Le Quotidien d’Oran,
jeudi 4 décembre 2014
Akram Belkaïd,
Paris
Il y a quelques
jours, les supporters du Raja de Casablanca, un club de football marocain, ont
adressé à leurs homologues algériens un beau message de fraternité opposé à
toute discorde. « Nous sommes frères, la fitna ne va pas nous séparer » était-il écrit sur des
banderoles déployées à l’occasion d’un match de championnat. Dans la foulée, le
public du Raja a aussi entonné des chants de soutien aux Algériens et à leur
équipe nationale pour la prochaine Coupe d’Afrique des Nations qui aura lieu en
janvier prochain en Guinée équatoriale. Pour celles et ceux qui ne suivent pas
l’actualité du foot, rappelons que cette compétition devait avoir lieu au Maroc
mais que ce pays a souhaité ne pas l’accueillir en raison – officiellement –
des risques présentés par l’épidémie d’Ébola. Un refus, qui vaut aux Lions de
l’Atlas – surnom de l’équipe nationale marocaine – d’être exclus de la CAN.
Quelques jours plus tard, en Algérie, des supporters du CS Constantine ont
répondu aux Rajaouis en déployant une grande banderole dans leur stade. Il y
était écrit le message suivant : « Merci aux supporters du Raja. La
politique nous a divisé, nos racines nous réunissent ». Qui a dit
qu’Algériens et Marocains se détestent ? Et qui a intérêt à le faire
croire ?
Dans le
contexte nauséabond qui caractérise actuellement les relations diplomatiques
algéro-marocaines, ces gestes d’amitié réciproque apportent un peu de baume au
cœur. En effet, depuis quelques mois, c’est une méchante musique que l’on
entend de part et d’autre de la frontière fermée. Incidents armés, certes
isolés, déclarations outrancières, insultes à peine voilées, campagnes de
dénigrement sur les réseaux sociaux, accusations mutuelles de tentatives de
déstabilisation : la palette des actes et propos négatifs est des plus larges
et il n’est pas exagéré aujourd’hui de craindre que l’habituelle paix froide
entre nos deux pays se transforme petit à petit en conflit de basse intensité.
Cela, à dieu ne plaise, jusqu’à ce que l’on se réveille un matin avec l’annonce
d’une vraie crise voire d’une guerre ouverte. D’ailleurs, et au risque de
choquer, le présent chroniqueur se doit de confesser qu’il est heureux que le
Maroc ait décidé de ne pas accueillir la Coupe d’Afrique des Nations. Cela nous
évitera que des hooligans algériens – et il y en a – ne provoquent des incident
dans le Royaume. Il n’est pas difficile d’imaginer le scénario catastrophe qui
aurait suivi : représailles policières, tensions diplomatiques, appels à
la fierté nationale, rumeurs, colères populaires plus ou moins spontanées. Le
football n’a jamais été la guerre mais c’est un bon prétexte pour la
déclencher…
Il n’est pas
question pour l’auteur de ces lignes de s’engager dans un stérile « qui a
fait quoi » et encore moins de chercher à savoir qui a commencé le premier
ou qui a le plus tort dans l’affaire. Le fait est que, dans les deux camps, il
y a des pousse-au-crime, des gens qui jettent de l’huile sur le feu et qui se
comportent comme si le voisin, autrement dit le frère, est l’ennemi numéro un.
Dans les deux pays, il y a de la mauvaise foi, des insultes inacceptables et
des préjugés alimentés par le fait que nos deux peuples ne se connaissent plus
ou presque. Dans les deux pays, il y a des inconscients qui pensent que jouer
avec une grenade dégoupillée ne présente aucun risque. Ce sont des
apprentis-sorciers qui nous mènent au pire.
Car l’affaire
est aussi politique. Dans les deux cas, nous avons affaire à des régimes en
difficulté et cela pour des raisons assez différentes mais sur lesquelles ce
texte ne va pas s’appesantir car c’est l’un des maux qui caractérisent nos
relations. L’Algérien ne supporte pas qu’un Marocain critique son pays – même
si les arguments présentés sont fondés – et la réciproque est vraie. Donc
mettons de côté l’aspect analyse et retenons ce point majeur : à Alger
comme à Rabat, la tension bilatérale, demain des événements plus graves – sont
jugés comme nécessaires et profitables. Cela permet de ressouder les rangs, de
faire taire la critique interne, de menacer les opposants de
« trahison » et d’occuper les médias en donnant du grain à moudre à
d’innommables torchons. Cela crée des clientèles, cela fait le bonheur des
marchands d’armes (où nous mène cette escalade en matière d’achats de matériels
militaires ?) et cela renforce l’idée que les Maghrébins seront toujours
incapables de s’entendre.
Dans cette
(triste) affaire, il est édifiant que les appels à la raison viennent de
supporters de football. On parlera de bon sens populaire à l’heure où les
« élites » des deux pays sont muettes et refusent de s’opposer
publiquement à cette dérive. Pire, elles évitent de se parler, se réfugiant
derrière le sempiternel « ça ira mieux entre nous quand ça ira mieux chez
vous ». Pour diverses raisons, elles ne veulent pas construire ensemble un
argumentaire basé sur la raison et la fraternité. Elles refusent de contribuer
à diffuser l’idée que, dans le monde tel qu’il évolue maintenant, il est
impossible que les deux pays s’en sortent seuls. C’est à ces élites de refuser
de suivre les joueurs de pipeau qui les entraînent vers le précipice. Le
rapprochement entre l’Algérie et le Maroc n’est pourtant pas une utopie :
c’est une urgence.
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