Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 9 décembre 2011

La chronique du blédard : Une nuit à l'hôtel

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Dès le début, les choses commencent mal. Il fut un temps où les chambres d'hôtel s'ouvraient avec une simple clé mais là, une carte magnétique à la main, on cherche désespérément à déclencher un mécanisme invisible dont on ignore tout. On passe le carré magique un peu partout, on le fait glisser, on l'insère, on le plaque contre le bois ou le métal, rien n'y fait. Alors, ivre de fatigue et de colère, assommé par le décalage horaire, on redescend à la réception où une effrontée venue d'Asie du sud-est vous explique, un brin méprisante et tout en re-magnétisant la dite carte, qu'il faut apprendre à éloigner son téléphone portable du précieux sésame. 

Cette affaire réglée, nous voilà dans la chambre, immense, comme il sied en ses latitudes arabo-persiques. Il est bientôt deux heures du matin et la violence de l'éclairage commande de localiser l'interrupteur pour protéger ses rétines. Mais il y a une autre urgence. La température extérieure est de vingt-huit degrés. A l'intérieur, c'est un froid polaire qui règne. Vite, trouver le bouton de commande du climatiseur. Et là, il faut dix bonnes minutes pour venir à bout de la soufflerie déchaînée. Dix minutes de trop auxquelles on repensera un peu plus tard en se réveillant le nez et les sinus en feu.

Au tour de l'éclairage, maintenant. Misère… On se retrouve face à un ordinateur, boutons, loupiottes et tout le bataclan. On appuie ici, et tout s'éteint. On appuie là, et tout se rallume. On essaie plus bas, et c'est le store du balcon qui commence à gémir. On effleure une autre touche, et c'est une radio qui, quelque part, s'allume. On la presse une nouvelle fois et c'est le plafonnier qui s'éteint. Là, on se dit qu'il faudrait peut-être faire appel à ce qui reste de ses connaissances en langage Fortran ou Pascal – ou peut-être est-ce le grafcet, je ne sais plus – pour être capable de dompter cette machinerie infernale. Mais tant pis. On dormira la lumière allumée et le store ouvert. De toutes les façons, le premier rendez-vous est à huit heures, c'est-à-dire dans trois cent minutes. Autant éviter de sombrer dans un sommeil profond.

Il faut maintenant s'habituer à ce lieu où l'on va vivre quelques jours. Y vivre sans s'attacher, en saluant avec respect les anges invisibles qui y demeurent, se dire qu'il faut en garder quelques souvenirs et, surtout, ne pas se comporter en viajero blasé qui finit par confondre ses haltes successives. Revenons à la grande pièce. Deux couleurs y dominent. Le noir et le blanc. Les meubles, qui rappellent le design des années soixante-dix, sont laqués et la lumière qu'ils reflètent provoque des sensations trompeuses. Croyant à un espace vide dans cette (fausse) penderie, on se cogne et l'on se mord la langue pour ne pas énumérer la longue liste de jurons qui tournoient dans la tête depuis l'épisode de la carte magnétique. C'est à ce moment-là que l'immense écran plat décide de s'allumer tout seul déversant un flot assourdissant de musique dance orientale.

Vite, la télécommande. Oui, mais laquelle des trois ? A quoi servent-elles ? Comment fonctionne cette télévision dont les menus déroulant proposent internet, des chaînes de télévision, le point sur sa facture, les horaires des compagnies aériennes et moult services dont on ignore l'utilité ? Et voilà qu'au lieu de se dépêcher de dormir, on se retrouve bien décidé à dompter cet autre manifestation du toujours plus de technologie. Il fut un temps, où la seule bagarre de ce genre dans une chambre d'hôtel consistait à comprendre la manière de programmer le radio-réveil – ce qui n'était pas une mince affaire, il faut bien le reconnaître. Et voilà que l'on se retrouve face à un système haute-fidélité qui vous convainc du bien fondé de rejoindre la secte des technophobes.

Mais ce n'est pas fini ! Car voici venu le grand moment de la douche. Effacer les suées du voyage, la sensation d'être poisseux et, surtout se débarrasser de cette odeur de carlingue pressurisée qui colle à tous les avions y compris les plus prestigieux. Nous voilà donc dans la salle de bains. Reprenons la formule qui sied à cette chronique : Il fut un temps. Il fut donc un temps où une douche se caractérisait par l'existence de deux robinets, l'un bleu, l'autre rouge, d'un mélangeur et d'une poire. Le lecteur admettra que l'on soit surpris par l'existence de quatre robinets et d'autant de manettes. Comment faire ? Par où commencer sans prendre le risque de s'ébouillanter ? Encore habillé, on manipule avec précaution, on teste avec prudence, on se dit que l'on a enfin compris quand, soudain, des litres d'eau glacée se déversent du ciel. Ainsi va l'innovation.

Avoir surveillé le débit de la poire était une erreur car l'une des manettes servait à commander une sorte d'arrosoir métallique incrusté au plafond. Inutile d'insister. Tant pis pour la douche, puisque, comme disaient les internes du lycée de Ben Aknoun, il n'y a que les gens sales qui se lavent !

On s'en retourne donc vers la chambre, décidé à ne plus gaspiller le peu de temps de sommeil qui reste offert. On se prépare à s'allonger quand l'œil accroche une quatrième télécommande. La raison ordonne de ne pas s'en préoccuper mais la curiosité est trop forte. Appuyons sur le bouton vert. Et voilà que le lit commence à se rétracter. Vite, stoppons-là cette étrange contorsion. Rien à faire, la literie est en train de s'affoler. Appuyons sur la touche rouge, celle à deux chevrons vers le haut, ou vers le bas. Ouf, tout rentre enfin dans l'ordre. Ouvrons ce tiroir, jetons-y les quatre télécommandes et refermons-le.

On s'allonge enfin. On lit d'un œil distrait la devise inscrite sur le papier à en-tête de l'hôtel (n'oubliez pas de vivre votre vie) et on commence à s'endormir quand, soudain, un grondement ébranle la pièce. Un avion, c'est bel et bien un avion. Un avion qui va s'écraser sur l'hôtel ! Sauter hors du lit, courir (mais où ?), aller vers le balcon, téléphone portable à la main, en se disant que l'on va tout filmer et que l'on sera peut-être célèbre à titre posthume. Sidéré, l'on voit un 767 passer au dessus de sa tête pour aller se poser à quelques centaines de mètres de là. Dans l'heure qui vient, il sera suivi par une dizaine de gros porteurs tout aussi bruyants et inquiétants les uns que les autres. 

Mais, la fatigue aidant, tête encore mouillée et rétine éblouie, on arrive tout de même à s'endormir, se promettant de faire subir aux architectes, designers et autres décorateurs d'intérieur le même sort que l'on a promis, un jour de grande lassitude, aux informaticiens d'entreprise : en prendre un au hasard et le pendre en place publique. Pour l'exemple et pour le confort des honnêtes voyageurs...
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