Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 octobre 2013
Akram Belkaïd,
Paris
Toujours plus loin,
toujours plus risqué et toujours plus onéreux. C’est la manière lapidaire avec
laquelle on pourrait résumer le projet d’exploitation en eaux profondes du plus
grand gisement pétrolier du Brésil. Situé à 180 kilomètres de côtes de l’Etat
de Rio et à plus de 5.000 mètres de profondeur, le champ de Libra devrait
entrer en production en 2020 après un investissement total record de 130
milliards de dollars. Selon les prévisions de Brasilia, cet immense réservoir
d’une capacité de 12 milliards de barils devrait alors fournir 1,4 millions de
barils par jour (mb/j) sur une durée de 5 ans. Pour mémoire, la production
brésilienne de brut atteint aujourd’hui 2 mb/j, Libra devrait donc la faire
passer à 3,4 mb/j soit un niveau supérieur à des pays comme le Koweït ou les
Emirats arabes unis.
Défi
technologique et union entre majors
Pour bon nombre
d’observateurs, le projet Libra est un véritable cas d’école. D’abord, parce
que l’exploitation offshore en eaux profondes est un immense défi
technologique. Mais cela montre aussi que les frontières du possible sont sans
cesse repoussées dès lors qu’il s’agit de récupérer de l’or noir. Il y a cinq
ans encore, un tel chantier n’aurait pas été considéré comme viable et encore
moins rentable et cela même si la compagnie brésilienne Petrobas s’est forgée
une réputation d’excellence dans l’exploitation du pétrole sous-marin. Mais
avec un baril à plus de 100 dollars, tout devient possible…
Ensuite, il y a le
fait que l’exploitation de Libra se fera par un consortium qui regroupe de
grands noms internationaux. Petrobras avec 40% des parts, Shell Brésil (20%),
Total (20%) et les deux groupes chinois CNPC (10%) et CNOOC (10%) ont été
choisis la semaine dernière au terme d’une mise aux enchères qui n’a duré que 3
minutes, ce consortium étant le seul en lice. Aujourd’hui, le pétrole facile
d’accès est de plus en plus rare. Pour trouver du brut, il faut mobiliser
beaucoup d’argent et donc les majors sont obligées de s’associer là où, il n’y
a pas encore si longtemps, elles préféraient opérer seules.
Dans le même temps,
Libra montre à d’autres pays producteurs, notamment l’Algérie, l’Arabie
Saoudite ou même la Libye ou le Mexique, comment on peut ouvrir le secteur
amont – c’est à dire celui de la production – tout en gardant un certain
contrôle. Certes, des Brésiliens ont dénoncé une « privatisation
déguisée » du pétrole brésilien et « une perte de souveraineté »
mais les termes du contrat régissant le fonctionnement du consortium méritent
l’attention. D’abord, Pétrobras obtiendra 41,6% du « profit oil »,
c’est à dire les quantités de brut qui resteront après déduction des coûts d’exploitation.
Ensuite, ses partenaires lui ont payé une prime de 5 milliards de dollars pour
être de l’aventure. Et enfin, le gouvernement brésilien pourra opposer son veto
à n’importe quelle décision du consortium comme par exemple le souhait de l’un
de ses membres de vendre sa participation à un autre opérateur.
Un
monopole aménagé
La méthode
brésilienne a été critiquée aux Etats-Unis où, cela ne surprendra personne, on
aurait préféré que Brasilia accepte une ouverture totale de son secteur
pétro-gazier. Or, l’exploitation à venir de Libra démontre qu’un pays peut
consentir à alléger son monopole sur les hydrocarbures tout en gardant la main
et le contrôle notamment en ce qui concerne ses revenus. Dans un contexte où de
nombreux pays africains réfléchissent à de nouvelles législations sur leurs
ressources naturelles – et cela souvent sous la pression des partenaires
occidentaux et des grandes institutions internationales – le Brésil, en leader
du Sud, semble vouloir montrer la voie.
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