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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 24 août 2021

La chronique économique : Quand Total lave plus vert que le vert

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 2 juin

Akram Belkaïd, Paris


Polluer plus aujourd’hui pour polluer moins demain. Voilà comment on pourrait résumer les promesses exprimées lors de la présentation de la nouvelle stratégie du groupe pétrolier Total dont le nom est désormais TotalEnergies. Lors de l’Assemblée générale des actionnaires, le PDG du groupe Patrick Pouyanné a ainsi expliqué que le premier métier de la compagnie resterait l’exploitation des hydrocarbures. Pas question donc de faire plaisir aux ONG qui réclament un abandon de ces activités au nom de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le cash, c’est d’abord (et surtout) le pétrole !

Si l’on se base sur les émissions de gaz à effet de serre (ges), Total, pardon TotalEnergies, fait partie des vingt plus gros pollueur de la planète (le politiquement correct des communicants exigerait que l’on écrive « des vingt plus gros ‘‘émetteurs’’ de la planète). Comme nombre de ses pairs et concurrents, la multinationale française subit les pressions croissantes de plusieurs associations qui exigent d’elles un vrai engagement pour la transition énergétique et un passage aux énergies renouvelables moins polluantes. TotalEnergies ne dit pas non mais répond « à mon rythme ».

Son PDG estime ainsi que la « transition [énergétique] n’est pas la rupture » (rien à voir avec la situation algérienne, note du chroniqueur…). Mais il promet qu’une partie des revenus tirés de l’exploitation des hydrocarbures servira à financer le développement des renouvelables. En gros, vendre du brut servira à produire du vent (éolien) et du chaud (solaire)… Et ainsi, dans ce monde parfait, TotalEnergies sera « multi-énergies » et verdira de manière progressive.  Les actionnaires du groupe ont d’ailleurs validé à 92% cette stratégie. On aurait été surpris du contraire. En effet, le message du PDG a été très clair : c’est le pétrole et le gaz naturel qui garantissent la rentabilité du capital investi par ces mêmes actionnaires ; c’est le pétrole et le gaz naturel qui fournissent l’essentiel du cash empoché par la compagnie. Et, on le sait, c’est ce cash qui sert à payer les dividendes versés aux actionnaires.

Reste à savoir dans quelle mesure la compagnie prévoit ce changement. En gardant 80% des investissements pour le pétrole et le gaz, TotalEnergies n’agit qu’à la marge en faveur des renouvelables. Son PDG a beau promettre des objectifs verts à l’horizon 2030, il n’en demeure pas moins que la vieille antienne du secteur « le pétrole hier, le pétrole aujourd’hui, le pétrole demain » reste d’actualité. Et comme l’or noir se raréfie, les nouveaux projets seront toujours plus chers, plus consommateurs d’énergie et donc plus polluants. Au prétexte de polluer moins, il faudrait donc nécessairement polluer plus.

Rapport de force

Pour l’heure, le rapport de force sur les marchés demeure favorable aux compagnies pétrolières comme TotalEnergies. Il n’y a pas beaucoup d’investisseurs institutionnels (fonds souverains, banques, etc.,…) capables d’imposer l’abandon brutal des activités hautement carbonées. Mais la tendance existe et les mobilisations se multiplient. Cela explique pourquoi le vert est à la mode. Pour être dans l’air du temps, pour ne pas hérisser les jeunes futurs automobilistes qui, aujourd’hui, sont plus attentifs aux questions environnementales que leurs aînés, il faut faire du vert, parler vert, promettre vert. Cela s’appelle du « green-washing » et n’y croient que les naïfs qui pensent que l’ajustement se fera de lui-même sans législations contraignantes pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.


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