Printemps arabe et crise syrienne obligent, on avait presque oublié l'Irak, sa lente reconstruction, son chaos au quotidien, ses attentats incompréhensibles et sa crise politique permanente. Depuis peu, ce pays est revenu en force dans l'actualité avec le départ accéléré des dernières troupes américaines présentes sur son sol. Attendu depuis longtemps, à la fois exigé et redouté par la majorité des acteurs politiques irakiens, ce retrait ouvre la voie à une période d'incertitude et d'instabilité qui risque de déboucher sur un conflit régional majeur. En effet, outre les risques d'une nouvelle guerre civile et confessionnelle entre sunnites et chiites, de nombreux observateurs craignent que ce pays ne devienne un terrain d'affrontement indirect entre l'Arabie Saoudite et l'Iran.
Mais revenons d'abord sur les conditions du retrait étasunien. Prévu pour le premier janvier 2012, il a été avancé à la mi-décembre par les autorités américaines et cela de manière unilatérale. Il est évident que l'opération a une forte connotation électorale moins de onze mois avant une élection présidentielle où Barack Obama tentera de se faire réélire dans un contexte économique des plus déprimés. C'est bien pour cela que le locataire de la Maison-Blanche a tenu à saluer, en présence des caméras, les dernières troupes rapatriées d'Irak aux côtés de son vice-président Joe Biden. Avec ce retour des GI's, c'est l'une des rares promesses électorales de 2008 d'Obama qui est ainsi tenue… Pour autant, il ne faudrait pas croire que la présence américaine va être réduite à zéro. En effet, au moins 16.000 employés américains vont travailler dans l'immense ambassade américaine de Bagdad. Diplomates, membres des services de sécurité, instructeurs militaires mais aussi employés de firmes privées de sécurité, tout ce beau monde contribuera à maintenir l'influence US en Irak…
Il faut aussi savoir qu'une autre option a été explorée, c'est-à-dire le maintien permanent de dix à vingt mille soldats américains sur le sol irakien. Cette possibilité, qui avait la vertu de rassurer les dirigeants irakiens, ne s'est pas concrétisée pour une raison qui en dit long sur la manière dont les Etats-Unis conçoivent leur rôle de première puissance mondiale. En effet, c'est parce que le gouvernement irakien a refusé que les soldats américains stationnant en Irak bénéficient d'une totale immunité judiciaire que Washington a décidé d'accélérer le retrait. On dira ce que l'on voudra des dirigeants irakiens actuels, et de leur autonomie vis-à-vis de l'oncle Sam, mais une chose est certaine : ces derniers savent qu'ils ne peuvent avoir un avenir politique dans leur pays en acceptant qu'un GI ayant commis un délit ne soit pas jugé par la justice irakienne (ce qui est le cas dans de nombreux pays où les Etats-Unis disposent de bases militaires).
Abordons maintenant la situation politique interne irakienne. A peine la date du retrait étasunien connue, le gouvernement du Premier ministre Nouri al-Maliki a déclenché une nouvelle opération de « dé-bathisation » avec l'arrestation de près de mille personnes accusées de comploter contre le gouvernement. On pensait pourtant que les forces armées américains avaient fait l'essentiel entre 2003 et 2005 en purgeant tout l'appareil administratif et militaire irakien des membres et des sympathisants du parti Baath. Mais pour Al-Maliki et ses pairs, le recours récurrent à la dénonciation de la menace « saddamiste » reste un outil privilégié pour asseoir l'autorité du pouvoir central. En réalité, ces arrestations ressemblent fort à une nouvelle chasse aux sunnites dans un contexte marquée par les déclarations incendiaires de l'imam chiite Moqtada al-Sadr qui menace à la fois de s'en prendre aux sunnites mais aussi aux Américains restant sur le sol irakien.
Et la défiance à l'égard des sunnites a pris une nouvelle tournure avec l'émission d'un mandat d'arrêt à l'encontre du vice-président (sunnite) Tarek al-Hachémi. Accusé de complot et d'avoir dirigé des escadrons de la mort coupables de nombreux attentats, ce dirigeant s'est réfugié dans la zone autonome du Kurdistan et dénoncé un règlement de compte confessionnel à son encontre. Il est évident que cette affaire n'en restera pas là. Déjà, des personnalités sunnites irakiennes, notamment des membres du bloc parlementaire laïc Iraqiya – auquel appartient al-Hachémi – menacent de ne plus siéger au parlement.
D'autres politiciens sunnites vont plus loin et réclament la création d'une zone autonome sunnite (à l'image du Kurdistan) qui regrouperait les trois provinces centrales du pays dont celle d'Anbar (réputée très riche en gisements pétroliers et gaziers …). Il faut savoir que la nouvelle Constitution irakienne autorise la création d'une telle zone autonome mais que le gouvernement central y est fermement opposé.
On voit donc réapparaître un scénario évoqué dès les premiers jours de l'invasion américaine de 2003 à savoir la division de l'Irak en trois zones, kurde, chiite et sunnite. Et c'est là qu'interviennent les pressions et influences externes. L'Arabie Saoudite, pays à dominante sunnite et adversaire plus ou moins déclaré de l'Iran, semble décidée à favoriser la création d'une zone autonome sunnite en Irak même si cela passe par une nouvelle guerre confessionnelle dans ce pays. De son côté, l'Iran a tout intérêt à ce que le pouvoir central irakien, c'est-à-dire l'un de ses rares alliés arabe dans la région, soit renforcé et cela passe forcément par la mise au pas de la contestation sunnite. On le voit, tous les éléments d'une nouvelle guerre d'Irak sont en place. De quoi mesurer l'immensité du gâchis provoqué par une invasion – au coût cumulé de 1000 milliards de dollars ! - que l'Histoire a déjà jugé comme étant l'un des plus grands crimes de ce début de siècle.
Le Quotidien d'Oran, jeudi 22 décembre 2011
Akram Belkaïd, Paris
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