Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 1 mai 2020

La chronique du blédard : Où donc menez-vous l’Algérie ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 30 avril 2020
Akram Belkaïd, Paris


« Win rayhine hakda ? » Où allez-vous comme ça ? L’expression est connue. Elle s’emploie souvent pour tenter de raisonner des gens dans l’erreur ou dans l’excès. Elle fait appel à ce qui pourrait leur rester de raison – ou d’intelligence – pour prendre conscience de la gravité de leurs actes et de leur erreur à persister dans la même voie. Cette question est donc posée aux autorités du pays, qu’elles soient apparentes, de façade ou profondes. Où emmenez-vous ainsi l’Algérie ?

Depuis le début de l’année, mais plus encore, depuis la suspension des manifestations du Hirak à la mi-mars en raison de l’épidémie de Covid-19, c’est le retour à l’ordre de fer, le même qui dans les années 1970 imposait à toutes les Algériennes et tous les Algériens de la boucler et de filer droit. Des journaux en ligne sont bloqués et font l’objet d’une campagne de dénigrement et de calomnies. Des journalistes et des militants pour la démocratie sont enfermés sous des motifs aussi divers et variés alors qu’en réalité, c’est juste l’expression de d’opinions pacifiques qui leur vaut châtiment. De jeunes gamins sont poursuivis et envoyés en prison parce qu’ils font ce que n’importe quel jeune de l’âge réalise sur internet et ses réseaux sociaux. L’arbitraire règne, fut-il paré des habits de la justice.

Le placement sous mandat de dépôt Walid Kechida, 25 ans, parce qu’il a publié des mèmes (dessins, idées, concepts, phrases, montages satiriques, etc.) et créé un groupe sur Facebook indique le niveau de régression des libertés. On pourrait même être tenté d’affirmer que la situation est devenue pire que sous le règne de l’ex-fakhamatouhou Abdelaziz Bouteflika, c’est dire ! Nous revoici dans un pays où toute forme de pouvoir ou d’institution est désormais sacralisée. Il faut courber l’échine et répéter sans cesse « n’3am ya sidi ! ». Et ne parlons pas du vote, par une assemblée illégitime, d’amendements au code pénal pour, soi-disant, moraliser la vie publique. Très floues, ces dispositions ouvrent la voie à toutes les interprétations et donc, à toutes les dérives.

Ces initiatives liberticides relèvent du même objectif qui est de faire taire les Algériens et de leur signifier que les cinquante-six semaines du Hirak n’étaient qu’une parenthèse. Le message délivré est sans ambiguïté : l’espérance d’un changement démocratique est à remiser dans la grosse malle des déceptions et défaites accumulées depuis le printemps berbère de 1980. Autrement dit, le pouvoir est en train de prendre sa revanche. Pendant un an, la parole libérée des Algériens a exprimé des vérités crues sur la gabegie qui règne dans le pays, la corruption, le népotisme, l’absence criante de projet politique et sociétal. Elle a moqué les dirigeants, n’épargnant personne pas même les généraux. Le nombre, la densité et le pacifisme des manifestants ont permis cette dynamique du Hirak. Et puis est venu le Covid-19, ce virus allié de tous les régimes, qui de Paris à Pékin, entendent profiter de la situation pour rogner encore plus sur les libertés individuelles.

Le Hirak a chanté La Casa Del Mouradia et a remporté le match aller. Le pouvoir est en train de gagner la rencontre retour et son « vrai » but est d’empêcher qu’il n’y ait un match d’appui – l’Oum Doumrane de la démocratie -  autrement dit une résurgence des manifestations quand l’épidémie sera maîtrisée. Car la colère des Algériens n’a pas disparu et leur exigence de changement, non plus. Mais, pour l’heure, c’est la répression, cette hogra de tireur dans le dos, qui profite de l’inversion du rapport de force. Échaudés, des jeunes gens quittent les réseaux sociaux. Des journalistes et des activistes – qui ont bien compris ce qui se passe – se font plus discrets. Quant à « l’opposition » politique, exception faite du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), on l’entend peu. Et pour ne rien arranger, le fracas des retournements de vestes s’entend de loin. Voici donc le Hirak accablé de tous les maux pour son intransigeance et le pouvoir soudainement paré de qualités et de bonnes dispositions sans que l’on sache si elles sont réelles, potentielles ou théoriques. Rien de nouveau sous le ciel de la domesticité.

Empêcher à n’importe quel prix un Hirak-2 est la seule politique tangible d’un pouvoir dont on n’attend plus les fameux « gestes de bonne volonté » ou la fameuse « main tendue » espérée, et même annoncée, par quelques naïfs ou intéressés. Nous assistons, non pas à une restauration – car à l’ordre ancien n’a jamais disparu même avec la démission de Bouteflika – mais à un verrouillage sécuritaire et à l’abandon des options d’ouverture. En clair, il n’y aura pas de réformes politiques et il n’y a rien à attendre de la révision constitutionnelle annoncée.

En attendant, le temps file. En apparence, il joue contre le Hirak. En réalité, l’Histoire est loin d’être terminée. Ceux qui gèrent aujourd’hui l’Algérie ont certainement une très haute opinion d’eux-mêmes et de leurs capacités à contrôler la situation. C’est peut-être vrai pour le court terme mais, en réalité, ils sont condamnés à perpétuer l’échec du système, étant incapables de comprendre que le salut du pays passe par une vraie démocratisation. Les caisses sont presque vides et l’alerte récente sur les marchés pétroliers vient nous rappeler toutes les chances gaspillées ces vingt dernières années en matière de diversification économique. Nous sommes en 2020 et même si les exemples de régimes illibéraux se multiplient dans le monde, on ne dirige plus un pays comme on le faisait dans les années 1970. On ne gouverne pas contre le peuple sans prendre le risque d’une casse encore plus grande et funeste que ce que l’Algérie a connu dans un passé récent. Et puisque nous sommes au début du ramadan, on terminera par cette simple adresse : « Allah yahdikoum ». Que Dieu vous guide.

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