Conditionner l’aide financière au Maghreb à la lutte contre l’immigration clandestine et, au besoin, permettre aux navires européens de patrouiller dans les eaux territoriales des pays du sud de la Méditerranée : voici les propositions de Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert Schuman, présentées dans un texte des plus nauséabonds publié dans le quotidien Le Monde (*). Pour mémoire, le 3 octobre dernier, un naufrage de migrants au large de l’île de Lampedusa a fait 363 morts dont 16 enfants. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 11 au 12octobre, un nouveau drame a provoqué le décès par noyade de 50 personnes. Des événements qui poussent aujourd’hui l’Europe à réfléchir à de nouvelles mesures pour empêcher de nouvelles catastrophes. Mais pour Giuliani, la Commission européenne se trompe de solution quand elle envisage d’organiser une « vaste opération de sauvetage ». Pourquoi donc ? Parce que, explique le Président de la Fondation Schuman, « dès qu’apparaît un navire européen, les clandestins se sabordent, car l’obligation juridique d’assistance à personne en danger est chez nous (les Européens) naturellement appliquée ».
Donc, à en croire Giuliani, il ne faudrait pas essayer de sauver les migrants puisque ces derniers seraient prompts à prendre le risque de se noyer à la vue de la moindre proue ! Ou peut-être faudrait-il les secourir par surprise en ne leur laissant pas le temps de se saborder… Ce qui choque dans ce propos, c’est que celui qui le tient fait mine d’oublier que des milliers de naufrages ont eu lieu loin de tout regard sans qu’un seul bateau européen (« de chez lui » faudrait-il peut-être écrire…) ne soit dans les parages. Depuis 1988, et selon les estimations du site Fortress Europe, 19 372 migrants sont décédés, d’autres comptages avançant le chiffre accablant de 60 000 personnes. Il faudrait expliquer à Jean-Dominique Giuliani que ces gens méritaient tous les efforts possibles pour être sauvés et que sa réserve sur le plan de sauvetage européen ne tient absolument pas la route car les témoignages de nombreux migrants sont catégoriques : nombre de bateaux, y compris européens, passent et ne font rien pour eux. Pire, il est arrivé que des embarcations de migrants soient éperonnées par des bateaux qui ont poursuivi leur route.
Le Président de la
Fondation Robert Schuman distribue ensuite les bons points. Selon lui, le Maroc
et l’Algérie lutteraient efficacement contre l’immigration clandestine mais pas
la Tunisie et la Libye. Et donc, écrit-il, « l’aide au développement
européen à ces Etats doit être conditionnée à un véritable engagement de leur
part dans la lutte contre l’immigration clandestine et ses réseaux criminels ».
Transmis aux Tunisiens dont le pays se débat dans une situation
post-révolutionnaire des plus inquiétantes avec une économie en berne et des
régions défavorisées qui attendent toujours des investissements et des
infrastructures. Transmis aussi aux Libyens dont le pays est en proie à un
chaos politique et sécuritaire. Et quand Giuiani évoque « des patrouilles
maritimes communes » entre Européens et pays maghrébins concernés, c’est
pour vite reconnaître que, d'abord, ces derniers pourraient refuser et, ensuite, que les
institutions européennes ne sont guère susceptibles de conditionner leur aide au développement.
C’est alors que le président du conseil d'administration de la Fondation Robert Schuman livre le
fond de sa pensée. Il faudrait, explique-t-il, une « coalition d’Etats
volontaires » pour lutter contre les départs de migrants. La France, l’Italie,
Malte et d’autres partenaires bénéficieraient ainsi d’une légitimité « consacrée
par un mandat international donné par l’ONU (…) pour patrouiller dans les
eaux territoriales des Etats qui ne sont pas capables d’en assurer la sécurité ».
On y est ! La canonnière pour sauver le migrant ou quand la Fondation Robert
Schuman se convertit aux thèses néoconservatrices… De cette institution qui
prétend haut porter le flambeau européen, on était en droit d’attendre un autre
texte comme par exemple une réflexion sur l’absence d’une vraie politique européenne
de co-prospérité à destination du sud de la Méditerranée. Sur l'absence de stratégie
novatrice où serait banni le concept de « eux et nous » et reconnu
celui de destin commun. Mais il est tellement plus facile en ces temps troublés
de réveiller les vieilles rengaines coloniales…
(*) Contre l’immigration
clandestine, il faut conditionner les aides au Maghreb, 23 octobre 2013.
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