Lignes quotidiennes

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mardi 7 février 2012

Chronique économique : De la réforme

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Dans le vocabulaire politico-économique dominant en Europe - et ailleurs dans le monde –, le terme réforme est omniprésent. Pas un seul discours, pas un seul programme qui n’en fasse pas mention. Mais, que veut dire ce mot ? Quelle est sa signification et, plus encore, quelle est sa portée ? Dans le dictionnaire Petit Larousse, réforme signifie « un changement important, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, en vue de l’améliorer » comme c’est par exemple le cas d’une « Réforme de la Constitution ». Quant au verbe réformer, sa définition est « changer en mieux ; corriger (réformer les lois) ». A noter que réforme peut aussi avoir une signification religieuse avec « le retour à une observance stricte de la règle primitive dans un ordre religieux », mais ce n’est pas de cela qu’il est question dans cette chronique.


UNE REMISE EN CAUSE DES ACQUIS SOCIAUX
En matière économique, la réforme est donc un changement important et radical. C’est à cela que font référence nombre de dirigeants européens quand ils évoquent les chantiers qu’ils souhaitent mener à bien. Cela concerne tous les domaines, à commencer par le social. Dans tous les cas, la notion d’amélioration est implicite. La réforme se veut donc un saut quantitatif et qualitatif au bénéfice de la société, de l’économie et, de façon générale, du pays. Mais est-ce aussi vrai que cela ? Prenons par exemple la notion de réformes structurelles qu’ont connues (subis ?) de nombreux pays africains. Souvent, la finalité de ces réformes ne concernait que le seul désengagement de l’Etat, le transfert de ses prérogatives au secteur privé sans oublier une diminution de ses moyens. Dès lors, réforme a signifié, et signifie encore, l’érosion continue de l’Etat-providence avec des conséquences humaines parfois catastrophiques.

En Europe, les réformes sociales accomplies en Allemagne au début des années 2000, ces mêmes réformes que le pas-encore candidat Nicolas Sarkozy souhaite mener en un temps record avant le scrutin d’avril, ont contribué à démanteler un système qui garantissait les droits des travailleurs et à précipiter une bonne partie de ces derniers dans la précarité et les affres du travail à temps partiel. Du coup, le mot réforme prend une nouvelle signification. Il s’agit, avant tout, de remettre en cause des dispositifs désormais jugés trop contraignants par la vulgate libérale. C’est ainsi que réformer veut dire s’affranchir de certains droits et protections jugés comme autant d’entraves pour le bon fonctionnement de l’économie et pour la rentabilité à deux chiffres de l’entreprise. 

Problème, ces droits et protections sont le résultat de plusieurs décennies de luttes sociales et d’engagement. C’est le cas, par exemple, du droit de grève, lequel a rarement été obtenu sans que le sang coule. Cela vaut aussi pour les droits sociaux de salariés : retraites, hygiène et sécurité sur les lieux de travail, prohibition du travail des mineurs, encadrement du travail de nuit, protection contre les licenciements abusifs, droit au repos et aux vacances, liberté de se syndiquer, salaire minimum… Tous ces acquis sociaux sont remis en cause de manière de plus en plus ouverte et assumée. Question : où est l’amélioration ? Ou bien encore : qui est concerné par cette amélioration ? Qui en profite ?

UNE NOTION DEVENUE NEGATIVE
Travailler sans filet, cotiser pendant plus longtemps pour sa retraite, être jetable à tout moment, évoluer dans un environnement bruyant et stressant, être soumis à des horaires fluctuants, accepter des diminutions de salaire et renoncer à une partie de ses congés : voilà ce qui est proposé au salarié par les adeptes de la réforme. Il n’est donc pas étonnant que cette dernière soit de plus en plus perçue de manière négative. 

D’ailleurs, cette perception négative vaut aussi pour le terme « compétitivité » qui, de manière concrète, signifie la mise en place de mesures destinées à diminuer le coût du travail en pénalisant les travailleurs, alors que cela pourrait concerner des questions fondamentales comme la formation continue, la réflexion stratégique, la prospective économique sans oublier le soutien de l’Etat à l’innovation. En économie, comme ailleurs, les mots peuvent cacher des réalités et des intentions peu rassurantes…

Akram Belkaïd
Le Quotidien d'Oran, mercredi 1er février
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