phase de transition est justement marquée par de nombreuses erreurs et de
nombreux tourments. » Il ne tient qu’aux Algériens, à commencer par leurs
dirigeants, de faire en sorte que cette inéluctable transition se passe au mieux.
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