Le Quotidien d’Oran, jeudi 14
décembre 2017
Akram Belkaïd
Personne n’aime la défaite.
Personne n’aime faire partie du camp des perdants surtout si cela dure depuis longtemps
et que les revers se répètent et se multiplient. La prise de distance à l’égard
de la cause palestinienne par certains ressortissants de pays arabes – certes,
ils sont loin de refléter la majorité - s’explique, en partie, par ce constat
(on reviendra sur les autres raisons dans de prochains textes). Les années
passent et se ressemblent. Hormis l’euphorie des premiers mois de 2011 nées des
multiples soulèvements populaires, l’actualité quotidienne des rives de
l’Atlantique à celles de l’océan indien n’est guère flatteuse pour un ensemble
qui fera bientôt 400 millions d’habitants. Ici et là, ce ne sont que guerres,
affrontements fratricides, crises économiques sans oublier férule de fer,
absence de démocratie, extrémisme religieux et résurgence des pratiques
policières arbitraires. Chaque espoir né est rapidement balayé par la
désillusion, la colère voire les regrets que l’on cultive pour l’ordre ancien.
De quoi prendre la poudre d’escampette et clamer que l’on a rien à voir avec
« ces gens-là », que l’on ne veut pas partager avec eux le fardeau
dégradant des relégués.
On peut analyser de
différentes manières la décision récente du président américain de reconnaître Jérusalem
comme capitale d’Israël et cela au mépris du droit international et de diverses
résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Une chose est certaine,
cet acte unilatéral signifie autant aux Arabes et Palestiniens qu’aux Européens
que les Etats Unis continueront toujours de faire ce qu’ils veulent sans
respecter l’avis des autres nations. Mais, ce qui nous importe c’est que cette
reconnaissance sonne comme une nouvelle défaite dans la longue liste des composantes
du drame palestinien. Et pour cause, nombreux sont les experts qui affirment
qu’il n’y aura d’Etat palestinien ayant pour capitale Al-Qods voire qu’il n’y
aura tout simplement pas d’Etat.
Dans les vagues et
vaguelettes que charrient les réseaux sociaux, notamment en Algérie (mais cela
vaut aussi pour la Tunisie et le Maroc), on peut lire certains internautes
affirmer avec force qu’ils ne se sentent pas concernés par ce qui arrive aux
Palestiniens. Les uns jugent qu’il ne s’agit que d’une cause
« arabe » et mettent en avant leur berbérité et donc leur volonté de
s’en tenir à leur propre combat identitaire. Quant aux autres, ils avouent leur
lassitude face à cette question. Des décennies de luttes et de mobilisations
n’ont rien donné tandis qu’Israël et ses dirigeants triomphent et font preuve d’une
incroyable arrogance. Les médias occidentaux, à leur façon, prennent acte de
cette « victoire » de l’Etat qui se veut à cent pour cent hébreu, et
consacrent les intellectuels arabes qui lui adressent maints actes de
reconnaissance voire d’allégeance.
Difficile dans de telles
circonstances de ne pas céder aux sirènes de la versatilité. A force de voir
son équipe perdre, on en finit par soutenir les vainqueurs. On se dit que
lâcher les Palestiniens, c’est faire disparaître une blessure d’amour-propre. C’est
soigner un orgueil sans cesse bafoué. Et que ce serait aussi l’occasion
d’obtenir de l’Occident un autre regard. Qui sait même, une adoption ? Pathétique
mais humain... Seul celui qui vit sous la férule coloniale israélienne sait ce
que le terme soumoud veut dire dans
le contexte palestinien. La ténacité.
De cet abandon qui pointe,
les Palestiniens sont très conscients. Ils savent depuis longtemps qu’ils n’ont
rien à attendre des gouvernements arabes (lesquels ont compris, eux aussi,
qu’un rapprochement, même officieux, avec Israël leur vaudra mille attentions
amicales de l’Occident). Les Palestiniens découvrent désormais qu’ils devront
peut être mener une bataille de l’opinion publique au sein même des populations
qu’ils croyaient acquises à leur cause. Il fut un temps où les mouvements de la
gauche palestinienne rêvaient à la fois d’obtenir les droits de leur peuple à
exister dans un Etat souverain mais aussi de changer le monde arabe. Aujourd’hui,
le combat n’est même plus le même. Il s’agit de survivre et de ne pas être
(complètement) abandonné.
Le drame des Palestiniens est
multiple. Comment obtenir ses droits quand sa propre cause a été autant
instrumentalisée par des régimes arabes incompétents, corrompus et
brutaux ? Comment obtenir ses droits quand ses propres dirigeants sont
aussi incapables ? L’échec de l’Autorité palestinienne, ses compromissions
sécuritaires avec l’arsenal répressif israélien, sa caste de nantis, ses
politiques économiques libérales : tout cela se paie aujourd’hui. Mais aucune
raison au monde ne justifie que l’on tourne casaque et que l’on abandonne les
Palestiniens à leur sort.
On connaît l’habituel
argument de la propagande pro-israélienne que reprennent les nouveaux amis,
arabes ou berbères, de Netanyahou et consorts : Pourquoi la Palestine et
pas le Tibet, le Rif, les Rohingyas ? Mauvaise et tendancieuse question
pour laquelle il existe une réponse simple : C’est la Palestine ET le
Tibet comme hier c’était l’Afrique du Sud ET la Palestine. Tout comme cela doit
être absolument la Palestine ET la Syrie ET le Yémen. Les combats sont
multiples mais on peut tous les mener en même temps, on ne peut se
démultiplier. Pour autant, cela ne veut pas dire que s’engager dans l’un
signifie que l’on se lave les mains des autres.
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