Le Quotidien d’Algérie, jeudi 20
juillet 2017
Akram Belkaïd, Paris
Mercredi soir, bien après le
bouclage de cette chronique, le grand groupe britannique de rock Radiohead devait
se produire à Tel-Aviv. De nombreux
artistes et personnalités ont pourtant appelé Thom Yorke et sa bande à renoncer
à un tel concert dans la ville israélienne que la communauté internationale
considère comme la seule capitale de l’état hébreu. Parmi eux, les réalisateurs
Mike Leigh et Ken Loach ainsi que le chanteur et musicien Roger Waters,
fondateur de Pink Floyd. Leurs appels sont restés vains et il s’agit d’une
défaite symbolique pour celles et ceux qui prônent le boycottage culturel
d’Israël pour mettre fin à la situation d’apartheid subie par le peuple
palestinien et à l’occupation coloniale de la Cisjordanie. Dans un raisonnement
des plus spécieux, Thom Yorke a expliqué que son groupe joue aussi aux
Etats-Unis et que cela ne signifie pas qu’il soutient Donald Trump. La question
n’est pas là car, chanter en Israël, même en se faisant accompagner par des musiciens
arabes ou arabophones, ce n’est pas soutenir Netanyahou (quoique…). C’est
surtout cautionner l’existence d’un système ségrégationniste et injuste. C’est refuser
d’interpeller une population israélienne qui a beau dire et beau faire mais
qui, in fine, semble très bien
s’accommoder de la situation.
Certes, d’autres artistes se
produisent dans ce pays. Mais, comparé au fossile chevrotant qu’est devenu
Elton John, à la greluche fêlée qu’est Britney Spears ou à l’imposture musicale
qu’a toujours été Guns N'Roses, la présence de Radiohead à Tel Aviv est d’une
toute autre dimension quand on sait l’impact majeur de ce groupe sur la scène
rock depuis vingt ans, date de la sortie de leur album désormais culte OK Computer. Les combats politiques sont
fait de victoires et de défaites et ce concert est bien un revers pour le
mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) lancé par la société civile
palestinienne en 2005 et mené par de nombreux militants à travers le monde. Un
revers oui, mais pas une défaite définitive comme l’affirme Guy Beser, l’un des
organisateurs du concert de Radiohead. Pour lui, « BDS a perdu la
guerre ». C’est aller vite en besogne et prendre sa propagande pour une
réalité.
Le bras de fer ne va pas cesser. Le
fait est que jamais la mobilisation de BDS n’a été aussi importante qu’au cours
de ces dernières années. Le mouvement se fait connaître dans le monde entier et
ne cesse de progresser en audience. Il ne s’agit pas uniquement de boycottage dans
le secteur culturel mais dans toutes les dimensions à commencer par l’économie.
C’est ce qui inquiète au plus haut point les autorités israéliennes car on
touche-là au nerf de la guerre. A titre d’exemple, en juin dernier, la Haute
Cour de Londres, instance judiciaire suprême, a donné raison aux militants
pro-palestiniens (Palestine Solidarity Campaign) qui l’avaient saisie pour
contester la décision du gouvernement britannique de ne plus accorder de
financements aux municipalités ayant décidé de boycotter les firmes qui
participent à l’occupation de la Palestine. En de nombreux endroits du monde
occidental, une grosse bataille se déroule autour du droit légitime à boycotter
un Etat qui ne respecte pas nombre de résolutions de l’ONU et qui continue de
coloniser la Cisjordanie au mépris des lois internationales.
Les arguments israéliens sont
connus. Souvent, ils consistent à disqualifier les pro-Palestiniens en les
traitant d’antisémites. Procédé facile mais qui ne trompe guère. Pour les
autorités israéliennes, il faut aussi montrer que le boycottage n’a pas
d’effets. Du coup, on comprend pourquoi le champ culturel prend tant
d’importance. Sur le plan de la propagande, un show de Radiohead à Tel-Aviv est
une précieuse réclame. Cela permet de dire, « regardez, de grands groupes se
produisent chez nous, c’est bien que la situation n’est pas celle que nos
adversaires décrivent. » On devine derrière tout cela un lobbying intense
où intérêts économiques des organisateurs de concerts vont de pair avec la
stratégie gouvernementale pour contrer BDS.
Tout cela intervient dans un
contexte paradoxal. D’un côté, des militants et sympathisants pro-palestiniens
toujours plus actifs et nombreux dans le monde occidental. De l’autre, un
« ventre mou » arabe parfois enclin à se taire ou à regarder
ailleurs. Certes, la question palestinienne y demeure centrale – et il faut
saluer la mobilisation de nombreux acteurs de la société civile - mais l’attention
des opinions publiques, confrontées à d’immenses problèmes intérieurs, tend à
se relâcher. Dans le même temps, des régimes, et non des moindres, on pense à
ceux de l’Arabie saoudite et de ses vassaux, semblent ne rêver que d’une seule
chose : normaliser leurs relations avec Israël voire lui faire allégeance
pour s’assurer un nouveau statut international ou une protection (contre l’Iran,
dans le cas du royaume wahhabite). Tout cela brouille les analyses et les
perceptions.
Depuis 2011 et les révoltes
populaires, le sort des Palestiniens semble parfois passer au second plan. Plus
terrible encore, le monde arabe connaît désormais deux drames majeurs. Le sort
des Palestiniens mais aussi, et c’est plus récent, celui des Syriens (sans
oubliers les pauvres Yéménites dont personne ne parle). Le camp
« progressiste » pro-palestinien est même divisé entre pro et anti
Bachar. A cela s’ajoutent les errements de l’Autorité palestinienne qui
inflige, elle aussi, des souffrances à la population de Gaza pour mater le
Hamas. En forçant volontairement le trait, on peut donc dire que c’est la
mobilisation en Occident qui fait office de locomotive pour la cause
palestinienne. Cela signifie que la défense de la cause palestinienne a besoin
d’un nouvel élan fédérateur dans le monde arabe. D’une dynamique renouvelée qui
transcende à la fois les clivages nés du drame syrien et la lassitude d’opinions
publiques accablées par des échecs politiques et des drames à répétition. La
question étant de savoir quel courant politique ou de la société civile est
capable aujourd’hui d’œuvrer à ce renouveau...
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