Le Quotidien d'Oran, jeudi 24 octobre 2013
Akram Belkaïd, Paris
Un pays épié, des diplomates écoutés, des communications, sensibles, privées ou banales, massivement enregistrées, des comptes internet piratés… Dans un Etat qui se respecte, avec une presse à la fois professionnelle et consciente de son rôle, une opinion publique attentive, informée et mature, et, pour finir, une classe politique responsable et courageuse, un tel événement devrait provoquer une immense vague d’indignation avec moult protestations. Pourtant, il n’y a rien de tel qui se passe en France. Les révélations récentes concernant l’espionnage – c’est le mot qui convient – de ce pays par les Etats-Unis n’a guère provoqué de réactions si ce n’est celles, largement convenues, de quelques représentants des autorités françaises.
Un tel outrage devrait engendrer de l’émotion et de la colère. De la douleur même face à cette trahison que des esprits cyniques cherchent, par intérêt, à plat-ventrisme ou par lâcheté, à banaliser. Entendons-nous bien, il n’est pas question de regretter l’absence d’un embrasement de la rue française avec des manifestations hystériques et des bannières étoilées brûlées en place publique. Mais tout de même ! Cette affaire, ce n’est pas rien. Elle exige des débats, des prises de position politiques, des demandes d’explication, des promesses, sincères ou non, de punition et de représailles. Il faudrait des tables rondes, des émissions à des heures de grande écoute. En somme, une réprobation nationale qui, en d’autres temps aurait pu déboucher sur un appel à la mobilisation générale.
Au lieu de cela, l’opinion publique a droit à d’autres hystéries médiatiques. Récurrentes celles-là, à propos de l’islam, de l’immigration et, souvent, des deux à la fois. Matin, midi et soir, il n’a été question que de la pauvre Leonarda Dibrani, cette pauvre collégienne kosovare expulsée avec sa famille après avoir été embarquée lors d’une sortie scolaire. Bien sûr, cette histoire est terrible mais son ultra-médiatisation est pour le moins étonnante. Tous les jours, des dizaines de personnes, des familles, sont reconduites aux frontières, souvent dans des conditions indignes d’un pays qui se prétend être la patrie des droits de l’homme. Tous les jours, des drames se déroulent dans les centres de transit ou de rétention. Les médias qui en parlent sont rares et aucun ne le fait en boucle.
Or, au lieu de parler des pratiques de la NSA et de ses outils de Big Brother, les médias français ont saturé colonnes, images et ondes avec le cas Dibrani au point même de nous faire croire que cela pouvait faire tomber le gouvernement ou, du moins, précipiter un remaniement ministériel avec une grave crise de la majorité dite socialiste à la clé. Ce n’est pas nouveau, mais ce genre de polémique, démontre encore que la France est minée par ses médias mais aussi par sa classe politique. Depuis la rentrée, pas un jour ou presque sans que l’on nous parle d’intégration en panne, d’islam ceci, d’islam cela. Pas un jour sans que l’on n’agite le chiffon rouge des flux migratoires non maîtrisés comme en témoigne la dernière sortie du pathétique Copé qui veut abroger le droit du sol. Or, l’espionnage de la NSA a été révélé au grand jour au début de l’été sans que cela ne génère le moindre affolement journalistique. Que pensent les entreprises françaises de haute technologie qui savent aujourd’hui que leurs échanges internes ont été interceptés ? Que pensent les diplomates français dont les mémos et autres documents sensibles ont été captés avec, visiblement, la complicité active des géants étasuniens du net ?
Oui, le système médiatique français est bien malade et il est toujours étonnant de le voir se poser en référence notamment vis-à-vis d’autres pays francophones. Ce système, notamment sa composante la plus influente qu’est la télévision, est peuplé de nuisibles dont la conviction est que c’est la courbe de l’audimat qui détermine la compétence. « Je n’ai pas la télévision » est une phrase qu’aiment à prononcer nombre de Parisiens ce qui fait toujours sourire le présent chroniqueur. Mais force est de constater qu’il y a là de la mesure prophylactique car l’esprit civique et l’hygiène mentale commandent d’éviter les « talk-show » et autres émissions peuplées de chroniqueurs déblatérant sur n’importe quel sujet et ayant érigé la vacuité et la méchanceté gratuite en mode de pensée. Ces spécialistes du tout et du rien ne peuvent-ils s’interrompre de temps à autre pour se mettre au travail ?
A quoi reconnaît-on qu’un système donné est proche de la rupture ? L’un des symptômes annonciateurs de la cassure définitive est la multiplication des crises et, plus encore, leur proximité dans le temps. Cela vaut pour les marchés financiers qui nous préparent déjà de nouvelles catastrophes. Cela vaut aussi pour le couple politico-médiatique devenu spécialiste en hystéries dilatoires tandis qu’il demeure incapable de prendre la mesure des grands enjeux et défis du moment. Demain, une femme en hidjab donnera un coup de pied à un caniche. Cela provoquera une centaine de unes de journaux, des sujets spéciaux en ouverture des vingt-heures et quelques minables pugilats dans les émissions dites culturelles ou de société. Et, pendant ce temps-là, les vraies questions – chômage, changement climatique, état de l’environnement, éducation, maintien du service public – seront oubliées…
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