Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 décembre 2016
Akram Belkaïd, Paris
Quelques jours avant la chute d’Alep-est (« la
libération d’Alep-est », diront les Poutinolâtres et autres Bacharophiles),
une séquence vidéo a cartonné sur internet et les réseaux sociaux. Mise en
ligne par le site RT News (ex Russia Today News), un site financé par des fonds
publics russes, elle entendait « démonter en deux minutes la rhétorique
des médias occidentaux sur la Syrie ». Eva Bartlette, journaliste
« indépendante » canadienne y répond à son confrère norvégien
Kristoffer Ronnenberg, correspondant d’Aftenposten aux Etats Unis, en déroulant
l’habituel argumentaire pro-régime : les médias « mainstream »
mentent, les rebelles sont tous des terroristes, les Casques blancs seraient
une imposture, etc…
Il ne s’agit pas ici de perdre son temps à répondre à cette
propagande qui foisonne sur internet et que la fachosphère reprend et amplifie.
On notera simplement que ce qui a donné de l’impact à cette intervention, c’est
que la journaliste s’exprimait avec, derrière elle, le logo des Nations unies
ce qui a poussé de nombreux internautes à penser que le débat était organisé
par l’ONU. En réalité, et le site RT News et ses affidés se sont bien gardés de
le préciser, cette conférence de presse était organisée par la Mission
permanente de la République syrienne aux Nations Unies, autrement dit la représentation
du régime syrien. Celles et ceux qui ignorent le fonctionnement des Nations
Unies, et ils semblent être nombreux, doivent savoir que n’importe quelle
représentation diplomatique à l’ONU a le droit d’utiliser l’une des nombreuses
salles de presse de l’institution sans pour autant que les conférences
organisées puissent recevoir le label onusien. Pour résumer, il y a une grande
différence entre « conférence organisée à l’ONU » et
« conférence organisée par l’ONU ». Mais gageons que cette précision
ne convaincra pas celles et ceux qui affirment que « l’ONU a dénoncé les
mensonges de la presse mainstream »…
Mais ce qui doit interpeller dans l’affaire, c’est le
succès de cette vidéo. On peut le mettre sur le dos de l’audience croissante du
conspirationnisme mais cela ne suffit pas. En effet, c’est aussi le résultat de
la perte de crédibilité des grands médias quant aux affaires internationales. Si
l’on s’en tient au monde arabe, et à sa propension actuelle à réfuter le
discours anti-Bachar, deux dossiers donnent de la consistance à cette défiance.
Il s’agit de la guerre en Irak de 2003 et la situation du peuple palestinien,
notamment à Gaza. Il y a quelques temps, j’ai participé à une émission sur TV5
où le représentant du New York Times a évoqué, sans honte bue, les attentats du
11 septembre 2001 pour justifier l’invasion de l’Irak décidée par George W.
Bush et soutenue, entre autres, par Tony Blair. Or, on sait aujourd’hui
l’ampleur du dévoiement de ce quotidien dont plusieurs journalistes ont repris
sans ciller les mensonges du Pentagone et du Département d’Etat. Certes, le
quotidien a présenté ses excuses à ses lecteurs mais ce fut une démarche à
minima et, aujourd’hui, ses journalistes s’irritent quand on leur rappelle
cette grande erreur. Ils ne veulent pas voir à quel point cette affaire a
laissé des traces dans les mémoires. Pire, certains d’entre eux sont même
tentés par un certain révisionnisme destiné à minimiser les errements de leur
journal dans cette guerre dont l’Irak, en particulier, et le monde arabe en
général, continuent de payer le prix fort.
Abordons maintenant la question du peuple palestinien et
évoquons une autre vidéo qui a, elle aussi, cartonné sur les réseaux sociaux.
Il s’agit du passage du « philosophe » Bernard-Henri Levy dans
l’émission Upfront d’Al-Jazeera en langue anglaise. Les questions du
journaliste Mehdi Hasan étaient simples et percutantes (BHL n’est jamais, mais
vraiment jamais, interviewé de la sorte par les médias français…) : pourquoi
l’émoi et la solidarité en faveur d’Alep-est et pourquoi le silence quant au
sort du peuple palestinien en Cisjordanie et à Gaza ? Pourquoi évoquer une
« no-fly zone » pour Alep et ne pas en avoir fait de même pendant les
bombardements de Gaza en 2008-2009 et 2014 ? Déstabilisé, bredouillant
dans un anglais plutôt incertain, le coucourdier à la chemise blanche de
Saint-Germain-des-Prés a démontré à quel point le double ou triple langage ne
le gênait pas en prétendant, entre autres, que la Guerre de Gaza était « défensive »
et qu’il convenait de ne pas comparer les deux situations puisque les morts à
Alep-est étaient bien plus nombreux que ceux de Gaza. Etrange argument quand on
sait que le même personnage affirme qu’il ne faut pas entrer dans « l’arithmétique
des morts » quand on lui fait remarquer que le nombre de victimes
palestiniennes est bien plus important que les israéliennes.
Certaines causes sont souvent entachées par des soutiens
dont elles se seraient bien passées et cela ne doit pas remettre en question
leur justesse. Que BHL soutienne tel ou tel soulèvement dans le monde arabe ne
doit pas servir de seule justification pour adopter une position contraire. En
1992, et durant les années qui ont suivi, le « philosophe » avait
pris parti pour l’interruption du processus électoral en Algérie et s’était même
démené pour soutenir nombre d’illustres personnalités algériennes. Si l’on s’en
tient au raisonnement qui prévaut aujourd’hui chez nombre de nos concitoyens,
cela veut donc dire que les partisans de cette interruption se sont fourvoyés...
Bien entendu, l’affaire est plus complexe mais cet exemple précis devrait
inciter à juger de certaines situations autrement qu’en se déterminant en
fonction de ce qu’en disent la presse occidentale et BHL.
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