Le Quotidien d'Oran, jeudi 6 décembre 2017
Akram Belkaïd, Paris
Des bombardements quotidiens, un blocus impitoyable, des conditions sanitaires désastreuses et une population au bord de la famine. C’est le tableau actuel du Yémen. Un pays qui connaît plusieurs guerres simultanées, entremêlées. Houthistes contre loyalistes au président exilé (à Riyad) Abd Rabbo Mansour Hadi et leurs alliés du mouvement sudiste. Coalition menée par l’Arabie saoudite et ses alliés contre les houthistes. Drônes américains contre les éléments, ou supposés tels, d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique. Pas un jour ne passe sans son cortège funèbre de morts et de dévastation. Selon l’ONU, 8,4 millions de Yéménites sont menacés par la faim. Le choléra et d’autres maladies infectieuses font de terribles dégâts. Et la situation ne fait que se dégrader.
De l’avis de tous les spécialistes de ce pays, la mort de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, vraisemblablement exécuté par ses anciens partenaires houthistes après qu’il eut rompu l’alliance avec eux, va aggraver la situation. Pour l’Arabie saoudite, la disparition de Saleh intervient alors qu’il venait à peine d’être « retourné », Riyad comptant sur lui pour disposer d’un relais politique efficace pour isoler les houthistes. Ces derniers se sentent renforcés par cette « victoire » et leur détermination à poursuivre coûte que coûte la guerre en sortira renforcée. Pour Abdelmalek Al-Houthi, chef de la rébellion, la mort d’Ali Abdallah Saleh signifie l’élimination d’un rival potentiel d’un ennemi de l’intérieur.
Autrement dit, chaque camp en présence entend persister. La coalition saoudienne va poursuivre ses bombardements et rien n’indique que le blocus imposé au Yémen, qu’il soit aérien ou maritime sera levé, y compris de manière temporaire. Signe inquiétant, l’ONU ainsi que des ONG ont décidé le rapatriement, dès que possible, d’une partie de leur personnel présent dans la capitale Sanaa. Pour mémoire, au printemps dernier, les houthises ont déjà chassé de cette ville, l’émissaire des Nations unies, Ismail Ould Cheikh Ahmed. Pour eux, c’est la prise de contrôle du maximum de territoire qui compte. Sur internet, des informations contradictoires circulent d’ailleurs sur le choix de plusieurs militaires, hier fidèles à Saleh, de rejoindre ou non la rébellion.
Dans ce contexte, le sort des populations civiles est plus qu’inquiétant. Mais qui s’en soucie ? Surtout, comment expliquer ce silence de la communauté internationale et, plus particulièrement des pays arabes ? Il est saisissant de noter qu’aucune initiative de paix, régionale ou internationale, n’a été enclenchée depuis le début des hostilités. Certes, ce genre d’engagement est rarement productif ou efficace, à l’image de ce qui se passe depuis 2012 en Syrie. Mais tout de même ! Les Yéménites sont-ils à ce point indignes d’attention pour qu’on les abandonne à leur sort ?
Il est vrai que ce qui se passe au Yémen est une sorte de guerre par procuration. On y voit surtout un affrontement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ce dernier agissant par houthistes interposés. La situation est abordée sous le prisme habituel de la « lutte entre sunnites et chiites ». C’est oublier deux choses. D’abord, il fut un temps – et cela jusqu’aux années soixante – où l’on considérait le zaïdisme, courant religieux dont se réclament les houthistes, comme la branche du chiisme la plus proche du sunnisme. Plus important encore, il fut même parfois qualifié de cinquième branche juridique du sunnisme. Ensuite, il ne faut pas remonter loin, c’est-à-dire aux années soixante, pour retrouver trace d’une alliance forte entre Saoudiens et Zaïdites.
En clair, rien ne peut justifier le statu quo. Les acteurs en présence se connaissent depuis longtemps et sont susceptibles de trouver un compromis pour peu qu’ils soient poussés à le faire. On objectera, avec raison, que les marchands d’armes ne veulent pas d’une conciliation. Pas plus qu’ils ne souhaitent voir Riyad s’asseoir à la même table que Téhéran pour négocier le compromis historique que Barack Obama les incitait à trouver. C’est pourtant la seule et unique solution pour que revienne la paix dans cette région. Ou du moins, un peu plus de stabilité.
Actuellement, seul le sultanat d’Oman essaie de ramener un peu de raison entre les belligérants. Une approche très discrète et très prudente tant est crainte une réaction extrême de rejet de la part d’un royaume saoudien désormais bien belliqueux et bien imprévisible. A défaut d’initiative de paix, le Yémen va sombrer dans un chaos sans nom. Ce pays est même menacé d’une nouvelle partition. Outre les groupes djihadistes qui activent au nord-est, on peut aussi citer les manœuvres des Emirats arabes unis (EAU) pour se doter d’une zone d’influence lui assurant un débouché sur l’océan.
Dans un livre récent, l’universitaire et chercheur Laurent Bonnefoy montre à quel point le Yémen compte, loin de l’image de pays relégué qu’en forgent les médias occidentaux (*). Son peuple, mérite que l’on parle de lui. Il mérite tout autant que les Palestiniens, les Syriens ou les Libyens que l’on se mobilise pour lui.
(*) Le Yémen, de l’Arabie heureuse à la guerre, Fayard, 347 pages, 23 euros.
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1 commentaire:
Et quant à nos chères élites , ces pleureuses professionnelles qui s'émouvaient de la destruction des Bouddha de Beniane , ne s'émeuvent pas de la destruction du patrimoine architectural du Yemen pourtant classé à l'Unesco
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