Extraits d'un entretien accordé au Quotidien Le Monde daté du 12 février 2015 (propos recueillis par Nicolas Truong).
Peter Sloterdijk est philosophe, professeur de philosophie et d’esthétique à la Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe.
(...)
Le Monde.- S’agit-il
d’un véritable choc des civilisations, entre un pays qui accepte de tout moquer
et un autre univers traversé par un regain des dogmes et des interdits ?
Peter
Sloterdijk.-
Les meurtriers ne sont pas du tout les messagers d’une guerre de civilisation
ni d’une quatrième guerre mondiale. Il s’agissait de simples criminels à la
recherche de la gloire. Ils étaient des tueurs de la société du spectacle. Les sociétés
modernes sont celles des apparences multiples qui ne soutiennent plus les
identifications simplistes. Les catholiques français pourraient se déclarer
mille fois plus « offensés » que les musulmans. Pourtant, ils ne
tuent pas. La véritable question est complètement différente : « A
quoi sert le terrorisme ? » Pour faire vite on peut dire : à
souder une nation qui se croit agressée, à donner à l’appartenance européenne
ou américaine un peu plus de consistance. Sans un élément de paranoïa, les
grands corps sociaux qu’on appelle « sociétés » perdraient de leur
cohérence. En un mot, dans la perspective de la realpolitik, si le terrorisme n’existait
pas, il faudrait l’inventer.
Comment
combattre la fabrique nihiliste et djihadiste de nos sociétés ?
Les
sociétés modernes sont des ensembles tièdes. Si rien ne leur arrive, elles
peuvent se permettre de vivre avec un minimum de convictions fermes et un
presque rien de résolution cohérente. Or, il nous est arrivé quelque chose. La
solidarisation de l’Europe entière avec la France après les attentats restera
un geste inoubliable. Cela veut dire qu’il suffit d’élever un peu la
température de nos convictions. Il faut voter pour une forme de vie moins
paresseuse.
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