Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 19 avril 2020

La chronique du blédard : Les fautes d’Emmanuel Macron

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 16 avril 2020
Akram Belkaïd, Paris

« Gouverner, c’est prévoir ». Cette célèbre formule, dont l’auteur est le journaliste et homme politique français Émile de Girardin (1802-1881), prend une dimension particulière en ces temps de pandémie de Covid-19. Dans le cas français, on ne peut reprocher au gouvernement l’irruption de la maladie tout comme on ne pourrait pas lui reprocher le fait qu’une catastrophe naturelle survienne soudainement. C’est ainsi, il est des événements dont on ne peut connaître la date puisqu’ils sont imprédictibles par nature. Par contre, on sait qu’ils sont plus ou moins inéluctables, ce qui exige de s’y préparer. Ainsi, depuis 2003, on ne pouvait ignorer que le monde était menacé par une pandémie dévastatrice. Cette année-là, le Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), maladie partie de Chine (déjà…), causa 800 morts et constitua, selon l’Institut Pasteur, « la première maladie grave et transmissible à émerger en ce vingt-et-unième siècle. » En clair, avec cette alerte, nous étions prévenus que cela pouvait recommencer, de manière bien plus grave, et qu’il convenait de s’y préparer sérieusement.

Or, ce qui frappe aujourd’hui en France c’est l’état d’impréparation absolue du pays face à l’épidémie de Covid-19. Dès les premiers cas, le personnel soignant a été obligé de faire face sans beaucoup de moyens de protection. Les masques manquaient et manquent toujours. Les blouses et les surblouses manquaient et manquent toujours. Les tests pour détecter le virus – pourtant très vite identifié et séquencé par les chercheurs chinois, manquaient et manquent toujours. A cela s’ajoute un fait dont on a très peu parlé mais qui a ses conséquences. Dans de nombreux hôpitaux mais aussi dans la médecine de ville – véritable premier front face au Covid-19, il manquait un protocole, une procédure clairement détaillée pour agir. Exemple concret. Des médecins généralistes de la région parisienne n’ont reçu leur premier courriel – plutôt vague dans ses mises en garde et instructions – qu’à la fin du mois de février alors que la situation sanitaire dégénérait depuis longtemps en Italie.

Dans cette affaire, Emmanuel Macron et son gouvernement ont une double responsabilité. La première est d’ordre structurelle. En menant une politique de réduction des coûts et de marchandisation de la santé, avec notamment une baisse du nombre de lits et la fermeture programmée de plusieurs établissements de santé, l’équipe d’Emmanuel Macron a affaibli l’hôpital et sa capacité à encaisser le choc épidémiologique. On rappellera néanmoins que cette responsabilité est partagée avec les prédécesseurs de l’actuel président. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont leur part de responsabilité dans ce qui se passe aujourd’hui. Tous ont mené des politiques de santé restrictives. Autrement dit, sur ce plan, Emmanuel Macron n’est pas le seul coupable, étant le continuateur, le complice, d’une entreprise de démolition entamée il y a près de trois décennies et dont on voit bien le résultat aujourd’hui. Face au Covid-19, dans la sixième puissance économique mondiale, des hôpitaux ne fonctionnent aujourd’hui que grâce aux dons et au bricolage.

A l’inverse, on doit considérer qu’Emmanuel Macron est l’unique responsable de certains faits précis. Elu en 2017, le président français, tout à ses réformes détricotant le pacte social et à ses discours fumeux sur la « start-up nation », n’a pas fait preuve de prévoyance. Pourtant, pendant la campagne de 2017, l’actuel directeur général de la santé Jérôme Salomon (à l’époque chef de pôle adjoint à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches) alertait le candidat Macron sur l’absence totale de préparation de la France face aux risques majeurs d’une épidémie mais aussi d’une catastrophe ou d’actes terroristes avec tuerie de masse. Révélée par les « Macron Leaks », ensemble de courriels et d’autres documents électoraux rendus publics par un piratage de la boîte courriel de plusieurs membres de l’entourage du candidat, cette mise en garde prônait une « révision en profondeur de la réponse nationale » face à de tels événements.

Gouverner, c’est prévoir… Or, rien n’a été prévu et donc, rien n’a été fait. Une réflexion telle que souhaitée par Salomon aurait permis de prendre conscience que la France n’avait pas de stocks de masques et qu’elle était incapable d’en fabriquer. Idem pour les respirateurs. De même, l’évidence de l’absence de capacités industrielles pour fabriquer en urgence des médicaments et des composants nécessaires aux produits anesthésiants aurait sauté aux yeux. Au passage, et puisqu’il en est encore temps, on peut se poser la question concernant d’autres catastrophes possibles. Quid de la capacité de réaction face à un incident nucléaire grave ? Après le manque de masques et de respirateurs, faut-il craindre l’absence de pastilles d’iode ? Au vu de l’impréparation du gouvernement à une épidémie virale, ce type d’interrogation est totalement fondé.

Au défaut de prévoyance, donc à l’acte de mauvaise gouvernance, on reprochera aussi à Emmanuel Macron des faits plus précis. La désinvolture de son équipe alors que l’épidémie montait en puissance : une ministre de la santé qui quitte le pont pour briguer la mairie de Paris, une conseillère du président en matière de santé qui démissionne alors que la tempête est là, des masques qui sont commandés trop tardivement sans oublier, au-delà des scandaleux mensonges gouvernementaux sur la non-efficacité des masques, deux fautes graves : l’appel présidentiel à continuer à sortir et à fréquenter les spectacles (c’était une semaine avant la décision du confinement général…) et, surtout, le maintien du premier tour des élections municipales, décision irresponsable, pour ne pas dire criminelle, qui fera certainement l’objet de nombreuses poursuites judiciaires.

A ces deux fautes on ajoutera une troisième qui se profile et dont on ne pourra pas dire qu’elle n’a pas été identifiée. Le déconfinement, même progressif, est désormais annoncé pour le 11 mai prochain mais le gouvernement français sait pourtant que tout le monde ne pourra pas être testé et que les masques, les vrais, pas les morceaux de tissu découpés à la hâte, ne seront pas disponibles en quantité suffisantes. Le coronavirus est hautement contagieux. Décider de mettre fin au confinement sans être capable d’appliquer une vraie stratégie sanitaire de dépistage et de mise en quarantaine sera pire encore que d’avoir exposé les électeurs au virus ou d’avoir abandonné à leur sort durant plusieurs semaines les pensionnaires des établissements pour personnes âgées. La liste des imprévoyances et des fautes d’Emmanuel Macron risque fort de s’allonger.
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