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Le Quotidien d’Oran, jeudi 18 décembre 2014
Akram Belkaïd, Paris
Quatre ans après le geste désespéré et désormais
emblématique de Mohamed Tarek Bouazizi – c’était le 17 décembre 2010 à Sidi
Bouzid en Tunisie – faut-il décréter l’échec définitif du Printemps
arabe ? Face à ce qui se passe en Libye, en Egypte, bien sûr aussi et
surtout en Syrie et sans oublier Bahreïn et le Yémen, faut-il se couvrir la
tête de cendres ou bien alors baisser les yeux d’un air contrit devant les
multiples tenants des multiples théories du complot
impérialisto-mossado-qataro-machin-chose ? Répondons d’abord à ces
questions par de simples interrogations auxquelles un minimum de connaissances
historiques apportera les réponses nécessaires. Depuis quelques siècles, quelle
est la révolution dont on peut prétendre qu’elle a atteint son but au bout de
quelques années ? Quelle est la révolution qui n’a pas été suivie d’une
contre-révolution ou par une restauration plus ou moins longue voire plus
ou moins réactionnaire ? Bien sûr, l’histoire n’est pas qu’une question de
cycles ou de séquences mécaniques. D’autres éléments interviennent, souvent
exogènes d’ailleurs (quel cours aurait connu la révolution française si des
puissances étrangères ne s’étaient pas mêlées de la partie ?). Sans
relâche, des historiens s’interrogent sur ce qui fait qu’un peuple est non
seulement capable de se soulever pour abattre l’ancien régime mais aussi de
transformer l’essai, c'est-à-dire de réussir à donner vie à de nouvelles
institutions en rupture avec le passé.
Contre Ben Ali, c’est la convergence d’un
ras-le-bol général qui a joué. Préparé par une agitation syndicale dont il a
été trop peu question – on pense notamment aux grèves du bassin minier de Gafsa
en 2008 – un consensus a existé entre les différentes classes sociales pour en
finir avec un régime miné par la corruption et la déprédation. Mais ce genre de
convergence ne dure jamais car s’il est difficile de faire chuter le tyran, il
est encore plus dur de bâtir après lui. Dans un processus laborieux, parfois
douloureux, mais qui n’en demeure pas moins exemplaire, la Tunisie a réussi,
malgré ses divisions, à mener une transition vers une nouvelle république. Bien
sûr, rien n’est encore gagné à la veille d’un deuxième tour d’une élection
présidentielle particulièrement disputée. La Révolution tunisienne a-t-elle
échoué parce que la scène politique est occupée, entre autre, par des
islamistes, leurs alliés populistes (ou néo-yousséfistes) ou encore par des
membres de l’ancien système ? Mais que croit-on ? Que des démocrates
naissent par génération spontanée ? Que des modernistes fracassent en un
clin d’œil la gangue religio-conservatrice dans laquelle ils étaient enfermés
depuis des décennies si ce n’est des siècles ? Le temps est certes une
donnée relative mais elle est surtout incompressible. En clair, et pour
paraphraser quelques célèbres maximes, la révolution ne se décrète pas, elle
s’accomplit mais, surtout, elle se poursuit. Par l’éducation, par l’implication
de la société civile, par le débat d’idée : bref, par l’engagement de tous
et c’est ce qu’ont compris nombre de Tunisiennes et de Tunisiens.
On peut aussi dire que le changement radical ou la
rupture ne comptent que par celles et ceux qui préparent le coup suivant. Il ne
sert à rien de vouloir abattre le tyran si l’on ne sait pas ce qu’il faudra
faire ensuite. Dans ses mémoires qui viennent d’être publiées, Michel
Camdessus, l’ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI),
raconte que certains pays de l’ex-bloc soviétique étaient préparés à encaisser l’immense
choc engendré par la chute du mur de Berlin et par la fin de l’URSS (*).
D’autres ne l’étaient pas et, à chaque fois, la différence ne s’est pas faite
grâce à des institutions (elles n’existaient pas) mais grâce à des ressources
humaines ayant déjà réfléchi, parfois seules dans leur coin, à ce qu’il
faudrait faire le fameux jour d’après.
Disons-le franchement. Aucun pays arabe concerné
par les révolutions de 2011 n’avait réfléchi à cet « après » d’où, ce
n’est pas l’unique raison, les cahots d’un processus qui est loin d’être
terminé. C’est un fait, les dictateurs semblaient indéboulonnables et rares
sont ceux qui ont pensé l’impensable, à savoir leur chute. Dans cette affaire,
la Tunisie a eu la chance, par la suite et dans l’urgence, de pouvoir mobiliser
des compétences à chaque étape de la transition (et de créer les institutions
destinées à piloter les premiers temps de la transition). A l’inverse, l’Egypte
n’a jamais pu se dégager de ce handicap originel lequel réside dans le fait
qu’une armée qui détient le pouvoir ne mène jamais de révolution contre ses
propres intérêts (à ce sujet, le cas de la révolution des œillets au Portugal
en 1975 mériterait d’être étudié dans tout le monde arabe).
On reviendra dans de prochaines chroniques sur les
cas de l’Egypte, de la Libye et de la Syrie. En attendant, il n’est pas
inintéressant de se pencher sur ce mix de non-révolution et de mauvaise
évolution qu’est devenue l’Algérie. Il faut espérer qu’ici et là, au pays comme
à l’étranger, des femmes et des hommes sont en train de réfléchir aux jours
d’après. La prospective étant autant affaire de science que de technique, il
leur faut penser large et noir. L’impréparation à la chute annoncée depuis mai
dernier des cours pétroliers, l’improvisation qui domine la gestion des
affaires du pays, le chaos idéologique, les manœuvres de coulisse, le retour au
premier plan de la dialectique takfiriste,
tout cela démontre que l’Algérie, toute en œillères et pas cadencés, est résolument
en route vers un nouveau cauchemar. Cela, personne ne pourra prétendre l’avoir
ignoré.
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(*) La Scène
de ce drame est le monde, treize ans à la tête du FMI. Michel Camdessus,
Les Arènes, Paris, 446 pages, 22,80 euros.
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1 commentaire:
Barak Allahou Fik sur cette mise en perspectives. En plus du vide intellectuel et politique dont sont victimes les sociétés arabes (que vous expliquez très bien), il est à mon avis utile de pointer du doigt les insuffisances économiques qui font emprunter aux uns et aux autres des trajectoires différentes (Tunisie Vs Egypte). Dans des pays où le taux de pauvreté avoisine les 50% (Egypte), où les sources de revenu sont rares, nombreux sont ceux qui ont la gueule de bois le lendemain d'une révolution. D'où l'emprise des mouvements réactionnaires mettant souvent en avant un argument de poids: le pain!
Une révolution c'est bien. Faut-il encore que les conditions matérielles des gens accommode cette évolution.
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